Audit des pratiques de perfusion des sels de quinine chez des cas de paludisme grave

Le paludisme grave est une urgence médicale, marquée par des défaillances multiviscérales majeures responsables d’une létalité élevée. Selon l’OMS, un enfant meurt toutes les trente secondes de paludisme dans le monde et chaque année prés d’un million de décès sont dus à cette maladie [1]. Au Sénégal, la perfusion de sels de quinine est considérée comme le traitement de première intension en cas du paludisme grave. Ce traitement est adopté par la majorité des programmes nationaux africains de lutte contre le paludisme. Elle doit être réalisée selon des recommandations précises appelées bonnes pratiques cliniques dans du sérum glucosé isotonique ou hypertonique [2]. La pratique de la perfusion intraveineuse de sérum glucosé a été initiée en 1872[3], après le développement des solutés de perfusion intraveineuse à partir de 1831 [4,5]. La perfusion intraveineuse de sérum glucosée a depuis lors connu un développement considérable du fait de son succès dans l’administration de médicaments au cours du traitement de nombreuses pathologies graves surtout dans les unités de soins intensifs [5-6]. En effet, en plus de son rôle de véhicule de multiples principes actifs, le sérum glucosé nourrit, rééquilibre et hydrate les organes [7,8]. Sa préférence comme soluté de perfusion des sels de quinine est due au fait que ceux-ci ont comme effet secondaire majeur l’hypoglycémie. Cependant un respect scrupuleux du débit de perfusion de ces sels réduit le risque de troubles du rythme cardiaque dus à la toxicité de ces médicaments [9]. Lorsque le débit est insuffisant, le traitement peut être inefficace du fait de concentrations plasmatiques insuffisantes des sels de quinine [10,11]. C’est ce qui justifie l’utilisation des seringues électriques pour l’administration des sels de quinine dans les pays occidentaux, associée dans certains cas d’un monitoring du rythme cardiaque (recommandations AFSAPS dans le traitement du paludisme grave) .

Au Sénégal, le paludisme grave constitue une préoccupation des autorités sanitaires, surtout en phase de pré-élimination du paludisme [13]. La perfusion de sels de quinine dilués dans du sérum glucosé reste le traitement de première intention recommandé par le Programme Nationale de Lutte contre le Paludisme (P.N.L.P) sénégalais. Il est recommandé de l’administrer à la posologie de 25 mg/kg/jour et en trois perfusions espacées de 8heures. La durée normale de la perfusion est de 4 heures. [13]. Au service des maladies infectieuses du CHNU de Fann, centre national de référence pour la prise en charge du paludisme grave de l’adulte, en moyenne 100 cas sont enregistrés chaque année avec une létalité de 15 à 20%.

GENERALITES SUR LA PERFUSION

Définition

Une perfusion est une injection longue et progressive d’un liquide dans le corps se faisant en général par plusieurs voies et en particulier dans la majorité partie des cas par voie intraveineuse en cas d’urgence. Un cathéter est introduit dans une veine périphérique, ou parfois une grosse veine pour permettre la diffusion du liquide. Le liquide peut-être du sang (perfusion sanguine ou transfusion sanguine en cas d’anémie ) ou une solution composée de molécules permettant de faire remonter une pression artérielle basse pour contrebalancer une perte de sang lors d’un accident ou des médicaments (perfusion médicamenteuse)[14].

Principes de la perfusion

La composition des solutions pour perfusion devra être adaptée à la physiopathologie de la fonction circulatoire sanguine qui adapte en permanence la microcirculation au besoin de l’organisme. En effet, elle permet de:
❖ maintenir un équilibre liquidien dans les pathologies graves (restauration et maintien de l’homéostasie) par des perfusions équilibrées de solutions d’eau et d’électrolytes,
❖ surveiller l’équilibre liquidien, connaître des étiologies classiques des troubles de l’homéostasie des liquides, chez les patients en réanimation et des méthodes diagnostiques de ces problèmes,
❖ prescrire des perfusions (eau et en électrolytes) en relation avec celles de l’«alimentation parentérale » si les deux sont nécessaires. Le calcul des besoins hydriques, électriques et énergétiques (glucides, lipides éventuellement) et de protéines constitue la base du plan final de perfusion que le médecin doit prescrire pour chaque patient individuellement,
❖ Indiquer une prescription individualisée qui doit décrire en détail le type de perfusion, ou la durée nécessaire pendant laquelle les perfusions doivent être administrées.

Objectifs de la perfusion 

Les objectifs de la perfusion sont nombreux:
❖ elle prévient les troubles de la répartition de l’eau et maintient la volémie par l’administration équilibrée d’eau et d’électrolytes ou de glucose en tant qu’éléments d’un traitement équilibré de perfusion (besoins de base ou besoins de base adaptés),
❖ elle restaure l’équilibre liquidien en ajoutant ou en enlevant des quantités calculées d’eau et/ ou les électrolytes (besoins adaptées),
❖ elle corrige une déshydratation,
❖ elle permet d’administrer des médicaments dans la circulation générale lorsque la voie orale n’est plus fonctionnelle et/ ou lorsqu’une action rapide est désirée .

Classification des différentes techniques de perfusion 

Il existe différentes techniques de perfusion :
❖ la perfusion en bolus qui consiste en une injection rapide de médicaments d’urgence ou de chimiothérapie,
❖ la perfusion continue qui permet l’administration de médicaments à vitesse constante. C’est le cas par exemple des « garde-veines » permettant le maintien d’un accès veineux, des perfusions de réhydratation, de la nutrition parentérale, ou encore de la perfusion continue d’antibiotiques. Ainsi, la concentration sérique des médicaments reste stable pendant toute la perfusion .
❖ la perfusion intermittente ou discontinue. Elle correspond à l’administration d’une perfusion courte de 30 à 60 minutes toutes les 4, 6, 8 ou 12 heures selon la pharmacocinétique des médicaments (cas de certains antibiotiques ou antalgiques…) .

Bonnes Pratiques Cliniques de perfusion 

Les médicaments injectables sont utilisés par une voie d’administration à haut risque et demandent donc une vigilance accrue lors de leur prescription, de leur préparation et de leur administration.

Prescription médicale 

La perfusion relève toujours d’une prescription médicale (Article R4311-7 du CSP) [18]. Au préalable, le médecin doit s’assurer que la voie parentérale est la voie d’administration la plus appropriée et qu’elle sera utilisée à bon escient. En effet, de nombreux médicaments possèdent une biodisponibilité élevée par voie orale et leur utilisation per os, en dehors des situations d’urgence, n’entraîne pas de perte de chance pour le patient [19, 20,21]. La voie parentérale présente des avantages (rapidité d’action, concentrations sanguines élevées, biodisponibilité optimale pour les principes actifs mal absorbés par voie orale [22]) mais également des inconvénients qu’il faut prendre en compte avant de proposer son indication. Il faut aussi bien évaluer les bénéfices attendus au regard des risques potentiels et contraintes de cette voie d’administration :
➤ pour le patient, l’administration par voie intraveineuse constitue un geste à risque iatrogène. En effet, du fait de son caractère invasif, elle l’expose à différents risques. Tout d’abord au risque d’introduction dans l’organisme de germes bactériens et fongiques, d’endotoxines, de particules ou de micro-emboles d’air. Le risque d’embolie gazeuse est exceptionnel mais grave et potentiellement mortel [23]. Elle peut également provoquer une situation d’inconfort chez le malade (douleur, gêne, immobilisation),
➤ pour le soignant, la perfusion constitue également un geste à risque (accident d’exposition au sang),
➤ enfin, elle augmente le coût global de traitement (consommables, médicaments injectables, temps infirmier, gestion des évènements indésirables, antibiothérapie en cas d’infection…) .

Par ailleurs une étude rétrospective de l’hôpital Lariboisière (AP-HP, Paris) a montré que 30 % des perfusions observées étaient inutilement prolongées audelà de 48 heures [25]. La revue Prescrire a également cité une étude américaine de 1990 qui montrait que 20 % des journées de perfusions étaient considérées comme inutiles. [25]. Cette problématique de perfusions injustifiées ou prolongées (par absence de réévaluation systématique) a également été rappelée dans les recommandations de bon usage des dispositifs médicaux de perfusion du CODIMS de l’AP-HP [26]. Il est donc indispensable de réévaluer quotidiennement la légitimité de la perfusion et de penser aux alternatives : arrêt du traitement, relais du traitement per os, pose d’une sonde naso-gastrique [15,27]. Outre les mentions obligatoires d’une ordonnance (identification du patient et du prescripteur, nom du médicament, posologie, signature du prescripteur…), la prescription d’une perfusion doit notamment préciser le nom et le volume de diluant et/ou du liquide de perfusion ainsi que la compatibilité avec le diluant et le liquide de perfusion [12]. Le prescripteur doit également renseigner les modalités de perfusion : perfusion continue ou discontinue, la durée et le débit de la perfusion. Enfin, le praticien doit préciser le type d’administration, actif (grâce à une pompe volumétrique ou à un pousse-seringue électrique) ou passif (perfusion par gravité) [10]. Grâce aux logiciels d’aide à la prescription (LAP), il est dorénavant plus facile pour les prescripteurs d’accéder à toutes ces données en particulier via des protocoles paramétrés dans le logiciel (compatibilités avec les solvants, stabilité de la préparation…). L’informatisation de la prescription permet ainsi d’améliorer la conformité de la prescription à la réglementation et fournit à l’infirmière un accès à des informations précises pour mieux réaliser sa perfusion .

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre I : Généralités sur la perfusion
I. Définition
II. Principes de la perfusion
III. Objectifs de la perfusion
IV. Classification des différentes techniques de perfusion
V. Bonnes Pratiques Cliniques de perfusion
V.1.Prescription médicale
V.2.Préparation de la perfusion
V.3.Etiquetage des perfusions
V.4.Administration du médicament
V.5 .Surveillance au cours de la perfusion
VI. Raisons des bonnes pratiques de perfusion
VII. Dispositifs médicaux pour perfusion
VII.1.Principe du réglage du débit : loi de Poiseuille
VII.2.Facteurs influençant la précision du débit
VII.2.1.Facteurs liés au perfuseur
VII.2.2.Facteurs liés aux autres dispositifs médicaux de la ligne de perfusion
VII.2.3.Facteurs liés au patient
Chapitre II: Généralités sur le paludisme grave
I. Définition
II. Epidémiologie
II.1.Dans le monde
II.2. Au Sénégal
III. Conditions favorisantes
IV. Agents pathogènes
IV.1.Classification
IV.2.Cycle évolutif
IV.2.1.Cycle chez le moustique: le cycle sexué ou sporogonique
IV.2.2.Cycle chez l’homme : le cycle asexué
IV.2.2.1.Phase hépatique
IV.2.2.2.Phase sanguine
V. Vecteurs
VI. Réservoir de parasite
VII. Relation Hôte-Parasite
VII.1.Facteurs de résistance non immunitaire: la résistance innée
VII.1.1.Facteur lié à la membrane érythrocytaire
VII.1.2.Facteurs intra-érythrocytaires
VII.2.Facteurs de résistance immunitaire : Immunité anti- palustre
VIII. Mode de transmission
IX. Physiopathologie du paludisme grave
X. Clinique
XI. Diagnostic
XI.1.Diagnostic positif
XI.1.1.Arguments épidémiologiques
XI.1.2.Arguments cliniques
XI.1.3.Arguments biologiques
XI.2.Diagnostic différentiel
XI.3.Diagnostic étiologique
XII .Traitement
XII.1.Traitement curatif
XII.1.1.Traitement étiologique
XII.1.2.Traitement symptomatique
XII.2.Traitement préventif
XII.2.1.Chimioprophylaxie
XII.2.1.1.Chimioprophylaxie collective
XII.2.1.2.Chimioprophylaxie individuelle
XII.2.2.Lutte antivectorielle
XII.2.2.1.Lutte anti-larvaire
XII.2.2.2.Lutte anti-adulte
XII.2.2.3.Vaccination
CONCLUSION

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