Au regard de la longévité du béton armé

VERS LA FIN DU RÈGNE DES BÂTISSEURS ?

Au regard de la longévité du béton armé, presque tout ce qui a été construit au milieu du XXème siècle est encore debout aujourd’hui. La technique qui s’insurge continuellement contre les lois de la physique et qui accélère nos modes de production nous oblige peu à peu à vivre au milieu de nos propres ruines. À un moment où les villes tentent d’endiguer l’étalement urbain et de redynamiser les centres, le fameux renouvellement urbain devient le mot d’ordre de la planification urbaine en France depuis 2000 (loi SRU). Mis en pratique désormais au nom d’une ville plus «durable», ce renouvellement signifie la densification et la requalification du tissu urbain existant. Pendant ce temps là, le modèle de la ville occidentale en éternelle croissance est déstabilisé par des fantômes de mauvais présage. Les shrinking cities, Detroit l’une des premières, sont la preuve qu’un modèle économique industriel en crise peut entraîner une ville entière dans sa chute. En France, ce phénomène a touché quelques villes industrielles telles que Saint Étienne ou Le Havre. Soucieuses de se réinventer, les villes se construisent un récit, à coup de slogan. C’est l’époque où “les grandes villes françaises ont troqué leurs armoiries contre des logos” . Cette reconversion généralisée passe aussi par l’architecture. L’effet Bilbao, un exemple isolé devenu recette infaillible pour la réussite, n’a pas manqué d’être repris : on peut penser à Marseille et son nouveau MUCEM signé Ricotti, Lyon et son musée Confluences signé Coop Himmelb(l)au, ou encore Bordeaux avec la MÉCA signé BIG (Bjarke Ingels Group) en collaboration avec Freaks architects. Des exemples français, parmi tant d’autres à travers le monde. L’architecture est plus que jamais un symbole de renouveau, avec la culture en figure de proue.
De cette mode du grand geste architectural, tenue par une petite élite de starchitectes, se joue en arrière plan une réalité toute autre. Le monde du bâtiment connaît une crise,ou plutôt des crises, à la fois économiques et écologiques.
Pour caricaturer le tableau : à côté des actions médiatiques avec chantier à gros budget, l’urbanisme ordinaire, lui, passe progressivement aux mains des promoteurs privés, au grand désarroi de certains architectes. Caricaturons encore : pendant que l’on extrait désespérément du sable sur nos côtes, et que le taux de construction ne cesse d’augmenter, on tente de se consoler en recyclant les gravats issus de chantier de démolition de barres d’immeuble, qu’il serait trop cher de rénover. Ces mécanismes, qui sacrifient qualité architecturale et ressources naturelles, fonctionnent dans des rouages économiques et sociaux si bien huilés qu’il est difficile d’en sortir. Une autre élite se forme en parallèle, qui conteste de manière diverse et singulière un marché de la construction incompatible avec des valeurs sociales et des pratiques architecturales. Depuis le début des années 80, Lucien Kroll s’attache à «réparer le désastre»5 des barres HLM, en intégrant les habitants dans la rénovation de leur lieu de vie. Plus récemment, l’équipe franco-belge Rotor s’empare de la question du réemploi des matériaux de construction depuis des opérations de déconstruction ordinaires. Le duo d’architectes Lacaton et Vassal respectent au sein même de leurs projets une économie de moyen et un respect des lieux. En atteste leur réponse au concours pour le réaménagement de la place Léon Aucoc à Bordeaux: ne «presque rien faire» . Urgence écologique, démarche participative, reconversion programmatique : le rôle de l’architecte est plus que jamais remis en question, au point qu’on lui enlève sa fonction première: construire. Éric Furnémont pose justement la question: «Pourquoi bâtir encore ?» . Patrick Bouchain a décidé lui «de ne jamais construire» , et ne se pense pas moins architecte. Il estime que «tout ce que l’on a est déjà beaucoup», et que l’on peut déjà «réparer» plutôt que construire.
Réparer, rénover, réhabiliter… le mot d’ordre est un préfixe. À défaut de faire du neuf, on refait. La mode est au palimpseste architectural. On construit au dessus, en dessous, dedans, dehors, on enjambe les constructions existantes en assumant l’anachronisme. Il se dégage pourtant un rapport complexé au patrimoine, entre un refus de l’imitation et un mépris de la modernité trop tape à l’oeil.
En attestent les voix d’indignation face aux pyramides de Ieoh Ming Pei dans la cour du Louvre dans les années 90, les qualifiaient tour à tour de «géométrie glaciale» ou de décor de «Disneyland» . Après la fin du courant post-moderne au début du siècle, et avec des starchitectes en fin de carrière, la scène contemporaine semble être en manque de représentativité. Puisque l’architecte moderne semble condamné à réécrire un patrimoine bâtit, l’architecture moderne résiderait-elle dans ce jeu de superposition permanent avec ce qui préexiste ?

LOIN DES SENTIERS BÉTONNÉS …

Après avoir émis mes propres doutes par rapport au marché actuel de la construction, à la fois par rapport au rôle de l’architecte et à la gestion de la crise écologique et urbaine, il serait temps d’explorer des pratiques différentes.
Ces pratiques ont en commun qu’elles contournent un modèle existant de plusieurs manières : dans la conduite du chantier, dans la réponse à un programme, dans le rapport à l’existant. Plusieurs modèles se détachent, qui encouragent l’expérimentation et la créativité dans le temps et l’espace.

L’euphorie du chantier collectif

Le chantier de BTP classique, régi par des acronymes interminables, est un moment de cristallisation du projet.
En amont du chantier, les plans d’exécution fournis par les entreprises définissent avec détails les interventions.
Dans des objectifs d’efficacité et de précision, rien n’est laissé au hasard en terme d’organisation et d’exécution. En France, même si nous sommes loin d’une rigueur militaire, un chantier bien mené est celui qui respecte au mieux les délais et le projet dessiné en amont. Or, historiquement, les représentations géométrales qui font foi et loi aujourd’hui sont apparues bien après les premiers grands chantiers de construction. À l’époque des cathédrales encore, au moment présumé de l’apparition du métier d’architecte, l’emprise au sol de l’édifice était tracé à même le terrain, sans aucun dessin préparatoire. Serait-il possible de rendre au chantier sa position de noblesse, en tant que moment de conception par excellence ?
Loin des chantiers de BTP, d’autres formes de construction sont mises en œuvre dans des buts de partage et d’expérimentations. La figure du chantier participatif, qui devient de plus en plus populaire, résume bien ces objectifs. Le principe étant de réunir des ouvriers volontaires, souvent bénévoles, sans qualification particulière, parfois futurs habitants du projet, pour participer à la construction d’un projet commun. La construction elle-même se détache souvent des méthodes constructives industrielles, pour s’orienter au contraire vers des pratiques plus artisanales et traditionnelles, facilement exécutables. Le niveau d’exigence varie d’un chantier à l’autre, ainsi que les règles établies. C’est justement cette liberté et cette adaptabilité qui est intéressante. Ces chantiers se rapprochent davantage de temps de partage et de création collective. Ils sont plus propices à des méthodes constructives intuitives et empiriques. La dénomination de chantier participatif met plutôt l’accent sur la composante humaine et économique, qui est très différente d’un chantier classique : le fait que les ouvriers ne soient pas des professionnels rémunérés.
Cependant le mot participatif peut s’entendre à plusieurs niveau : le recrutement de bénévoles, le partage d’idées et de propositions, la participation égales à diverses tâches.
La participation peut commencer dès la phase de conception du projet, on parle alors d’architecture participative. Lors d’un travail étudiant, j’ai eu l’occasion d’interviewer des architectes ayant travaillé sur des projets participatifs. Même si ces types de projets restent rares, ils fleurissent de plus en plus en France, et il se trouve que la région nantaise ne manquait pas d’exemple. Il en est ressorti que la participation habitante se doit d’être organisée et encadrée pour pouvoir être constructive (sans mauvais jeu de mot). Nous avons remarqué la présence récurrente d’une structure d’assistance à maîtrise d’ouvrage, qui semblait souvent indispensable pour des projets d’envergure. Ces projets sont souvent similaires : un groupe d’habitant pour 5 à 15 logements. Par rapport à l’architecte, son travail se voit parfois décuplé, (s’il ne profite pas d’une AMO) mais il apparaît plus humain et plus stimulant pour la plupart des interviewés. La gestion du temps est la principale différence avec un chantier classique : parce que l’on prend le temps d’interroger l’habitant, le processus est plus long, le projet a le temps d’évoluer et d’entrer dans les détails.
Ces projets restent minoritaires, car ils sont peu rentables, et qu’ils demandent un investissement important de la part de l’architecte. Même si le participatif semble profiter d’un effet de mode, force est de constater que chaque projet ne se vaut pas en terme de participation. Hors du cadre légal, la ZAD peut être considérée comme un modèle de chantier alternatif. Là bas, l’auto-construction est le reflet d’un choix de mode de vie. Ont été construits avec les moyens du bord : “des corps de ferme rénovés lors de grands chantiers collectifs” “de nouveaux hangars agricoles” “de nombreuses cabanes” . Pas de limites foncières, pas de règles d’urbanismes, mais plutôt des règles locales, de vivre ensemble et de respect des autres. Cette sortie du cadre légal en fait un terrain assez unique d’expérimentation, en témoigne l’intérêt qu’ont porté certains architectes pour cet endroit. La publication “Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre” de l’architecte enseignant Christophe Laurens et ses élèves apporte un nouveau regard sur ces constructions, un regard d’architecte. De la même manière, la jungle de Calais, où “les migrants et réfugiés construisent ce territoire de l’attente et réinventent un quotidien” a fait l’objet d’une attention particulière. Contrairement aux idées reçues, l’urgence et la nécessité ne fabrique pas forcément un “chaos”. Les travaux d’architectes sur ce territoire ont notamment permis de rétablir une vérité :
qu’il s’agit d’une “une ville à part entière, une urbanité en puissance” . Les cartographies des étudiants de Paris-Belleville montre que de véritable rues et quartiers se sont formés, avec leur organisation propre. Ces publications et travaux diverses montrent bien une certaine fascination et une soif d’apprendre de la part des professionnels envers ces formes marginales d’architecture. Depuis 2006, le festival Bellastock tente de recréer ces conditions de liberté d’un chantier participatif et éphémère, à destination des étudiants en architecture, avec pour objectif simple d’expérimenter un matériau. Une manière de rappeler que l’on apprend en faisant, et que dans les études d’architecture, le chantier est souvent oublié.
Les formes d’expérimentations illégales (et donc totalement libres ?) semblent difficiles à reproduire et à appliquer au cadre légal et financier des chantiers de constructions classiques actuels. Pourtant elles donnent lieu à des pratiques créatives différentes, et à répondre à des impératifs d’urgence et de nécessité. Faut-il libérer l’architecture de son carcan de règles pour la faire revivre ?

L’ARCHITECTURE REFUSE-T-ELLE DE MOURIR ?

“L’homme craint le temps, mais le temps craint les pyramides.” (proverbe égyptien

En tant que pratique artistique, l’architecture est associée à un processus créatif, donc positif. Si elle souvent associée à un être vivant : on parle de peau, de squelette, de membranes, ou d’organes même, la logique voudrait que son destin, comme tout être animé, soit la mort. Même dans cette acceptation anthropomorphique, “l’architecture se complaît dans des fantasmes de créativité et de durabilité” (BDM, p15, traduit de l’anglais). La mort dans le monde organique aussi inévitable soit-elle, n’est pas pour autant facilement acceptée dans les sociétés humaines. L’existence de ce parallèle direct entre disparition de l’architecture et fatalité de la mort ne semble pas suffisant pour expliquer le tabou autour du sujet. Quelles assomptions la disparition progressive et inévitable de l’architecture remet-elle en cause ? Explorons plusieurs raisons pour lesquelles l’architecture semble refuser de mourir.
À l’origine de l’architecture, on retrouve un besoin primaire, celui de se protéger, de l’extérieur et des autres. La métonymie de l’architecture serait-elle tout simplement un toit ? L’homme moderne sorti des caverne, a besoin de cette voûte protectrice pour survivre. Tels de petits cochons, nous nous protégeons du monde extérieur avec des murs toujours plus solides. Après les incendies de Londres, de Rennes, les villes du XIXème siècle se reconstruisent en pierre et bannissent le bois. Après les guerres modernes, on reconstruit en béton. Cette recherche permanente de solidité s’explique en partie par un besoin de se protéger de l’imprévisible.
L’acte de construire a aussi vocation à asseoir une civilisation. Occuper le territoire, c’est une manière le posséder, de le diriger, de le maîtriser. Lors des conquêtes romaines, l’expansion de l’empire passait principalement par la construction de route, de camps, puis d’édifices d’architecture romaine. L’architecture est une manière de donner corps à des concepts. Elle permet d’asseoir un pouvoir politique, aussi tout état, dictature, ou monarchie a son monument emblématique. De la même manière, l’architecture religieuse permet de matérialiser des croyances.
Ainsi on peut attribuer plusieurs sens à un édifice : l’accueil, le rassemblement, le repère, mais aussi la publicité, la domination. Si l’architecture est le vaisseau de croyances et de symboles, elle entraîne nécessairement dans sa chute l’idée d’un ordre social. L’histoire est marquée par bon nombre de destructions symboliques : de la destruction des symboles royaux pendant la révolution française, en passant par la chute du mur de Berlin. Du point de vue du destructeur, c’est une preuve de puissance, d’annihilation, d’effaceur de mémoire. La démolition semble apparaître en contexte de crise, de guerre, laissant derrière elle un goût amer d’injustice.
La disparition “naturelle” de l’architecture est un phénomène lent, de vieillissement, de détérioration. Il se manifeste par des traces d’usure, certaines inoffensives, d’autres symptomatiques de danger. Le progrès scientifique aura bientôt pour objectif de nous protéger de la saleté et de l’usure. Le mouvement hygiéniste dès le XVIIIème siècle met au jour des liens directs entre l’organisation des villes et des conditions de vie saine pour l’individu. C’est une révolution qui s’opère en termes de réseaux : gestion des eaux usées, des déchets. C’est aussi le culte de la transparence et de la lumière, possible grâce à de nouveaux matériaux: le verre et l’acier. Des opérations de nouveaux logements sont entrepris pour garantir un mode de vie moderne et confortable, que les anciens îlots ne permettaient pas. On bannit la densité on abat les enceintes des villes pour qu’elles puissent s’étendre en périphérie. À Paris, c’est le préfet haussmann qui va dicter un nouveau modèle urbain. Au XXème, le mouvement moderne se construit sur un rejet similaires des modèles précédents, considérés comme obsolètes, et dans l’optique d’offrir à moindre coût un confort moderne à un plus grand nombre de personne grâce aux progrès techniques. Dans un contexte de reconstruction, le mot d’ordre est à la rapidité et l’efficacité, le béton armé et la préfabrication sont des réponses idéales.
On recherche un modèle de logements et d’architecture intemporelle, épurée. Le Corbusier considère même les gratte-ciel New-Yorkais comme les nouvelles cathédrales modernes. Parallèlement à cette recherche d’indémodable, l’usure n’est pas beaucoup prise en compte dans la conception. En témoigne le destin tragique de la Villa Savoye, déclarée inhabitable par ses commanditaires, au bout de quelques années. Cette posture, tournée vers le progrès, a tendance à condamner la “patine” en faveur du neuf et du moderne. Le vieillissement en architecture, à la fois esthétique, sociologique, et technique, est en grande partie rejeté dans une société destinée à avancer, à se surpasser continuellement.
À l’inverse, un mouvement de conservatisme s’observe dans certaines sphères de la construction. L’architecture a depuis longtemps servie d’hommage, à la mémoire d’homme ou de cause. L’architecture funéraire ou religieuse sont souvent les traces les plus fréquentes d’un peuple ou d’une civilisation. Parce qu’elle survit à l’homme, elle fait témoignage. D’une certaine manière, elle permet à l’homme de s’accorder une portion d’éternité. Notre-Dame brûlant en avril 2019 a provoqué des réactions très fortes : des gens en pleurs, “C’est une partie de moi qui s’effondre”. Mêlés à la tristesse, des sentiments de colère et de honte face au manque de soin que témoigne l’accident : “Nos ancêtres ont  mis plus de cent ans à la construire. Et nous, au XXIe siècle, on n’est pas capables de la préserver”. Par respect pour l’œuvre de nos prédécesseurs, et par souci de mémoire, la patrimonialisation est courante aujourd’hui, et s’élargit à un plus grand nombre de construction. Récemment, la ville d’Anvers a déclaré un ancien site de traitement pétrolier, Petroleum Zuid, patrimoine industriel. Au delà de l’attachement historique, il y a valeur de preuve scientifique dans la conservation d’éléments architecturaux. C’est aussi pourquoi la reconstruction de Notre-Dame se fera à l’identique, selon l’avis de l’architecte en chef, qui se base sur la charte de Venise, qui dit que la reconstruction “s’arrête là où commence l’hypothèse” et doit s’appuyer sur le “ dernier état connu du monument”. Ainsi, par souci de mémoire et de vérité, on a tendance à figer certaines constructions dans le temps pendant des siècles.

DE LA DIFFICILE ÉVALUATION DE L’USURE

Une fois que l’on a accepter l’évolution inéluctable du monde construit vers un mode déconstruit, reste à évaluer par quel processus on passe de l’un à l’autre. En effet, si la déconstruction est le fait de l’homme, le vieillissement, l’altération, des matériaux sont des variables du temps et de la “nature”. Cependant l’usure et l’obsolescence sont des concepts profondément humain, qui sont prépondérant dans le processus de déconstruction. L’évaluation de l’usure n’est-elle pas seulement une appréciation purement technique de notre lieu de vie mais aussi une remise en cause de notre propre regard ?

Altération ou usure ?

Le premier ennemi de la longévité de l’architecture est le temps, qui se manifeste par l’usure. Stephen Cairns et Jane M.Jacobs dans leur livre au titre évocateur Buildings must die , proposent un memento mori pour le monde inerte de l’architecture. Même si on ne peut pas parler de «mort», le destin de l’architecture est la ruine, par la simple action des éléments naturels. Il semble parfois que l’action humaine se résume à résister à cette usure inévitable, en refusant de la laisser apparaître. Aujourd’hui encore, les médias et les promoteurs immobilier nous vendent une vision d’une architecture toujours neuve et immaculée. « Le rêve de l’architecte » selon Thomas Cole est fait d’édifices à colonnes, de parthénons et de pyramides, aspirant à l’éternité. Cette représentation idyllique est bel et bien un rêve. Si l’architecture de papier ne peut jamais vieillir, l’architecture matérielle s’expose aux affres du temps. S’opposer à ce principe empêche une meilleur compréhension des phénomènes d’usure de la matière, et une appréhension de ceux-ci dans la conception. De plus en plus, les architectes jouent avec l’altération des matériaux : la corrosion, les dépôts, l’humidité… Eero Saarinen le premier reconnaissant le potentiel esthétique de l’acier Corten, «propre à celui de la nature même».
Ainsi l’architecture se déforme, s’altère jusqu’à mener finalement à sa propre ruine. Cependant, plus rapidement que les éléments naturels, ses habitants vont ‘‘user’’ de leur lieu de vie et, par voie de conséquence, le détériorer. Une relation étroite s’installe entre usage et usure. La fréquence de l’un augmente l’apparition de l’autre. On distingue l’usure d’une altération quelconque du fait que «cette altération n’est pas a priori intentionnelle» et résultent «des effets collatéraux d’actions qui n’avaient pas cette finalité».
Elle est le témoin d’une activité passée, répétitive, parfois collective. «L’usure rappelle que, la plupart du temps, d’autres usagers ont précédé et d’autres encore suivront».
Ces deux agents couplés, l’environnement et les habitants, participent à détruire progressivement un édifice. Il est très difficile quel agent est le plus nocif, puisque cela dépend des situations. On peut affirmer cependant que l’intervention humaine peut être positive, par l’entretien, la réparation. Si bien qu’un immeuble tant qu’il est habité, aura tendance à survivre plus longtemps qu’un immeuble laissé à l’abandon.

DÉCONSTRUCTION UNE CULTURE PERDUE ?

“Whether it’s good or bad, it is sometimes very pleasant, too, to smash things.”

Petit point lexical

Avant de nous pencher sur quelques différentes techniques existantes pour déconstruire un bâtiment, il convient de clarifier quels mots sont à employer et dans quels contextes.
Jusqu’ici nous avons privilégié le mot “déconstruire” pour désigner des situations hypothétiques. Si on reprend son acceptation littérale : “défaire la construction”, elle ne précise pas de quelle manière on “défait”, on peut estimer ainsi que cette expression englobe toute les techniques que nous pourrons voir ici. Cependant, il est préférable dès maintenant de lui donner un sens plus précis, puisque nous aimerions la distinguer de ses synonymes plus radicaux et violents tels que la destruction et la démolition. Ces deux mots renvoient davantage à des notions d’anéantissement et de disparition. On pourra parler de déconstruction lorsque les techniques utilisées se rapprochent de celles de la construction, et que l’opération aboutit par un récupération (du moins partielle) des produits de la construction, on pourra ainsi dire qu’il n’y a pas eu disparition. On pourra aussi utiliser le mot démontage, un cousin éloigné au sens moins obscur. Dans ce cas, à l’image d’un meuble suédois, on estime que la construction est entièrement réversible dans sa mise en œuvre, et qu’elle pourrait se monter et se démonter à l’infini. Enfin nous verrons d’autres notions qui touchent à l’après-déconstruction. Le réemploi, qui se distingue du détournement par le simple fait que l’on réutilise un objet pour sa fonction première. Le recyclage, très à la mode en ce moment, qui implique un transformation de la matière, vers un nouveau produit commercialisable.

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Table des matières

Vers la fin du règne des bâtisseurs ?
L’architecture : un chantier permanent ?
Loin des sentiers bétonnés
PENSER
LA FIN EN
ARCHITECTURE
L’architecture refuse-t-elle de mourir ?
De la difficile évaluation de l’usure
Déconstruction : une culture perdue ?
Vers de nouvelles pratiques ?
L’ÎLE DE NANTES
PALIMPSESTE
NÉO-URBAIN
Une unité constituée
L’architecte au travail
Communiquer la destruction
Une reconstruction par la mémoire
DES PRÉFIXES
À CONSTRUIRE
MÉDIAGRAPHIE

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