La sclérose latérale amyotrophique (SLA) a été décrite pour la première fois en 1869. Bien qu’elle soit définie par la combinaison d’atteintes des neurones moteurs corticaux (cellules pyramidales) et spinaux (motoneurones), des formes partielles restreintes aux neurones moteurs corticaux (paralysie pseudobulbaire et sclérose latérale primaire) ou spinaux (paralysie bulbaire progressive et atrophie musculaire progressive) sont également observées. Ces pathologies sont actuellement considérées comme des variantes d’une seule entité clinique, définie en 1962 par le terme de Maladie des Neurones Moteurs (MND, « Motor Neuron Diseases ») [Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; de Carvalho et al. 2014]. Depuis les premiers cas cliniques étudiés au XIXe siècle et malgré l’évolution des outils de recherche (autopsie, imagerie, électrophysiologie, génétique, immunohistologie) et des modèles d’étude (in vivo, in vitro, in silico), l’étiologie de la maladie reste à ce jour encore inconnue. Néanmoins, certains mécanismes physiopathologiques ont été identifiés au niveau des cellules neuronales mais également non-neuronales (glie [Philips & Rothstein 2014], myofibrille [Wong & Martin 2010]) impliquant des mutations génétiques menant à la production de protéines toxiques [Van Den Bosch 2011; Vucic, Rothstein, & Kiernan 2014], le stress cellulaire (oxydant [Ferraiuolo et al. 2011], mitochondrial [Vehviläinen, Koistinaho, & Gundars 2014], du réticulum endoplasmique [Lautenschlaeger, Prell, & Grosskreutz 2012]), le transport axonal [Shi et al. 2010] et les fonctions cellulaires (protéasiques [Ilieva, Polymenidou, & Cleveland 2009], autophagiques [Damme et al. 2015], apoptotiques [Murdock et al. 2015], neuro-inflammatoires [Hooten et al. 2015]). La SLA apparaît ainsi comme une maladie multifactorielle [Eisen 1995], initialement considérée comme restreinte à l’atteinte des voies motrices [Feller, Jones, & Netsky 1966] à travers une neuronopathie (atteinte du soma) [Bradley et al. 1983] puis une neuropathie (atteinte de l’axone et de la jonction neuromusculaire) [Kawamura et al. 1981] ; elle tend aujourd’hui à être considérée comme une atteinte multisystémique impliquant notamment l’altération des voies sensitives [Heads et al. 1991] et des interneurones [Turner & Kiernan 2012]. Les symptômes de la maladie sont la conséquence de la dégénérescence des neurones moteurs à travers des mécanismes excitotoxiques [King et al. 2016] résultant de l’hyperexcitabilité des neurones suite à leur hyperexcitation [Leroy & Zytnicki 2015; Clark, Blizzard, & Dickson 2015]. Des études chez des patients et des modèles animaux de la maladie ont ainsi rapporté des preuves de l’atteinte parallèle des afférences sensitives d’un point de vue anatomique [Kawamura et al. 1981; Hammad et al. 2007; Cohen-Adad et al. 2013; Vaughan et al. 2015] et fonctionnel [Zanette et al. 1990; Georgesco et al. 1994; Pugdahl et al. 2006] bien que leur implication dans l’altération fonctionnelle des neurones moteurs n’ait jamais été étudiée. Au cours de ma thèse, nous avons dans un premier temps caractérisé à l’étage spinal et cortical les atteintes anatomo fonctionnelles des voies sensitives issues de musculature distale cliniquement atteinte, en couplant pour la première fois l’imagerie tenseur de diffusion spinale et l’électrophysiologie indirecte sur l’Homme. Dans un second temps, nous avons caractérisé l’effet induit par ces afférences périphériques sur l’excitabilité des motoneurones suppléant des musculatures proximales cliniquement non-affectées. Il a également été rapporté des preuves de l’atteinte des interneurones d’un point de vue anatomique [Morrison et al. 1998; Maekawa 2004; Stephens et al. 2006] et fonctionnel [Stephens et . 2006; Jiang et al. 2009; Turner & Kiernan 2012] dans des modèles animaux de la maladie et chez des patients, mais les données restent très limitées. Il a par ailleurs été proposé que l’atteinte des interneurones serait un événement précoce conduisant à l’altération des motoneurones [McGown et al. 2013]. Au cours de ma thèse, nous avons caractérisé l’altération fonctionnelle de divers interneurones spinaux excitateurs et inhibiteurs afin d’envisager leur implication dans le processus pathogénique des motoneurones suppléant des musculatures proximales cliniquement non-affectées. En s’intéressant aux rôles des afférences somatosensorielles dans la pathogenèse de la SLA, mon projet de thèse a permis d’apporter de nouveaux éléments relatifs aux mécanismes de propagation de la maladie. En effet, les afférences sensitives issues des premiers muscles atteints semblent modifier l’excitabilité des neurones moteurs au travers d’un dysfonctionnement précoce des interneurones. Il pourra ainsi être envisagé de nouvelles pistes thérapeutiques visant à enrayer les processus neuro-dégénératifs, non pas directement sur les neurones moteurs, mais sur les interneurones.
ÉTAT DES CONNAISSANCES
Plus connue sous le nom de « maladie de Charcot », du nom du neurologue français JeanMartin CHARCOT (1825-1893) qui l’a pour la première fois décrite en 1869, la sclérose latérale amyotrophique est une maladie neurodégénérative évolutive menant à la dégradation (sclérose) des voies motrices spinales (cordons latéraux) et à l’atrophie musculaire (amyotrophie) consécutive à l’atteinte des neurones moteurs. D’un point de vue phénotypique, elle se traduit par des faiblesses musculaires, puis des paralysies, menant progressivement et le plus souvent au décès par insuffisance respiratoire. La SLA constitue la troisième maladie neurodégénérative de l’adulte la plus fréquente après les maladies d’Alzheimer et de Parkinson [Martin et al. 2013; Renton, Chiò, & Traynor 2013].
Épidémiologie
Au niveau mondial (regroupant essentiellement l’Europe et les USA), l’incidence de la SLA 1 est évaluée autour de 2/100 000 [Turner & Talbot 2008; Marin 2011; Kiernan et al. 2011; Tan, Pasinelli, & Trotti 2014] avec une prévalence de 4-5/100 000 [Turner & Talbot 2008; Tan, Pasinelli, & 2 Trotti 2014]. La SLA existe sous 2 formes : sporadique (SLAs) représentant 90% des cas et héréditaire (ou familiale, SLAf) représentant 10% des cas [Turner & Talbot 2008; Pradat et al. 2009; DadonNachum, Melamed, & Offen 2011; Kiernan et al. 2011; Tan, Pasinelli, & Trotti 2014; Casci & Pandey 2015]. Il a été estimé qu’environ 60% des patients SLAf et 20% des patients SLAs présentent une mutation génétique identifiée [Vucic, Rothstein, & Kiernan 2014; Ravits 2014]. En effet, plus de 20 gènes sont impliqués dans la maladie dont les 4 principaux sont SOD1, C9orf72, FUS et TARDBP [Patten et al. 2014] impliqués dans la surexpression ectopique de protéines mal-configurées [Blokhuis et al. 2013]. Néanmoins, quelques différences subsistent entre les 2 formes. D’une part, l’âge d’apparition des premiers symptômes est compris entre 60 et 85 ans pour la SLAs [Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; Marin 2011; Casci & Pandey 2015], alors qu’elle se manifeste plus tôt (47-52 ans) pour la SLAf [Kiernan et al. 2011]. D’autre part, il y a plus d’hommes que de femmes atteints de 3 la SLAs, avec un ratio homme/femme compris entre 1,3 et 1,5 [Turner & Talbot 2008; Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; Couratier et al. 2016] alors que ce ratio est identique pour la SLAf [Kiernan et al. 2011]. L’espérance de vie est en moyenne de 3-5 ans après le début des premiers symptômes [Turner & Talbot 2008; Dadon-Nachum, Melamed, & Offen 2011; Casci & Pandey 2015] .
Sémiologie
En raison de l’hétérogénéité phénotypique de la maladie et de l’absence de biomarqueur spécifique, le diagnostic de la SLA est souvent difficile et retardé ; la médiane du délai entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic est d’environ 9-13 mois [Swinnen & Robberecht 2014]. Le site de début de la maladie est variable, sachant que l’évolution est caractérisée par une extension progressive des déficits moteurs conduisant à une atteinte motrice diffuse [Pradat et al. 2009].
FORMES DE DÉBUT SPINAL
Elles représentent 70% des cas [Kiernan et al. 2011; Vucic, Rothstein, & Kiernan 2014; Casci & Pandey 2015] et sont responsables de deux types de syndromes selon l’étage affecté.
SYNDROMES DES NEURONES MOTEURS SUPÉRIEURS
Ils résultent de l’atteinte des cellules pyramidales de l’aire motrice primaire et sont caractérisés par l’apparition d’une spasticité , de réflexes ostéo-tendineux vifs et diffusés, ainsi que 4 des signes de Babinski et de Hoffmann [Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; Vucic, Rothstein, & 5 6 Kiernan 2014].
SYNDROMES DES NEURONES MOTEURS INFÉRIEURS
Ils résultent de l’atteinte des motoneurones et sont caractérisés par l’apparition de faiblesses musculaires, de crampes, de fasciculations et d’atrophies musculaires [Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; Vucic, Rothstein, & Kiernan 2014]. Les déficits moteurs se manifestent progressivement et de manière asymétrique, pouvant affecter initialement le membre supérieur (40%), le membre inférieur (20%) ou les deux niveaux (10%) [Charles & Swash 2001; Pradat et al. 2009]. Par ailleurs, quel que soit le membre initialement affecté, l’atteinte est souvent distale et progresse ensuite selon un gradient disto-proximal [Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; Vucic, Rothstein, & Kiernan 2014].
FORMES DE DÉBUT BULBAIRES ET PSEUDO-BULBAIRES
Elles représentent 25% des cas et sont plus fréquentes chez les femmes. Ces formes sont associées à l’atteinte des neurones moteurs du tronc cérébral (bulbe rachidien, nerfs crâniens inferieurs) [Charles & Swash 2001; Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; Vucic, Rothstein, & Kiernan 2014; Casci & Pandey 2015].
SYNDROMES BULBAIRES
Ils se traduisent par une dysarthrie , une hyper-salivation, ainsi que des troubles de la déglutition liés à l’atteinte des muscles masticateurs, de la langue, du pharynx et du larynx [Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; Vucic, Rothstein, & Kiernan 2014].
SYNDROMES PSEUDO-BULBAIRES
Ils se présentent sous la forme d’une hypersensibilité émotionnelle caractérisée par des rires et pleurs sporadiques [Pradat et al. 2009; Kiernan et al. 2011; Vucic, Rothstein, & Kiernan 2014].
|
Table des matières
I. INTRODUCTION
II. ÉTAT DES CONNAISSANCES
2-1. Épidémiologie
2-2. Sémiologie
2-2-1. Formes de début spinal
Syndromes des neurones moteurs supérieurs
Syndromes des neurones moteurs inférieurs
2-2-2. Formes de début bulbaires et pseudo-bulbaires
Syndromes bulbaires
Syndromes pseudo-bulbaires
2-2-3. Formes de début axiales/respiratoires
2-3. Neuropathologie & Rappels neurophysiologiques
2-3-1. Voies motrices
Cellules pyramidales & cortex moteur
Tractus corticospinal
Motoneurones
2-3-2. Voies sensitives
a. Afférences sensitives
Afférences du groupe I
Afférences du groupe II
Afférences cutanées (Aβ)
Cortex somesthésique
b. Interneurones
Interneurones corticaux
Interneurones Ib
Cellules de Renshaw
Système propriospinal
c. Voies extrapyramidales
2-4. Physiopathologie
2-4-1. Excitotoxicité
a. Hyperexcitabilité
b. Hyperexcitation
Récepteurs glutamatergiques
Récepteurs GABAergiques et glycinergiques
Co-transporteurs cation-chloride
Courants entrants persistants
Canaux voltage-dépendants
Défaut de clairance du glutamate
Afférences corticospinales
Afférences somesthésiques
Interneurones
Interneurones spinaux
Interneurones corticaux
Modifications morphométriques
c. L’hyperexcitabilité comme neuroprotection
d. Traitement anti-excitotoxicité
2-4-2. Stress cellulaire
Stress oxydant
Stress mitochondrial
Stress du réticulum endoplasmique
Toxicité calcique
III. MATÉRIELS & MÉTHODES
3-1. Principes généraux
Stimulations électriques périphériques
Stimulations magnétiques transcrâniennes
Activité électromyographique
Activité électroencéphalographique
Imagerie par résonance magnétique, tenseur de diffusion et transfert de magnétisation
3-2. Rappels méthodologiques
3-2-1. La courbe de recrutement
Réflexe H & Réponse M
PEM
Points d’intérêt
Recrutement des motoneurones et normalisation
3-2-2. Les réponses conditionnées
Réflexe H conditionné
PEM conditionné
Repos vs. Contraction volontaire
3-2-3. Potentiels évoqués somesthésiques
Périphérique, spinal, sous-cortical
Cortical précoce
Cortical tardif
Relation intensité/réponse
3-2-4. IRM
3-3. Principes expérimentaux
Éthiques et participants
Installation
3-4. Analyse des données
EMG
EEG
Métriques d’IRM anatomiques
Test de Student
Analyse de la variance
Test de corrélation de Pearson et Analyse de régressions multiples
IV. CONCLUSION
Télécharger le rapport complet