La Sclérodermie Systémique (ScS) est une maladie auto-immune rare du tissu conjonctif entraînant une fibrose cutanée et viscérale. Elle est également caractérisée par une atteinte du réseau microvasculaire, entraînant un syndrome de Raynaud, des ischémies digitales, des anomalies à la capillaroscopie, et pour certains patients, une hypertension artérielle pulmonaire et une crise rénale sclérodermique. Cette microangiopathie pourrait être le point de départ de la physiopathologie de la maladie [1]. En effet, l’activation fibroblastique, qui conduit à la fibrose caractéristique de la maladie, pourrait résulter de lésions microvasculaires avec une agression endothéliale initiale, accompagnée secondairement d’une réaction inflammatoire et immunitaire dérégulée, conduisant à la fibrose [2]. Histologiquement, cette atteinte vasculaire est caractérisée par une hyperplasie et une prolifération de l’intima et de la média, ainsi qu’une fibrose adventitielle. Alors que la microangiopathie de la ScS est une évidence clinique et histologique, certains patients présentent des complications macrovasculaires qui influencent la morbi-mortalité.
Les différentes topographies de l’atteinte macrovasculaire dans la ScS
La ScS est une maladie chronique responsable d’une réduction significative de la survie, plus importante dans les formes cutanées diffuses (définies par l’extension de la fibrose cutanée au-dessus des coudes et des genoux, avec atteinte du tronc) et dépendante principalement du type d’atteinte d’organe. Aussi, dès 1996, Bryan et al estimaient une multiplication par 4 de la mortalité chez 283 patients atteints de ScS sur un suivi moyen de 6,6 ans, et 29 % des décès étaient attribuables à une cause cardiovasculaire [3]. Plus récemment, Elhai et al analysaient 2719 décès de patients ScS en France, entre 2000 et 2011, et notaient une cause cardiovasculaire plus importante chez les patients ScS par rapport à la population générale (HR = 3,19) [4]. Cependant la part de l’atteinte macrovasculaire dans le décès n’était pas détaillée dans ces études. Plusieurs études épidémiologiques se sont intéressées à la prévalence de l’atteinte macrovasculaire chez les patients atteints de ScS en comparaison avec un groupe témoin apparié sur les facteurs de risque cardiovasculaires (FRCV) . Ces études sont toutes en faveur d’une augmentation de la prévalence de l’atteinte macrovasculaire chez les patients atteints de ScS, que ce soit une atteinte coronarienne, cérébrale ou vasculaire périphérique.
Atteinte coronarienne et Score Calcique Coronaire (SCC)
La plus large cohorte, de Chu et al, qui portait sur 1344 patients atteints de ScS, retrouvait une incidence d’infarctus du myocarde (IDM) plus élevée dans le groupe ScS par rapport aux témoins sains, et la ScS apparaissait comme un facteur de risque indépendant d’IDM, au même titre que l’hypertension artérielle (HTA) et le diabète [5]. Les autres cohortes publiées retrouvaient des résultats similaires avec une augmentation du risque relatif d’IDM, par rapport aux témoins sains, de 1,9 dans la cohorte de Ngian et al [6], de 1,8 dans la cohorte de Man et al [7], de 3,3 dans celle de Nordin et al [8], et de 3,5 dans celle d’Avina-Zubieta et al .
L’atteinte cardiaque spécifique de la ScS peut toucher la microcirculation coronaire et la distinction avec une atteinte coronaire macrovasculaire, athéromateuse ou non, est difficile à évaluer sans imagerie. Deux études se sont intéressées au Score Calcique Coronaire (SCC), calculé à partir d’un scanner thoracique sans injection de produit de contraste, et qui permet de quantifier l’athérome coronaire, facteur de mauvais pronostic lorsqu’il est élevé. Khurma et al retrouvaient un SCC plus élevé chez 17 patients atteints de ScS par rapport à 17 témoins sains, dans des valeurs qui correspondaient à un athérome coronaire débutant [10]. Mok et al retrouvaient également un SCC élevé chez 6/19 patients atteints de ScS, avec peu de FRCV, avec une association à l’âge et à la sévérité de la ScS [11]. Parmi ces 6 patients, 2 présentaient des sténoses coronariennes significatives en angioscanner.
Cependant le score calcique ne préjuge en rien de la présence ou non d’une sténose coronarienne asymptomatique. Dans l’étude d’Akram et al, où 172 coronarographies réalisées chez des patients atteints de ScS symptomatiques étaient étudiées rétrospectivement (âge moyen de 61 ans ; douleur thoracique ou dyspnée), la prévalence d’une lésion coronarienne significative était de 22 % (38/172) [12]. D’après les auteurs, ces résultats ne sont pas différents de ceux retrouvés dans la population générale. Dans une autre étude réalisée cette fois chez des patients atteints de ScS asymptomatiques, 5/14 présentaient des calcifications coronaires et 3/14 une sténose significative [13]. Cependant l’absence de groupe contrôle dans ces 2 études ne permet pas de conclure à une augmentation ou non de la prévalence de l’atteinte macrovasculaire coronaire chez les patients atteints de ScS.
Atteinte cérébrale
Une étude rétrospective récente de Ying et al, sur la base de données des vétérans des États-Unis, retrouvait un taux d’incidence d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) plus élevé chez 4545 patients atteints de ScS (83 % d’hommes) par rapport à 9090 témoins [14] (Tableau 1). Les FRCV étaient plus fréquents dans le groupe ScS mais le risque relatif d’AVC était de 1,21 après ajustement sur ces FRCV [14]. Dans l’étude de Man et al, l’incidence d’AVC était également augmentée au cours de la ScS par rapport au groupe témoin . L’atteinte vasculaire cérébrale, qui semble augmentée dans la ScS, pourrait résulter d’une microvasculopathie, et la part de l’atteinte macrovasculaire est difficile à évaluer sans connaître l’étiologie précise des AVC dans ces études. En effet, si la présence d’une fibrillation auriculaire était plus fréquente dans le groupe de patients atteints de ScS dans l’étude de Ying et al [14], nous ne savons pas s’il existait d’autres causes thromboemboliques comme par exemple une sténose carotidienne. À noter que l’étude d’Heron et al retrouvait plus de calcifications intracérébrales chez 37 patients atteints de ScS asymptomatiques par rapport à des témoins sains (32,4 % par rapport à 9,5 % chez les témoins sains ; p = 0,006) [15]. Les calcifications intracérébrales sont un facteur de risque d’AVC dans la population générale .
Atteinte carotidienne et mesure de l’Épaisseur Intima Media (EIM)
L’atteinte des artères carotidiennes a été largement étudiée dans la ScS et notamment par la mesure de l’épaisseur intima média (EIM) au niveau de l’artère carotide commune. L’EIM permet de visualiser et de quantifier précocement les lésions athéromateuses, elles-mêmes capables de favoriser la survenue de complications cardio-vasculaires. Plusieurs études prospectives ont montré que l’EIM était significativement associée au risque de survenue d’IDM et d’AVC [17–19]. De nombreuses études se sont intéressées à sa mesure chez les patients atteints de ScS. Les résultats sont très hétérogènes et contradictoires.
Nous avons répertorié au moins 20 études s’étant intéressées à cette mesure, en comparaison à un groupe témoin, apparié sur l’âge et les FRCV [8,20–32,32–37]. Douze de ces études ne montraient pas de différence significative d’EIM entre les deux groupes [8,20,21,24–27,29,30,34–36]. Cependant, parmi ces 12 études, 2 d’entre elles mettaient en évidence une augmentation de la prévalence des plaques athéromateuses chez les patients atteints de ScS [21,27]. La plus grosse cohorte, de Nordin et al, ne retrouvait pas de différence significative d’EIM chez 111 patients atteints de ScS en comparaison à 105 témoins sains . Il ne semble pas non plus exister de différence d’EIM entre les deux formes cutanées de la sclérodermie. Une étude qui comparait spécifiquement l’EIM entre 33 patients atteints ScS de forme cutanée limitée à 19 patients atteints de ScS de forme cutanée diffuse, ne retrouvait pas de différence significative entre les 2 groupes [36]. Pour autant, une méta analyse réalisée en 2011 sur 14 de ces études, retrouvait une augmentation de l’EIM chez les patients atteints de ScS (différence moyenne de 0,11mm ; [IC 95% 0,05- 0,17] ; p=0,0006) [38], avec cependant des mesures qui restaient pour la grande majorité en dessous du seuil de 0,9mm, seuil considéré comme valeur normale dans la littérature [39]. Cependant ce seuil est discutable puisqu’il existe plusieurs logiciels de mesure sur le marché donnant des valeurs différentes pour une même mesure. De plus les valeurs devraient être exprimées en percentiles selon l’âge, le sexe et l’ethnie. Les résultats variables entre les études peuvent ainsi être en lien soit avec le logiciel de mesure soit avec la diversité des approches utilisées pour la mesure de l’EIM, même s’il existe certains consensus permettant de les homogénéiser [40].
La différence des définitions retenues pour les plaques athéromateuses, peut également être un facteur confondant, avec un risque de sur- ou de sous-estimation de l’athérosclérose.
On peut ainsi se poser la question de la pertinence clinique de cette mesure, si ce n’est de démontrer une atteinte vasculaire précoce de la ScS, qui pourrait être prédictive de complications vasculaires. À notre connaissance peu d’études ont évalué la valeur prédictive d’une augmentation de l’EIM chez les patients atteints de ScS au cours du temps. Frerix et al ont étudié une population de 90 patients atteints de ScS avec un suivi moyen de 65 mois [22]. Les auteurs suggéraient que la détection de plaques athéromateuses chez les patients atteints de ScS était prédictive de la survenue d’évènements cardiovasculaires, et ce d’autant plus qu’il existait des plaques au niveau de la carotide et de l’artère fémorale commune simultanément. Cependant la valeur de l’EIM n’était pas un facteur prédictif de la survenue d’évènements cardiovasculaires [22]. Enfin, l’étude de Kaloudi et al qui retrouvait une augmentation d’EIM chez 66 patients atteints de ScS par rapport aux témoins sains, ne retrouvait pas de corrélation avec l’atteinte microvasculaire en capillaroscopie, qui est pourtant un marqueur vasculaire précoce de la maladie.
Ces résultats hétérogènes sur la mesure de l’EIM, ne permettent pas de conclure formellement à une augmentation de l’athérosclérose chez les patients atteints de ScS. La mesure de l’EIM n’a pas encore montré son intérêt pour prédire la survenue de complications macrovasculaires dans la ScS. La détection de plaques athéromateuses semble plus intéressante.
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Table des matières
Introduction
Première partie : Revue de la littérature
Article 1 : Atteintes macrovasculaires de la Sclérodermie : État de la question en 2019
1) Les différentes topographies de l’atteinte macrovasculaire dans la ScS
a) Atteinte coronarienne et Score Calcique Coronaire (SCC)
b) Atteinte cérébrale
c) Atteinte carotidienne et mesure de l’Épaisseur Intima Media (EIM)
d) Atteinte vasculaire périphérique
e) Rigidité aortique et mesure de la Vitesse de l’Onde de Pouls (VOP)
2) Dysfonction endothéliale et étude de la Dilatation Induite par le Flux ou FlowMediated Dilatation (FMD)
3) Hypothèses physiopathologiques de l’atteinte macrovasculaire
4) Conclusion
5) Bibliographie
Deuxième partie : Étude SCLEROMACROVASC
Article 2 : Caractéristiques des patients atteints de sclérodermie systémique souffrant d’une amputation d’un segment d’un membre inférieur. Etude collaborative au sein du GFRS
Introduction
Matériels et Méthodes
Résultats
Discussion
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3