Attachement et développement

Au Québec, le placement en famille d’accueil est une mesure drastique utilisée par les services de protection de la jeunesse lorsqu’un enfant fait face à une situation de négligence ou de maltraitance qui compromet sa sécurité ou son développement. Cette mesure de dernier recours soulève plusieurs questions concernant les facteurs qui influencent le développement de ces enfants afin qu’il soit le plus favorable possible, malgré les difficultés que ce changement peut apporter pour l’enfant en plus de celles qu’il a pu vivre antérieurement.

Il est désormais bien documenté que la relation d’attachement qui se développe dans les premières années de vie de l’enfant est importante pour plusieurs aspects du développement ultérieur. En effet, la valeur prédictive du lien d’attachement sur divers aspects du développement cognitif, social et émotionnel de l’enfant est déjà bien établie dans la littérature. Toutefois, presque toute la recherche sur l’attachement se fait dans un contexte où l’enfant réside avec sa famille biologique. Les travaux qui nous renseignent sur l’attachement auprès des familles d’accueil sont encore relativement restreints.

Quelques études se sont penchées sur la question, mais les variables étudiées et les caractéristiques méthodologiques des études sont très variées. Par exemple, plusieurs d’entre elles étudient le phénomène de manière globale, en incluant des enfants de 0 à 18 ans, ce qui nous renseigne très peu sur le lien d’attachement en début de vie. Ainsi, non seulement le processus lié à la création d’un lien d’attachement entre l’enfant et son parent d’accueil est méconnu, mais l’impact de la rupture du lien avec le parent biologique s’ajoute aux difficultés socio émotionnelles que vit l’enfant lors de cette période cruciale du développement. Il est donc possible de se demander quels facteurs peuvent favoriser la trajectoire développementale de ces enfants.

Précurseurs de l’attachement dans les contextes typiques

Plusieurs facteurs ont été identifiés comme étant en lien avec développement de l’attachement parent-enfant. Dans le cadre du présent projet, deux principaux facteurs sont abordés : la sensibilité interactive et les symptômes de dépression du parent. D’autres aspects correspondant aux facteurs propres aux familles d’accueil seront également décrits plus loin.

Historiquement, certains chercheurs ont examiné la contribution de facteurs propres à l’enfant sur la relation d’attachement qu’il établit (Goldsmith & Alansky, 1987). La compréhension de tels facteurs est importante dans la mesure où elle permet de déterminer si l’attachement provient de caractéristiques inhérentes à l’enfant ou s’il s’agit d’une relation qui dépend surtout de l’environnement. À une certaine époque, plusieurs chercheurs proposaient que les comportements d’attachement découlent de prédispositions génétiques et tempéramentales (voir Vaughn & Bost, 1999; Borkhost et al, 2003). Cependant, l’étude de contributions génétiques sur la sécurité d’attachement à partir de groupes de jumeaux suggère actuellement un rôle significatif pour l’environnement partagé et non partagé, alors que le rôle de la génétique serait minime, voire nul (Belsky & Fearon, 2008; Bokhorst et al., 2003; O’Connor & Croft, 2001; Finkel, Wille, & Matheny, 1998). Ces travaux fondamentaux soulignent l’importance d’intégrer une compréhension précise des facteurs environnementaux pouvant être en lien avec l’élaboration de l’attachement, surtout s’il s’agit de situations atypiques et changeantes, comme la situation des enfants placés en famille d’accueil.

Dans un même ordre d’idées, certaines caractéristiques du tempérament de l’enfant, c’est-à-dire les réponses biologiques émotionnelles et comportementales face à diverses catégories de stimuli (Thomas, Chess, Birch, Hertzig, & Korn, 1963), semblent en lien avec certaines dimensions de l’insécurité de l’attachement (Goldsmith & Alansky, 1987). Toutefois, il semble que le tempérament joue un rôle dans la manière dont l’insécurité est exprimée par l’enfant plutôt que dans le niveau de sécurité que l’enfant manifeste (Belsky & Rovine, 1987). Les travaux sur les contributions génétiques et tempéramentales de l’enfant à l’élaboration de la sécurité de l’attachement soulignent, une fois de plus, le rôle prépondérant de l’environnement pour la construction de cette sécurité. Le facteur externe à l’enfant qui a le plus souvent été étudié dans le développement du lien d’attachement est la sensibilité interactive, généralement étudiée auprès de la mère (sensibilité maternelle).

La sensibilité se définit comme étant la capacité du parent de percevoir et d’interpréter correctement les signaux, les émotions et les comportements de l’enfant, et d’y répondre de manière appropriée à l’intérieur d’une période de temps adéquate. Ces réponses peuvent prendre différentes formes comme le toucher, le contact physique, les réponses verbales, les mimiques ou d’autres comportements (Ainsworth et al., 1978; Bornstein, Putnick, Suwalsky, & Gini, 2006; Tronick, Ricks, & Cohn, 1982). Le lien entre la sensibilité maternelle et la sécurité de l’attachement de l’enfant est bien établi dans la littérature auprès de familles typiques et de familles à risque ou d’échantillons cliniques (Atkinson et al., 2000; Bakermans-Kranenburg, van IJzendoorn, & Juffer, 2005; De Wolff & van IJzendoorn, 1997). Selon certaines recherches, la sensibilité maternelle serait en fait un médiateur du lien entre les représentations mentales et l’attachement du parent (Tarabulsy et al., 2005). En effet, Tarabulsy et ses collaborateurs ont démontré, à l’aide d’un échantillon de mères adolescentes et leur enfant, un lien de médiation partiel entre ces variables, ce qui signifie qu’une partie de la variance commune entre les représentations de la mère et la sécurité d’attachement serait transmise par la sensibilité interactive, mais que d’autres facteurs expliqueraient également une partie de la transmission.

Plusieurs études ont démontré un lien entre la dépression maternelle et l’insécurité de l’attachement (Coyl, Roggman & Newland, 2002; Martins & Gaffan, 2000; Teti, Gelfand, Messinger, & Isabella, 1995) ainsi qu’un lien entre la dépression maternelle et des problèmes sur le plan des comportements maternels (Donovan, Leavitt & Walsh, 1998; Field, 1995; Hart, Field, del Valle, & Pelaez-Nogueras, 1998; Malphurs, Raag, Field, Pickens, & Pelaez-Nogueras, 1996). Goodman et Brumley (1990) suggèrent que les mères aux prises avec des symptômes de dépression sont moins disponibles émotionnellement et donc moins sensibles aux comportements de l’enfant. Field et ses collaborateurs (2000) montrent plus particulièrement que la dépression maternelle est en lien avec une faible sensibilité maternelle et une moins grande cohérence dans les comportements de la mère.

Ces mères montrent à la fois moins de comportements positifs et plus de comportements négatifs sous plusieurs aspects de l’interaction avec l’enfant (état général, l’activation physique, les expressions faciales, l’orientation vers l’enfant, contingence des réponses, interaction de jeu) que les mères qui n’éprouvant pas des symptômes de dépression. Ainsi, il est possible de soulever l’hypothèse que le lien entre les symptômes de dépression du parent et la sécurité d’attachement de l’enfant soit médiatisé par la sensibilité interactive.

Table des matières

Introduction 
Familles d’accueil
Attachement
Attachement et développement
Précurseurs de l’attachement dans les contextes typiques
Attachement en famille d’accueil
Le risque des enfants en famille d’accueil
Facteurs en lien avec l’attachement en famille d’accueil
Objectifs et hypothèses
Caractéristiques liées au placement
Méthode 
Participants
Mesures
Procédure
Résultats 
Statistiques descriptives
Analyses corrélationnelles
Régressions pour facteurs modérateurs
Nombre de placements.
Âge au premier placement.
Durée du placement actuel.
Analyse de médiation pour le type de famille d’accueil
Discussion

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