Un atome de Rydberg est un atome dont un électron au moins occupe un état de grand nombre quantique principal n. Par là, un atome de Rydberg présente des propriétés physiques exacerbées par rapport à un atome non excité ou peu excité. On le remarque tout d’abord sur sa taille : un atome de rubidium dans le niveau n = 110 a une extension spatiale de l’ordre d’1 µm, vingt mille fois plus grande que le rayon de Bohr, qui représente l’ordre de grandeur caractéristique de la taille d’un atome dans son état fondamental.
Avec un électron à une telle distance du cœur atomique, les atomes de Rydberg présentent de très grands moments dipolaires de transition entre états de Rydberg voisins. On comprend dès lors leur très grande sensibilité au rayonnement électromagnétique [77]. Ces très grands moments dipolaires de transition engendrent également de très forts couplages entre atomes de Rydberg voisins, par l’intermédiaire de l’interaction dipolaire. Ces couplages sont eux aussi plusieurs ordres de grandeur plus importants que ceux qui se manifestent entre des atomes dans le niveau fondamental. L’interaction dipolaire entre atomes de Rydberg est au cœur des travaux de recherche présentés dans cette thèse. Ce premier chapitre vise à en apporter les éléments théoriques importants pour la compréhension des résultats et discussions qui seront abordés par la suite. La première partie de ce chapitre décrit la théorie du défaut quantique [78], qui permet de calculer les énergies propres des états de Rydberg et leur fonction d’onde radiale loin du cœur atomique positif. Il est alors aisé de calculer les éléments de matrice de l’opérateur de dipôle électrique entre deux niveaux de Rydberg. Connaître les dipôles de transition entre un niveau de Rydberg et les niveaux voisins permet entre autres de calculer la durée de vie des niveaux de Rydberg. Nous introduirons ensuite la base des états paraboliques qui permet une description claire des niveaux de Rydberg circulaires en présence d’un champ extérieur. La connaissance des dipôles de transition est également essentielle au calcul des interactions dipolaires entre deux atomes de Rydberg, ce que nous aborderons dans un troisième paragraphe. Enfin, nous discuterons le détail de cette interaction dans deux cas particuliers : les atomes de Rydberg en interaction autour du niveau 60S et les atomes de Rydberg en interaction autour du niveau circulaire 50C. Ces deux cas particuliers seront à nouveau discutés plus en détail dans des chapitres dédiés aux expériences que nous avons menées.
Les atomes de Rydberg alcalins : des hydrogénoïdes géants
Un atome de Rydberg alcalin a un seul électron dans un niveau de grand nombre quantique principal n. L’essentiel de la fonction d’onde de cet électron est localisé dans des régions atomiques éloignées du cœur, c’est-à-dire de l’ensemble du noyau atomique et des couches électroniques inférieures. Pour cette raison, il ressemble à un atome d’hydrogène, dont l’unique électron voit un cœur protonique simple de charge totale +q = 1,602 176 565(35).10−19 C [79]. Dans le cas de l’hydrogène, ce cœur est plusieurs ordres de grandeurs plus petit que la taille typique de l’orbite de l’électron : le niveau électronique fondamental 1S a un « rayon » caractéristique a0 = 0,529 177 210 92(17) Å [79], alors que le proton a un rayon rp = 0,8775(51) fm [79]. Les cinq ordres de grandeur séparant le rayon de l’orbite électronique et le rayon du proton permettent de considérer que le potentiel vu par l’électron est parfaitement coulombien sur tout l’espace.
En comparaison avec l’atome d’hydrogène, le cœur positif de l’atome de Rydberg alcalin comporte une structure d’extension spatiale bien plus importante [78]. Dans la région des couches électroniques inférieures, le potentiel est bien plus profond que le potentiel coulombien car l’effet d’écrantage partiel de la charge totale positive du cœur par les électrons internes disparaît lorsque l’on s’en approche : c’est l’effet de pénétration du cœur. Par ailleurs, la distribution spatiale des charges positives et négatives entraîne une polarisabilité du cœur composé. L’électron de Rydberg interagit avec cette distribution de charge complexe, ce qui modifie sa fonction d’onde et son énergie propre. Afin de rendre compte de ces effets, il est nécessaire d’apporter une correction aux énergies propres de l’électron de Rydberg d’un atome alcalin : le défaut quantique.
Temps de vie des niveaux de Rydberg
Avec la connaissance des dipôles de transition d’un niveau de Rydberg vers les niveaux voisins, il est possible de connaître le temps de vie de celui-ci. Deux processus entrent en jeu dans la désexcitation radiative à température finie de ces niveaux atomiques : les transitions par émission spontanée mais aussi les transitions par absorption ou émission stimulée par le rayonnement de corps noir de leur environnement. En effet, les transitions entre niveaux de Rydberg proches en énergie sont dans le domaine des micro-ondes millimétriques. Cela implique qu’elles seront à considérer dès les très basses températures : contrairement aux photons optiques, des photons micro-ondes sont déjà émis par le rayonnement du corps noir aux températures cryogéniques, de quelques mK à quelques K.
À titre d’exemple, la fréquence de la transition entre le niveau |60S1/2i et le niveau |59P3/2i vaut ν = E/h = 18,5213 GHz. La température de corps noir correspondant à cette fréquence est de T = hν/kB = 0,89 K. Cette transition sera donc limitante pour le temps de vie du niveau 60S dès lors que celui-ci sera dans un environnement dépassant les 500 mK.
Les niveaux de Rydberg circulaires
Les niveaux de Rydberg de grand moment orbital, et en particulier les états de Rydberg circulaires, présentent une structure fine et un défaut quantique qui sont très largement négligeables. Ils sont en cela parfaitement similaires à l’atome d’hydrogène. On peut utiliser pour les étudier les fonctions d’onde analytiques hydrogénoïdes sans perte de précision. Pour la même raison, le nombre quantique j qui rend compte du couplage fin n’est plus nécessaire. Les autres perturbations que peut subir le modèle de l’atome d’hydrogène, comme la présence d’un champ électrique ou magnétique extérieur en deviennent d’autant plus importantes à prendre en compte. De plus, les niveaux circulaires étant extrêmement anisotropes, l’absence d’axe de quantification leur est préjudiciable. Ils se mélangent alors rapidement aux niveaux voisins et il est utile de leur imposer un champ électrique, même faible, afin de pallier ce problème.
La base des états paraboliques
La construction de la base des harmoniques sphériques était fondée sur la conservation du moment cinétique lors du mouvement et sur l’ensemble complet d’opérateurs qui commutent (« ECOC ») {H, ˆ Lˆ2,Lˆ z} ? .En présence d’un champ électrique extérieur définissant l’axe (Oz), le terme de couplage Stark −dˆ · F = qzˆ|F| (cf équation I.8) brise la symétrie sphérique du problème, de façon telle que l’opérateur Lˆ2 ne commute plus avec le hamiltonien du système. Il est alors nécessaire de trouver un nouvel invariant du mouvement, qui permettra de définir un nouvel ECOC. Celui-ci pourra toujours contenir Lˆ z, qui reste un bon opérateur. Dès lors que la fonction d’onde électronique reste loin du cœur atomique, l’interaction entre l’électron de valence et le cœur se réduit à un mouvement à force centrale. La mécanique céleste a traité extensivement des mouvements à force centrale, et nous apprend qu’ils ont en commun l’invariance du vecteur de Runge-Lenz, qui caractérise l’excentricité des trajectoires des corps.
Un nuage d’atomes ultra-froids sur puce, du MOT de capture au condensat de Bose-Einstein
Le développement de notre plateforme d’atomes froids autour d’une puce supraconductrice a été l’objet de plusieurs thèse de doctorat précédant celle-ci. Les thèses de Thomas Nirrengarten [94], de Cédric Roux [95] et d’Andreas Emmert [96] sont dédiées à la question du piégeage et du refroidissement jusqu’au BEC d’atomes de 87Rb près d’une surface à l’aide de fils supraconducteurs. La thèse de Raul Celistrino Teixeira [74] détaille la fabrication et les caractéristiques de la puce atomique que nous avons utilisée pour nos expériences. Nous ferons donc ici une présentation rapide du cryostat et de la puce à atomes que nous utilisons, puis nous détaillerons la suite d’étapes que nécessite le piégeage et le refroidissement des atomes de rubidium au sein de notre dispositif. Enfin, après avoir présenté la technique d’imagerie atomique par absorption, nous présenterons quelques chiffres typiques de nos nuages atomiques.
L’environnement cryogénique : cryostat et puce à atomes supraconductrice
L’environnement cryogénique présente un avantage incomparable pour la durée de vie des atomes de Rydberg, mais impose aussi quelques spécificités à notre dispositif d’atomes froids. Le piégeage d’atomes froids pendant des durées suffisantes à leur manipulation exige un vide très poussé dans l’enceinte expérimentale, car les collisions avec les molécules de gaz résiduel éjectent les atomes hors de leur piège. Les chambres de piégeage d’atomes neutres à température ambiante sont généralement étuvées pendant plusieurs semaines afin d’atteindre des pressions de gaz résiduel suffisamment faibles. Dans un environnement cryogénique au contraire, les parois froides de l’enceinte adsorbent une grande partie du gaz résiduel, et des pressions très inférieures à 1.10⁻¹⁰ mbar sont obtenues sans étuvage. Travailler en environnement cryogénique permet en outre l’utilisation de fils et de bobines supraconducteurs pour le passage des courants électriques qui génèrent les champs magnétiques nécessaires au piégeage des atomes. Des courants de quelques Ampères sont ainsi passés sans dissipation et à proximité des atomes piégés, alors qu’une expérience d’atomes froids à température ambiante nécessite des bobines qui soient placées en-dehors de la chambre et refroidies par des circuits d’eau dédiés. L’environnement cryogénique pour les atomes froids a cependant quelques inconvénients : en premier lieu, l’accès optique est limité car les parois de l’enceinte doivent être opaques pour le rayonnement du corps noir et donc métalliques, chaque hublot de verre réduisant l’isolation thermique du cœur de l’expérience. En second lieu, l’utilisation d’hélium et d’azote liquide à proximité d’un vide poussé présente une lourdeur technique supplémentaire au quotidien.
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Table des matières
Introduction
I Atomes de Rydberg alcalins en interaction
I.1 Les atomes de Rydberg alcalins : des hydrogénoïdes géants
I.1.1 Hamiltonien de l’atome de Rydberg et défaut quantique
I.1.2 Partie radiale de la fonction d’onde et calcul du dipôle de transition
I.1.3 L’effet Stark
I.1.4 Temps de vie des niveaux de Rydberg
I.2 Les niveaux de Rydberg circulaires
I.2.1 La base des états paraboliques
I.2.2 Le niveau de Rydberg 50C : |n = 50, l = 49, ml = 49i
I.3 Atomes de Rydberg en interaction
I.3.1 Deux atomes de Rydberg qui se parlent
I.3.2 Deux atomes dans le même niveau de Rydberg
I.3.3 Deux atomes dans des niveaux de Rydberg différents
I.3.4 Les interactions dipolaires du niveau 60S
I.3.5 Les interactions dipolaires du niveau 50C
II Des atomes de Rydberg froids en environnement cryogénique
II.1 Un nuage d’atomes ultra-froids sur puce, du MOT de capture au condensat de Bose-Einstein
II.1.1 L’environnement cryogénique : cryostat et puce à atomes supraconductrice
II.1.2 Séquence de piégeage et refroidissement
II.1.3 Imagerie atomique par absorption
II.1.4 Quelques nuages typiques
II.2 Excitation et détection d’atomes de Rydberg près d’une puce
II.2.1 L’excitation à deux photons des atomes de Rydberg
II.2.2 La détection par ionisation des atomes de Rydberg
II.2.3 Les champs électriques parasites, défi des atomes de Rydberg sur puce
II.2.4 Contrôle du champ électrique perpendiculaire à la puce
II.2.5 Manipulation cohérente des états de Rydberg
II.2.6 Temps de vie des atomes de Rydberg et température effective
III Interaction entre atomes de Rydberg sphériques et excitation de gaz dense
III.1 Les effets de l’interaction dipolaire en nuage dense
III.1.1 Rappels sur l’interaction dipolaire
III.1.2 Deux régimes d’excitation en interaction dipolaire forte
III.1.3 Mouvement des atomes au sein d’un gaz dense de Rydberg
III.2 Observation expérimentale des interactions
III.2.1 Spectroscopie optique du nuage : différents régimes d’excitation
III.2.2 Spectroscopie microonde : une sonde pour l’énergie d’interaction
III.3 Premier modèle numérique et accord qualitatif
III.3.1 Au cœur du modèle numérique
III.3.2 Comparaison aux spectres microonde expérimentaux
III.3.3 La limite du modèle : l’absence de temps
III.4 Raffinement du modèle : équations de taux pour la dynamique d’excitation
III.4.1 Modèle d’équation de taux et adaptation de l’algorithme
III.4.2 Résultats simulant une expansion du nuage atomique
III.4.3 Chauffage et expansion réalistes du nuage atomique
III.5 Résultats du modèle final de simulation
III.5.1 Comparaison aux résultats expérimentaux
III.5.2 Caractéristiques des nuages simulés
IV Les atomes de Rydberg circulaires en interaction : vers un simulateur quantique
IV.1 Principe général du simulateur
IV.1.1 Le hamiltonien simulé
IV.1.2 Piégeage laser des atomes de Rydberg circulaires
IV.1.3 Préservation des états de Rydberg
IV.1.4 Préparation déterministe d’une chaîne
IV.2 Les limites de la durée de vie des atomes de Rydberg circulaires dans un condensateur
IV.2.1 Interactions dipôle-dipôle entre atomes de Rydberg circulaires : le mélange de niveaux
IV.2.2 Limitation du temps de vie des niveaux circulaires par mélange de niveaux
IV.2.3 Autres effets limitants et estimation finale du temps de vie
Conclusion