Ateliers et laboratoires sur la performance

Ateliers et laboratoires sur la performance

Je commence cette recherche en portant un regard rétrospectif sur mon travail. Le dessin est ma discipline de base («j’ai toujours dessiné ») et la production qui en découle se concentre autour du geste spontané. Par la suite, à partir de ma pratique fondatrice, mon travail s’ouvre, en 2008, sur des interventions en art action réalisées dans le quotidien sans la présence du public. Elles sont documentées le plus souvent à l’aide de photographies. Ces dernières deviennent les vestiges de la situation initiale. Portée par un désir de poursuivre l’ouverture de ma pratique, j’interroge dans cette recherche en création l’instabilité du dessin. Comme le quotidien est aussi l’une de mesc préoccupations, l’autre interrogation de cette étude concerne la traduction esthétique de phénomènes non visuels de l’expérience (tels que les sensations du corps, les émotions et les intuitions) vécues à travers la marche dans la nature et les récits de vie d’autrui. J’ai pour objectif de recherche d’aborder mon corps en tant que réceptacle. Ma stratégie implique de ce fait une écoute et une manière d’être relative aux espaces de création suivants : papier à dessin, paysage biophysique, histoire de vie et contexte architectural de l’exposition. Parallèlement, j’ai pour objectif d’ouvrir ma pratique sur la vidéo et 1 ‘ installation. Cette recherche se caractérise par une tétrade méthodologique dont le déroulement s’effectue dans l’ordre suivant : écouter (ressentir), produire, trier et déployer.

Voici un aperçu des chapitres de ce mémoire. Le premier chapitre s’attarde aux origines du sujet et au cadre théorique sur lequel s’appuie la recherche. Il décrit mes travaux antérieurs en dessin et en art action (interventions dans le quotidien). J’y interroge la pensée de l’empreinte en lien avec l’idée de trace dans mon travail. Je me penche aussi sur les questions du corps et du fragment. Viennent ensuite les définitions des concepts clés et la problématique de la recherche. Dans le deuxième chapitre, en vue d’éclairer ma position esthétique, je raccorde ma démarche à celles d’autres artistes. Je lie également cette dernière à la théorie. Le chapitre commence sur la présence. Cela touche aux ateliers que j’ai suivis, à ce que j’appelle les marches performatives et au statut des traces. Le chapitre se poursuit avec les dyades relatives à la pratique et s’ouvre sur les rituels qui me préparent à la création. Le troisième chapitre touche au cadre méthodologique de la recherche. La première partie concerne les outils. La partie  suivante explique l’expérimentation et la production en dessin, art action et vidéo. Le chapitre se termine sur l’exposition. Enfin, la conclusion répond à la problématique et débouche sur d’autres possibilités de recherche-création.

OUVERTURE DISCIPLINAIRE

Le chapitre premier s’attarde aux origines du sujet et au cadre théorique sur lequel s’appuie la recherche. Il décrit mes travaux antérieurs en présentant mes productions en dessin et en art action. J’interroge la pensée de l’empreinte en lien avec l’idée de trace dans mon travail. Je me penche sur la question du corps et du rapport à l’autre (esthétique relationnelle). Viennent aussi les définitions des concepts-clés. Elles s’appuient sur l’idée principale du passage. Enfin, je présente la problématique de la recherche.

Énoncés de la pratique

Le dessin : un geste dans l’espace

Auparavant, dans ma pratique en dessin, je réalisais des séries dans lesquelles j’inscrivais sur le papier la forme de gestes brusques, répétitifs et produits par battement. Je me souviens encore du bruit sec que provoquait le crayon en se heurtant aux surfaces qui me servaient de supports. Mes productions montraient des sortes de nuages tissés de ligne et de points rythmiques. Il m’arrivait de combiner ces traces à des formes géométriques en aplat et à des syllabes écrites au pochoir. Je réalisais en outre de nombreux collages avec des rebuts de papier, du ruban adhésif et des fragments de dessins. Je mariais le côté pauvre des matériaux à l’aspect non fini des lignes tracées nerveusement. Le dessin demeure présent dans ma pratique. Je l’utilise dans une approche directe. Le geste y tient une place centrale. De plus, lorsque je dessine, j’évite de penser au résultat. J’essaie de rester attentive à ce qui se produit dans l’espace du papier. J’aime penser que c’est mon corps qui dessine et je considère les périodes de production comme des séances d’entraînement. Ces dernières durent deux à trois heures par jour durant plusieurs jours consécutifs.

L’art comme activité quotidienne

Ma pratique s’est ouverte en 2008 sur des actions in situ animées sans la présence du public. Elles ont été réalisées de façon autonome dans mon espace domestique et dans les rues de la ville que j’habitais à l’époque : Baie-Saint-Paul (Québec). Ces interventions se caractérisaient par la spontanéité, la temporalité et le processus comme œuvre. Je les exécutais subitement avec des moyens simples comme avec le dessin. De plus, étant donnée leur nature éphémère, je procédais à leur documentation à travers la photographie et le récit de projet. J’appelais ces interventions activités. Un des aspects particuliers de cette pratique était qu’il se déroula en périphérie de la structure institutionnelle. Aussi, il avait débuté lorsque je me trouvais au chômage1 . Je disposais alors de beaucoup de temps et je structurais mes journées par des occupations telles que l’écriture automatique, le dessin et la marche. Parmi ces interventions, Printemps (voir figure 1.1, p. 6) utilisait la marche en milieu urbain. Il s’agissait d’un parcours où je prenais notamment des clichés de rebuts abandonnés le long des rues. Comme ces objets étaient recouverts de gravier qu’on étend sur les routes glacées, ils témoignaient du passage de l’hiver. Une autre de ces interventions, Un dessin sur la neige (voir figures 1.2-1.3 p. 8-9), révélait sur une parcelle de mon jardin, un labyrinthe que j’avais tracé en marchant avec mes raquettes. Ce dernier pouvait être observé de mon solarium. Je le prenais en photographie régulièrement pour documenter son altération. L’intervention 750 ml (voir figure 1.4, p. 10) utilisait la lumière matinale qui pénétrait mon solarium. Je m’y étais filmée en train de boire à jeun trois verres d’eau. Au cours de l’action, l’eau devenait pénible à avaler. Il est vrai qu’à mesure que j’en avais rempli les verres, la température de l’eau du robinet avait baissé. Je vidai quand même les contenants comme prévu. Ce qui fit passer mon visage d’une expression ensommeillée à une autre empreinte d’inconfort. Comme j’ai mentionné précédemment, toutes ces interventions n’avaient pas été réalisées pour le public. Je ne partageais ces expériences qu’avec des amis. Mon intention était seulement de faire quelque chose en marge de la vie en cours. Je ne m’attachais ni à l’identité d’artiste ni à l’obligation de justifier mes actes. J’ai manifesté par la suite, au cours de mes études de maîtrise en art, l’envie de travailler en collaboration avec d’autres personnes.

L’histoire d’autrui comme espace de création

Au début de mon cheminement de maîtrise, j’ai eu l’envie de visiter l’art relationnel tel que théorisé par Nicolas Bourriaud. « Une œuvre peut fonctionner comme dispositif relationnel comportant un certain degré d’aléatoire, une machine à provoquer et gérer des rencontres individuelles ou collectives. » (Bourriaud, 2001, p. 30). Pour le projet intitulé La patate lui pompait (voir figure 1.5, p. 12), j’avais invité des personnes de mon entourage à me faire le récit de leur rencontre avec un animal sauvage. À partir de leurs mots, je voulais tenter de découvrir des images qui pouvaient être matérialisées par le dessin. J’avais donc enregistré les histoires sur un magnétophone. Après avoir plusieurs fois écouté les entrevues, j’ai décidé de travailler sur la rencontre d’une femme et d’un oiseau de proie. C’est ainsi qu’à l’aide d’encre et de brosses, j’ai dessiné la silhouette de l’oiseau et les positions de protection de la participante (qu’elle m’avait montrée avec son corps). Le sentiment de peur faisait partie de l’histoire. J’ai utilisé de ce fait ma propre anxiété à travers le geste de ma main. J’ai de même procédé à des « drippings » en recréant les trajets de l’oiseau dans les airs et profité des effets de l’encre se mélangeant à l’eau directement sur le support. Puis, lors de l’exposition2 , j’ai sélectionné un nombre restreint d’illustrations que j’ai suspendues aux murs, de part et d’autre d’un coin, et de manière décalée. Les dessins interagissaient entre eux dans l’espace. En somme, la rencontre avec une autre personne m’a donné un espace de travail rafraîchissant. L’intérêt de ce projet, qui utilisait l’histoire de vie (Pineau et Le Grand, 2013) dans la méthodologie de création, s’attachait au fait que je devais m’adapter. Le récit de l’autre agissait de toute évidence comme un prétexte pour favoriser la créativité et affronter l’espace vide du support-papier. Dans ce premier projet en art relationnel, j’ai fait l’expérience du récit d’autrui pour en matérialiser les sensations à travers les jeux de ma main. Véritables empreintes laissées sur le papier, les formes du geste qui en découlent sont bien sûr situées à une époque différente de cette situation de rencontre de la femme et de l’oiseau.

Temporalités

La pensée de l’empreinte

Mon travail n’implique pas obligatoirement la technique de l’empreinte, mais je crois qu’il peut être abordé par le biais de son paradigme théorique. Ainsi, dans ma pratique, l’empreinte correspond à l’idée de la trace. Cette dernière rejoint tantôt le dessin comme forme du geste (partie 1.1.1, p. 3), tantôt la photographie comme trace documentaire (partie 1.1.2, p. 4). Selon l’ouvrage de Didi-Huberman, La ressemblance par contact (2008), la forme duelle qu’est l’empreinte évoque à la fois le désir et le deuil, la ressemblance et la dissemblance, la présence et l’absence, le présent et le passé. L’empreinte parle en même temps du contact (le pied qui s’enfonce dans un substrat) et de la perte (l’absence du pied dans son empreinte). Lorsque je dessine en prenant une idée comme point de départ, par exemple une image mentale issue d’une histoire entendue (voir figure 1.5, p. 12), je ne sais pas d’emblée quel sera le résultat. Il existe certes, des pertes et des ressemblances entre les faits racontés et le résultat dessiné. À travers la réalisation du dessin, des indices nouveaux et révélateurs de la situation immédiate et concernant des effets de matière ou mon état d’esprit apparaissent. De plus, le fait de placer divers dessins issus de procédés et d’époques hétérogènes dans un même espace physique crée entre les papiers des ouvertures, des écarts, des chocs. Aussi, peut-on nommer constellations de tels agencements de dessins. Par le geste, mes dessins correspondent pour moi à des empreintes : celles des sensations, des émotions et des intuitions du corps .

Le corps comme réceptacle

Cette partie du mémoire rejoint l’idée du corps. Comment puis-je travailler avec le corps? Cette interrogation est implicite à ma recherche puisqu’il y est question de spontanéité. Mon angle théorique considère le corps et l’esprit comme un tout, sans antagonisme entre les deux. « Donnez-moi donc un corps » : c’est la formule du renversement philosophique. Le corps n’est plus l’obstacle qui sépare la pensée d’elle-même, ce qu’elle doit surmonter pour arriver à penser. C’est au contraire ce dans quoi elle plonge ou doit plonger, pour atteindre à l’impensé, c’est-à-dire à la vie. Non pas que le corps pense, mais, obstiné, têtu, il force à penser, et force à penser ce qui se dérobe à la pensée, la vie. (Deleuze, 1985, p. 246). La vie possède cette dimension qui ne peut être expliquée en terme de concept. J’évoque ici l’aspect purement expérientiel. Sans renier l’importance de la raison, du langage et de la réflexion pour communiquer, décrire, analyser, intellectualiser un phénomène, je désire interroger les sensations du corps, les émotions et les intuitions. Voilà comment je veux travailler avec mon corps : en restant attentive à ces phénomènes qui me traversent. Les surréalistes refusaient le contrôle de la raison sur leurs productions artistiques. Ils employaient les mécanismes psychiques comme l’automatisme, le rêve et l’inconscient pour favoriser la création et faire naître de nouvelles associations d’images. Ils ont notamment utilisé l’imagination active. Cette technique a été mise au point par le psychanalyste Cari Gustav Jung {In Hannah, 2002). J’y reviendrai à la partie 2.2.2 (p. 42).

Mon corps est mon principal outil. Cette affirmation qui est mienne signifie que mon corps est mon outil de travail et que les gestes que j’accomplis, lorsque je crée, proviennent de la «pensée de mon corps ». Je peux choisir par exemple de travailler à partir d’une image avec laquelle je dialogue spontanément. De cette façon, je fonctionne sans analyser ce que je suis en train de faire et je reste attentive à ce qui se passe dans le présent.

Le fragmentaire et l’hétéroclite

La notion de fragment en tant que document et l’idée de fragmenter le réel, d’en suspendre des moments, hantent mçs pensées d’artiste. Le fragment est un indice de son contexte d’origine. Il peut devenir le témoin d’une époque, d’une expérience, d’une procédure. Par exemple, un dessin peut être perçu comme un fragment limité qui parle de son origine plus vaste. « Chaque document est un fragment d’une réalité qui, jointe tant bien que mal à d’autres, fonde un savoir qui pourtant reste parcellaire, et que viendront nourrir à leur tour d’autres fragments. » (Charles et Oster, 2013,2e par.). Les œuvres que je réalise agissent comme des traces-témoins de mes expériences de création vécues en solitaire. On peut facilement imaginer les gestes que ma main a dû faire pour produire les traits que l’on voit sur le papier. Le dessin apparait alors comme la forme du geste, le contact de la perte et la perte du contact (partie 1.2.1, p. 14). En juxtaposant des dessins issus d’époques et de procédés multiples dans le même espace d’exposition, mon travail joint à la notion du fragmentaire celles de l’hétérogène et de l’hétéroclite. Faire fonctionner ensemble des morceaux disparates peut devenir difficile. Mon but vise bien sûr une esthétique de l’hétéroclite. Le fragmentaire porte le souvenir d’une unité perdue; il dit le deuil, mais aussi l’espoir d’une cohésion retrouvée. L’hétérogène, quant à lui, juxtapose des éléments sans commune mesure, sans origine partagée : il instaure le multiple et le différent comme son unique territoire et son unique horizon. […] cette esthétique [de l’hétéroclite] n’est envisageable que dans la mesure où elle est portée par une intention éthique qui la mobilise, l’anime, lui donne du liant et lui permet de faire sens. Cette orientation, qui milite contre tout système totalisant, souscrit avec force aux principes de liberté et de différence. Comme les textes rapiécés qu’elle produit, elle situe pourtant les fragments hétérogènes dans un espace commun, même discontinu. L’espace du passage, aussi paradoxal soit-il, qui accueille ces différences, les met en présence, et permet au regard et à l’esprit de les mesurer et de circuler de l’une à l’autre. (INIST, 2010,1er par.). Dans une constellation de dessins, les relations s’effectuent en dehors des papiers, dans l’espace d’un mur, d’une table ou d’un socle. On parle ici d’intervalle, d’interstice, de trait d’union ou de brèche. L’entre-deux dont il est question à la fois sépare et lie les fragments. Je trouve intéressant que l’œil et l’esprit du spectateur puissent circuler entre les papiers, dans l’espace vide qui les accueille, afin de mesurer leurs relations. Ce mouvement de l’œil est pour moi important, car il est vivant, mobile, libre et actif. Il se situe aussi dans l’intervalle. « Le Ma [au Japon] est à la fois intervalle, vide et espacement, « entre » au sens fort. Il sépare relie et installe une respiration, une fluctuation et une incomplétude qui engendre cette relation du temps infini […]. » (Buci-Glucksmann, 2001, p. 36). La cohérence esthétique de mon travail sera formée vers la fin de cette recherche, après un tri de la production, lors du montage de l’exposition.

Problématique de recherche

Vers une cohérence

Lorsqu’on travaille de façon spontanée et selon l’énergie du moment, il devient normal de s’interroger sur le sens de sa démarche. Est-ce que la multiplicité qui découle des formes et des procédures sera finalement cohérente? Je dirais d’emblée que sous l’angle du processus de la création, être pleinement consciente de ce qui arrive unit tout pour moi. Il s’agit aussi de faire confiance en ce qui émerge de façon naturelle. Je veux laisser la cohérence s’établir d’elle-même.

La définition des concepts-clés

Le passage demeure dans cette recherche le concept principal. L’ouverture du dessin correspond pour moi à un passage. Il s’agit de passer d’un médium à un autre. De plus, comme le décrit Christine Buci-Glucksmann, le passage se lie aux notions de temps, d’impermanence, d’altérité et de « devenirs comme processus infinis qui nous traversent. » (Buci-Glucksmann, 2001, p. 42). Il renvoie également à l’espace comme lieu de circulation et de côtoiement d’éléments disparates. Si un trajet se situe sur plusieurs centres, ces derniers peuvent montrer une hétérogénéité, voire un manque d’harmonie. Cette affirmation rejoint l’idée de Walter Benjamin selon laquelle les passages urbains du début de l’ère moderne font voir un « paysage primitif3 » sans parenté entre les éléments constituants. (Benjamin, 1993, p. 825-826). L’enveloppe du corps devient aussi un intermédiaire entre sa substance intérieure et l’espace qui l’entoure. « Les passages sont des intermédiaires entre la rue et l’intérieur. » (Benjamin, 1955, p. 58). L’intérieur dont parle Benjamin évoque autant pour moi l’intérieur d’un bâtiment que mon intériorité. Ainsi peut-on dire que le corps est un lieu de passage. Le corps comme réceptacle est un concept qui signifie qu’il contient des matières diverses (mémoires, images, sensations, mots, pensées) provenant de temporalités diverses. Il transforme ces matières et les redonne par la suite. Ce mouvement s’effectue dans les deux sens. Le corps s’imprègne de ce qui l’entoure (mouvement qui va de l’extérieur à l’intérieur) puis il le redonne (mouvement qui va de l’intérieur à l’extérieur). Dans ma recherche, je m’efforce de ressentir ce qui traverse mon corps. Je cherche à l’habiter pleinement. Cela résulte d’un désir d’être consciente de ce qui se passe au fil du temps. Cette logique pourrait s’établir en terme d’une succession de présents. L’impermanence liée à cette structure de pensée reste donc importante. Le milieu dans lequel je me trouve influence ma qualité de présence et mes actions dans l’espace. De ce fait, la « manière d’être » correspond à « quand un individu se rapporte à lui-même »; de même, la « manière d’être relative » est « quand un individu se rapporte à ce qui l’entoure. » (Buci-Glucksmann, 2001, p. 46). Le  contexte architectural de l’exposition est entendu comme un espace de passage. Il montre une ouverture qui accueille la multiplicité des formes, sans chronologie ni hiérarchie. L’œil et l’esprit du spectateur peuvent de cette manière circuler d’un dessin à l’autre, car les relations existent en dehors des supports. Ce flux s’apparente au modèle du rhizome de Deleuze et Guattari. «Le rhizome représente des évolutions parallèles qui sautent d’une ligne à une autre entre des êtres tout à fait hétérogènes.» (Deleuze, 1977, p. 36). Encore, comme le dit Buci-Glucksmann, le rhizome est constitué « d’écarts, de déclinaisons, de disséminations et de réseaux. » (Buci-Glucksmann, 2001, p. 39). L’espace entre les supports représente ainsi l’entre-deux, le milieu ou le dehors. Les relations sont à l’extérieur des bords des papiers d’une forme à une autre, d’un procédé à un autre, d’une époque à une autre et ainsi de suite.

L’ouverture du dessin

Cette recherche en création interroge l’ouverture disciplinaire du dessin et la traduction esthétique de phénomènes non visuels de l’expérience vécue (tels que les sensations du corps, les émotions et les intuitions). De là, je me pose les questions suivantes. Sur quelles disciplines s’ouvre le dessin? Quelles ressemblances la traduction esthétique de l’expérience vécue provoque-t-elle? Je veux savoir quelle est la place de ma subjectivité dans ce passage. Je veux savoir aussi comment se déroule la situation dans le temps et dans l’action de l’œuvre. Le devenir du projet, à travers une hybridité disciplinaire, établit des ponts entre diverses époques (passé et présent), pratiques (dessin, art action, vidéo et installation), espaces de création (récit d’autrui, paysage biophysique, papier à dessin, atelier et salle d’exposition) et objets d’étude (mouvements, intuitions, etc.). Le résultat attendu est une exposition comprenant une installation de dessins et des vidéos.

CONCLUSION

Je dessine et réalise des actions le plus souvent les yeux fermés (à l’aveugle), sans mes verres correcteurs (myopie) ou avec la vision obstruée d’une manière ou d’une autre (en portant une cagoule par exemple). Cela amène la possibilité de travailler avec l’intériorité. Ce qui signifie pour moi de rester à l’écoute et d’incarner une énergie. L’écoute nécessite dans ma pratique une adaptabilité au lieu dans lequel je me trouve et aux matériaux employés. Cette souplesse souligne également l’aspect du fortuit dans mon travail. Il est entendu que dans ce cadre ma démarche se nourrit d’événements, de faits anodins et de rencontres menées au quotidien.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I OUVERTURE DISCIPLINAIRE
1.1 Énoncés de la pratique
1.1.1 Le dessin : un geste dans l’espace
1.1.2 L’art comme activité quotidienne
1.1.3 L’histoire d’autrui comme espace de création
1.2 Temporalités
1.2.1 La pensée de l’empreinte
1.2.2 Le corps comme réceptacle
1.2.3 Le fragmentaire et l’hétéroclite
1.3 Problématique de recherche
1.3.2 La définition des concepts-clés
1.3.3 L’ouverture du dessin
CHAPITRE II CONNAISSANCE DE LA PRATIQUE
2.1 De la présence à sa trace
2.1.1 Ateliers et laboratoires sur la performance
2.1.2 Marches performatives
2.1.3 Statut des traces
2.2 Dyades relatives à la pratique
2.2.1 Trajet-projection
2.2.2 Expérience-récit
2.2.3 Mobilité-dehors
2.3 Pratiques quotidiennes
2.3.1 Écriture
2.3.2 Méditation
2.3.3 Marche
CHAPITRE III COHÉRENCE DE LA PROPOSITION
3.1 Calendrier
3.1.1 Méthodologie
3.1.2 Mes pas de praticienne
3.1.3 Journal, dictaphone et cartes
3.2 L’expérience transportée dans l’atelier
3.2.1 Expérimentations initiales
3.2.2 Dessins
3.2.3 Vidéo
3.3 Exposition — La pratique des trajets
3.3.1 Contexte
3.3.2 La co-présence et les relations dans l’exposition
3.3.3 La réception
CONCLUSION

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