Zach et la chasse à la planète manquante
Suite à la découverte de la septième planète du système solaire Uranus, le 13 mars 1781 par William Herschel (1738-1822), la loi de Titius-Bode qui donne les distances mutuelles entre planètes gagnera en crédibilité. Lors d’une rencontre en 1783, entre ce dernier et Franz von Zach (1754-1832), ils discutèrent de la validité et de la justification de la loi de Bode (aussi connue sous le nom de : loi de Titius-Bode) ; ce qui mènera Zach (Fig. 1.3) à la chasse à la planète manquante [Cunningham, 2001]. Deux ans après la rencontre entre Herschel et Zach, ce dernier prédit les éléments orbitaux de la planète supposée. Il donnera une distance au soleil de 2,82 AU, une excentricité de 0,14, une inclinaison de 1◦36’ et une longitude du périhélie de 192◦6’. Cette planète aurait donc une période orbitale de 4.74 années [Cunningham, 2001]. Il enverra ces résultats sous enveloppes scellées à Johannes Bode [von Zach, 1801], au Duc de Gotha (1745-1804), à Hans Count von Bruhl et à Johann Kohler (1745-1801). Ces résultats seront publiés en 1789, dans Astronomical Yearbook (1789), p. 182, 183 [von Zach, 1801], [Cunningham, 2001]. En 1799, Zach et les cinq astronomes J.H. Schroeter (1745-1816), K.L. Harding (1765-1834), Wilhelm Olbers (1758-1840), Ferdinand Adolf von Ende (1760-1816), Johann Gildemeister (1753-1837) décident de coordonner leurs efforts. Zach forme une coopération ou association (Zach utilisera le terme anglais de society) le 21 septembre 1800 à Lilienthal. Il en sera d’ailleurs élu secrétaire permanent et Schroeter en sera le président. Cette association, ou société astronomique, aura pour but d’organiser une campagne d’observations. Un appel sera lancé à la recherche de 24 astronomes à travers l’Europe ; le but étant de diviser tout le zodiaque en 24 zones. Les 24 astronomes sont : Johann Elbert Bode (1747-1826) à Berlin, Joseph Buerg4 (1766-1834) à Vienne, Thomas Bugge (1740-1815) à Copenhague, Johann Karl Burckhardt (1773-1825) à Paris, William Herschel (1738-1822) à Slough, Johann Sigismund Gottfried Huth (1763-1818) à Francfort, Georg Simon Klüegel (1739-1812) à Halle, J.A. Koch à Danzig, Nevil Maskelyne (1732-1811) à Greenwich, Daniel Melanderhjelm (1726-1810) à Stockholm, Pierre Mechain (1744-1804) à Paris, Charles Messier (1730-1818) à Paris, Barnaba Oriani (1753-1832) à Milan, Giuseppe Piazzi (1746-1826) à Palerme, Friedrich Theodor von Schubert (1758-1825) à St. Petersbourg, Jan Sniadecki (1756-1830) à Cracovie, Jacques-Joseph Thulius (1768-1810) à Marseille, Johann Friedrich Wurm (1760-1833) à Blaubeuren, Ferdinand Adolph Freiherr von Ende (1760-1816) à Celle, Johann Gildemeister (1753-1837) à Brême, Karl Ludwig Harding 4Buerg ou Bürg, Johann Tobias (1766-1834) astronome allemand [Thomas, 2005]. Membre très actif des « Ephémérides » de Vienne, il remporte, en 1798, un prix offert par l’Institut de France au détriment de son collègue français, Alexis Bouvard (1767-1843). Il participera à l’élaboration des « Ephemerides astronomicae anni 1794 (-1806)… » et des « Tables astronomiques publiées par le Bureau des Longitudes de France… » (1806) La découverte (observation) de la planète manquante par Giuseppe Piazzi (1746-1826) (Fig. 1.4), le 1er janvier 1801, confirmera la validité de la loi de Titius-Bode. En juin 1801, six mois après la découverte de la-dite planète Cérès, l’astronome allemand Franz Xaver von Zach (1754-1832) revoit la loi de Titius-Bode (qu’il appelle loi de Bode) ; le nationalisme qui règne en Europe au début du XIXe siècle est plus que présent dans sa publication [von Zach, 1801]. Il fera remarquer que seuls les allemands se seraient réellement posés la question de l’existence d’une planète entre Mars et Jupiter, et auraient osé l’écrire.
Astéroïde ou planète
Les questions soulevées par la controverse qui a fait (et fait toujours) suite à la “dégradation” de Pluton au rang de planète naine, ou même la promotion de l’astéroïde (1) Cérès à ce même rang remontent à bien plus tôt que le XXIème sciècle. En effet, après la découverte de Cérès (Sect. 1.2.2), le 28 mars 1802 Heinrich Wilhelm Matthäus Olbers découvre ’une deuxième planète’ entre Mars et Jupiter : Pallas. Ces petits corps découverts entre Mars et Jupiter étaient trop petits pour être qualifiés de planètes, en apparaissant comme des étoiles. Le terme générique d’astéroïde (qui, en grec, signifie ’comme une étoile’) sera proposé par William Herschel [Cunningham, 2004], [Cunningham et al., 2009]. Il faudra attendre les années 1820 pour que ce terme soit adopté par la communauté astronomique. Depuis 2006 une nouvelle nomenclature a été adoptée à Prague lors de la XXVIème Assemblée Générale de l’UAI (Union Astronomique Internationale). Les conventions suivantes (issues de la résolution 5) en sont ressorties. Les planètes et autres corps du système solaire sont répartis en trois catégories [IAU, 2006] :
1. Une planète est un corps céleste qui :
a) est en orbite autour du Soleil,
b) a une masse suffisante pour que sa gravité l’emporte sur les forces de cohésion du corps solide et le maintienne en équilibre hydrostatique, sous une forme presque sphérique,
c) a éliminé tout corps susceptible de se déplacer sur une orbite proche.
2. Une « planète naine » est un corps céleste qui :
a) est en orbite autour du Soleil,
b) a une masse suffisante pour que sa gravité l’emporte sur les forces de cohésion du corps solide et le maintienne en équilibre hydrostatique, sous une forme presque sphérique,
c) n’a pas éliminé tout corps susceptible de se déplacer sur une orbite proche,
d) n’est pas un satellite.
3. Tous les autres objets en orbite autour du Soleil sont appelés « petits corps du Système Solaire ».
Même si la frontière entre planète naine et astéroïde peut parfois paraître ambiguë, elle devient plus claire lorsque des propriétés physiques du corps sont prises en considération. Ainsi, contrairement aux astéroïdes, les planètes naines ont une macroporosité nulle. Dans ma thèse, je me suis intéressée aux petits corps du système solaire, aux astéroïdes de la ceinture principale plus exactement. Cette population est située entre 2,1 et 3,5 au. Dans les prochains paragraphes, je m’attarderai sur le modèle de formation du système solaire et sur l’intérêt de l’étude des petits corps du système solaire, en particulier des astéroïdes, pour clore ce chapitre avec un état des lieux de la ceinture principale d’astéroïdes.
Pourquoi s’intéresser aux astéroïdes
Notre système solaire vieux de plus de 4,6 milliards d’années a beaucoup évolué depuis la formation de la nébuleuse protoplanétaire. Les astéroïdes et comètes sont les vestiges les plus anciens qui nous permettent de contraindre les modèles et de comprendre jusqu’à la naissance du système solaire. Les planètes ont en effet connu d’importants changements, notamment à leur surface, conséquence des érosions dues à l’activité de leur tectonique, au volcanisme, à l’activité du noyau, mais surtout des changements surfaciques dus aux impacts (LHB), ce qui ne laisse aucune trace de l’état primitif. Certes, le système solaire a beaucoup évolué depuis ses débuts, notamment par le processus des migrations planétaires [Tsiganis et al., 2005], [Gomes et al., 2005] qui ont induit des inversions entre résonances, ce qui aurait donné lieu à la distribution actuelle des corps dans le système solaire. Ainsi, la distribution des astéroïdes aujourd’hui ne reflète nullement la distribution d’origine. Les astéroïdes étant pour la majorité petits, avec des diamètres inférieurs à 400 km, ils n’auront pas connu d’activité radiogénique importante, ce qui empêchera la fonte et la constitution d’un noyau et ce qui explique la macroporosité de ces objets. Leur évolution est donc pricipalement exogène et reflète les conditions du milieu dans lequel ils ont évolué. Dans ma thèse, je me suis intéressée à la population d’astéroïdes de la ceinture principale telle qu’elle est aujourd’hui. Je m’intéresse à la distribution spatiale et dynamique de cette dernière et me pose la question de définir le système de référence le mieux adapté à mon étude [Souami and Souchay, 2012]. Je m’intéresse également à l’évolution de certains groupements, notamment les familles d’astéroïdes et en particulier celle de l’astéroïde (4) Vesta [Galiazzo et al., 2011], [Galiazzo et al., 2012], [Souami et al., 2012b]. Je me suis penchée aussi sur la détection d’astéroïdes dans le cadre du survey SMBAS (SubKm Main Belt Asteroids Survey) [Yoshida et al., 2001], [Yoshida et al., 2003], [Yoshida and Nakamura, 2004], [Yoshida and Nakamura, 2007] [Dermawan et al., 2011], [Souami et al., 2012d], dans le but de détecter des astéroïdes, d’établir leurs éléments orbitaux ainsi qu’une classification taxonomique, d’extraire les courbes de lumières et par conséquent d’en déduire les périodes de rotation. Toutes ces propriétés physiques intrinsèques sont nécessaires à la compréhension de la dynamique de ces objets, ce que je m’efforcerai de démontrer tout au long des prochains chapitres.
Les astéroïdes de la ceinture principale (MBAs)
Rappelons que le premier objet découvert a été Cérès en 1801 (cf. Sect. 1.2). Le nombre de découvertes ne cesse de croître depuis une vingtaine d’années (Fig. 1.7(a)). Nous remarquerons (Table 3.1) une augmentation considérable du nombre d’astéroïdes depuis [Zellner et al., 1985]. Les différents groupements (zones du Tableau 3.1) sont :
– Les Hungarias : du nom de l’astéroïde (434) Hungaria12, premier astéroïde découvert dans cette zone définie en éléments osculateurs. Elle est délimitée par la population des MarsCrossers, la lacune de Kirkwood correspondant à la résonance de moyen mouvement 4 :1 avec Jupiter et les résonances séculaires ν5 and ν16 [Gradie et al., 1989] [Milani et al., 2010]. Cependant, [Lemaitre, 1994] identifiera pour la première fois la famille Hungaria (définie en terme d’éléments propres). Cette famille fera l’objet de plusieurs études [Milani et al., 2010], [McEachern et al., 2010]. La possibilité de l’existence d’une seconde famille dans cette zone, bien que difficile à identifier, a été abordée dans [Milani et al., 2010].
– Les Flores : du nom de l’astéroïde (8) Flora. Je reviendrai plus tard sur l’existence d’une famille dynamique dans cette zone.
– La ceinture principale : (I, IIa, IIb, IIIa, IIIb) (Table 3.1) : Ce groupement s’étend entre 2,30 au et 3,03 au. Je reviendrai plus en détail sur cette population tout au long des chapitres suivants.
– La zone des Griquas : du nom de l’astéroïde (1362) Griqua13. Ces astéroïdes sont en résonance de moyen mouvement 2 :1 avec Jupiter. Ils occupent une zone instable centrée autour de 3,3 ua, plus communément connue sous le nom de Lacune de Hecuba. Roig et ses collaborateurs [Roig et al., 2002] distinguent trois populations dans cette zone :
– Les Zhongguos : stables sur tout l’âge du système solaire. Ils sont caractérisés par de faibles inclinaisons i < 5◦,
– Les Griquas : stables sur 100 à 500 millions d’années,
– Enfin, une population instable qui est très vite éjectée de la zone (moins de 100 millions d’années). Les intégrations numériques effectuées par [Brož et al., 2005] suggèrent que l’ef12découvert par Max Wolf (1863-1932) le 11 septembre 1898 (http ://ssd.jpl.nasa.gov/sbdb.cgi ?sstr=434 ;orb=1) fet Yarkovsky (cf. Annexe C.2) joue un rôle majeur dans l’instabilité de ces astéroïdes (futures comètes de la famille de Jupiter). Toutefois, l’origine des Zhongguos et des Griquas reste encore inexpliquée.
– Groupe Cybele : du nom de l’astéroïde (65) Cybele14. Il se situe dans la partie externe de la ceinture principale avec des demi-grands axes compris entre 3,27 au et 3,70 au (Table 3.1). L’un des membres les plus connus de ce groupe (après (65) Cybèle bien sûr) est l’astéroïde (87) Sylvia, le premier astéroïde possédant deux satellites à avoir été identifié15 [Marchis et al., 2005].
– Groupe Hilda : du nom de l’astéroïde (153) Hilda16. Ils sont en résonance de moyen mouvement 3:2 avec Jupiter (Fig. 3.1). Tout comme le groupe des Griquas, cette population réside dans une résonance de moyen mouvement d’ordre un avec Jupiter. Brož et Vokrouhlický [Brož and Vokrouhlický, 2008] et beaucoup d’autres auteurs se sont intéressés à ce genre de populations depuis quelques décennies maintenant. De par leur proximité de Jupiter et leur présence dans des résonances de moyen mouvement d’ordre un avec cette dernière, ces populations sont donc liées à l’évolution orbitale de Jupiter et par conséquent à celles des planètes géantes (Modèle de Nice, Sect. 1.4).
– Les Troyens de Jupiter : Le premier troyen, en libration autour du point de Lagrange L4, (588) Achille, sera découvert à Heidelberg le 22 février 1906 par l’astronome allemand Max Wolf (1863-1932) (découvreur de (434) Hungaria). Aujourd’hui, on dénombre 4.030 “Troyens” de Jupiter (Table 3.1), appellation toutefois abusive car il faudrait parler de Grecs et de Troyens. En effet, le terme de Grecs est utilisé pour les astéroïdes en libration autour du point L4 (groupe en tête), alors que le terme de Troyens est utilisé pour ceux en libration autour du point L5 (groupe en queue). Les noms des astéroïdes appartenant à ces deux groupes ont été choisis de manière à correspondre aux noms de chaque membre des Grecs et Troyens ayant pris part à la bataille de Troie, d’après l’Illiade d’Homère. C’est en ce sens qu’un intru grec est également présent en L5 parmi les troyens. Le modèle le plus probable pour expliquer l’existence d’une telle population est la capture du modèle de Nice lors de la migration planétaire [Morbidelli et al., 2005].
– Les objets transneptuniens (TNOs) : ces objets ne figuraient pas dans le tableau initial de [Zellner et al., 1985]. En effet, le premier objet transneptunien ((134340) Pluton mis à part17) (15760) 1992QB1 a été découvert en 1992 [Jewitt et al., 1992]. On dénombre aujourd’hui 1.252 TNOs18 (Table 3.1).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Histoire
1.2 Découverte de Cérès : La chasse à la planète manquante
1.2.1 Zach et la chasse à la planète manquante
1.2.2 Piazzi et la planète Cérès-Ferdinandea
1.3 Astéroïde ou planète
1.4 Formation du système solaire
1.5 Pourquoi s’intéresser aux astéroïdes
1.6 Contexte actuel
I Etude dynamique des populations d’astéroïdes
2 Système de référence : Le Plan invariable
2.1 Le Système International de Référence Céleste (ICRS)
2.2 Définition du plan invariable
2.2.1 Plan invariable ou invariant
2.3 Détermination du plan invariable
2.3.1 Dans le cadre de la mécanique classique
2.3.2 Dans le cadre relativiste
2.3.3 Méthode
2.4 Orientation du Plan Invariable (IP)
2.4.1 Cas du système basique (SB)
2.4.2 Cas du système dit plus complet (SPC)
2.4.3 Orientation à J2000.0
2.4.4 Contributions individuelles au moment angulaire total
2.4.5 Travaux sur l’orientation du plan invariable
2.5 Orientation des planètes par rapport à l’IP
3 Astéroïdes de la ceinture principale : Structure à grande échelle
3.1 Les groupements en matière d’éléments osculateurs
3.1.1 Les géocroiseurs
3.1.2 Les astéroïdes de la ceinture principale (MBAs)
3.2 Distributions des astéroïdes de la ceinture principale (MBAs)
3.3 Distribution des astéroïdes en terme de plans orbitaux
3.3.1 Justifications dynamiques
3.3.2 État de l’art
3.3.3 Distribution par rapport à d’autres plans de référence
3.4 Perturbations séculaires entre deux planètes
3.4.1 Mouvement séculaire de Jupiter et Saturne
3.5 Mouvement séculaire d’un astéroïde : effet de Jupiter et Saturne
3.6 Résumé et questions ouvertes
4 Etude dynamique de la famille Vesta
4.1 Les familles d’astéroïdes
4.1.1 Familles Hirayama
4.1.2 Autres études statistiques
4.1.3 Etudes dynamiques
4.1.4 Ecriture de la métrique
4.1.5 Méthodes
4.1.6 Nomenclature
4.2 Etude de la famille Vesta
4.2.1 Etude de l’effet Yarkowsky
4.2.2 Rencontres proches : vitesses relatives
4.3 Conclusions et perspectives
II Analyse des données observationnelles du SUBARU
5 Traitement des données du télescope SUBARU : généralités
5.1 Le télescope SUBARU
5.2 Présentation de l’instrument
5.2.1 Configuration de la mosaïque
5.3 Données et survey SMBAS
5.4 Traitement des données
5.4.1 Prétraitement des images
5.4.2 Détection des astéroïdes
6 Traitement des données du SUBARU télescope : Applications
6.1 Application des méthodes de détections au Champ FIELDA
6.1.1 Application de la méthode automatique
6.1.2 Calibration astrométrique
6.2 Le problème de la détermination orbitale
6.2.1 Détermination du vecteur propre de vitesse écliptique
6.2.2 Détermination des éléments osculateurs
6.2.3 Analyse des populations identifiées
6.2.4 Photométrie et courbes de lumière
6.2.5 Période de rotation des astéroïdes
6.3 Perspectives
Conclusion
Annexes
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