La polyarthrite rhumatoïde (PR) est le rhumatisme inflammatoire chronique autoimmun le plus sévère. Sa prévalence est comprise entre 0,5 et 1,1% en Amérique du Nord et en Europe du Nord, et entre 0,3 et 0,7% en Europe du Sud [1]. La PR se présente comme une polyarthrite bilatérale et symétrique des petites articulations. Des manifestations extra-articulaires telles que les nodules rhumatoïdes, une atteinte pulmonaire, ou encore une vascularite peuvent aussi être présentes [2]. La PR est précédée par l’apparition d’anticorps anti protéines citrullinées (ACPAs). La citrulline est un acide aminé neutre résultat d’une modification post-traductionnelle d’une arginine par des enzymes appelées Peptidyl Arginine Déiminases (PADs). Dans la PR ACPA-positive, le risque génétique est principalement porté par les molécules HLA-DR porteuses de l’épitope partagé (EP) encodées dans la région du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). L’EP (un motif de cinq acides aminés compris entre les positions 70 et 74 de la chaîne HLA DRB1) est présent chez approximativement 70% des patients atteints d’une PR ACPA-positive [3,4]. Les différentes combinaisons d’allèles HLA-DR (génotypes) confèrent des risques relatifs différents de développer une PR ACPA-positive, les plus hauts risques correspondant aux génotypes encodant deux copies de l’épitope partagé [5]. Les ACPA présents chez les patients atteints de PR reconnaissent des épitopes citrullinés sur de nombreuses protéines [6]. Un antigène citrulliné majeur exprimé dans les articulations des patients atteints de PR est le fibrinogène, dont les chaînes alpha et bêta sont toutes deux reconnues par les ACPA [7]. Les ACPA sont susceptibles de jouer un rôle dans la physiopathologie de la maladie [8]. La découverte des ACPA a conduit au développement de tests diagnostiques basés sur des peptides citrullinés cyclisés synthétiques (CCP) [9]. Depuis, différentes générations de tests anti-CCP ont été commercialisés [10]. Compte tenu de leur importance, les ACPA ont été intégrés dans les critères de classification ACR/EULAR 2010 de la PR [11].
Outre les tests anti-CCP, la recherche d’anticorps anti-fibrinogène humain citrulliné (AhFibA) peut être utilisée pour le diagnostic sérologique des PR débutantes [12]. Cinq peptides issus du fibrinogène citrulliné (Fib-cit) portent la quasi-intégralité des épitopes reconnus par les sérums des patients atteints de PR ACPA-positive. Ces épitopes immunodominants sont portés par les peptides β60–74cit, α36–50cit, α621– 635cit, α501–515cit et α171–185cit [7,13,14]. La majorité des études publiées analysent la reconnaissance de 3 (β60–74cit, α36– 50cit, et α621–635cit) parmi les 5 épitopes majeurs et étudient des PR récentes définies par les critères ACR de 1987 [15] et non les critères ACR/EULAR de 2010. L’objectif primaire de ce travail était d’étudier si, dans une cohorte de 184 patients atteints de PR ACPA-positive répondant aux critères ACR/EULAR 2010, un terrain génétique HLA-DR particulier ou des caractéristiques cliniques particulières étaient associées avec la présence d’anticorps dirigés contre les épitopes des 5 peptides majeurs du Fib-cit β60–74cit, α36–50cit, α621–635cit, α501–515cit et α171–185cit.
Matériels et méthodes
Patients
Nous avons réalisé une étude prospective sur 184 patients suivis dans le service de rhumatologie de l’hôpital Sainte Marguerite à Marseille. Les patients inclus étaient considérés comme atteints de PR-ACPA positive sur la base de résultats de tests anti-CCP2 obtenus antérieurement avec des tests commerciaux divers et remplissaient les critères ACR/EULAR 2010. Les patients traités par rituximab ont été exclus de l’étude compte tenu de son effet potentiel sur les taux d’ACPA. Les caractéristiques des patients suivantes ont été collectées dans leurs dossiers médicaux : présence de nodules rhumatoïdes, tabagisme, âge au diagnostic, génotype HLA-DR, présence de facteurs rhumatoïdes, activité de la maladie et caractère érosif de la maladie.
– L’activité de la maladie a été évaluée par le Disease Activity Score calculé avec la valeur de la protéine C réactive (DAS28-CRP) le jour du prélèvement.
– La réponse au traitement a été évaluée en accord avec les critères de réponse au traitement de l’EULAR. Les patients étaient considérés comme ayant une bonne réponse si leur DAS28 était ≤3.2 et avait décru de >1.2 [16]. En accord avec la mise à jour de 2019 des recommandations de traitements de la polyarthrite rhumatoïde de l’EULAR, le temps maximal pour atteindre la cible du traitement a été fixé à 6 mois avant de conclure à un échec du traitement [17].
– Les antécédents personnels d’accident vasculaire cérébral non fatal, d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance cardiaque ont été définis comme événement cardiovasculaire majeur.
– Les patients étaient classés comme fumeurs (actifs ou sevrés) et nonfumeurs.
– L’atteinte pulmonaire a été diagnostiquée par les médecins radiologues à partir des scanners pulmonaires des patients. Il est à noter que seuls quelques patients avaient bénéficié d’un scanner thoracique.
– Le caractère érosif de la PR était défini selon la définition EULAR d’une PR érosive.
– Le syndrome sec oculaire était défini par un test de Schirmer < 5 mm/5 min, ou un Ocular Staining Score > 5. La sécheresse buccale était définie par un flux salivaire non stimulé < 0,1 mL/min.
– L’ostéoporose était définie soit par un antécédent personnel de fracture ostéoporotique, ou par une mesure de densité minérale osseuse avec un Tscore inférieur à – 2.5 sur au moins un des deux sites.
Echantillons
Un prélèvement sanguin unique a été réalisé chez les patients à partir duquel le plasma a été isolé. Les échantillons ont été stockés à -80°C. Les tests AhFibA et de fine spécificité des ACPA contre les peptides du fibrinogène ont été analysés et les anti-CCP2 ont été ré-analysés avec un même test chez l’ensemble des patients.
Ethique
Tous les patients ont donné leur consentement écrit pour cette étude. Les données des patients ont été pseudo-anonymisées. La collection d’échantillons a été approuvée par le comité d’éthique sous le numéro DC-2008-327. Cette étude a été déclarée à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM) sous le numéro PADS19-332.
Dosage des ACPA et des Facteurs rhumatoïdes
Pour l’ensemble des tests d’ACPA, nous avons utilisé un seuil de positivité (N) correspondant à une spécificité diagnostique à 95%.
Les dosages anti-CCP2 ont été réalisés en utilisant le kit ELISA CCPlus® IMMUNOSCAN (Euro Diagnostica, Arnhem, Pays Bas) selon les recommandations du fabriquant. Les titres d’anticorps exprimés en unités arbitraires (AU/mL) ont été considérés comme positifs au-delà de 25 AU/mL.
Les auto-anticorps IgG anti-fibrinogène humain citrulliné ont été détectés par un test ELISA précédemment décrit (AhFibA). Les titres d’anticorps au-delà de 0,056 ont été considérés positifs .
Les dosages de facteurs rhumatoïdes (FR) IgM ont été analysés par le kit ELISA Facteur Rhumatoïde IgM (ORGENTEC, Mainz, Allemagne) et considérés comme positifs au-delà de 20 UI/mL.
Dosage des anticorps dirigés contre les peptides du Fib-cit
Les peptides dont les séquences sont citées ci-après ont été synthétisés avec soit des arginines (R) pour les peptides contrôles soit des citrullines (R) dans les peptides cibles, et utilisés dans les tests d’ELISA :
– β60–74: RPAPPPISGGGYRAR
– α36–50: GPRVVERHQSACKDS
– α621–635: RGHAKSRPVRGIHTS
– α501–515: biotine-ahx*-SGIGTLDGFRHRHPD
– α171–185: biotine-ahx*-VDIDIKIRSCRGSCS
*: ahx : acide amino-hexanoïque
Les auto-anticorps IgG dirigés contre les peptides citrullinés dérivés du fibrinogène β60–74cit, α36–50cit, et α621–635cit ont été testés par ELISA selon une méthode décrite précédemment où les peptides sont adsorbés passivement sur des plaques de microtitration [7,19]. Les auto-anticorps IgG dirigés contre les peptides α501– 515cit et α171–185cit ont été testés par ELISA avec des peptides biotinylés fixés sur de l’avidine. Brièvement, les plaques (Maxisorp; NUNC, VWR International, Fontenay-sous-Bois, France) ont été incubées durant la nuit avec de l’Avidine à 5 µg/mL. Après lavage avec du PBS 0,1% Tween-20 (PBS-T), les peptides biotinylés ont été incubés 1 heure à 1 µg/mL dans du PBS 2% BSA (PBS-BSA). Après 3 lavages, les plaques ont été incubées pendant une heure avec le plasma des patients dilué au 1/100 dans du PBS-BSA et lavées 3 fois avec du PBS-T. Un anticorps de chèvre anti-IgG humaine conjugué à de la peroxydase (Southern Biotechnology) dilué au 1/2500 dans du PBS-BDA a été incubé pendant 1 h et, après 3 lavages, la réactivité a été révélée par de l’ortho-phenylenediamine dihydrochloride et du peroxyde d’hydrogène dans un tampon citraté à pH 5. La réaction a été stoppée par de l’H2SO4 après 5 min et la densité optique (DO) a été lue à 492 nm. Toutes les étapes ont été réalisées à température ambiante d’environ 20°C [7]. La réactivité anticorps spécifique a été définie par la différence de DO entre les peptides citrullinés et contrôles non citrullinés. Les variations inter-manipulations ont été corrigées par une analyse par régression linéaire en utilisant un peptide et un plasma de référence testés sur chaque plaque. Les ΔOD inférieures à la valeur seuil de 0,25 étaient considérées comme négatives. Les patients avec une ΔOD supérieure à la valeur seuil étaient divisés en 3 groupes égaux avec des titres faibles, moyens, ou élevés. Les patients des groupes titres moyens et élevés étaient considérés ensemble comme ayant un haut niveau de réactivité.
Analyse statistique
Les études d’association ont été réalisées grâce à des tables de contingence en utilisant le test du Chi2 et le test exact de Fisher quand le test Chi2 n’était pas utilisable. Le test de Pearson a été utilisé pour déterminer la significativité des corrélations de titres entre anti-CCP2, AhFibA, et anticorps dirigés contre les peptides. Les analyses statistiques ont été réalisées en utilisant le logiciel PRISM pour Windows (GraphPad Software, San Diego, Californie, USA). Le seuil de significativité était fixé à p < 0,95. Nous avons considérés que les valeurs p < 0,09 représentaient une tendance vers la significativité compte tenu du faible effectif de notre cohorte.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME