Les tumeurs malignes du rein ont vu leur incidence augmenter depuis les années 1980, devenant en 2018 le 6ème cancer le plus fréquent en France avec une incidence de 15 323 nouveaux cas[1] . D’autre part, l’obésité est un problème de santé publique qui s’accompagne de morbidités variées, étant un facteur de risque pour différentes pathologies, notamment oncologiques[2] . L’obésité se définit par un indice de masse corporelle (IMC), correspondant au rapport poids/taille , supérieur ou égal à 30 kg/m2 . En 2017 en France, 17 % des adultes sont obèses, avec une prévalence qui augmente avec l’âge .
La hausse de diagnostic de cancer rénal peut s’expliquer amplement par l’extension de la réalisation d’imagerie abdominale par tomodensitométrie mais également par la prévalence croissante de l’obésité qui est un facteur de risque établi de cancer du rein : en effet, d’après la méta-analyse de Liu et al., le risque relatif de cancer rénal serait de 1.06 par point d’IMC supplémentaire (kg/m2 ) avec un risque relatif de 1.76 (avec un intervalle de confiance à 95% de 1.61 à 1.91) en cas d’obésité comparé aux sujets normo-pondérés[4] tandis que Calle et al. rapportaient une part attribuable de l’obésité supérieure à 30% pour les cancers du rein en Europe .
Parmi les carcinomes à cellules rénales, il existe différents types histologiques. Ils se distinguent notamment par leurs caractéristiques génétiques et en terme de pronostic[6,7,8]. La majorité des tumeurs malignes du rein sont des carcinomes à cellules claires (80-90%), 10 à 15% sont des carcinomes rénaux tubulo-papillaires (dont il existe deux variants : type I et type II), moins de 5% des carcinomes chromophobes et le reste regroupe plusieurs autres histologies plus rares[9]. Il semblerait l’obésité influence le type histologique des tumeurs rénales avec plusieurs travaux en faveur d’une fréquence plus important du carcinome à cellules claires [10-16] et quelques études rapportant également un taux supérieur de carcinomes chromophobes [14,15] . Cependant la majorité des articles publiés se focalisent sur les trois principaux types histologiques voire uniquement le carcinome rénal à cellules claires.
En outre, le rôle de l’obésité sur le pronostic et la survie du carcinome rénal n’est pas formellement établi avec des résultats contradictoires selon les équipes [16-34] : plusieurs articles ont relevé des taux de survie améliorés pour les sujets obèses, que cela concerne la survie spécifique, globale ou sans progression. Ces résultats sont à l’origine du concept de « paradoxe de l’obésité »[16-30] selon lequel l’obésité serait un facteur protecteur de survie. Cependant, d’autres études ne sont pas arrivées aux mêmes conclusions avec parfois des pronostics plus péjoratifs pour les patients obèses [32-34]. De même, les résultats publiés sur les caractéristiques tumorales des tumeurs rénales en fonction de l’IMC recensaient des résultats hétérogènes en termes de tailles tumorales et de grade nucléaire notamment .
Le réseau UroCCR, créé en 2007, recense l’ensemble des données médicales (cliniques, biologiques, radiologiques, histologiques) de patients diagnostiqués d’une tumeur rénale parmi 30 centres hospitaliers répartis dans toute la France. Il offre donc une base de données représentative de la pratique Française permettant des analyses variées, fiables et à large échelle des données associées au tumeur du rein.
Population de l’étude
Les patients opérés d’une tumeur du rein au sein de l’un des centres du réseau Uro-CCR entre Janvier 2007 et Novembre 2020 et dont les données été disponibles ont été inclus dans l’étude. Les données de patients inclus rétrospectivement et opérés depuis les années 1983 ont également été analysées. Les patients étaient inclus après consentement écrit et anonymisation dans la base de données clinico-biologiques nationale prospective sur le cancer du rein UroCCR (autorisation CNIL DR 2013-206 ; NCT03293563). Ont été exclus les patients non opérés ainsi que ceux pour lesquels les informations morphologiques ou d’histologie manquaient.
Variables étudiées et critères de jugement
Les données clinicopathologique, pré-, per- et postopératoires ont été analysées de manière rétrospective. L’âge, le sexe, les antécédents personnels ainsi que les antécédents familiaux de cancer rénal étaient recueillis en préopératoire ainsi que la modalité́ diagnostique (fortuite, symptomatologie locale ou générale). L’IMC était calculé d’après le poids et la taille déclarés par les patients ou mesurés lors de la consultation d’anesthésie avant l’intervention chirurgicale de leur tumeur rénale. Le statut obèse était associé à un indice de masse corporelle supérieur ou égal à 30 kg/m2 en accord avec la définition de l’OMS pour la population caucasienne. L’état général des patients était évalué par le score de l’American Society of Anesthesiology (ASA)[37] . Les lésions étaient caractérisées d’après leur taille, étaient stadifiées d’après la classification TNM 2017 [38] et groupées par types histologiques, définis d’après la classification 2004 de l’OMS : carcinome rénal (CR) à cellules claires, tumeur papillaire de type 1, tumeur papillaire de type 2, CR chromophobe, oncocytome, angiomyolipome ou autres (cf Annexe 1 pour le détail des autres histologies). Le grade nucléaire ISUP était également précisé, ainsi que l’invasion des marges de résection, une composante sarcomatoïde et son pourcentage le cas échéant. Le suivi était calculé en mois depuis la date d’intervention chirurgicale. Les récidives (locale ou à distance) avec délai d’apparitions ainsi que les décès étaient instruits dans la base de données.
Analyse statistique
L’ensemble des valeurs a été intégré dans un tableur informatique (Microsoft Excel®). Les variables quantitatives ont été décrites en termes de médiane ou de moyenne (écart type, valeurs extrêmes) et les variables qualitatives en termes de valeurs absolues et pourcentage. La survie sans récidive était mesurée par la méthode de Kaplan-Meier. Les analyses statistiques ont été exécutées au moyen du logiciel MedCalc Statistical Software version 18.9 (MedCalc Software bvba, Ostend, Belgium ; http://www.medcalc.org ; 2018). Les groupes d’IMC inférieur et supérieur à 30 (groupes obèse et non obèse) ont été comparés d’après le test de Chi2 avec un seuil de significativité́ statistique fixé à 0,05.
Caractéristiques démographiques
Le recueil UroCCR a permis le recrutement de 7041 patients ; après exclusion des patients non opérés, ceux dont les données de poids, de taille ou d’histologie manquaient, 6749 patients ont été inclus définitivement dans l’étude. 4492 sujets étaient des hommes (66.6%), l’âge moyen était de 61 ans (+/- 13.0, extrêmes de 16 à 96 ans) et l’ASA médian de 2. 74 patients ont été inclus de manière rétrospective, opéré entre 1983 et 2006 (1.1%). Le suivi médian était de 18 mois [6;39] avec des suivis post opératoires allant de 0 à 353 mois. Parmi la population totale, 5062 patients avaient un IMC inférieur à 30 kg/m2 , soit 75.0%, et 1687 étaient obèses ; 20.9% des sujets étaient tabagiques, 46.2% hypertendus, 15.3% diabétiques et 7.7% étaient insuffisants rénaux (dont 20.7% en hémodialyse).
Le groupe de sujets non obèses avait pour âge moyen 61 ans (+/- 13.2, de 20 à 91 ans) et l’ASA médian de 2. Il était composé de 66.8 % hommes, 41.2% des sujets étaient hypertendus, 20.5% tabagiques, 11.4% diabétiques et 7.8 % insuffisants rénaux chroniques (IRC, dont 22.6% hémodialysé). Chez les sujets obèses, l’âge moyen était de 61 ans (+/-12.6, de 16 à 96 ans), l’ASA médian de 2 et 65.9 % étaient des hommes ; 61.2% des sujets obèses étaient hypertendus, 22.1% tabagiques, 27.2% diabétiques et 7.5% présentaient une insuffisance rénale chronique (dont 17.3% nécessitant une hémodialyse). Il existait significativement plus de sujets hypertendus et diabétiques parmi la patientèle obèse (p < 0.001).
Discussion
Nous rapportons à notre connaissance les résultats de la plus large cohorte sur ce sujet. Il existait dans cette étude une association significative entre l’obésité, et le carcinome rénal à cellules claires au sein d’une population Française. Ce résultat tend donc à confirmer ceux récemment rapportés dans la littérature sur des cohortes plus modestes. En effet, sur une population incluant 418 patients, Wang et al. rapportaient une histologie de carcinome rénal à cellules claires plus fréquente pour les sujets obèses avec un Odd Ratio (OR) de 1.81 (Intervalle de Confiance à 95% : 1.01 – 3.25, p = 0.04)[12] ; En Italie, où il ressortait d’une série cas-témoins un OR de 1.84 (IC 95% = 1.09 – 3.11) pour un carcinome à cellule claire en cas d’IMC ³ 30 kg/m2 [13]: Également aux USA par deux études de cohortes comptant chacune 1640 et 1159 sujets opérés : il existait un OR de 1.48 (IC 95% = 1.19 – 1.84) en comparant obèses et non obèses en faveur d’une tumeur rénale à cellules claires pour l’équipe de Lowrance [11] et cette même histologie était significativement plus représentée parmi les obèses pour l’étude de Donat (p = 0.01)[10].; Plus récemment Purdue et al., basé sur deux études cas témoins, recensaient ainsi 2314 cas et 2711 témoins aux états unis et dans 4 pays d’Europe de l’est (République tchèque, Pologne, Roumanie et Russie) et dont l’analyse objectivait une relation significative entre l’obésité et le carcinome à cellules claires avec un OR de 1.2 pour chaque gain de 5 kg/m2 (1.1 – 1.3, p = 0.001)[14] . Enfin en 2018, Callahan et al. ont publié leurs résultats au sein d’une population de 685 cas et 4266 contrôles, qu’ils ont de plus appuyé d’une méta analyse : ils retrouvaient alors un OR de 1.5 (1.1 – 2.1) en cas d’obésité (versus IMC < 25 kg/m2 ) en faveur de tumeur rénale à cellules claires, ainsi qu’un risque relatif sommaire de 1.8 (1.5 – 2.2) en méta-analyse .
Il est à noter dans la présente étude l’affiliation défavorable entre l’obésité et le carcinome chromophobe : ce type histologique était effectivement sous représenté lorsque l’IMC était égal ou supérieur à 30 kg/m2 . Ceci pourrait faire reconsidérer les résultats de précédentes publications qui supposaient plutôt le contraire : notamment pour Purdue et al., l’obésité était significativement associée au carcinome chromophobe avec un OR de 1.2 (1.1 – 1.2) par gain de 5 point d’IMC, toutefois cette relation n’était pas linéairement croissante en fonction des catégories d’IMC (OR de 1.9 pour un IMC compris entre 25 et 30 puis OR de 2.0 pour les catégories d’IMC 30-35 et IMC ³ 35) avec une perte de significativité lorsque l’IMC dépassait 35 kg/m2 [14]. Chez Callahan, les excès de poids tendaient également vers un risque plus élevé de carcinome chromophobe : le seuil de significativité n’était pas atteint pour leur étude castémoins niché mais dans leur méta-analyse, il existait des risques relatifs sommaires significativement supérieurs en comparaison avec les sujets d’IMC < 25 kg/m2 : de 1.9 (1.1 – 3.4) en cas de surpoids (IMC 25 à 29.99) et de 2.2 (1.3 -3.7) en cas d’obésité, ces chiffres étant d’ailleurs plus élevés que pour les carcinomes à cellules claires[15] . Pour autant, dans l’analyse de Wang, l’IMC médian était de 24 kg/m2 pour le groupe de carcinome chromophobe, correspondant à un IMC en surpoids (l’obésité étant définie à partir de 25 au sein de la population asiatique), attestant de la relation moins claire entre l’obésité et ce type histologique .
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Table des matières
INTRODUCTION
MATERIEL ET METHODES
RESULTATS
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE