Les soignants réalisent quotidiennement des actes diagnostiques et thérapeutiques. Certains d’entre eux sont douloureux. L’International Association for the Study of Pain (IASP) définit en 1979 la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire potentielle ou réelle, ou décrite en des termes impliquant une telle lésion » . Une douleur «induite» n’apparaît pas spontanément. Elle est déclenchée par les soins médicaux. Bourreau a défini cette douleur comme une douleur de courte durée, causée par le médecin, une thérapeutique, un soin dans des circonstances de survenue prévisibles, et donc susceptible d’être prévenue par des mesures adaptées [1]. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la douleur induite était considérée comme le prix à payer pour obtenir la guérison (chirurgie, extraction dentaire) [2]. A l’heure actuelle, il devient difficile de traiter les malades sans se préoccuper non seulement de leur confort mais également d’éviter de provoquer des douleurs pour leur bien. La sommation de ces douleurs accumulées soin après soin, rend parfois une hospitalisation très difficile à supporter et laisse des traces pour les hospitalisations à venir. Evaluer, prendre en compte et traiter la douleur en toute circonstance prévenue sont devenus des obligations légales.
ASPECTS THEORIQUES DES DOULEURS INDUITES
RAPPEL SUR DOULEUR EN GENERAL
Définition
En 1964, Merskey a défini la douleur comme une expérience désagréable, liée essentiellement à une lésion tissulaire ou décrite en terme évoquant une telle lésion ou tous les deux» [3]. Cette définition a été modifiée par le sous- comité de taxinomie de l’IASP et publiée en 1979 comme suit : « la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle, ou décrite en terme une telle lésion. » C’est la définition générale de la douleur la plus acceptée dans le monde. Plus récemment, Calvino et Grilo intègrent la dimension affective et émotionnelle à la dimension sensorielle. Leur définition rend compte de l’ensemble des mécanismes générateurs pouvant être à l’ origine physique ou psychologique de la douleur ; telle que : « la douleur est une expérience sensorielle et psychologique s’articulant autour de quatre composantes fondamentales : sensori-discriminative, affective et émotionnelle, cognitive et comportementale » [4]. Tout ceci temoigne que ce symptome est subjectif, complexe et multidimensionnel. L’analyse de la douleur peut être perturbée par un ensemble de facteurs puisqu’il depend de l’etat affectif ou emotionnel, de la motivation du sujet. Ces differents facteurs rendent la quantification de la douleur difficile. La durée d’evolution est une autre variable à prendre en compte dans la comprehension d’une douleur. Par le fait même de sa persistance, une douleur qui est initialement un simple symptôme (douleur-signal d’alarme ou aiguë), peut se modifier et devenir un syndrome à part entière (douleur-maladie ou chronique evoluant depuis plus de 3 ou 6 mois) [5]. Une definition satisfaisante de la douleur devrait donc prendre en compte l’origine, les caractéristiques, les types ainsi que ses composantes.
Bases anatomique et physiologique de la nocicepion
L’apparition de douleur après un dégât tissulaire est assurée par l’existence des éléments spécifiques du système nerveux qui sont chargés de détecter, transmettre, analyser, intégrer et mémoriser les informations générées par un tel dégât. Ce sont les voies nociceptives. Tout dysfonctionnement du système nociceptif est susceptible d’induire une sensation ou une perception douloureuse, parfois en l’absence de tout dégât tissulaire [6]. Le stimulus nociceptif périphérique déclenche une cascade d’évènements physiologiques conduisant à l’intégration des informations codant pour les différents aspects de la douleur. A la naissance de la douleur, des récepteurs ou mieux des terminaisons libres de fibre nerveuse situés dans chacune des structures anatomiques sont stimulés. Les nocicepteurs (mécaniques, polymodaux) sont activés par de nombreux stimuli : inflammation, traumatisme, infection, compression [7]. La cascade d’évènement conduisant à l’intégration des informations douloureuses met en jeu des récepteurs (nocicepteurs périphériques), des voies médullaires ascendantes, des relais dans l’encéphale intégrant ces informations douloureuses (principalement au niveau thalamique) et enfin des sites de projection corticaux.
Mécanismes périphériques impliqués au cours de la nociception
La modulation du message nociceptif débute dès sa genèse à la périphérie. La transduction concerne la transformation d’une énergie (mécanique, thermique, chimique) en signal électrique sous forme de potentiel récepteur qui se propage secondairement [8]. Les messages nociceptifs ou les stimuli nocifs sont générés au niveau des terminaisons libres amyéliniques (fibre C) ou faiblement myélinisés (fibre Aδ) constituant des arborisations plexiformes dans les tissus cutanés, musculaires, viscérales et articulaires [9]. Les fibres Aδ et C, correspondent à la double sensation de douleur : d’abord une douleur rapide, de topographie précise (Aδ) suivie d’une douleur plus diffuse (C). Ces messages sont ensuite véhiculés par ces nocicepteurs périphériques et envoyés vers la moelle épinière. Les fibres myélinisées de gros calibre (fibre Aβ) n’évoquent qu’une sensation non douloureuse (toucher, proprioception).
Les développements récents de la biologie moléculaire ont permis aussi d’identifier et d’étudier un certain nombre des récepteurs biochimiques qui tapissent les membranes des fibres afférentes primaires . On distingue :
• Deux sous populations des fibres C nociceptives :
– Les fibres « peptidergiques » qui synthétisent des peptides comme la substance P et le CGRP (Calcitonin Gene-Related Peptide). Ces fibres expriment le récepteur trKA (tyrosine Kinase A) à haute affinité pour un facteur de croissance nerveuse (NGF) et sont à l’origine de l’inflammation neurogène, contribuant ainsi à la sensibilisation des nocicepteurs.
– Les fibres « non peptidergiques » qui expriment le récepteur à l’ATP P2X3 et qui sont sensibles à un autre facteur de croissance nerveuse, le GDNF (Glial Derived Neurotrophic Factor).
• Le récepteur VR1 ouTrpv1
• Le récepteur à l’acidité appartenant à la famille des récepteurs ASIC (AcidSensing Ionic Channel).
• Les canaux sodiques voltage-dépendant
• Les récepteurs à la bradykinine B1 et B2
• Les récepteurs à l’ATP .
Mécanismes spinaux impliqués au cours de la nociception
La très grande majorité des fibres afférentes primaire atteint le système nerveux centrale par les racines rachidiennes postérieures ou leurs équivalents au niveau des nerfs crâniens. Les messages nociceptifs véhiculés par les fibres afférentes primaires des nerfs sensitifs Aδ et C rejoignent la moelle, dont les terminaisons axonales centrales des fibres se situent dans la substance grise de la corne postérieure, où elles vont établir des synapses avec des neurones de relais de la nociception. Trois classes des neurones ont été identifiées pour recevoir les afférences des fibres sensorielles primaires au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière .
Les neurones nociceptifs spécifiques
Ils sont principalement situés dans les couches superficielles de la corne dorsale (couche I et II) mais aussi en plus faible quantité dans les couches profondes (couches V, VI, VII et X) ; ils ne répondent qu’à des stimulations périphériques de haute intensité, de multiple origine (cutanée, articulaire et viscérale) ; ils reçoivent principalement des afférences des fibres Aδ et C .
Les neurones nociceptifs non spécifiques ou neurones à large gamme réceptive ou neurones polymodaux
Ils sont situés principalement dans les couches profondes (couche V) et en plus faible quantité dans les couches superficielles (couches I et II) . Ils répondent à des stimulations aussi bien de faible que de haute intensité. La fréquence de ses réponses augmente proportionnellement avec l’intensité des stimuli.
Les neurones non nociceptifs spécifiques
Ils ne répondent qu’à des stimulations périphériques de faible intensité et n’interviennent pas dans l’intégration de l’information nociceptive. Les neurones nociceptifs spécifiques et les neurones nociceptifs non spécifiques, encore appelés neurones convergents, sont à l’origine des faisceaux ascendants. Il existe trois types de faisceaux ascendants:
– Faisceau spinothalamique : rassemblant les neurones qui cheminent dans le quadrant antérolatérale de la moelle, du côté controlatérale à leur site d’origine. Les neurones issus de la corne postérieure se projettent sur le thalamus latéral et celles de la corne antérieure se terminent dans les régions médianes du thalamus.
– Faisceau spinoréticulaire : les régions cibles du faisceau spinothalamique sont les noyaux gigantocellulaire et réticulaire latéral. Ils reçoivent des fibres issus de la corne antérieure. La région très caudale dénommé subnucleus reticularis dorsalis reçoit des fibres issus des couches I et V-VII.
– Faisceaux spino-(ponto) mésencéphaliques : Ils projettent essentiellement sur deux structures du tronc cérébral : la substance périaqueducale et l’aire parabrachiale, située dans la région dorsolatérale du pont.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ASPECTS THEORIQUES DES DOULEURS INDUITES
I. RAPPEL SUR DOULEURS EN GENERAL
1. Définition
2. Bases anatomique et physiologique de la nociception
2.1. Mécanismes périphériques impliqués au cours de la nociception
2.2. Mécanismes spinaux impliqués au cours de la nociception
2.2.1. Les neurones nociceptifs spécifiques
2.2.2. Les neurones nociceptifs non spécifiques
2.2.3. Les neurones non nociceptifs spécifiques
2.3. Mécanismes cérébraux impliqués dans la nociception
3. Mécanismes de contrôle de la douleur
3.1. Les contrôles segmentaires spinaux
3.2. Les contrôles descendants
3.3. Le contrôle inhibiteur diffus de la nociception (CIDN)
4. Mécanismes générateurs de douleurs
4.1. Douleurs nociceptives
4.2. Douleurs neuropathiques
4.3. Douleurs SINE MATERIA
4.4. Douleurs mixtes
5. Composantes de l’expérience douloureuse
5.1. La composante sensori-discriminative
5.2. La composante affective et émotionnelle
5.3. La composante cognitive
5.4. La composante comportementale
6. Evaluation de l’intensité de douleur
6.1. Echelles unidimensionnelles (auto-évaluation)
6.1.1. Echelle visuelle analogique (EVA)
6.1.2. Echelle verbale simplifiée (EVS)
6.1.3. Echelle numérique (EN)
6.2. Echelles pluridimensionnelles (auto-évaluation)
6.2.1. Mc Gill questionnary
6.3. Echelles d’hétéro-évaluations
6.3.1 Doloplus
6.3.2. Echelle ECPA
II. RAPPEL SUR LES DOULEURS INDUITES
1. Définition
2. Etiologies des douleurs induites dans un service d’hospitalisation
3. Prise en charge des douleurs induites
3.1. Buts
3.2. Moyens
3.2.1. Moyens non médicamenteux
3.2.1.1. Organisation des soins
3.2.1.2. Information
3.2.1.3. Moyens physiques
3.2.1.4. Méthodes psycho-corporelles
3.2.2. Moyens médicamenteux
3.2.2.1. La prémédication
3.2.2.2. Les antalgiques non morphiniques
3.2.2.3. Les anesthésiques locaux
3.2.2.4. L’inhalation de mélange équimolaire oxygène-protoxyde d’azote
3.2.2.5. Le sédatif
3.3. Indications
3.3.1. Prévention (traitement préventif)
3.3.2. Soulagement de la douleur (traitement symptomatique)
4. Modèle de Législation sur la douleur (Loi Française)
DEUXIEME PARTIE : METHODES ET RESULTATS
I. MATERIELS ET METHODES
1. Cadre de l’étude
2. Type de l’étude
3. Population de l’étude
4. Critères d’inclusion
5. Critère d’exclusion
6. Critères de jugement
7. Paramètres étudiés
8. Mode de collecte des données
9. Analyse des données
10. Limite de l’étude
11. Considération éthique
II. RESULTATS
1. Fréquence générale des douleurs induites
2. Caractères sociodémographiques
2.1. Age
2.2. Genre
2.3. Niveau d’instruction
3. Caractéristiques des soins
3.1. Nombre des soins réalisés par service
3.2. Soins douloureux
3.3. Intensité de la douleur induite par les soins
3.4. Intensité de la douleur induite selon les soins
3.5. Intensité de la douleur induite selon la fréquence des soins
3.6. Personnels réalisant les soins
4. Facteurs influençant sur l’intensité de la douleur
4.1. Temps de survenue de la douleur
4.2. Moyens de prévention et de soulagement de la douleur induite
4.3. Anxiété et naïveté
4.4. Moyens de transport
4.5. Comportements des patients et des soignants
5. Retentissements
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
I. Sur la méthodologie de l’étude
II. Sur le profil épidémiologique de la douleur induite
1. La prévalence
2. La démographie
III. Sur les caractéristiques des soins
1. Nombre des soins réalisés par service
2. Soins douloureux
3. Intensité de la douleur induite par les soins
4. Intensité de la douleur induite selon les soins
5. Intensité de la douleur induite selon la fréquence des soins
6. Personnels réalisant les soins
IV. Sur les facteurs influençant sur l’intensité de la douleur induite
1. Temps de survenue de la douleur
2. Moyens de prévention et du soulagement
3. Anxiété et naïveté
4. Moyens de transport
5. Comportements des patients et des soignants
V. Sur les retentissements
CONCLUSION
ANNEXE