Aspects socioculturels de la gravido-puerpéralité et de ses troubles

Le déroulement d’une grossesse et la naissance d’un enfant s’accompagnent chez toute femme de modifications affectives qui prennent leur origine dans les bouleversements corporels et les remaniements psychologiques inhérents à la puerpéralité. La crise d’identité que constitue la Maternité, et tout spécialement une première maternité, est normalement l’occasion d’une transformation maturante qui aboutit à un épanouissement de la féminité. Mais l’aventure maternelle est loin d’être toujours heureuse, ses avatars psychiatriques en témoignent [34]. Ainsi, pour un nombre non négligeable de femmes, la naissance est malheureusement associée à un premier épisode psychiatrique, à la rechute ou à l’aggravation d’un trouble psychiatrique préexistant [5]. Cette période peut réactiver l’angoisse liée au conflit que peut poser dans l’histoire naturelle et singulière de chaque parturiente, un nouveau lien de filiation. Il peut se déclencher des troubles avec symptômes psychotiques et névrotiques [50]. En Afrique particulièrement au Sénégal la grossesse et les suites de couche constituent un état particulier ou la femme est sujette à une surveillance particulière. Une étude a évalué les troubles psychiatriques de la gravidopuerpéralité à 10% des hospitalisations en milieu psychiatrique au Sénégal [47]. Cette fréquence non négligeable des troubles psychiatriques de la gravidopuerpéralité dans notre milieu a suscité notre intérêt. Avec les mutations socioculturelles de notre société qui exposent la femme à plus de stress par rapport à la maternité on est en droit de se demander si ces nouveaux facteurs influent dans la survenue des troubles.

Historique

Depuis la description princeps d’Hippocrate « à propos d’un cas d’agitation et de confusion chez une femme ayant accouché de jumeaux », l’on parlait déjà de « folies des parturientes » il faut attendre Esquirol en 1938 pour la description clinique de « l’aliénation des nouvelles accouchées et des nourrices ». Marcé [35] fait de la psychose puerpérale une entité en publiant le « Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices ». Il poursuivra cette période descriptive en détaillant la clinique de la folie puerpérale et à partir de là vont naitre et se maintenir toutes sortes de tentatives d’explications quant à la pathogénie des troubles observés. Du temps d’Hippocrate, le fondement organique de ces troubles était recherché dans l’invasion du cerveau par un mélange de lochies et de lait. Puis on a tenté successivement de définir la pathologie par une origine infectieuse, puis toxique et enfin hormonale [33]. Ensuite à partir de 1928, les conceptions freudiennes ont mis l’accent sur la réactivation lors de la maternité des fantasmes œdipiens et prégénitaux propres aux stades infantiles du développement psychosexuel. Ces théories psycho dynamiques envisagent la psychose puerpérale comme le résultat de l’impact de la maternité vécue comme un traumatisme électif sur une personnalité prédisposée .

Aspects socioculturels de la gravido-puerpéralité et formes cliniques des troubles

Aspects socioculturels de la gravido-puerpéralité et de ses troubles 

Il est bien reconnu actuellement que la grossesse et le post-partum correspondent à une période de fragilité et de vulnérabilité psychologiques qui comporte un haut risque psychiatrique. Les travaux dans le champ de la psychiatrie montrent que les situations cliniques de la période périnatale sont spécifiques à cet intervalle de temps allant de la conception aux premiers mois de l’enfant, et ce tant au niveau thérapeutique, curatif que préventif [4]. L’anxiété primaire maternelle, telle que définie par Winnicott [49], est le soubassement de ce qu’il nomme la « préoccupation maternelle primaire ». Cet état transitoire permet à la mère de s’identifier à son enfant grâce à une hypersensibilité et par conséquent de répondre à ses besoins corporels, affectifs, psychiques et sociaux. L’anxiété a effectivement une fonction adaptative car notre organisme se met alors en alerte face à la perception subjective d’une situation délicate, voire d’un danger, et de nombreuses modifications psychophysiologiques préparent le sujet à réagir. On peut donc raisonnablement envisager que la femme primipare nouvellement mère développe une anxiété considérée comme normale. Dans le cas de la femme parturiente, l’on parle d’anxiété spécifique de la grossesse dont l’objet se manifeste par l’expression d’inquiétudes portant, lors du troisième trimestre, sur le déroulement de l’accouchement et sur les compétences de maternage [19]. Par ailleurs, Guéye en [22] a montré combien le fait de porter un enfant, d’accoucher, de devenir mère constituait dans la vie d’une femme un événement d’une importance capitale. Certes, il s’agit là d’une expérience humaine intime et personnelle que chaque femme va vivre différemment en fonction des facteurs que sont sa propre personnalité, son histoire individuelle, son environnement, la place de son conjoint, etc. Avoir un enfant, voire plusieurs en raison de la forte mortalité infantile dans nos régions, permet aussi à la femme d’accéder au statut de mère qui renforcera son intégration dans la lignée dont elle assure la descendance et, par là, la survie. Ce bien précieux qu’est l’enfant constitue aussi un futur soutien économique et social pour les parents.

Cependant, cette expérience est soumise dans le même temps à la sanction de la collectivité et de la société toute entière, en ce sens que cette fonction fondamentale de procréation participe à la perpétuation de l’espèce et joue un rôle fondamental dans l’homéostasie de la famille posant la question de la filiation biologique instituée par la famille ou la filiation narcissique souvent en jeu dans nombre de situations pathologiques [25]. Il est socialement et culturellement admis dans nos milieux traditionnels que le bon déroulement de la grossesse, le devenir et la réussite sociale de l’enfant sont étroitement corrélés au comportement actuel et antérieur de la mère, à sa conduite sociale en termes de soumission et d’obéissance à son mari. Ce que résume l’aphorisme Wolof liggeyu ndey anub dom [litt : « le travail de la mère constitue le repas de son enfant » [13]. Ainsi, cet événement est marqué du sceau des représentations collectives que chaque groupe social se fait de la grossesse en fonction de ses conceptions culturelles. Les schémas et mécanismes biologiques et physiologiques de la fécondation sont bien décrits, mais persistent toujours des dimensions mythiques, voire mystiques, qui ne trouvent pas toujours de réponses dans ces schémas d’où surgissent des préoccupations, interrogations qui ne rencontrent pas toujours d’échos rassurants [24].

Être parent est une construction psychologique. Elle prend son appui sur notre propre enfance et les relations que nous avons pues établir avec nos parents, dans toutes leurs réalisations mais aussi avec toutes leurs défaillances. Non seulement les relations que nous avons en mémoire mais toutes celles fondamentales qui y échappent parce qu’elles sont recouvertes par l’amnésie infantile ou qu’elles se soustrayaient déjà à l’appréhension limitée de notre conscience d’enfant, ou bien encore parce qu’elles sont ordinairement refoulées ou même clivées et déniées car leur valeur traumatique les rend insupportables. Cette construction psychologique repose sur les soins reçus, l’amour donné, la protection obtenue et l’autorité assurée. Nous construisons ainsi une représentation d’être parent qui sera consciemment et inconsciemment en œuvre avec nos propres enfants. Elle trouvera son plein développement avec la réalisation de la grossesse et la naissance [11]. Senghor 1er Président de la République du Sénégal et poète souligne que les choses essentielles en Afrique sont les forces du cosmos. Par la grossesse, la femme perd ses limites individuelles et s’ouvre au cosmos : au vent, aux ancêtres, aux Dieux, et à bien d’autres choses possibles, bénéfiques ou maléfiques, dont la semence fécondante est peut être le signe [21]. Guéye [23] et Ouedraogo [39] rajoutent que le danger est partout et peut prendre des formes variées : il peut se manifester sous la forme de sorciers anthropophages, car comme l’explique un thérapeute peulh, « pour le soukougne (sorcier) le « Contenu de l’utérus gravide a aussi bon gout qu’un jeune veau bien gras ». Mais ceux-là ne sont pas les seuls à jeter un regard concupiscent ou envieux sur la femme enceinte : le danger peut venir des coépouses ou d’autres personnes jalouses qui peuvent engager quelques maléfices à l’endroit du couple mère- enfant. Les esprits ancestraux peuvent désirer garder avec eux l’enfant encore innominé. Ce dernier peut même souhaiter retourner dans son paradis préhistorique; en effet, n’est il pas doué d’une intelligence et d’une force psychologique propre ? Il importe donc de ne pas attirer les esprits ou les humains malveillants ; pour cela la grossesse sera enveloppée du maximum de secret ; on évitera toute allusion publique à cet état. Il convient également de  fixer l’enfant dans son nouvel univers en enterrant soigneusement son double, le placenta, en un endroit précis de la demeure.

La maternalité est alors conçue comme une phase du développement psychoaffectif de la femme, la psychose puerpérale comme la manifestation pathologique[34]. Mandersheid [1] qui a étudié « le méret ou la folie des parturientes » au Sénégal nous rappelle que « la psychose puerpérale devient alors le lieu où la femme peut exprimer sans réserve tout ce qui est habituellement refoulé, sans être rejetée par le groupe socio familial. D’une certaine manière, la société qui impose le silence au désir de la femme, lui ménage, par le méret une sorte de « soupape ». L’accès délirant est le prix à payer de la parole ».

Selon Ouango[38] qui a étudié « les psychoses puerpérales à Ouagadougou : aspects épidémiologiques et cliniques et considérations étiopathogéniques » les troubles sont parfois interprétés comme la punition provenant des génies ou des ancêtres en raison de la transgression de certaines règles prescrites à la femme enceinte. Le polymorphisme ethnique entraine une diversité des interprétations que l’on se fait de ces manifestations ainsi que des règles de conduite et comportements à adopter durant la grossesse. La non observance de ces pratiques culturelles durant cette période favoriserait l’émergence d’une anxiété permanente chez la femme en âge de procréer. Et Guéna et al [21] dans leur article « aspects psychopathologiques de la grossesse au Sénégal » de dire que « toute l’histoire de la femme africaine s’articule autour de l’événement que représente la maternité ». On comprend ainsi aisément l’importance des facteurs psychosociaux dans la survenue des troubles psychiques de la puerpéralité. Pour certains auteurs [2], les facteurs introduits par le modernisme ne sont pas étrangers à la survenue des nombreux cas de troubles psychiques puerpéraux observés dans les pays africains. Guéye [22] démontra qu’au Sénégal le lieu d’accouchement (hôpital, domicile ou centre de santé) ne semble pas être un facteur influent dans sa thèse sur «les psychoses puerpérales au Sénégal à propos de 92 cas » Les facteurs organiques, infectieux ou toxiques ont été souvent incriminés mais Guéna et al [21] ont souligné leur rareté dans les observations cliniques au Sénégal. Ainsi au Sénégal, une explication est donnée aux troubles psychiques apparaissant au décours de l’accouchement, il s’agit de la notion de « méret » terme wolof qui désigne la remontée du sang des couches vers la tête. Selon Ouedraogo [39] en 1987 dans son étude «approche étiopathogéniques des psychoses puerpérales au Sénégal » pour se prémunir des psychoses puerpérales un certain nombre de conduites et comportements sont prescrits à la femme enceinte : évitement de certains aliments notamment la viande saignante, les émotions fortes, prescription d’exercices physiques sous forme de marche, de  travaux ménagers tels que piler le mil, puiser de l’eau, etc. A l’accouchement les nombreux massages prescrits à la femme et dont on dit qu’ils sont destinés à « refermer le corps ouvert durant cette épreuve » auraient aussi un effet préventif sur cette pathologie, et le port de foulard très serré sur la tête pour éviter la montée du sang. D’ailleurs, il est très recommandé à l’accouchée récente de retourner auprès de sa mère qui prendra en charge ses massages et ceux du bébé.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. Historique
II.Epidémiologie
III.Aspects socioculturels de la gravido-puerpéralité et formes cliniques des troubles
III. 1. Aspects socioculturels de la gravido-puerpéralité et de ses troubles
III. 2.Formes cliniques des troubles de la gravido-puerpéralité
III.2.1 La grossesse
III.2.2 Le post-partum
III.2.2.1 Le post-partum blues ou baby blues
III.2.2.2 Les pathologies puerpérales du post-partum
III.2.2.2.1 Les psychoses puerpérales (ou du post-partum)
III.2.2.2.2 Les états psychotiques aigus confuso-délirants
III.2.2.2.3 Les épisodes thymiques majeurs
III.2.2.2.4 Les états dépressifs du post-partum
III.2.2.2.5 Cas particuliers des dépressions post-abortum (après IVG), après mort in utero et/ou interruption médicale de grossesse (IMG)
III.2.3 Les états schizophréniques et la maternité
III. 3. Aspects thérapeutiques
III.3.1 Les Neuroleptiques
III.3.1.1 Période embryonnaire organogénèse
III.3.1.2 Période fœtale et néonatale
III.3.1.3Allaitement
III.3.2 Antidépresseurs
III.3.2.1Période embryonnaire organogenèse
III.3.2.2 Fœtus et nouveau-né
III.3.2.3 Allaitement
III.3.3 Thymorégulateurs
III.3.3.3.1 Lithium
III.3.3.1.1Période embryonnaire organogenèse
III.3.3.1.2 Fœtus et nouveau-né
III.3.3.1.3 Allaitement
III.3.3.3.2 Carbamazépine
III.3.3.2.1 Période embryonnaire organogenèse
III.3.3.2.2Fœtus et nouveau-né
III.3.3.2.3 Allaitement
III.3.3.3.3 Valpromide – Valproate
III.3.3.3.1Embryon, fœtus et nouveau-né
III.3.3.3.2Allaitement
III.3.3.3.4 Benzodiazépines (BZP)
III.3.3.3.4.1 Période embryonnaire–organogenèse
III.3.3.3.4.2 Fœtus et nouveau-né
III.3.3.3.4.3Allaitement
III.3.4 L’électro convulsivothérapie (ECT)
III.3.5 Psychothérapies
IV. Facteurs Etiologiques
IV. 1.L’événement maternité
IV. 2. Vulnérabilité personnelle
IV.2.1 Diathèse maniacodépressive
IV.2.2 Autres terrains à risque
IV. 3.Les facteurs de risque des troubles psychiques de la grossesse et du postpartum
IV. 4. Les facteurs biologiques
IV. 5. L’infanticide et le néonaticide
IV. 6. Décompensations organiques
CONCLUSION

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