Le syndrome des anti-phospholipides (SAPL) est aujourdโhui reconnu comme lโune des plus frรฉquentes causes de thrombophilie acquise. Dรฉfini initialement par Harris en 1987 comme lโassociation de manifestations cliniques thrombotiques veineuses ou artรฉrielles ou dโavortements rรฉpรฉtรฉs, avec la prรฉsence durable dโanticorps anti phospholipides ; il regroupe un ensemble de manifestations cliniques et biologiques secondaires ou associรฉes ร la prรฉsence dโanticorps anti-phospholipides et/ou de leurs cofacteurs. Actuellement il est dรฉfini par lโassociation dโun รฉvรจnement clinique thrombotique ou obstรฉtrical avec la prรฉsence durable dโanticorps antiphospholipides :
– antiprothrombinase = Lupus Anticoagulant (LA) ;
– anticorps anti-cardiolipine ;
– anticorps anti-ฮฒ2glycoprotรฉine I.
Il peut รชtre isolรฉ, le SAPL est alors dรฉfini comme รฉtant primaire ou bien il est associรฉ ร un Lupus รrythรฉmateux Systรฉmique (LES) ou ร une autre maladie auto-immune, dans ce cas il est secondaire. Les manifestations cliniques sont dominรฉes par les thromboses rรฉcurrentes artรฉrio-veineuses et les manifestations obstรฉtricales. La prรฉvalence du SAPL dans la population gรฉnรฉrale est faible. Pour le SAPL primaire, la prรฉvalence est similaire au LES : 25 pour 100000 personnes. Pour le SAPL secondaire, la prรฉvalence en 2009 รฉtait de 18-27% en Amรฉrique du Nord;16-39% en Amรฉrique du sud ;14-31% en Europe ; 13-44% en Asie et 13- 17% en Afrique [13]. A Dakar, en 2006 , au service dโHรฉmatologie du CHU A Le Dantec , en 14 mois, 37 cas de SAPL ont รฉtรฉ colligรฉs dont 20 รฉtaient associรฉs ร une atteinte cardiaque. La derniรจre รฉtude faite au service de Dermatologie du CHU A Le Dantec en 2007 avait retrouvรฉ en 2ans 11 cas dont 7 รฉtaient associรฉs ร un LES [58].
La physiopathologie, ainsi que le diagnostic et les modalitรฉs thรฉrapeutiques de ce syndrome ont connu des avancรฉes considรฉrables ces 10 derniรจres annรฉes. Plusieurs mรฉcanismes pathogรฉniques ont รฉtรฉ proposรฉs pour expliquer lโeffet prothrombotique de ces complexes anticorps/antigรจnes. Cependant lโhรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ de ces auto-anticorps rend difficile lโidentification des phรฉnomรจnes molรฉculaires impliquรฉs. Sur le plan clinique les critรจres diagnostique du SAPL font lโobjet dโune actualisation rรฉguliรจre ; la mise en รฉvidence dโun SAPL doit รชtre faite en prenant en compte les derniรจres รฉvolutions dans le diagnostic. Beaucoup de questions tournent autour de lโexploration et le traitement des situations cliniques auxquelles expose ce syndrome. La prise en charge des manifestations clinico-biologiques du SAPL a รฉtรฉ partiellement codifiรฉ et repose essentiellement sur les anticoagulants au long cours.
ASPECTS PHYSIOPATHOLOGIQUES DU SYNDROME DES ANTI-PHOSPHOLIPIDESย
Historique
En 1900, l’immunologiste belge Jules Bordet et Octave Gengou ont dรฉveloppรฉ un nouveau test sรฉrologique, la rรฉaction de fixation du complรฉment, dont lโapplication la plus connue et la plus utile interviendra en 1906 par le bactรฉriologiste allemand August Wassermann qui a appliquรฉ cette rรฉaction au sรฉrodiagnostic de la syphilis (rรฉaction de Bordet et Wassermann BW) en utilisant comme antigรจne un extrait dโorganes de patients syphilitiques riches en trรฉponรจme. Cet antigรจne sera remplacรฉ ultรฉrieurement par un extrait de tissus dโanimaux sains (extrait alcoolique de cลur de bลufs). Quelques annรฉes aprรจs, la rรฉaction de fixation du complรฉment sera remplacรฉ par le VDRL : Veneral Desease Reserch Laboratory qui a รฉtรฉ utilisรฉ pour un dรฉpistage de masse de la syphilis ร partir de1938 [40]. 34ans plus tard, Mary Pangborn a montrรฉ que le principal constituant de lโextrait antigรฉnique utilisรฉ est un phospholipide baptisรฉ ยซ cardiolipine ยป. En 1952 sโintroduit le terme de sรฉrologie syphilitique faussement positive par Moore et Mohr devant un VDRL positif sans manifestation cliniques de la syphilis [40] ; cette fausse sรฉrologie sโobserve surtout au cours de certaines maladies infectieuse et auto-immune notamment le lupus รฉrythรฉmateux dรฉssiminรฉ LED et devient mรชme un des critรจres de diagnostic du LED รฉtablis par la sociรฉtรฉ amรฉricaine de rhumatologie. Dans la mรชme annรฉe , Conely et Hartmann dรฉcrivent lโexistence chez les malades lupiques dโune activitรฉ plasmatique anticoagulante in vitro quโils dรฉnommentยซ anticoagulant circulant ยป.
En 1963, Bowie dรฉcouvrait que lโanticoagulant circulant รฉtait associรฉ ร la survenue de thromboses veineuses ou artรฉrielles [105, 102]. En 1972, Feinstein et Rapaport ont employรฉ pour la premiรจre fois le terme de ยซ anticoagulant lupique ยป. [44] ร partir de 1975 et surtout avec la description de trois cas en 1980 par Soulier et Boffa, on a su que les pertes fลtales ร rรฉpรฉtition pouvaient รฉgalement รชtre associรฉes ร lโanticoagulant lupique [14]. En 1983, Harris a dรฉveloppรฉ des mรฉthodes plus sensibles de dรฉtection des aPLs, il a mis au point une technique radio immunologique utilisant le cardiolipine immobilisรฉ sur microplaque ; cette mรชme รฉquipe a dรฉcrit en 1985 un test immuno enzymatique : ELISA anti-cardiolipine.
Ce nโest quโen 1985 que Graham Hughes รฉvoque pour la premiรจre fois lโexistence du syndrome des anticorps anti-cardiolipines [101] associant la prรฉsence d’anticorps anti-cardiolipines, de thromboses veineuses ou artรฉrielles et dโavortement spontanรฉs ou pertes fลtales et de thrombopรฉnie pรฉriphรฉrique. En 1987, Harris a montrรฉ que le sรฉrum de ces patients rรฉagit รฉgalement avec dโautres types de phospholipides et il a introduit ainsi le nom de ยซsyndrome des anticorps anti-phospholipidesยป puis en 1988 Asherson et ses collaborateurs dรฉcrivent des manifestations cliniques et biologiques semblables chez des patients ne prรฉsentant pas de LED ; ce syndrome sera dรฉfini comme SAPL primaire [40]. En 1989, trois sรฉries cliniques ont รฉtรฉ publiรฉes et ont รฉtabli formellement la notion du syndrome primaire des anticorps anti-phospholipides [59]. Au dรฉbut des annรฉes 1990, des chercheurs ont dรฉcouvert que les anticorps anti-cardiolipines requiรจrent la prรฉsence dโun cofacteur protรฉique, la bรชta 2 glycoprotรฉine I qui se lie ร la cardiolipine . En 1999 sโest organisรฉ le consensus international qui a dรฉfini les critรจres dรฉfinitifs du diagnostic du SAPL : SAPPORO 1999. Ces mรชmes critรจres ont รฉtรฉs actualisรฉs en 2004 puis en 2006 ร sydney.
Dรฉfinitions
Les anticorps anti-phospholipides (aPLs)
Le terme ยซ anticorps anti-phospholipides ยป (aPLs) regroupe une famille hรฉtรฉrogรจne dโanticorps dirigรฉs contre des antigรจnes trรจs divers tels que des phospholipides anioniques ou neutres, mais aussi des complexes protรฉinephospholipide, voire mรชme des protรฉines seules. Certains dโentre eux sont dits ยซ aPLs conventionnels ยป et reconnus comme critรจres biologiques du syndrome des anti-phospholipides (SAPL): les anticorps anti-cardiolipine et anti-bรชta2-glycoprotรฉine I et le lupus anticoagulant. La prรฉsence persistante dโun de ces anticorps suffit ร รฉtablir le diagnostic de SAPL, mais aucun nโest spรฉcifique et la sensibilitรฉ vis-ร -vis des anomalies cliniques est variable selon lโanticorps ou pour un mรชme anticorps selon la cible antigรฉnique reconnue. Ainsi, le caractรจre hรฉtรฉrogรจne, tant clinique que biologique, du SAPL rend le diagnostic difficile. Dโautres aPLs ont รฉtรฉ dรฉcrits chez des patients prรฉsentant des anomalies cliniques รฉvocatrices dโun SAPL. Parmi eux, les anticorps anti-phosphatidylรฉthanolamine et anti-prothrombine mรฉritent une attention particuliรจre .
Les aPLs admis comme critรจres du SAPL sont รฉgalement appelรฉs ยซ aPLs conventionnels ยป par opposition ร dโautres anticorps non reconnus comme critรจres du SAPL mais pour lesquels certaines รฉtudes ont montrรฉ une association avec les anomalies cliniques de ce syndrome. Nous aborderons dans cette revue lโรฉtude de deux groupes dโanticorps en soulignant leur hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ : dโune part, celle des anticorps conventionnels ; dโautre part, celle de deux anticorps non conventionnels pour lesquels la relation entre leur prรฉsence et la clinique du SAPL est clairement dรฉmontrรฉe, ร savoir les anticorps anti-prothrombine et les anticorps anti-phosphatidylรฉthanolamine.
Les anti-phospholipides conventionnelsย
On considรจre deux groupes dโaPLs selon le type de mรฉthode utilisรฉe pour les mettre en รฉvidence :
โค les aPLs mis en รฉvidence par des rรฉactions immuno-enzymatiques, essentiellement lโElisa : cโest le cas des aCL et des anticorps anti-bรชta2- glycoprotรฉine I (aฮฒ2GPI) ;
โค les aPLs mis en รฉvidence par des tests fonctionnels de la coagulation : cโest le cas du LA.
Les anticorps anti-cardiolipine
La cardiolipine (le terme franรงais est ยซ cardiolipide ยป) est un constituant de la membrane interne des mitochondries oรน elle aurait pour rรดle de rendre cette derniรจre impermรฉable aux ions. Cependant, sa prรฉsence a รฉtรฉ rapportรฉe dans le plasma humain normal, sous forme complexรฉe aux lipoprotรฉines plasmatiques, principalement LDL. Elle est absente sur la membrane des plaquettes et des cellules endothรฉliales, contrairement ร la phosphatidylsรฉrine les aCL sont polyspรฉcifiques : ils sont capables de reconnaรฎtre la plupart des phospholipides anioniques avec une intensitรฉ variable. Cependant, leur rรฉactivitรฉ vis-ร -vis de la phosphatidylsรฉrine et de la cardiolipine est quasi identique .
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
CHAPITRE I : ASPECTS PHYSIOPATHOLOGIQUES DU SYNDROME DES ANTI-PHOSPHOLIPIDES
I. Historique
II. Dรฉfinitions
II.1. Les anticorps anti-phospholipides (aPLs)
II.1.1. Les anti-phospholipides conventionnels
a. Les anticorps anti-cardiolipine
b. Les anticorps anti-ฮฒ2GPI
c. Le lupus anticoagulant
II.1.2 Les anti-phospholipides non-conventionnels
a. Les anticorps anti-prothrombine
b. Les anticorps anti-phosphatidylรฉthanolamine
II.2. Dรฉfinition du syndrome des anti-phospholipides (SAPL)
III. Physiopathologie du syndrome des anti-phospholipides
III.1. Les antigรจnes reconnus par les auto-anticorpsantiphospholipides
III.2. Lโhรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ des mรฉcanismes pathogรจnes deantiphospholipides
IV. Epidรฉmiologie
IV.1. Anticorps anti-phospholipides
IV.2. Syndrome des anti-phospholipides
CHAPITRE II : ATTEINTES VASCULAIRES AU COURS DU SAPL
I. Retentissements au niveau cardiaque
II. Retentissements au niveau cerebral
III. Retentissements dermatologiques
IV. Retentissements au niveau rรฉnal
V.Retentissements au niveau endocrinien
VI. Retentissements hรฉpatiques et digestives
VII. Autres retntissements
VIII. Syndrome des antiphospholipides catastrophique CAPS
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE I : DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE DU SYNDROME DES ANTIPHOSPHOLIPIDES
I. Critรจres diagnostic du SAPL
II.Tests de dรฉtection des anticorps anti-phospholipides
II.1. Anticoagulant circulant de type lupique ou anti-prothrombinase
II.1.1. รtape de dรฉpistage : prolongation dโun test de dรฉpistage de coagulation phospholipide dรฉpendant
a) Temps de cรฉphaline avec activateur (TCA)
b) Temps de venin de vipรจre Russell diluรฉe (dRVVT)
II.1.2. Mise en รฉvidence de lโeffet inhibiteur
II.1.3. Confirmation de la nature anti-phospholipidique de lโinhibiteur dรฉtectรฉ
II.2. Anticorps anti-cardiolipine
II.3. Anticorps anti-ฮฒ2GPI
II.4. Les anticorps anti-phosphatidylรฉthanolamine
II.5. Les anticorps anti-prothrombine
II.6. Autres
III. รvolution de la stratรฉgie diagnostique des APL
III.1. Les anticoagulants circulants
III.2. Les tests ELISA de ยซ dosage ยป des anticorps anti-PL
CHAPITRE II:PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE DU SYNDROME DES ANTI-PHOSPHOLIPIDES
I. Risque thrombotique et SAPL
II. Prรฉvention primaire
II.1.Sujets ayant des aPL, asymptomatiques au plan vasculaire
II.2. Patients lupiques ayant des aPL
III. Prรฉvention secondaire au cours du SAPL
IV. Risque de saignement
V. Durรฉe du traitement
VI. SAPL catastrophique (CAPS)
VII. Perspectives
Conclusion