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CONCEPTIONS DE LA MALADIE MENTALE ET EVOLUTION DES PRATIQUES EN AFRIQUE : LโEXEMPLE DU SENEGAL
Conceptions traditionnelles de la maladie mentale
Toute culture est confrontรฉe ร la rรฉalitรฉ angoissante et ร la violence de la folie. Cependant, en Afrique, la maladie mentale ne posait presque pas de problรจme du moins dans les sociรฉtรฉs traditionnelles oรน elle รฉtait socialisรฉe. Collomb affirme ร ce propos quโen Afrique le malade mental ne souffre pas de rejet : ยซ Le fou nโest pas aliรฉnรฉ ; il fait partie du groupe qui non seulement le tolรจre, mais parfois le vรฉnรจre parce que porteur de transcendance ยป [13].
Lโaliรฉnรฉ รฉtait plus ou moins bien intรฉgrรฉ dans son groupe familial et dans la communautรฉ. Il nโรฉtait pas rรฉduit au simple statut de malade et pouvait mรชme parfois jouir dโun statut privilรฉgiรฉ de par les pouvoirs souvent considรฉrables quโon lui confรฉrait notamment sa capacitรฉ ร communier avec les forces supรฉrieures de lโunivers et ainsi dโรชtre lโintermรฉdiaire entre le monde des vivants et le monde invisible [14].
Dans cet espace traditionnel africain, sรฉnรฉgalais en particulier, la maladie mentale se concevait ร travers plusieurs thรฉories explicatives ou รฉtiologiques.
Dโune faรงon gรฉnรฉrale la maladie mentale est le signe dโune agression extรฉrieure qui dรฉdouane lโindividu malade par un modรจle projectif, ou au besoin lui permet de supporter les privations qui ร travers lui, sanctionnent lโรชtre malรฉfique qui commande son comportement anormal [14].
Il sโagit alors dโune attaque extรฉrieure dirigรฉe contre lโindividu malade ou son groupe ethnique. Cette agression est symbolisรฉe par deux systรจmes de reprรฉsentation de lโordre du mystico-magico-religieux :
– les agressions orchestrรฉes par un individu physiquement identifiable :
elles sont reprรฉsentรฉes par la sorcellerie anthropophagie et le ยซ maraboutage ยป. Dans ces cas lโagression se fait de faรงon ยซ directe ยป par un ou des individus vivants (sorcier, marabout);
– les agressions liรฉes ร des ยซ esprits ยป : elles font rรฉfรฉrence aux religions traditionnelles africaines ; Cโest le cas du rab ou dans le cadre de la religion islamique des jinne et seytaane.
Le rab peut รชtre conรงu comme un double de lโhomme ; il est ร la fois menace et protection pour lโindividu quโil ยซ possรจde ยป.
Quant aux jinne et seytaane ils peuvent รชtre transitoirement mauvais (jinne) ou radicalement nรฉfastes (seytaane). Comme les rab ils peuvent provoquer des troubles psychiatriques aigus connus sous le terme de jommi : 11
cโest un รฉtat de sidรฉration et de stupeur associรฉ ร des troubles psycho-comportementaux qui traduit la rencontre malheureuse entre un individu et ces esprits malรฉfiques.
Moyens traditionnels de prise en charge
Ils dรฉcoulent logiquement des conceptions et systรจmes de reprรฉsentation de la maladie mentale. Ainsi dans les agressions vรฉhiculรฉes par des individus physiquement identifiables (sorciers anthropophages, marabouts) la prise en charge fait appel aux mรชmes types de pratiques.
Les moyens thรฉrapeutiques sont trรจs divers : priรจres et incantations, usage dโobjets de protection (amulettes), substances et produits divers (eau bรฉnie, poudres, dรฉcoctions, feuilles ou racines) ร usage interne (breuvage, inhalation sous forme dโencens) ou ร usage externe (bains, frictions). Dans le cadre des agressions par les ยซ esprits ยป, la prise en charge est ritualisรฉe ร travers une cรฉrรฉmonie (tuur, ndรถpe).
Lโรฉchec de ces tentatives de prise en charge aboutit le plus souvent ร une impasse thรฉrapeutique qui condamne le malade ร la vie dโerrance oรน ร finir ses jours enfermรฉ sous contention dans une arriรจre cour [58].
Comme le souligne Collomb [12] la contention est frรฉquente dans certains villages traditionnels africains oรน elle apparait comme un moyen de ยซ fixer ยป le malade dans le groupe permettant de le soustraire ร la force des esprits qui lโobligent ร fuir dans la brousse.
Cโest ainsi que des enfermements รฉtaient pratiquรฉs dans certains royaumes africains prรฉcoloniaux (royaume Mandara, Emirat peul de lโAdamaoua dans lโactuel Cameroun).
Cependant ces situations deviennent de plus en plus rares depuis lโapparition dโun autre systรจme de prise en charge dit moderne.
Ainsi le malade mental est reรงu ร lโinstitution psychiatrique avant, pendant ou aprรจs son itinรฉraire thรฉrapeutique traditionnel.
ASPECTS MEDICOLEGAUX
Historiquement, cโest la dangerositรฉ prรฉsumรฉe ou avรฉrรฉe des malades mentaux qui a justifiรฉ leur exclusion.
En fait violence et folie ont de tout temps tissรฉ des liens รฉtroits et les mรฉdias ont largement participรฉ ร forger cette image du ยซ fou dangereux ยป de sorte que dans lโopinion publique, maladie mentale est presque synonyme de violence et de dangerositรฉ [17]. Au Sรฉnรฉgal des drames perpรฉtrรฉs par des malades mentaux ne sont pas rares et sont parfois relatรฉs dans la presse.
Cette dangerositรฉ des malades mentaux est sous-tendue par les actes mรฉdico-lรฉgaux quโils peuvent commettre.
DEFINITIONS ET CONCEPTS :
– acte :
1. opรฉration ayant pour objet de produire un effet de droit (Petit Larousse en couleurs, 1980) ;
2. Toute action humaine adaptรฉe ร une fin, de caractรจre volontaire ou involontaire, et considรฉrรฉe comme un fait objectif. (Le petit Larousse, Grand format 1995).
– mรฉdico-lรฉgal :
1. relatif ร la mรฉdecine lรฉgale.
2. qui a pour objet de faciliter la dรฉcouverte de la vรฉritรฉ par un tribunal civil ou pรฉnal (expertise mรฉdico-lรฉgale), ou de prรฉparer certaines dispositions lรฉgales, rรฉglementaires ou administratives (certificat mรฉdico-lรฉgal).
– passage ร lโacte : en psychologie on parle de passage ร lโacte au sens de rรฉalisation dโun acte impulsif, violent, agressif, sans rรฉfรฉrence ร une quelconque verbalisation (Petit Larousse en couleurs, 1980) ;
– dangerositรฉ : cโest un รฉtat caractรฉrisant une personne qui menace ou compromet la sรปretรฉ, lโexistence dโune personne ou dโune chose (Dictionnaire de psychiatrie et de psychopathologie clinique, Larousse ,1993) ;
– รฉtat dangereux : Grispini dรฉfinissait en 1920 lโรฉtat dangereux comme un ยซ รฉtat crรฉant pour le sujet la possibilitรฉ de devenir lโauteur dโun mรฉfait ยป [21] ;
Pour Benezech, lโรฉtat dangereux est un ยซ รฉtat, situation ou action dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir ร autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage ou de destruction ยป [21];
On peut distinguer lโรฉtat dangereux permanent (liรฉ ร un trait de personnalitรฉ comme dans la psychopathie) et lโรฉtat dangereux imminent (en rapport avec une situation que lโindividu juge dangereuse et par rapport ร laquelle il rรฉagit).
ASPECTS PSYCHOPATHOLOGIQUES
Selon Benezech il existerait deux courants pulsionnels originel et naturel qui correspondent au courant pulsionnel sexuel et au courant pulsionnel violent.
La distinction entre violence et agressivitรฉ a รฉtรฉ รฉtablie grรขce aux travaux de Bergeret. Pour lui, lโagressivitรฉ serait le rรฉsultat de la transformation de la violence ร partir du courant libidinal: ยซ la violence รฉrotisรฉe devient agressivitรฉ ยป. Lโagressivitรฉ serait intentionnelle et elle vise une satisfaction: le plaisir reprรฉsentรฉ par le dommage que lโagresseur fait subir ร lโobjet. Cet objet est reliรฉ รฉtroitement ร lโhistoire affective notamment ลdipienne du sujet.
Lโagressivitรฉ reprรฉsenterait une perversion de la violence alors que la violence naturelle instinctuelle et fondamentale doit รชtre considรฉrรฉe pour Bergeret comme un instinct dโauto conservation.
Son seul but รฉtant de se protรฉger contre un objet vรฉcu comme menaรงant sur le plan imaginaire ou rรฉel et non pas de lโattaquer pour lโendommager et en tirer une jouissance [21].
Lโobjet nโest pas reliรฉ ร lโhistoire du sujet et ses caractรฉristiques ne comptent pas. Il est menaรงant pour lโintรฉgritรฉ du sujet et, ร ce titre, doit รชtre รฉliminรฉ.
Selon Collomb [12] lโagressivitรฉ est une caractรฉristique anthropologique fondamentale. Elle est la base de la conservation de lโindividu et de lโespรจce.
Pour les physiologistes (Maclean, 1970 ; Laborit, 1971) lโagressivitรฉ serait la consรฉquence dโune soumission au cerveau limbique qui dรฉtermine le comportement paranoรฏde de lโhomme, sa peur de lโinconnu et du futur.
Pour les tenants de lโapproche รฉthologique lโagressivitรฉ serait le rรฉsultat dโun dรฉcalage entre : dโune part le trop rapide dรฉveloppement des sociรฉtรฉs humaines, dโautre part la trop lente mise en place de mรฉcanismes dโinhibition sociale, freinateurs de lโagression.
Sur le plan psychologique lโagressivitรฉ serait fondรฉe sur lโimpuissance radicale de lโhomme ร sa naissance, sa position dโรฉtroite dรฉpendance et les conflits ultรฉrieurs qui organisent sa sรฉparation, sa solitude et son identitรฉ alors que sur le plan socio-รฉconomique lโagressivitรฉ est considรฉrรฉe comme le rรฉsultat du conflit toujours plus aigu qui oppose lโindividu et une sociรฉtรฉ de plus en plus aliรฉnante et isolante [12].
ASPECTS CLINIQUES
Mรชme si lโagressivitรฉ et la violence ne sont pas spรฉcifiques ร la maladie mentale, nous pouvons dire quโelles constituent des phรฉnomรจnes frรฉquents dans la pratique quotidienne en psychiatrie. En effet, certaines pathologies, du fait de la dรฉstructuration de la conscience du malade quโelles provoquent, modifient le rapport de celui-ci ร son environnement pouvant aboutir parfois ร des rรฉactions violentes et dangereuses ou ร des actes mรฉdicolรฉgaux [23].
Actes mรฉdicolรฉgaux dans les troubles psychiatriques aigus
La bouffรฉe dรฉlirante polymorphe (BDP)
Les troubles du comportement sont constants et tรฉmoignent de lโintensitรฉ du vรฉcu dรฉlirant. Ils sont sans cesse en mutation, imprรฉvisibles et sont la consรฉquence des idรฉes dรฉlirantes. Cette adhรฉsion sans rรฉserve entraรฎne de vives rรฉactions comportementales. Il peut sโagir dโagitation anxieuse, de fugue, de passages ร lโacte impulsif, dโactes mรฉdicolรฉgaux, de scandales, dโattitudes extatiques, de voyage pathologique.
La confusion mentale
La dรฉsorientation temporo-spatiale, le dรฉlire onirique et les perturbations du champ de la conscience peuvent รชtre ร lโorigine de passages ร lโacte auto et/ou hรฉtรฉro agressifs.
Accรจs mรฉlancoliques
Le sujet est envahi par une tristesse profonde indรฉpendante des รฉvรจnements extรฉrieurs. Il se sent enfermรฉ dans son malheur, en proie ร une intense douleur morale avec un profond sentiment de culpabilitรฉ.
Les idรฉes suicidaires sont prรฉsentes et apparaissent pour le sujet comme la seule solution pour mettre fin ร sa souffrance.
Le suicide peut รชtre prรฉmรฉditรฉ ou brutal au cours dโun raptus anxieux ; parfois le suicide est dit altruiste et familial, le patient entraรฎnant son entourage dans la mort.
LโAccรจs maniaque
Le sentiment de toute puissance peut mener ร des affrontements avec les personnes reprรฉsentant lโautoritรฉ (policier, mรฉdecin) ; la prรฉmรฉditation est classiquement absente du fait de la fuite des idรฉes et de lโagitation dรฉsordonnรฉe.
Les accรจs dโhypomanie paraissent dโavantage pourvoyeurs de comportements violents que les รฉpisodes maniaques francs.
Cependant les actes antisociaux sont de moindre gravitรฉ que dans la dรฉpression : outrages, vols, escroqueries, violences lรฉgรจres, activitรฉs clastiques, exhibitionnisme, conduites automobiles dangereuses โฆ
Ces patients sont souvent victimes de dรฉlits sexuels du fait de la libรฉration instinctuelle au cours des accรจs.
Lโaccรจs de manie furieuse avec violence extrรชme est classique mais rare.
Les Conduites addictives
Lโusage dโalcool et de substances psycho actives peut รชtre ร lโorigine de comportements agressifs chez les malades mentaux comme chez les personnes indemnes de troubles psychiatriques.
La consommation dโalcool est associรฉe en particulier aux violences domestiques par la dรฉsinhibition et lโimpulsivitรฉ quโelle entraรฎne.
Les substances psycho actives sont ร la base de certains comportements violents voire criminels, ร cause de la confusion et de la dรฉsinhibition quโelles procurent surtout en association avec lโalcool (poly toxicomanie).
Des actes dรฉlictueux (vols, escroqueries, agressions) peuvent รชtre commis par le toxicomane lors des situations de manque (syndrome de sevrage).
Lโรฉpilepsie
Les crises partielles simples, en particulier temporales, peuvent รชtre ร lโorigine dโun syndrome hallucinatoire psychosensoriel.
Les crises partielles complexes, dรฉfinies par une altรฉration concomitante de la vigilance, peuvent รชtre accompagnรฉes de signes moteurs ร type dโautomatisme.
Il existe un risque de passage ร lโacte auto et/ou hรฉtรฉro agressif en particulier lors des tentatives pour entraver les activitรฉs automatiques du sujet.
Actes mรฉdicolรฉgaux dans les troubles psychiatriques chroniques
Les Troubles psychotiques chroniques
La psychose hallucinatoire chronique (PHC)
Lโautomatisme mental et le syndrome dโinfluence peuvent รชtre ร lโorigine dโun passage ร lโacte meurtrier.
Les psychoses paranoรฏaques
La prรฉรฉminence des interprรฉtations dรฉlirantes et des phรฉnomรจnes de projection sont ร la base de passages ร lโacte frรฉquents ; souvent prรฉmรฉditรฉs ils sanctionnent une dรฉmarche de revendication, de prรฉjudice ou de persรฉcution.
Le patient se considรจre comme une victime qui cherche ร se faire justice.
Le crime est considรฉrรฉ par lโauteur comme juste et mรฉritรฉ, ayant valeur de chรขtiment et dโexemple, pouvant apaiser momentanรฉment les troubles dรฉlirants. Les victimes sont le plus souvent le conjoint ou le rival dans le dรฉlire de jalousie, le voisinage dans le dรฉlire de relation, le ou les persรฉcuteurs dรฉsignรฉs dans le dรฉlire dโinterprรฉtation.
Les schizophrรฉnies
Elles sont considรฉrรฉes comme les maladies mentales dans lesquelles les passages ร lโacte sont les plus frรฉquents en particulier dans les formes paranoรฏde et hรฉboรฏdophrรฉnique. Lโhomicide est un acte frรฉquent inaugurant la maladie.
Des phรฉnomรจnes de violence sont prรฉsents au cours de lโรฉvolution de la maladie notamment envers les proches, liรฉs aux syndromes de persรฉcution et dโinfluence. Lโagression est le plus souvent immotivรฉe, irrationnelle et imprรฉvisible survenant dans un contexte de froideur affective et dโindiffรฉrence excluant toute idรฉe de culpabilitรฉ.
Les Troubles de la personnalitรฉ
Deux types de personnalitรฉs sont frรฉquemment retrouvรฉs dans les comportements dรฉviants et antisociaux : les personnalitรฉs antisociales (psychopathe) et borderline (personnalitรฉ limite).
Le psychopathe est caractรฉrisรฉ par lโagressivitรฉ, lโimpulsivitรฉ, lโinstabilitรฉ et lโintolรฉrance ร la frustration.
La personnalitรฉ limite est caractรฉrisรฉe, quant ร elle, par un mode de fonctionnement spรฉcifique, marquรฉ par lโinstabilitรฉ des reprรฉsentations de soi et dโautrui et par une impulsivitรฉ pouvant se traduire par des gestes auto- agressifs ou suicidaires, le recours aux toxiques et ร lโalcool.
Les insuffisances intellectuelles
La Dรฉbilitรฉ mentale
Chez le dรฉbile lโagressivitรฉ est corrรฉlรฉe au degrรฉ du dรฉficit intellectuel.
Le dรฉbile profond a une vision rudimentaire du monde et รฉprouve une forte angoisse face ร des changements brusques pouvant รชtre ร lโorigine de phรฉnomรจnes de violence.
Dans la dรฉbilitรฉ moyenne le sujet rรฉagit au sentiment de rejet dont il est victime par une agressivitรฉ liรฉe ร sa frustration.
Le dรฉbile lรฉger reste, quant ร lui, marquรฉ par une irritabilitรฉ et une instabilitรฉ gรฉnรฉratrices de comportements parfois violents.
Les Dรฉmences
Les dรฉmences, particuliรจrement au cours de la premiรจre phase dโรฉvolution, peuvent รชtre ร lโorigine de passages ร lโacte violents liรฉs au dรฉlire de prรฉjudice.
Les nรฉvroses
Elles sont caractรฉrisรฉes par la raretรฉ des phรฉnomรจnes de violence liรฉe ร la mise en jeu de mรฉcanismes de dรฉfense.
Mais lorsque ces mรฉcanismes de dรฉfense ne sont pas suffisamment opรฉrants, des comportements auto et/ou hรฉtรฉro agressifs peuvent sโobserver, survenant de faรงon impulsive notamment dans lโhystรฉrie ou dans la nรฉvrose obsessionnelle.
ASPECTS JURIDIQUES LIES A LA MALADIE MENTALE
STATUT JURIDIQUE DU MALADE MENTAL ET EVOLUTION DU CADRE LEGISLATIF
En France
De tout temps, les malades mentaux ont semblรฉ bรฉnรฉficier dโun statut particulier dans lโapprรฉciation de leur responsabilitรฉ ou de leur culpabilitรฉ lorsquโils commettent une infraction. Tout se passe comme si le malade mental jouissait dโune protection naturelle lui garantissant une irresponsabilitรฉ [28].
Depuis lโรฉpoque romaine avec le principe dโimputabilitรฉ, les fous et les impubรจres ne sont pas pรฉnalement responsables de leurs actes puisque le simple rรฉsultat dโun crime nโรฉtait pas suffisant pour dรฉclarer la culpabilitรฉ dโun individu. Il รฉtait nรฉcessaire dโรฉvaluer la volontรฉ de lโauteur, aussi : ยซ le fou, ne pouvant avoir dโintention, ne peut รชtre coupable ยป.
Cette situation a prรฉvalu รฉgalement au Moyen-รขge. Ainsi, ยซ les fous (โฆ) au nom de lโexpression divine dont ils sont le reflet bรฉnรฉficient aux yeux de la population dโune certaine protection โฆ ยป [33].
Au XVIIe siรจcle le malade mental est toujours considรฉrรฉ comme irresponsable sur le plan pรฉnal mais sa situation dรฉrange et il fait lโobjet dโenfermement ร cรดtรฉ des mendiants et vagabonds dans le cadre du ยซ grand renfermement ยป [22].
Au XVIIIe siรจcle, des รฉvolutions sont notรฉes avec la naissance de la psychiatrie moderne qui permet dโenvisager une prise en charge du fou dรฉsormais dรฉsignรฉ sous le vocable dโaliรฉnรฉ.
Cโest ร cette รฉpoque que les bases du droit pรฉnal moderne sont posรฉes avec le code pรฉnal de 1810 qui consacre le principe dโirresponsabilitรฉ des 22
malades mentaux : ยซ Il nโy a ni crime ni dรฉlit, lorsque le prรฉvenu รฉtait en รฉtat de dรฉmence au temps de lโaction ou lorsque il a รฉtรฉ contraint par une force ร laquelle il nโa pu rรฉsister ยป.
– La loi de 1838 : Il sโagit avant tout dโune loi dโassistance ;
– elle oblige tous les dรฉpartements franรงais de disposer dโun asile pour aliรฉnรฉs ou de collaborer avec un รฉtablissement privรฉ dans le but de recevoir les patients sous le rรฉgime de lโinternement ;
– elle protรจge le malade aliรฉnรฉ contre le risque de spoliation de ses biens par son entourage ou toute autre personne avec qui il peut รชtre amenรฉ ร traiter.
Cโest ainsi quโest instituรฉ la tutelle qui annule les actes posรฉs par le malade sur le plan civil et civique.
– elle rend le malade mental irresponsable aux yeux de la loi avec lโarticle 64 du code pรฉnal qui dit quโil nโy a ni crime, ni dรฉlit lorsque lโacte a รฉtรฉ commis sous lโinfluence dโune force รฉtrangรจre ร laquelle le sujet ne pouvait rรฉsister.
La loi de 1838 est aussi une loi de dรฉfense sociale :
– elle donne la possibilitรฉ ร lโautoritรฉ administrative (commissaire de police, prรฉfet) de dรฉcider quโun individu trouble lโordre public et pour cela, de le faire interner dans un hรดpital psychiatrique. Cette dรฉcision demeurait cependant assortie de quelques conditions :
– lโarrรชtรฉ dโinternement est signรฉ aprรจs รฉtablissement dโun certificat mรฉdical par un mรฉdecin qui prouve la dangerositรฉ du malade pour lui-mรชme et pour les autres;
– un autre certificat est exigรฉ pour justifier le maintien du patient en internement au bout de vingt quatre heures, quinze jours puis une fois par an; le deuxiรจme certificat est รฉtabli par un mรฉdecin diffรฉrent de celui qui a signรฉ le premier certificat dโinternement ;
– le patient dispose du droit de saisir le procureur de la Rรฉpublique lorsquโil se sent victime dโun internement abusif donnant lieu ร une procรฉdure dโexpertise pour juger du bien fondรฉ de lโhospitalisation dโoffice.
A cรดtรฉ de lโhospitalisation dโoffice mesure de police cโest ร dire de protection individuelle et de dรฉfense sociale, la loi de 1838 crรฉe lโinternement volontaire, qui nโa de volontaire que le nom.
En effet, sur demande de sa famille ou des voisins un malade pouvait รชtre admis dans un hรดpital psychiatrique sur la base dโun certificat mรฉdical : cโest lโรฉquivalent de lโactuelle hospitalisation sur demande dโun tiers (HDT).
En 1905, la circulaire Chaumiรฉ รฉnonce le principe dโattรฉnuation de responsabilitรฉs : ยซ A cรดtรฉ des aliรฉnรฉs proprement dit, on rencontre des dรฉgรฉnรฉrรฉs, des individus sujets ร des impulsions morbides momentanรฉes ou atteintes dโanomalies mentales assez marquรฉes pour justifier ร leur รฉgard une certaine modรฉration dans lโapplication des peines รฉdictรฉes par la loi. Il importe que lโexpert soit mis en demeure dโindiquer, avec la plus grande nettetรฉ possible, dans quelle mesure lโinculpรฉ รฉtait, au moment de lโinfraction, responsable de lโacte qui lui est imputรฉ ยป [28].
Plus tard en 1968 seront instituรฉes deux modalitรฉs plus souples dโadmission en hรดpital psychiatrique avec lโauto placement (le malade demande lui-mรชme son internement) et le placement libre qui รฉquivaut ร lโhospitalisation simple comme dans les autres services dโun hรดpital gรฉnรฉral.
Il importe ici de noter que malgrรฉ lโaspect essentiellement rรฉpressif qui caractรฉrisait lโinternement, il nโen demeure pas moins que lโasile avait aussi une fonction de soins cโest ร dire que sa finalitรฉ nโรฉtait pas seulement de mettre ร lโรฉcart les ยซ gรชneurs ยป mais quโil contribuait ร allรฉger leur souffrance et permettait leur rรฉinsertion sociale.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPORTS PSYCHIATRIE – JUSTICE
CHAPITRE I : ASPECTS HISTORIQUES
1- CONCEPTIONS DE LA MALADIE MENTALE ET EVOLUTION DES PRATIQUES EN OCCIDENT : LโEXEMPLE DE LA FRANCE
1.1- LโAntiquitรฉ
a- Les Grecs
b- Les Romains
c- Les Hรฉbreux
1-2- Le Moyen Age et la Renaissance
a- La charitรฉ
b- Lโattitude rรฉpressive
1.3- Le Grand renfermement
1-4- La Rรฉvolution franรงaise
2- CONCEPTIONS DE LA MALADIE MENTALE ET EVOLUTION DES PRATIQUES EN AFRIQUE : LโEXEMPLE DU SENEGAL
2.1- Conceptions traditionnelles de la maladie mentale
2-2- Moyens traditionnels de prise en charge
CHAPITRE II : ASPECTS MEDICOLEGAUX
1- DEFINITIONS ET CONCEPTS :
2- ASPECTS PSYCHOPATHOLOGIQUES
3- ASPECTS CLINIQUES
3-1- Actes mรฉdicolรฉgaux dans les troubles psychiatriques aigus
3-1-1- La bouffรฉe dรฉlirante polymorphe (BDP)
3-1-3- Accรจs mรฉlancoliques
3-1-4- LโAccรจs maniaque
3-1-5- Les Conduites additives
3-1-6- Lโรฉpilepsie
3-2- Actes mรฉdicolรฉgaux dans les troubles psychiatriques chroniques
3-2-1- Les Troubles psychotiques chroniques
a- La psychose hallucinatoire chronique (PHC)
b- Les psychoses paranoรฏaques
c- Les schizophrรฉnies
3-2-2- Les Troubles de la personnalitรฉ
3-2-3- Les insuffisances intellectuelles
a- La Dรฉbilitรฉ mentale
b- Les Dรฉmences
3-2-4- Les nรฉvroses
CHAPITRE III : ASPECTS JURIDIQUES LIES A LA MALADIE MENTALE
1. STATUT JURIDIQUE DU MALADE MENTAL ET EVOLUTION DU CADRE LEGISLATIF
1.1- En France
1. 2. Au Sรฉnรฉgal
1-2-1- Pendant la colonisation
1-2-2- Aprรจs la colonisation
2- LโEXPERTISE PSYCHIATRIQUE
2-1- Lโexpertise psychiatrique pรฉnale
2-2- Lโexpertise mรฉdico-psychologique :
3-1- La sauvegarde de justice
3-2- La tutelle
3-3- La curatelle
DEUXIEME PARTIE : PRESENTATION DE NOTRE ETUDE
CHAPITRE I : METHODOLOGIE
1- CADRE DโETUDE: LE CHNP DE THIAROYE
1-1- Trajectoire historique
1-2- Environnement gรฉo spatial
1-3- Cadre lรฉgislatif et rรจglementaire
3- METHODOLOGIE
3-1- Objectif
3-1-1- Objectif gรฉnรฉral
3-1-2- Objectifs spรฉcifiques
3-2- Moyens
3-3- Limites
CHAPITRE II : RESULTATS OBTENUS
1- PARAMETRES ETUDIES
2- PRESENTATION DES RESULTATS
2-1- Donnรฉes administratives
2-1-1- Nature de la dรฉcision administrative
2-1-2- Motifs dโinternement
2-2 Donnรฉes sociodรฉmographiques
2-2-1- Distribution selon lโรขge et le sexe
2-2-2- Selon le lieu de provenance
2-2-3- Selon lโannรฉe dโinternement
2-2-4- Selon la situation familiale
2-2-5- Selon la profession
2-2-6- Selon la nationalitรฉ
2-3- Donnรฉes cliniques
2-3-1- Selon les antรฉcรฉdents psychiatriques
2-3-2- Selon le diagnostic
2-3-3- Nature et moyens de la prise en charge
2-3-4- Durรฉe du sรฉjour en cellule
2-3-5- Problรจmes notรฉs chez les internรฉs
2-3-6- Motif de sortie de cellule
2-3-7- Selon le suivi en ambulatoire
III- DISCUSSION
1- ANALYSE ET COMMENTAIRES
1-1 Donnรฉes administratives
1-1-1- Selon la nature de la dรฉcision administrative
1-1-2- Selon le motif dโinternement
1-2- Donnรฉes sociodรฉmographiques
1-2-1- Selon lโรขge et le sexe
1-2-2- Selon le lieu de provenance
1-2-3- Selon la situation familiale
1-2-4 Selon la profession
1-2-5- Selon la nationalitรฉ
1-3 Donnรฉes cliniques
1-3-1- Selon les antรฉcรฉdents psychiatriques
1-3-2- Selon le diagnostic
1-3-3- Selon la nature et les moyens de la prise en charge
1-3-4- Selon la durรฉe du sรฉjour
1-3-5- Selon les problรจmes notรฉs chez les internรฉs
1-3-6- Selon le motif de sortie
1-3-7- Selon le suivi en ambulatoire
2- RECOMMANDATIONS
2.1- La procรฉdure dโinternement
2.2- Les Conditions dโadmission
2.3- Les Conditions de sรฉjour
2.4- La sortie de lโรฉtablissement
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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