Aspects historiques et juridiques de l’audit
Bref historique de l’audit
Avant d’aborder la question de la qualité d’audit, il nous semble opportun de traiter d’abord celle de l’audit d’un point de vue historique, afin de mieux éclairer une notion clé dans le domaine des sciences comptables. L’audit est apparu aux États-Unis afin de s’assurer que les officiers interviennent dans l’intérêt de la Nation (Boyd, 1905). En Grande-Bretagne, l’audit des entreprises britanniques est plébiscité au milieu du XVIIIe siècle. La détection de la fraude représente la principale dimension de l’audit à cette époque. Le début des années 1900 marque, en effet, l’évolution des méthodes d’audit anglaises en vue de perfectionner et d’approfondir les analyses. L’utilisation des échantillons et l’examen des organisations internes sont les principales caractéristiques de la pratique anglaise. Aux États-Unis, l’État de New York définit, en 1892, le titre de Certified Public Accountant comme source de normalisation dans le domaine d’audit. Huit ans après, à New York, la Compagnie Act a rendu obligatoire l’audit annuel avec un rapport confirmant la True Fairview.
Pendant les années trente, la découverte de fraudes importantes, mettant en cause la responsabilité des auditeurs aux États-Unis, a incité le législateur américain à penser à un système de contrôle permettant de mieux garantir la régularité et la sincérité de l’information financière divulguée par les entreprises. Le 6 janvier 1933, le conseil du marché financier de New York a annoncé que les firmes admises à la cote doivent publier leurs états financiers audités par une personne compétente, indépendante et agrégée (Edwards, 1955). Durant la même période, la Securities Exchange Commission, plus connue sous l’acronyme SEC, a été créée en vue de garantir la confiance des investisseurs sur le marché financier américain. Ce nouvel organisme est responsable du renforcement des règles de contrôle et doté de pouvoir de sanction à l’égard des auditeurs et des managers en cas de violation des règles. La Security Exchange Commission impose par exemple que les rapports annuels doivent être présentés conformément aux normes généralement admises « GAAP », sachant qu’avant 1933, un grand nombre d’entreprises cotées au New York Stock Exchange sélectionnent librement leurs auditeurs (Zef,2003 a).
L’audit et les techniques de communication
Au cours des années soixante-dix, les outils de communication ont été fortement intégrés dans plusieurs domaines dont fait partie l’audit. Les organismes de normalisation, comme l’exemple de l’AICPA et de l’IFAC ont eu recours à l’Electronic Data Processing (EDP), suivant en cela l’American Institut of Certified Public Accountants, l’ International Federation of Accountants, etc. En octobre 1978, l’AICPA a fondé l’ASB (Audit Standard Board), qui est un organisme responsable du développement et de la promulgation des standards d’audit. À ce sujet, il est à préciser que le Statement Auditing Standard N° 3 traite les effets des outils de communication sur le travail de l’auditeur et l’évaluation du contrôle interne (AICPA, 1974). En juillet 1984, l’ASB publie le SAS Nº 48 relatif aux divers effets de l’utilisation des nouveaux outils de communications sur l’examen des états financiers.
Cependant, selon les études réalisées, l’utilisation des nouvelles outils de communication dans le domaine de l’audit pourrait présenter un risque jugé élevé sur la constitution des opinions des auditeurs, et qui serait dû à la complexité de l’environnement en général et à la nature des transactions financières en particulier. La responsabilité des auditeurs et du législateur se voit ici partagée ; les premiers doivent générer une assurance raisonnable pour les différents utilisateurs de l’information comptable et garantir une présentation fiable, alors que le deuxième doit veiller à la mise en place des règles et des lois garantissant l’indépendance des auditeurs. L’APB publie la SAS 80 en décembre 1966 intitulé Amendement To Statement on Auditing Standard qui s’adresse d’avantage aux questions en relation avec la validité des faits électroniques. Par la suite, l’APB a publié le SAS 94 qui s’intéresse principalement aux auditeurs dans un milieu caractérisé par l’utilisation des techniques de communication. Le PCAOB a adopté le SAS 94 en 2003.
Après trois révisions du SAS 94, le SAS 103 a vu le jour. Cette nouvelle norme concerne surtout l’expérience des auditeurs, la mise en place des procédures et des applications software, les conclusions formulées, les illustrations orales et leurs inconvénients sur les jugements des professionnels. En mai 2006, l’ASB a publié le SAS 112 qui a été mis en service vers la mi-décembre 2006. L’apport de cette nouvelle norme réside dans le fait que les auditeurs sont obligés de communiquer d’une manière permanente toutes les informations en relation avec la gouvernance d’entreprise et d’annoncer les défaillances et les faiblesses adressées aux systèmes d’informations utilisés, et ce, afin de garantir au mieux la qualité de l’audit.
Aspects juridiques de l’audit
Aspects juridiques de l’audit en France
Il est un fait que les sources de normalisation comptable dans le monde diffèrent d’un pays à un autre. En France, la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) et l’Ordre des Experts Comptables (OEC) constituent les deux sources de normalisation. Les experts comptables, d’un côté, sont chargés principalement de la surveillance de la comptabilité des entreprises, de l’autre côté, les commissaires aux comptes qui détient ainsi le monopole du contrôle légal. L’intervention des commissaires aux comptes est obligatoire auprès des sociétés anonymes, mais seulement nécessaire dans les autres formes de groupes d’intérêts, tels que les associations. Depuis 1970, pour faire intégrer la France dans le projet économique européen (Sauviat, 2003), la profession de l’audit se développe, soutenue par les pouvoirs publics, qui ont promulgué le décret de 1969 portant sur l’organisation de la profession des commissaires aux comptes. En effet, les cadres législatifs sont d’autant nécessaires que la profession du commissariat aux comptes, pour être exercée selon toute convenance, par des personnes physiques ou morales, doit être soumise à des règles juridiques contraignantes. Effectivement, en France, la réglementation prévoit que chaque commissaire aux comptes doit s’inscrire sur une liste spécifique près de la cour d’appel de la juridiction dans laquelle il compte s’installer. De même, il doit être de nationalité française ou ressortissant d’un État membre de la communauté européenne (Ramirez, 2003), et ce, après avoir satisfait à toutes les conditions fixées par les autorités législatives en collaboration avec le Ministère de l’enseignement supérieur. Il est possible que les cabinets des commissariats aux comptes, en France, soient constitués en société, quelle qu’en soit la forme, à condition que les trois quarts du capital soient détenus par des commissaires aux comptes. La mission fondamentale des commissaires aux comptes est de justifier que les rapports annuels soient conformes à la règlementation en vigueur, sincères et reflètent une image fidèle de l’ensemble de l’exercice comptable. La loi française et le code de déontologie des commissaires aux comptes disposent que la durée maximale de l’audit légal ne peut pas dépasser six ans tout en gardant l’indépendance et la compétence des commissaires aux comptes et en évitant toute situation de conflit d’intérêts. Ils jouent par ailleurs un rôle typiquement important lors des introductions en bourse.
La loi prévoit également, afin d’éviter toute rupture dans le déroulement des missions d’audit, que chaque entreprise soit tenue de désigner un commissaire aux comptes suppléant dont rôle essentiel est de remplacer les titulaires du poste en cas de refus, de démission ou de décès. Il est utile d’indiquer à ce propos que la nomination des commissaires aux comptes en France se fait par l’assemblée générale des actionnaires sur préposition des dirigeants pendant six exercices renouvelables. Les chiffres clés publiés par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes montrent la forte progression de cette profession. Le chiffre d’affaires des entreprises auditées en France représente près de 1 500 milliards d’Euros, pour un effectif total qui tourne autour de 10 millions de personnes. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes recense un total de 15 000 professionnels dont 2 400 sont des femmes et 77 % sont représentés sous forme de personne morale. Ces derniers ont déjà engagé des opérations de concentration notamment en France. Cette nouvelle caractéristique du contexte français a fortement évolué entre 1997 et 2003 notamment pour les secteurs hydrocarbures-énergie, transports et banque assurance (Piot, 2008). Cette nouvelle posture des cabinets d’audit, notamment pour les cabinets anglo saxons, a réellement commencé depuis les Trente Glorieuses. La politique de recrutement engagée par ces cabinets est considérée comme parmi les facteurs clés de succès des auditeurs anglosaxons en France (DeBeelde et al.,2003).
Aspects juridiques de l’audit dans le monde
Aux États-Unis, toutes les entreprises sont appelées à présenter leurs rapports annuels à la Security Exchange Commission sous la forme 10-k pour les rapports annuels et 10-Q pour les états trimestriels. Le SEC est l’organe responsable du renforcement des règles, des sanctions des auditeurs et des dirigeants en cas de fraude ou de violation des règles (Bush et al. 2007). Les cabinets d’audit sont obligés de s’enregistrer auprès de cet organisme. En 2002, la loi de la sécurité financière américaine, connue sous l’acronyme SOX (Sarbanes-Oxley Act), a crée un nouvel organisme chargé de la vérification et de l’inspection des cabinets d’audit intitulé Public Compagnie Accounting Oversight Board. On constate donc, Aux ÉtatsUnis, que de plus en plus, la profession de l’audit passe de l’autorégulation vers le contrôle quasi gouvernemental. Selon le PCAOB, la fonction essentielle de l’audit aux États-Unis, est la détection et la prévention des fraudes dans les états financiers. En d’autres termes, l’auditeur doit s’assurer que les informations qu’il certifie et qu’il publie soient conformes aux normes généralement admises. À ce stade, nous concluons que dans ce pays, la crédibilité des états financiers ainsi que l’indépendance des commissaires aux comptes sont le but ultime de l’audit (Lee, 1979), d’autant plus que la durée légale d’une mission légale des commissaires aux comptes aux USA est seulement d’une année renouvelable. En Grande-Bretagne, le Financial Service Authority est l’organisme responsable de la règlementation du marché financier de Londres. Quant au Financial Reporting Councial (FRC), il est particulièrement chargé de la mise en place des standards et des normes d’audit, y compris même les règles relatives à l’indépendance des auditeurs. Depuis 1985, le Compagnies Act réclame, en vertu de ce qui est estimé être une légitimité réelle, que les états financiers de chaque entreprise doivent refléter l’image fidèle de l’entité. En matière de choix des commissaires aux comptes, l’assemblée générale ordinaire des actionnaires doit désigner un auditeur chaque année pour une durée légale d’un an renouvelable (Compagnies Act, 1985 ; Sec. 384), en outre, les entreprises cotées doivent adresser leurs rapports annuels au Financial Service Authority ainsi qu’à tous leurs actionnaires. En Allemagne, la désignation des auditeurs dans ce pays se fait par les actionnaires, alors qu’en Belgique, l’auditeur est choisi par les dirigeants et doit être soumis au conseil d’administration avant sa proposition à l’assemblée générale des actionnaires. La durée de la mission des auditeurs externes dans ce pays est égale à trois ans, alors qu’aux Pays-Bas elle est indéterminée. En Grèce, la 8ème Directive a influencé les pratiques d’audit dans ce pays. La loi financière relative aux entreprises dispose que les états financiers doivent être audités par deux commissaires aux comptes, en vue d’approuver l’image fidèle de l’entreprise, et soumis à l’assemblée générale des actionnaires (Ballas, 1999). Après la révolution de Velvet et le divorce avec la Slovaquie, l’audit s’est développé en République tchèque pour permettre le passage d’une économie socialiste à une économie de marché. Le gouvernement tchèque a mis en place des mesures économiques et législatives en vue de privatiser l’économie afin de l’’intégrer dans celle de l’Union européenne. À cet effet, l’économie tchèque a été privatisée à hauteur de 80 % et le rôle des investisseurs privés et institutionnels devient de plus en plus important. Les changements notables produits en matière de contrôle légal ont touché principalement le code commercial, la loi comptable et la loi de la sécurité. Nonobstant qu’une loi d’audit a été promulguée en 1992, celle-ci n’a pas spécifié les procédures de désignation des auditeurs. Depuis la fin des années 1990, la Russie a connu une période de transition de l’économie socialiste vers l’économie de marché. Ce passage a eu un impact direct sur la profession d’audit qui n’était pas connue en ex-Union Soviétique. Pour la première fois, l’audit se voit chargé de résoudre les problèmes de contrôle associés à la gestion économique de l’ancien régime. Nous constatons donc que, dans le contexte russe, l’audit est plutôt considéré comme un moyen nécessaire pour le développement de l’économie nationale (Bychkova, 1996). En ce qui concerne l’Union Européenne, finalement, la 8ème directive issue du traité concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (78/660/CEE) a répondu avec une clarté certaine aux questions relatives au statut des commissaires aux comptes et à leurs missions dans les pays membres, dans le souci d’accroître l’harmonisation des règles comptables et d’audit à l’ensemble des pays de l’Union. Cette directive mentionne que les commissaires aux comptes doivent acquérir des compétences juridiques et professionnelles dans leur domaine. Elle considère qu’un bon contrôle légal améliore l’efficience des états financiers dans leur intégralité. Elle impose aux États membres de faire adopter les principes d’éthique de la Fédération Internationale des Experts Comptables (IFAC) et de procéder à la libéralisation du capital des sociétés d’audit, au renforcement des règles d’indépendance, à l’établissement et à la création d’organismes publics nationaux de supervision , de contrôle de la qualité de l’information comptable et financière. Notons que cette directive précise explicitement que les entités publiques doivent être singulièrement soumises à des règles d’audit très astreintes.
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Table des matières
INTRODUCTION
Introduction
Chapitre 1 : Audit, qualité d’audit et l’affaire Enron-Andersen
Introduction
1. Aspects historiques et juridiques de l’audit
1.1 Bref historique de l’audit
1.2 L’audit et les techniques de communication
1.3 Aspects juridiques de l’audit
1.3.1 Aspects juridiques de l’audit en France
1.3.2 Aspects juridiques de l’audit dans le monde
2. Aspects théoriques de l’audit
2.1 Définition de la qualité d’audit
2.2 Sources de différenciation de la qualité d’audit
2.3 L’indépendance des auditeurs en tant que source de la qualité d’audit
3. La qualité d’audit après l’affaire Enron-Andersen
3.1 Enron, grandeur et décadence d’une entreprise
3.2 Arthur Andersen, de l’audit au consulting
3.2.1 La création du cabinet
3.2.2 Le succès du cabinet d’audit
3.2.3 Andersen dans le monde
3.2.4 Le développement du consulting
3.2.5 Les effets négatifs du consulting sur la qualité d’audit
3.2.6 Le consulting et l’indépendance des auditeurs d’Andersen
3.2.7 La faillite d’Enron
3.3 L’indépendance des auditeurs d’Andersen dans la faillite d’Enron
Conclusion
Chapitre 2 : Les effets de l’affaire Enron : la réaction des marchés financiers, le choix des commissaires aux comptes et le conservatisme des auditeurs
Introduction
1. La réaction du marché financier français
1.1 Bref historique de la faillite d’Enron
1.2 La réaction des marchés financiers dans le monde
1.3 La réaction du marché financier en France
2. Le choix des auditeurs après le scandale d’Enron
2.1 Le choix et la désignation des auditeurs dans le monde
2.1.1 Le choix des auditeurs et la propriété institutionnelle des entreprises
2.1.2 Le choix des auditeurs, l’investissement étranger et la propriété institutionnelle des entreprises françaises
3. Le conservatisme des auditeurs après le scandale Enron
3.1 Le conservatisme des auditeurs via les litiges
3.2 La gestion des résultats et le conservatisme des auditeurs
3.3 Le conservatisme des grands cabinets
3.4 Le conservatisme des auditeurs en France
Conclusion
Chapitre 3 : Le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes et l’indépendance des auditeurs
Introduction
1. Aspects juridiques et théoriques de l’indépendance des auditeurs
1.1 Aspects juridiques de l’indépendance des auditeurs
1.1.1 L’indépendance des auditeurs dans le monde
1.1.1.1 Aux États-Unis
1.1.1.2 En Europe
1.1.2 En France
1.2 Aspects théoriques de l’indépendance des auditeurs
2. Les effets du H3C sur l’indépendance des auditeurs
Conclusion
Chapitre 4 : Comité d’audit et crédibilité des états financiers après le rapport Bouton de 2002
Introduction
1. Revue des aspects juridiques et théoriques des comités d’audit en France et dans le monde
1.1 Le comité d’audit dans le monde : les États-Unis
1.2 Le comité d’audit dans le monde : au Royaume-Uni
1.3 Le comité d’audit dans les pays de l’OCDE
1.4 Le comité d’audit dans l’Union Européenne
1.5 Le comité d’audit En France dans le rapport Viénot I
1.6 Le comité d’audit En France : le rapport Viénot II
1.7 Le comité d’audit En France : le rapport Bouton 2002
2. Les fondements théoriques des déterminants
2.1 La théorie d’agence
2.2 La théorie du signal
3. L’efficacité des comités d’audit en France après le scandale Enron
3.1 Comité d’audit et contrôle interne
3.2 Comité d’audit, expertise financière et comportement discrétionnaire des dirigeants
3.2.1 Le contrôle interne dans les lois de sécurité financière
3.2.2 L’expertise des comités d’audit
3.2.3 Les faiblesses du contrôle interne
3.2.4 L’indépendance du comité d’audit
3.2.5 L’indépendance du comité d’audit et la crédibilité des états financiers
3.2.6 L’indépendance du comité d’audit et le comportement discrétionnaire de dirigeants
3.2.7 L’indépendance du comité d’audit en France
Conclusion
CONCLUSION