Aspects épidémiologiques et profil de résistance des bactéries muti – résistantes isolées

Les bactéries sont dites multi-résistantes aux antibiotiques (BMR) lorsque, du fait de l’accumulation de résistances acquises à plusieurs familles d’antibiotiques, elles ne sont plus sensibles qu’à un petit nombre d’antibiotiques utilisables en thérapeutiques (résistance à au moins 3 familles d’antibiotiques) [1]. En effet, 50 ans après le début d’utilisation des agents antimicrobiens, l’émergence à travers le monde des bactéries multi résistantes a fait que le corps médical doit faire face à la possibilité d’entrer dans l’ère post antibiotique [2]. Dans certains cas, les médecins se retrouvent devant une «impasse thérapeutique», c’est à dire, l’incapacité de trouver un traitement face à une infection donnée [3]. Dans les structures de soins, particulièrement en réanimation, ce phénomène prend une ampleur gravissime en raison de la précarité des patients pris en charge et surtout de la morbidité et de la mortalité attribuée à ces infections. L’émergence des BMR est favorisée par la pression de sélection antibiotique et par la transmission croisée [4]. Cela constitue pour nous un réel problème de santé publique. L’épidémiologie des infections à BMR varie considérablement d’un service à l’autre, d’un hôpital à un autre et d’une région à l’autre. Actuellement, les BMR qui font l’objet d’une surveillance très particulière sont: le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM), le Pseudomonas aeroginosa multi résistant, les entérobactéries sécrétrices de Béta-lactamase à spectre étendu (EBLSE), les entérobactéries productrices de carbapénèmases et l’Acinetobacter baumannii.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) [5] définit comme maladie émergente ou ré-émergente, une maladie qui apparaît pour la première fois au sein d’une population donnée, ou qui y était déjà présente mais qui augmente rapidement et significativement en incidence ou dans sa diffusion géographique. Ainsi, à la lumière de cette définition, la notion de BMR émergentes correspond à l’apparition d’une bactérie présentant un mécanisme de résistance nouveau au sein d’une population donnée, ou si elle était déjà présente son augmentation significative dans le temps et/ou dans l’espace. Aujourd’hui, les BMR émergentes les plus importantes sont les entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC), le Staphylococcus aureus de résistance diminuée aux glycopeptides (GISA) et l’entérocoque résistant aux glycopeptides (ERG). Face à la gravité du problème de la multi résistance, plusieurs études à travers le monde ont été réalisées. Des réseaux de surveillance ont été créés (EARS- Net en Europe, CDC aux USA…), afin de mesurer l’ampleur du phénomène et évaluer les actions de lutte. Au Maroc, plusieurs études sur le sujet ont été faites à Fès, Marrakech, Rabat et Meknès. L’objectif de cette étude est de décrire le profil de résistance des BMR identifies au niveau du laboratoire de bactériologie du CHU Hassan II de Fès, du 1er Janvier 2012 au 31 décembre 2012.

Antibiorésistance

Définitions

La résistance bactérienne est la capacité des bactéries à résister aux effets des antibiotiques ou des biocides qui sont censés les tuer ou les contrôler. L’évolution vers la résistance des bactéries aux antibiotiques caractérise la fin du XXème siècle. Le terme résistance multiple (RM) ou multi-résistance est utilisé lorsqu’une souche bactérienne est résistante à plusieurs antimicrobiens ou classes d’antimicrobiens différents [6]. Les bactéries « à résistance croisée » sont celles qui ont développé des méthodes de survie qui sont efficaces contre différents types de molécules antimicrobiennes présentant des mécanismes d’action similaires. On distingue deux types de résistance bactérienne aux ATB :

La résistance naturelle : toutes les souches appartenant à la même espèce sont résistantes à un même antibiotique. Cette résistance définit le spectre naturel d’activité d’un antibiotique. D’un point de vue génétique la résistance naturelle est d’origine chromosomique.

La résistance acquise : consécutive à des modifications de l’équipement génétique chromosomique ou plasmidique. Elle ne concerne que quelques souches d’une même espèce mais peut s’étendre : leur fréquence varie dans le temps mais aussi dans l’espace: région, ville, hôpital ou même service. Elles constituent un marqueur épidémiologique.

Supports génétiques et mécanismes biochimiques des résistances

Le potentiel génétique d’une bactérie est constitué du chromosome et d’un ou de plusieurs génophores facultatifs et extra-chromosomiques, les plasmides. Des gènes sont également portés par des éléments génétiques transposables et par des intégrons. Une bactérie peut ainsi acquérir une résistance aux antibiotiques par deux grands mécanismes génétiques. L’un a pour support le chromosome et définit une résistance chromosomique, l’autre a pour support les plasmides ou les éléments transposables ou les intégrons et ils définissent une résistance extrachromosomique [7]. Les modes de résistance connus actuellement qui résultent de la pression de sélection exercée par les ATB sont au nombre de quatre, une même bactérie peut présenter plusieurs de ces mécanismes de résistance (figure1):
– L’inactivation enzymatique par la sécrétion d’une enzyme ;
– L’efflux actif ;
– La modification de la cible ;
– La diminution de la perméabilité (porines) à l’antibiotique.

Inactivation enzymatique

Par ce mécanisme, la bactérie acquiert la capacité d’inactiver l’action des antibiotiques par la sécrétion d’enzymes avant même qu’ils n’aient pénétrés au sein du microorganisme [8]. Les classes d’antibiotiques visées par ces enzymes sont les bêta-lactamines, les macrolides-lincosamimides-streptogramines (MLS), les aminosides et les phénicolés.

➤ ß-lactamases
La production de bêta-lactamase est un mécanisme que l’on retrouve aussi bien chez les bactéries Gram positives que Gram négatives, il s’agit du mode de résistance le plus courant. Le support génétique qui code pour ces enzymes est soit d’origine plasmidique soit chromosomique. Les bêta-lactamases sont des enzymes d’inactivation de type sérine (classes A, C et D) ou métalloenzymes (classe B) dont les substrats sont des bêta-lactamines et qui peuvent être classées en sous-groupes selon la structure du noyau de base (péname, oxapéname, pénème, céphéme, oxacéphème, azétididone). Compte tenu de l’extrême diversité de ce groupe enzymatique, les besoins d’une classification sont anciens. La première classification basée sur des critères scientifiques a été proposée dans les années 75 par Ambler, elle prend en compte les analogies de séquence peptidique, en particulier celles du site enzymatique. Ainsi, quatre classes (A, B, C et D) ont été identifiées. La classification fonctionnelle de Bush, Jacoby, Medeiros reflète mieux le spectre exact des enzymes, prenant en compte le profil du substrat (pénicilline, oxacilline, carbénicilline, céphaloridine, C3G, imipénème), ainsi que le profil d’inhibition. Ainsi apparait la notion de groupe fonctionnel tel le groupe 2b qui se subdivise en sous groupes 2ba, 2bc… Mais ce type d’enzyme a un potentiel évolutif et une seule mutation (ponctuelle) peut changer le profil d’inactivation et celui d’inhibition : groupe 2b se subdivise alors en 2be. Néanmoins, elle est peu utilisée en pratique médicale [9, 10, 11].

➤ Inactivation enzymatique des aminosides
L’inactivation enzymatique des aminosides est le mécanisme de résistance le plus souvent observé. Il permet d’expliquer la résistance de plus de 95% des souches d’entérobactéries résistantes aux aminosides, de 95% des souches d’Acinetobacter spp, de 50% des souches de Pseudomonas aeruginosa et de 95% des souches de bactéries à Gram positif [12,13]. Tous les aminosides possèdent des groupements aminés et des groupements hydroxyles nécessaires à leur activité et ces groupements peuvent être la cible de trois classes d’enzymes [12 ,14 ,15 ,16]. Les phosphotransférases ou APH transfèrent, un groupement phosphate sur les groupements hydroxyles, les nucléotidyltransférases ou O-adénylyl (ANT ou AAD) agissent par adénylations des groupements hydroxyles, les acétyltransférases ou AAC catalysent l’acétylation des groupements aminés. Il convient de noter les points suivants :

✓ Un seul aminoside peut être inactivé par plusieurs enzymes ;
✓ Une seule enzyme peut inactiver plusieurs antibiotiques ;
✓ Une seule souche peut produire plusieurs enzymes.

Toutes ces enzymes ont une localisation intracellulaire et elles peuvent être codées par des gènes chromosomiques ou par des plasmides ou par des éléments génétiques transposables ou par des intégrons. La résistance d’origine chromosomique est peu importante, car les gènes sont soit peu exprimés et les souches qui les portent sont faiblement résistantes, soit ils sont non exprimés et les souches sont parfaitement sensibles. Un codage par des plasmides ou des éléments génétiques transposables ou des intégrons est plus fréquent. Il explique la diffusion importante des gènes de résistance aux aminosides parmi les souches bactériennes. Le gène majeur de résistance aux aminosides, rencontré chez les bactéries à Gram positif, code pour une enzyme qui inactive la kanamycine, la gentamicine, la sisomycine, la tobramycine et la dibékacine. Ce gène est porté par des transposons composites ce qui aurait permis sa dissémination chez de nombreuses espèces de bactéries à Gram positif. Le gène codant pour l’APH (3’)-III présent, notamment, chez Staphylococcus aureus, a été également retrouvé chez Campylobacter jejuni.

➤ Inactivation enzymatique des phénicolés
Pour le chloramphénicol et le thiamphénicol, l’inactivation enzymatique est le mécanisme de résistance le plus fréquent. Elle agit par acétylation par un chloramphénicol acétyltransférase du groupement hydroxyle de la molécule. On a identifié 3 enzymes chez les bactéries à Gram négatif et cinq chez les bactéries à Gram positif [8, 17]. À l’exception de Streptococcus pneumoniae, ces enzymes sont codées par des plasmides. Les chloramphénicols acétyltransférases sont cependant inactifs sur le florfénicol.

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Table des matières

I. INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
II. Antibiorésistance
1-Définitions
2- Supports génétiques et mécanismes biochimiques des résistances
2-1 Inactivation enzymatique
2-2 Mécanisme d’efflux actif
2-3 Modification de la cible
2-4 Diminution de la perméabilité de la membrane
III. Bactéries multi résistantes
1- Définition
2- Principales bactéries multi résistantes
2-1 Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline
2-2 Entérobactéries à bêta-lactamases à spectre élargi
2-2-1 Définition
2-2-2 Test de synergie BLSE
2-3 Entérobactéries productrices de carbapénèmases
2-3-1 Méthodes de détection des entérobactéries productrices de carbapénémases
2-4 Pseudomonas aeruginosa résistant à la Céftazidime
2-5 Acinetobacter baumannii résistant à l’Imipénème
IV. Epidémiologie des bactéries multi résistantes
1- Facteurs de risque classiques de la multi résistance
2- Impact de la multi résistance
3- Evolution en Europe
3-1 E. Coli
3-2 Klebsiella pneumonia
3-3 Pseudomonas aeruginosa
3-4 Staphylococcus aureus
3-5 Acinetobacter baumannii
4- Contexte épidémiologique de la multi résistance au Maroc
DEUXIEME PARTIE
V. Objectifs
1- Principal
2- Secondaires
VI. Matériel et méthode
1- Type de l’étude
2- Population de l’étude
3-Cadre d’étude
4- Recueil des données
5- Analyse statistique
6- Aspects éthiques
VII. Résultats
1- Profil épidémiologique des BMR
1-1 Prévalence des BMR isolées et leurs répartitions selon les produits pathologiques durant l’année 2012 au sein du CHU Hassan II de Fès
1-2 Répartition des BMR isolées durant l’année 2012 au sein du CHU Hassan
II de Fès
1-3 Taux de multi résistance au sein des espèces isolées durant l’année 2012 au sein du CHU Hassan II de Fès
1-4 Répartition selon les espèces des entérobactéries BLSE durant l’année 2012 au sein du CHU Hassan II de Fès
1-5 Répartition des BMR selon les services d’hospitalisation durant l’année 2012 au sein du CHU Hassan II de Fès
1-6 Evolution du nombre des BMR au cours de l’année 2012 au sein du CHU Hassan II de Fès
1-7 Répartition des BMR isolées selon le sexe durant l’année 2012 au sein du CHU Hassan II de Fès
1-7-1 Répartition des BMR isolées selon le sexe et la nature des prélèvements durant l’année 2012 au sein du CHU de Fès
2- Profil de résistance aux antibiotiques
2-1 Entérobactéries BLSE
2-1-1 Escherichia coli BLSE
2-1-2 Klebsiella pneumoniae BLSE
2-1-3 Enterobacter cloacae BLSE
2-1-4 Klebsiella oxytoca BLSE, Citrobacter koseri BLSE, Enterobacter aerogenes BLSE, Citrobacter brakii BLSE, Seratia marcescens BLSE
2-2 Acinetobacter baumannii résistant à l’Imipénème
2-3 Pseudomonas aeruginosa résistant à la Céftazidime
2-4 Staphylococcus aureus résistant à la Méthicilline
2-5 Autres BMR
DISCUSSION
VIII. Discussion
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
BIBLIOGRAPHIE

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