Aspects épidémiologiques, cliniques, paracliniques, et thérapeutiques de la leucémie lymphoîde chronique ( LLC )

La leucémie lymphoïde chronique (LLC) est un syndrome lymphoprolifératif chronique caractérisé par une accumulation dans la moelle et le sang périphérique de petits lymphocytes B d’aspect mature et d’origine monoclonale, qui présentent un phénotype particulier, associant entre autres l’expression de CD5, CD19 et CD23. Cette hémopathie est la plus fréquente des leucémies dans les pays occidentaux, et affecte principalement le sujet âgé, avec un tiers seulement des patients ayant moins de 60 ans au moment du diagnostic [17, 18]. Son étiologie reste peu connue. Des facteurs environnementaux peuvent être impliqués. Des facteurs génétiques sont aussi probables : des formes familiales de LLC ont été décrites [12].

En raison du caractère volontiers asymptomatique de la maladie, le diagnostic est souvent posé de façon fortuite, à l’occasion d’un hémogramme systématique. Le pronostic de la maladie est très hétérogène. La survie médiane globale des patients atteints de LLC est de l’ordre de 10 ans, mais l’évolution clinique est variable d’un individu à un autre, avec une survie allant de quelques mois à des dizaines d’années. En effet, certains patients présentent une forme indolente ne modifiant pas l’espérance de vie, alors que pour d’autres, la maladie a un comportement agressif et progresse rapidement avec une survie après diagnostic inférieure à 2-3 ans [48, 77]. Ces dernières années, d’importants progrès dans la compréhension de la LLC ont été réalisés : la découverte des cibles intracellulaires inhibant l’apoptose [13], de cytokinines, de chémokines et de protéines angiogéniques qui fournissent l’environnement favorable pour une prolifération de la LLC. Il apparait aujourd’hui que l’hyperplasie lymphoïde résulte autant, voire plus d’un processus d’accumulation par blocage du système d’apoptose que d’une simple prolifération [86]. Les critères du diagnostic exigent une plus grande précision (techniques d’immunocytologie). Les critères pronostiques, de plus en plus précis apparaissent, (CD38, thymidine-kinase, caryotype, étude des gènes d’immunoglobulines) dont l’exploitation encore limitée, pourrait devenir routinière pour certains d’entre eux dans un avenir proche [23, 78].

HISTORIQUE DE LA LLC

L’entité clinique leucémie a été décrite pour la première fois de manière simultanée par Craigie, Bennett et Virchow après le travail pionnier de Donne en France. Dans sa célèbre publication de 1845, Bennett rapporte un compte rendu d’autopsie et propose le terme de leucytémie à la différence de Virchow qui recourt à leucémie pour désigner une affection caractérisée par un rapport inversé des corpuscules non colorés et des cellules contenant des pigments dans le sang, mais distincte du pus.

Si Virchow avait déjà soupçonné pour cette affection un trouble du développement des cellules sanguines, c’est avec la description par Neumann en 1869 de la fonction hématopoïétique de la moelle osseuse qu’est établi le concept de leucémie myélogène. Il faut néanmoins attendre les années 1880, pour que des progrès significatifs soient enregistrés avec les colorations histologiques mises au point par Paul Ehrlich, qui propose une distinction entre les lignées leucocytaires myéloïde et lymphoïde avec deux formes de leucémies rapprochées plus tard des évolutions cliniques qui ont donné des formes aiguës et chroniques [89]. Ebstein définit en 1889 le cadre des leucémies aiguës à distinguer des transformations des leucémies chroniques pouvant répondre à des étiologies différentes. À partir de ce moment, les schémas avancés pour comprendre l’hématopoïèse et la genèse des leucémies deviennent indissociables. À l’opposé du dualisme affiché par Naegli, qui identifie les myéloblastes, précurseurs des myélocytes, et qui décrit la leucémie myéloblastique, se situe Pappenheim. Celui-ci, soutenant une conception monophylétique de l’origine des cellules du sang, tente de constituer une nouvelle science de la morphocytogenèse, quand Ferrata nomme la cellule souche indifférenciée l’hémocytoblaste qui devint plus tard l’hémohistioblaste. C’est en 1913 que le progrès des techniques de coloration permet de distinguer des grandes cellules mononucléaires à granulations azurophiles, auxquelles est donné le nom de monocyte avant que soit proposé le concept de système réticulo-endothélial par Aschoff et Kiyono (1924) avec l’avènement d’un troisième type de leucémie [24]. Les années qui précèdent les premières tentatives thérapeutiques autour de la Seconde Guerre mondiale sont essentiellement marquées, en ce qui concerne la compréhension de l’hématopoïèse et de la classification des leucémies, par les progrès des techniques histologiques et de coloration en même temps que se constitue un corps de professionnels rompus à l’utilisation du microscope. En 1975, Köhler et Milstein étaient les premiers à décrire les anticorps monoclonaux, ce qui leur avait valu le prix Nobel de la médecine en 1984. La généralisation de l’emploi de ces anticorps avait permis le rapprochement des concepts de l’hématopoïèse et de la leucémogenèse, ainsi que l’identification des différents sous-groupes de leucémies aiguës lymphoblastiques [79]. L’amélioration progressive des techniques de laboratoire et la description clinique de plus en plus précise et détaillée des hémopathies malignes ont rendu nécessaire la mise en place d’un système de classification uniforme. Ceci amena un groupe de sept hématologistes français, américains et britanniques à proposer, en 1976, un système de classification (FAB) permettant un meilleur recueil des données et une meilleure définition des inclusions des protocoles thérapeutiques. Le récent développement des méthodes de cytogénétique, de l’immunophénotypage puis de la biologie moléculaire ont progressivement suscité le besoin d’une nouvelle approche nosologique, plus globale, prenant en compte l’ensemble des critères cliniques et biologiques désormais disponibles, qui ont ainsi abouti, en 2001, à une nouvelle classification : celle de l’OMS [52]. La prise en charge a été profondément transformée ces dernières années par les avancées dans la compréhension de la physiopathologie de la maladie et par l’introduction de nouveaux outils thérapeutiques [66].

EPIDEMIOLOGIE DE LA LLC

Incidence et prévalence

C’est la plus fréquente des leucémies de l’adulte. Son incidence est de 3 à 10 nouveaux cas sur 100.000 par an, en France [40]. Son incidence aux Etats-Unis est évaluée à 3,5 nouveaux cas pour 100.000 personnes. 15 000 nouveaux cas sont diagnostiqués aux USA chez les adultes chaque année [93]. La LLC représente environ 7% du total des lymphomes malins non hodgkiniens (LMNH), 30% des leucémies, 0,8% de l’ensemble des cancers [90]. La fréquence de la LLC est variable selon les régions. En Afrique, elle tourne autour de 19,3% des hémopathies malignes. Elle est plus basse en Asie avec un taux de 2,5% au Japon et en Chine [7]. En Extrême-Orient, la LLC est extrêmement rare. Par contre elle est de 38% au Danemark [18].

La prévalence de la LLC évolue avec l’âge. Elle est de 3 à 5 sur 100.000 à 50 ans, et 30 sur 100.000 à 80 ans [39].

Facteurs épidémiologiques

âge

La LLC-B est l’hémopathie lymphoïde la plus fréquente du sujet âgé [63]. Il s’agit de la plus fréquente des leucémies dans les pays occidentaux avec une médiane d’âge des patients au diagnostic de 64 ans. 10% des patients sont diagnostiqués avant 50 ans [88]. L’incidence de la maladie augmente avec l’âge. Elle est de 5/100 000 après 50 ans et de 30/100 000 après 80 ans [9]. Dans les séries prospectives de groupe français, la médiane d’âge est de 64 ans, avec la répartition suivante : moins de 40 ans : 1 % ; 40-50 ans : 7 % ; 51-60 ans : 23 % ; 61-70 ans : 37 % ; 71-75 ans : 18 % ; plus de 75 ans : 14 % [40]. La LLC n’existe pas chez l’enfant [56].

sexe

Il existe une prédominance masculine dans la LLC. La répartition HommeFemme est respectivement de 65% et 35%. Le sex-ratio homme/femme est de 2/1. Les femmes ont moins de LLC que les hommes [88]. Le sexe féminin a une influence pronostique positive [48].

race

La LLC est plus fréquente dans les pays occidentaux, tels que chez les Européens (en France, au Danemark) et aux Etats-Unis. Elle est rare dans les pays d’Asie du sud-est (Japon, Chine) et dans les pays de race Noire, notamment en Afrique .

niveau socio-économique

Ce facteur ne semble pas avoir une influence sur la survenue de la LLC, même si cette hémopathie maligne est fréquente dans les pays développés, dans des pays où le niveau socio-économique est bon. Toutefois dans certains pays classés comme des puissances émergeantes, à l’image du Japon où le niveau socio-économique est relevé, la LLC y est extrêmement rare. En Afrique où le niveau de vie est faible par rapport aux pays industrialisés, cette pathologie y est rare. Cependant elle frappe les classes sociales les plus démunies [22].

Facteurs étiologiques 

facteurs environnementaux 

Les facteurs environnementaux ne semblent pas jouer un rôle important dans la pathogénie. Jusque-là, aucun facteur environnemental n’apparait décisif. Bien qu’une augmentation du risque ait été évoquée dans différentes professions (producteurs de soja, utilisateurs de pesticides, travailleurs dans l’industrie du caoutchouc ou de l’amiante), la LLC est la seule leucémie pour laquelle n’a jamais été mise en évidence une relation avec l’irradiation ou avec des toxiques [28,29].

facteurs génétiques

En revanche, une susceptibilité génétique est probable. Des facteurs génétiques semblent jouer un rôle dans la pathogénie de la maladie. Le risque d’une LLC serait trois à dix fois plus élevé dans la fratrie d’un sujet [64] avec un phénomène d’anticipation, c’est-à-dire une apparition de plus en plus précoce de la maladie au cours des générations [49, 99].

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Table des matières

INTRODUCTION
I. HISTORIQUE DE LA LLC
II. EPIDEMIOLOGIE DE LA LLC
A. INCIDENCE ET PREVALENCE
B. FACTEURS EPIDEMIOLOGIQUES
1. AGE
2. SEXE
3. RACE
4. NIVEAU SOCIO-ECONOMIQUE
C. FACTEURS ETIOLOGIQUES
III. LE SYSTEME HEMATOPOIETIQUE ET HEMATOPOIESE
A. LE SYSTEME HEMATOPOIETIQUE
1. LES ORGANES LYMPHOIDES PRIMAIRES
1.1. LA MOELLE OSSEUSE
1.2. LE THYMUS
2. LES ORGANES LYMPHOIDES SECONDAIRES
2.1. LA RATE
2.2. LES GANGLIONS LYMPHATIQUES
2.3. LE SYSTEME MALT
B. L’HEMATOPOIESE
1. LES COMPARTIMENTS DE L’HEMATOPOIESE
1.1. LES CELLULES SOUCHES HEMATOPOIETIQUES
1.2. LES PROGENITEURS
1.3. PRECURSEURS ET CELLULES MATURES
2. REGULATION
2.1. LE MICROENVIRONNEMENT HEMATOPOIETIQUE
2.2. LES VITAMINES ET OLIGOELEMENTS
2.3. LES FACTEURS DE CROISSANCE
2.4. LES FACTEURS D’INHIBITION
IV. PHYSIOPATHOLOGIE
A. L’IMMUNOPHÉNOTYPAGE CARACTERISTIQUE DU LYMPHOCYTE DE LA LLC
B. LA SPECIFICITE DU LYMPHOCYTE B DE LA LLC VIS-AVIS DE CERTAINS AUTO-ANTIGENES
C. L’HETEROGENEITE MOLECULAIRE DANS LA LLC
D. ANOMALIES CYTOGENETIQUES
E. LA RESISTANCE ACCRUE A L’APOPTOSE IN VIVO PAR LES LYMPHOCYTES B DE LA LLC
F. DEFICIT IMMUNITAIRE ET AUTO-IMMUNITE
1. L’HYPOGAMMAGLOBULINEMIE
2. L’AUTO-IMMUNITE
V. CLASSIFICATION OMS
VI. DIAGNOSTIC
A. DIAGNOSTIC POSITIF
1. TDD : LA LLC DE L’ADULTE DE LA SOIXANTAINE DANS SA FORME GANGLIONNAIRE PURE
1.1. CLINIQUE
1.1.1.CDD
1.1.2.EXAMEN CLINIQUE
1.2. PARACLINIQUE
1.2.1. NFS
1.2.2.EXAMEN IMMUNOPHENOTYPIQUE
1.2.3. MYELOGRAMME
1.2.4.BIOPSIE OSTEO-MEDULLAIRE
1.2.5.BIOPSIE GANGLIONNAIRE
1.2.6. AUTRES EXAMENS
1.2.7.CARYOTYPE ET CYTOGENETIQUE MOLECULAIRE
1.2.8.BILAN RADIOLOGIQUE
1.3. EVOLUTION
1.3.1.LES ELEMENTS DE SURVEILLANCE
1.3.2.LES MODALITES EVOLUTIVES
2. FORMES CLINIQUES
2.1. LES LLC DE PHENOTYPE B, CD5 NEGATIVE
2.2. LES LLC DE PHENOTYPE T
2.3. LES VARIANTES MORPHOLOGIQUES DE LA LLC
2.3.1.LLC MIXTE A PETITS ET GRANDS LYMPHOCYTES
2.3.2.LLC MORPHOLOGIQUEMENT ATYPIQUE
2.3.3.LLC PROLYMPHOCYTOIDE OU LLC/LPL
2.4. LEUCEMIE PROLYMPHOCYTAIRE T
B. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
1. LYMPHOCYTOSE POLYCLONALE
2. LYMPHOMES LYMPHOCYTIQUES
3. LYMPHOCYTOSES MONOCLONALES B
3.1. LEUCEMIE PROLYMPHOCYTAIRE B
3.2. LEUCEMIE A TRICHOLEUCOCYTES
3.3. LYMPHOME SPLENIQUE A LYMPHOCYTES VILLEUX
3.4. LYMPHOMES FOLLICULAIRES EN PHASE LEUCEMIQUE
3.5. LYMPHOME A CELLULES DU MANTEAU
4. LYMPHOCYTOSES MONOCLONALES T
4.1. LEUCEMIE PROLYMPHOCYTAIRE T
4.2. SYNDROME DE SEZARY
4.3. LYMPHOCYTOSES A LYMPHOCYTES GRANULEUX
4.4. LEUCEMIE/LYMPHOME T DE L’ADULTE
VII. PRONOSTIC
A. FACTEURS PRONOSTIQUES
1. LES CLASSIFICATIONS CLINIQUES
1.1. RAI
1.2. BINET
1.3. NCI
2. LES CRITERES BIOLOGIQUES
2.1. LE TEMPS DE DEDOUBLEMENT DE LA LYMPHOCYTOSE
2.2. LA CYTOLOGIE DES LYMPHOCYTES
2.3. L’INFILTRATION DE LA MOELLE
2.4. LES MARQUEURS SERIQUES DE PROLIFERATION
2.5. LES ANOMALIES CYTOGENETIQUES
2.6. L’ETAT MUTATIONNEL DU GENE IgVH
2.7. AUTRES
2.7.1.LES FACTEURS IMMUNOPHENOTYPIQUES
2.7.2.EXPRESSION DE CLU1, LPL ET ADAM29
2.7.3.LE SEXE, L’AGE
2.7.4.L’EVALUATION DE LA MALADIE RESIDUELLE
B. BILAN PRONOSTIQUE
VIII. BILAN D’EXTENSION
IX. BILAN PRETHERAPEUTIQUE
X. TRAITEMENT
A. BUTS
B. MOYENS
C. INDICATIONS
D. CRITERES DE REPONSES
E. SURVEILLANCE
CONCLUSION

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