ASPECTS CHIMIQUES ET BIOLOGIQUES DES MÉCANISMES OXYDATIFS
Au cours de l’évolution, les organismes aérobies se sont adaptés à l’oxygène atmosphérique par la mise en place de systèmes métabolisant l’oxygène. Élément indispensable à notre survie, l’oxygène est également à l’origine de toxicité chez l’Homme. Cette toxicité est liée à sa nature bi-radicalaire, autorisant des réarrangements électroniques sur la couche orbitale externe et le rendant plus actif. Ainsi, l’oxygène moléculaire peut se transformer dans les cellules mammifères, essentiellement par voie enzymatique, en espèces réactives de l’oxygène (EROs). Le complexe enzymatique mitochondrial de la chaîne respiratoire représente la principale source enzymatique d’EROs, bien que d’autres sources, cytosoliques, membranaires ou présentes au sein de différents organites cellulaires, puissent également générer des EROs : NADPH oxydase membranaire, xanthine-xanthine oxydase, enzymes de la voie de l’acide arachidonique (lipoxygénase, cyclo-oxygénase), enzymes du réticulum endoplasmique lisse (cytochrome P450) et peroxysomes (Beaudeux et Vasson, 2005). Notons qu’en parallèle, des EROs peuvent être formées de manière non-enzymatique, notamment au travers de l’autoxydation des catécholamines, des quinones et des flavines par l’intermédiaire de facteurs environnementaux tels que les UVs, les radiations ionisantes, les catalyseurs chimiques, l’alcool, le tabac, les médicaments, ainsi que les épisodes d’ischémie-reperfusion.
Dans les conditions quotidiennes normales, ces EROs sont continuellement produites en faibles quantités et cette production physiologique est parfaitement maîtrisée par des systèmes de défense. Dans ces circonstances normales, on dit que la balance antioxydants/pro-oxydants est en équilibre. Si tel n’est pas le cas, que ce soit par déficit en antioxydant et/ou par suite d’une surproduction d’EROs, l’excès de ces espèces oxydantes est appelé « stress oxydant » et peut résulter en l’oxydation de substrats bio-organiques d’importance physiologique comme les lipides, les protéines et les acides nucléiques (Favier, 2003). Ainsi, dans les membranes, l’oxydation des lipides et la réaction des produits d’oxydation avec les protéines vont perturber la microarchitecture membranaire et altérer certaines fonctions biologiques cruciales telles que la perméabilité, la fluidité ou encore l’activité de récepteurs et d’enzymes (Cillard et Cillard, 2006). Dans les lipoprotéines de basse densité (LDL), l’oxydation des lipides, mais également la modification des résidus lysines de l’apolipoprotéine B100 par les produits d’oxydation lipidique secondaire, jouent un rôle majeur dans l’étiologie de l’athérosclérose. Les LDLs oxydés se comportent en effet comme de véritables « chevaux de Troie » en introduisant dans les macrophages des produits d’oxydation fluorescents et carbonylés qui participent, par le biais de mécanismes encore partiellement élucidés, à la formation de cellules spumeuses et des stries lipidiques concomitantes. Par ailleurs, l’oxydation de résidus cystéines du domaine de liaison à l’ADN de la p53 (protéine « gardienne du génome »), peut conduire à une gêne stérique lors de son interaction avec l’ADN, altérant ainsi le processus de mort cellulaire programmée ainsi que la réparation de l’ADN. Au niveau nucléaire, les modifications oxydatives des bases de l’ADN sont des causes possibles de mutagénèse et de cancérogénèse.
Sur un autre plan, enfin, l’oxydation pose de sérieux problèmes aux industries agroalimentaires et cosmétiques, notamment celles utilisant des acides gras polyinsaturés.
Ainsi, dans le domaine alimentaire et au-delà de l’altération des qualités gustatives (rancissement) et nutritionnelles (pertes en vitamines et acides gras essentiels), l’oxydation des lipides et des protéines en composés hautement réactifs et toxiques représente un danger réel pour le consommateur. Après un bref rappel théorique concernant la génération des espèces oxydantes, nous aborderons les mécanismes oxydatifs de trois grandes familles : les lipides, les protéines et les acides nucléiques.
GÉNÉRATION DES ESPÈCES OXYDANTES
Les espèces réactives de l’oxygène (EROs) peuvent être définies comme des espèces partiellement réduites de l’oxygène dont le chef de file est le radical superoxyde O2 •- résultant de la réduction mono-électronique de l’oxygène en présence de métaux de transition, de molécules organiques, mais surtout d’enzymes appartenant pour la plupart au complexe de la chaîne respiratoire mitochondriale.
Les mitochondries : sources majeures d’espèces oxydantes
Les mitochondries sont des organites cytoplasmiques présents dans toutes les cellules eucaryotes, dont la fonction la mieux caractérisée est la production d’énergie par phosphorylation oxydative. Le terme mitochondrie, donné par Benda en 1898, dérive du grec mitos signifiant « filament » et de kondros qui désigne la « graine », en raison de l’aspect de cet organite durant la spermatogénèse. Les mitochondries sont des organites de petite taille de l’ordre du micron (Fig. 1A-C). Leur nombre dans la cellule est encore sujet à débat (Collins et al., 2002). À titre d’exemple, il a été estimé que les hépatocytes de rat contenaient de l’ordre de 1000 mitochondries par cellule, mais cette abondance dépend du type cellulaire. Les mitochondries présentent une ultra-structure standard avec un double système membranaire (2 doubles couches phospholipidiques) définissant deux compartiments mitochondriaux distincts : l’espace matriciel et l’espace intermembranaire (Fig. 1).
La constitution de leur double membrane riche en cardiolipine, leur patrimoine génétique (absence d’intron et d’histone, codons différents), la structure des unités codées par l’ADN mitochondrial de la cytochrome c oxydase, leur mode de renouvellement par scissiparité (mitochondriodiérèse), ainsi que la sensibilité similaire des ribosomes mitochondriaux et bactériens aux antibiotiques comme la streptomycine, suggèrent fortement que les mitochondries seraient les descendants directs de bactéries logées à l’intérieur d’un hôte bactérien dit nucléo-cytoplasmique selon la théorie endosymbiotique de Portier (1918). Par la suite, Wallin (1927) mais surtout Margulis (19671 ; 1970) ont étayé et formulé l’intuition initiale de Portier dans un cadre théorique plus formel en incorporant de nombreuses observations établies dans le champ de la microbiologie. Selon Margulis et Sagan (2002), l’un des scénarios endosymbiotiques les plus probables impliquerait que les mitochondries seraient apparues par endosymbiose de bactéries prédatrices ancestrales proches de Bdellovibrio ou Daptobacter avec une bactérie hôte de type Thermoplasma.
D’un point de vue fonctionnel, les mitochondries sont responsables de la production de l’énergie indispensable au travail cellulaire. L’énergie chimique utilisée par les cellules est principalement emmagasinée dans la dernière liaison phosphate de l’adénosine triphosphate (ATP). Cette molécule est obtenue par oxydation des combustibles cellulaires que constituent le glucose, les acides gras et les acides aminés. Ainsi, les voies cataboliques (β-oxydation ou hélice de Lynen, glycolyse, voie des pentoses phosphates, …) associées à ces différents nutriments convergent vers la molécule d’acétyl-CoA, qui va par la suite être prise en charge par le cycle des acides tricarboxyliques, également appelé cycle de Krebs. À l’issu de huit réactions successives, l’oxydation complète de l’acétyl-CoA en CO2 s’accompagne de la production d’électrons qui vont être pris en charge par des coenzymes et des flavoprotéines (réaction 1).
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Table des matières
CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1. ASPECTS CHIMIQUES ET BIOLOGIQUES DES MÉCANISMES OXYDATIFS
1.1. GÉNÉRATION DES ESPÈCES OXYDANTES
1.1.1. Les mitochondries : sources majeures d’espèces oxydantes
1.1.2. Devenir métabolique des espèces oxydantes
1.2. OXYDATION DES LIPIDES
1.3. OXYDATION DES PROTÉINES
1.4. OXYDATION DES ACIDES NUCLÉIQUES
2. ANTIOXYDANTS
2.1. MODES D’ACTION DES ANTIOXYDANTS
2.1.1. Détoxification endogène enzymatique des EROs
2.1.2. Substances antiradicalaires non enzymatiques
2.1.2.1. Origine et structure chimique
2.1.2.2. Aspects mécanistiques et cinétiques
2.1.3. Piégeurs d’oxygène singulet
2.1.4. Chélateurs de métaux de transition
2.1.5. Effets pro-oxydants
2.2. EFFETS SYNERGIQUES, ANTAGONISTES ET ADDITIFS
2.2.1. Combinaison d’α-tocophérol et d’acide ascorbique
2.2.2. Combinaisons d’α-tocophérol et de composés phénoliques
3. MÉTHODES D’ÉVALUATION IN VITRO DE LA CAPACITÉ ANTIOXYDANTE
3.1. MÉTHODES NON COMPÉTITIVES
3.1.1. Le test au radical 2,2-diphényl-1-picrylhydrazyl
3.1.2. Radical cation dérivé de l’acide 2,2’-azino-bis-3-éthylbenzothiazoline-6- sulfonique
3.2. MÉTHODES COMPÉTITIVES
3.2.1. Déplétion en oxygène
3.2.2. Disparition du substrat
3.2.2.1. Méthodes utilisant la β-phycoérythrine
3.2.2.2. Méthode utilisant la fluorescéine (ORACFL)
3.2.2.3. Co-oxydation du β-carotène et de l’acide linoléique
3.2.2.4. Chute de fluorescence de l’acide cis-parinarique
3.2.2.5. Cytométrie de flux et fluorescéines lipophilisées
3.2.2.6. Chute de fluorescence du BODIPY
3.2.3. Apparition de produits d’oxydation
3.2.3.1. Mesure des hydroperoxydes
3.2.3.2. Mesure spectrophotométrique des diènes conjugués
3.2.3.3. Test à l’acide thiobarbiturique (TBA)
3.2.3.4. Mesure des composés volatils par chromatographie
3.2.3.5. Mesure des lipofuscines
3.2.3.6. Mesure des produits d’oxydation de sondes cellulaires fluorogéniques
CHAPITRE 2 : MATÉRIELS ET MÉTHODES
1. PRODUITS CHIMIQUES
2. MESURE DE LA CAPACITÉ ANTIOXYDANTE DE COMPOSÉS Purs OU D’EXTRAITS VÉGÉTAUX
2.1. Préparation des extraits de feuilles d’olivier
2.2. Caractérisation des extraits de feuilles d’olivier par HPLC/MS-ESI
2.3. Caractérisation de l’huile de tung
2.3.1. Préparation des esters méthyliques d’huile de tung
2.3.2. Caractérisation des triacylglycérols de l’huile de tung par HPLC
2.3.3. Caractérisation de la régiodistribution de l’huile de tung
2.3.4. Analyses des tocophérols endogènes de l’huile de tung
2.3.5. Préparation de l’huile de tung purifiée
2.4. Protocole du test des triènes conjugués
2.5. Mesure de la capacité antioxydante par la méthode DPPH
2.6. Mesure de la capacité antioxydante par la méthode ORACFL
2.7. détermination théorique du log D
3. TESTS SUR CULTURES CELLULAIRES
3.1. Cellules employées et conditions de culture
3.2. Préparation des cultures cellulaires en microplaque 96 puits
3.3. Traitements avec les composés phénoliques
3.4. Mesure de la capacité antioxydante de l’acide 5-caféoylquinique et de ses esters alkyliques
3.4.1. Synthèse des esters alkyliques d’acide 5-caféoylquinique
3.4.2. Identification des esters alkyliques d’acide 5-caféoylquinique
3.4.3. Mesure des espèces oxydantes par la 2’,7’-dichlorodihydrofluorescéinediacétate
3.4.4. Quantification de l’ADN par le réactif de Hoechst 33258
3.5. Mesure de la cytotoxicité de l’acide 5-caféoylquinique et de ses esters alkyliques
CHAPITRE 3 : RÉSULTATS ET DISCUSSION
1. DÉVELOPPEMENT, VALIDATION ET APPLICATION DE LA MÉTHODE CAT
1.1. MÉTHODOLOGIE ET OPTIMISATION DES CONDITIONS OPÉRATOIRES
1.1.1. Choix du système et de la stratégie de mesure de l’oxydation
1.1.2. Choix du substrat oxydable
1.1.3. Propriétés chimiques de l’huile de tung
1.1.4. Propriétés spectrales de l’huile de tung
1.1.5. Préparation de l’émulsion
1.1.6. Oxydation artificielle de l’huile de tung en émulsion
1.2. MESURE DE LA CAPACITÉ ANTIOXYDANTE DE COMPOSÉS PHÉNOLIQUES
1.2.1. Aspects cinétiques
1.2.2. Expression des résultats
1.3. CONCLUSION
2. ÉTUDE DE LA RELATION STRUCTURE-ACTIVITÉ DE COMPOSÉS PHÉNOLIQUES SIMPLES
2.1. MÉTHODE CAT
2.1.1. Analyse globale
2.1.2. Étude spécifique des acides phénoliques
2.1.3. Étude spécifique des flavonoïdes
2.2. MÉTHODE ORACFL
2.2.1. Analyse globale
2.2.2. Étude spécifique des acides phénoliques
2.2.3. Étude spécifique des flavonoïdes
2.3. MÉTHODE DPPH
2.3.1. Analyse globale
2.3.2. Étude spécifique des flavonoïdes
2.3.3. Étude spécifique des acides phénoliques
2.3.4. Étude stœchiométrique
2.4. CONCLUSION
3. APPLICATION DU TEST CAT À L’ÉTUDE D’EXTRAITS VÉGÉTAUX : FEUILLES D’OLIVIER
3.1. CARACTÉRISATION DU PROFIL PHÉNOLIQUE
3.2. ÉTUDE DE L’ÉVOLUTION DU PROFIL PHÉNOLIQUE
3.3. ÉTUDE DE LA CAPACITÉ ANTIOXYDANTE DES EXTRAITS DE FEUILLES
3.4. CONCLUSION
4. ÉTUDE DE LA CAPACITÉ ANTIOXYDANTE SUR CULTURES CELLULAIRES
4.1. CHOIX DES CONDITIONS EXPÉRIMENTALES
4.2. ÉTUDE DES PROPRIÉTÉS ANTIOXYDANTES DE COMPOSÉS PHÉNOLIQUES
4.3. ÉTUDE DES PROPRIÉTÉS ANTIOXYDANTES EN SYSTEMES ACELLULAIRES
4.4. ÉTUDE DES PROPRIÉTÉS CYTOTOXIQUES
4.5. CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE ET PERSPECTIVES
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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