Dégazage et vésiculation des magmas
Les éruptions volcaniques sont l’expression à la surface de la Terre, par l’émission de laves, de fragments magmatiques (cendres, lapillis, blocs et bombes) et de gaz, des processus qui interviennent en profondeur. Elles sont provoquées par le dégazage des magmas qui remontent dans le conduit volcanique, c.-à-d. par l’exsolution (ou perte) des volatils dissous dans le liquide silicaté. Ce processus se manifeste par la nucléation de bulles de gaz au sein du liquide (nucléation homogène des bulles), éventuellement sur la face de cristaux (nucléation hétérogène des bulles), et leur croissance diffusive.
Les éruptions volcaniques peuvent être effusives ou explosives, en lien avec le comportement de la phase gazeuse. Les éruptions effusives émettent des laves dégazées, sous forme de coulées pour les volcans basaltiques ; l’ascension du magma et des bulles de gaz est séparée (dégazage en système ouvert). Au contraire, les éruptions explosives sont souvent produites par des magmas contenant une importante fraction volumique de bulles de gaz (dégazage en système fermé). La capacité de la phase gazeuse à se séparer violemment ou non du magma dépend en grande partie des processus de nucléation (profondeur du dégazage), de croissance et de coalescence des bulles (développement de la perméabilité du magma favorisant la perte des volatils dissous), constituant le phénomène de la vésiculation.
Les impacts des éruptions volcaniques peuvent être conséquents pour l’homme et le climat (effet des émissions de gaz), d’où l’intérêt scientifique de mieux comprendre les processus de dégazage magmatique (processus syn-éruptifs). En particulier, celui de la nucléation des bulles de gaz qui constitue la première étape de la vésiculation des magmas, dont vont dépendre la croissance et la coalescence des bulles, ainsi que la fragmentation du magma.
Le processus de nucléation des bulles de gaz n’a été que peu étudié dans les systèmes basaltiques lesquels sont souvent considérés comme peu explosifs et donc peu dangereux. Or, les volcans basaltiques peuvent aussi développer des dynamismes très énergétiques conduisant à de violentes éruptions. Ces manifestations explosives, souvent appelées paroxysmes, sont connues sur plusieurs volcans basaltiques et notamment au Stromboli, le volcan référence dans notre étude. La dangerosité de ces éruptions réside dans le fait qu’elles apparaissent comme accidentelles dans l’histoire éruptive, et un des buts de la volcanologie moderne est donc d’identifier des signaux précurseurs permettant de mieux les prévoir. Au Stromboli, des avancées ont été faites dans ce sens, notamment par la mise en place de systèmes de mesures géochimiques et géophysiques en continu (suite à la crise de 2002– 2003) et, d’autre part, par l’étude texturale et pétrologique des produits éruptifs associés à ces paroxysmes. Cependant, dans le cas des mesures de gaz volcaniques, par exemple, leur interprétation se base sur un modèle de dégazage à l’équilibre des liquides basaltiques. Or, des expériences récentes (Pichavant et al., 2013) ont démontré la possibilité d’un comportement hors équilibre du CO2 lors du dégazage des liquides basaltiques. L’interprétation des données de surveillance des volcans n’est donc pas évidente et requiert la connaissance fondamentale des mécanismes éruptifs mis en jeu. Pour ce faire, l’expérimentation est utile car elle permet d’approcher les conditions d’ascension des magmas et de la vésiculation des bulles de gaz (nucléation, croissance, coalescence) par des simulations en laboratoire en conditions contrôlées et réalistes ; l’objectif étant de comprendre les mécanismes qui contrôlent les caractéristiques texturales (nombre, taille, forme des bulles) et chimiques (teneur en volatils dissous, composition des gaz) des produits naturels et de les approcher.
Le dégazage magmatique
Les volatils dans les magmas
Les volatils sont des éléments, ou composés chimiques, dissous en profondeur dans la phase liquide des magmas silicatés, et libérés sous forme gazeuse au cours de la remontée de ces derniers, lors d’une éruption volcanique par exemple (Sigurdsson, 2015). Les volatils jouent un rôle important dans les systèmes volcaniques, puisqu’ils affectent les propriétés physico-chimiques des magmas (ex. viscosité, densité) et conditionnent la dynamique des éruptions (i.e. l’ascension et l’éruption des magmas). Ils sont donc fortement impliqués dans la génération des éruptions explosives, les plus spectaculaires et les plus dangereuses. Les magmas silicatés, acides (plus de 63% SiO2) ou basiques (de 45 à 52% SiO2), contiennent différentes teneurs en volatils, de l’ordre de quelques % poids. Les espèces volatiles les plus abondantes (i.e. les volatils majeurs), aussi bien dans le liquide silicaté que dans les gaz volcaniques, sont l’eau, le dioxyde de carbone et le soufre (principalement SO2 et H2S dans les gaz) (ex. Symonds et al., 1994). Les informations quant aux teneurs en volatils des magmas sont fournies par l’analyse des inclusions vitreuses et des gaz volcaniques, ainsi que par les expériences d’équilibre de phases. Ces dernières consistent à reproduire en laboratoire l’assemblage minéralogique et les compositions des phénocristaux, ainsi que la teneur en volatils des verres naturels, en imposant des conditions de pression, température, teneur en volatils et d’oxydoréduction (reliées à la fugacité d’oxygène fO2) représentatives des conditions pré-éruptives.
Les plus fortes teneurs en volatils se trouvent dans les magmas d’arc, en lien avec le contexte de subduction. A noter que c’est celui qui nous intéresse tout particulièrement puisque le Stromboli est un volcan d’arc. Sans entrer dans les détails, les zones de subduction participent pour beaucoup au recyclage des volatils issus de la dévolatilisation (et déshydratation dans 5–10 premiers km, ex. Moore et Vrolijk, 1992) de la plaque plongeante (croûte océanique altérée et sédiments, Wallace, 2005 ; Grove et al., 2012 ; Zellmer et al., 2015). Dans ces zones, les volatils jouent un rôle fondamental dans la genèse, l’évolution et l’ascension des magmas d’arc (Zellmer et al., 2015).
Solubilité des volatils dans les basaltes
Dans des conditions données (P-T-fO2), la solubilité correspond à la quantité maximale d’une espèce volatile qui peut être dissoute dans un liquide silicaté ; on parle de conditions de saturation. Dans les basaltes, comme dans tous les magmas silicatés, la solubilité est propre à chaque volatil. Elle est déterminée par des études expérimentales (ex. Shishkina et al., 2010 ; Lesne et al., 2011a, b ; Fortin et al., 2015; Lesne et al., 2015) et donnée par les modèles qui en découlent (ex. Dixon, 1997 ; Newman et Lowenstern, 2002 ; Papale et al., 2006 ; Iacono-Marziano et al., 2012 ; Witham et al., 2012 ; Burgisser et al., 2015). La détermination expérimentale des lois de solubilité consiste à équilibrer un liquide silicaté (dont on mesure les concentrations en volatils dissoutes) avec une phase fluide en excès. Ces études ont montré que la solubilité des volatils est principalement dépendante de la pression (ou profondeur) ; elle l’est aussi de la température, de la composition du liquide silicaté (notamment des teneurs en alcalins pour le CO2, Lesne, 2008, et en fer pour le soufre) et de la spéciation des éléments volatils (Mc Millan, 1994 ; Blank et Brooker, 1994 ; Zhang et al., 2007 ; Gonnermann et Manga, 2013). L’eau, présente sous forme moléculaire H2O et de groupement hydroxyle OH- (ex. Stolper, 1982), est l’espèce la plus soluble. Dans les basaltes d’arc (i.e. en contexte de subduction, Wallace, 2005), la solubilité de l’eau peut atteindre 6– 8% pds. Le CO2 est la seconde espèce la plus soluble ; ses solubilités sont un ou deux ordres de grandeur inférieurs à celles de l’eau (Baker et Alletti, 2012). Pour exemple, les basaltes d’arc peuvent contenir jusqu’à 2500 ppm de CO2 (Wallace, 2005). Dans les liquides basaltiques, le carbonate CO3 2- est l’espèce carbonée dominante, le CO2 moléculaire est peu présent, voire absent, selon les concentrations en SiO2 (ex. Wallace et al., 2015). Le soufre est la troisième espèce la plus soluble. Son comportement est complexe, fortement dépendant des conditions d’oxydoréduction (fO2). En conditions réductrices, le soufre est présent sous forme de sulfure S 2- tandis qu’en conditions oxydantes, le soufre est dissous en tant que sulfate S 6+ (Wallace et al., 2015). La solubilité du soufre semble davantage dépendante de la température que de la pression. Les basaltes d’arc contiennent, pour la plupart, entre 900 et 2500 ppm de soufre (Wallace, 2005).
Diffusivité des volatils dans les basaltes
Les constituants volatils majeurs (H2O, CO2, S) ont des diffusivités contrastées dans les liquides basaltiques, fortement dépendantes de leur spéciation. La diffusion de l’eau est bien plus rapide que celles du CO2 et du soufre (Baker et al., 2005 ; Zhang et Ni, 2010 ; Behrens et Stelling, 2011). Les équations citées ci-dessous sont celles que nous avons utilisées pour contraindre la diffusivité des volatils dans les liquides basaltiques.
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Table des matières
Introduction
1. Dégazage et vésiculation des magmas
2. Objectifs et méthodes
3. Structure du manuscrit
Chapitre i : Cadre général
1. Le dégazage magmatique
1.1. Les volatils dans les magmas
1.1.1. Solubilité des volatils dans les basaltes
1.1.2. Diffusivité des volatils dans les basaltes
1.2. Comportement des volatils au cours de la décompression
1.2.1. Le dégazage magmatique
1.2.2. Les mécanismes du dégazage magmatique
1.2.3. Implications pour la dynamique des éruptions
2. Nucléation des bulles dans les magmas
2.1. Aspects théoriques
2.1.1. Théorie classique de la nucléation
2.1.2. Nucléation homogène
2.1.3. Nucléation hétérogène
2.1.4. Effet de la tension de surface
2.2. Aspects naturels
2.2.1. Vésicularité
2.2.2. Densité numérique de bulles
2.2.3. Distribution de taille des bulles
2.3. Aspects expérimentaux
2.3.1. Travaux antérieurs
2.3.2. Pressions de sursaturation
2.3.3. Tensions de surface
3. Modèles théoriques de dégazage des magmas basaltiques
3.1. Dégazage à l’équilibre
3.2. Inclusions vitreuses
3.3. Volcanisme basaltique explosif
4. Approche expérimentale
4.1. Stratégie expérimentale
4.2. Calage des expériences de décompression
4.2.1. Choix du volcan de référence : Le Stromboli
4.2.2. Choix du matériel de départ : La ponce Strombolienne PST-9
4.2.3. Gaz volcaniques
Chapitre ii : Méthodes expérimentales et techniques analytiques
1. Méthodes expérimentales
1.1. Préparation des verres de départ
1.1.1. Préparation des capsules
1.1.2. Remplissage des capsules
1.2. Dispositif expérimental
1.2.1. Autoclave à chauffage interne
1.2.2. Mesure des conditions d’oxydoréduction
1.3. Protocole expérimental
1.3.1. Expériences de synthèse
1.3.2. Expériences de décompression
2. Techniques analytiques
2.1. Préparation des échantillons
2.2. Microtomographie par rayons X
2.3. Microscopie électronique à balayage (MEB)
2.4. Microsonde électronique
2.5. Spectrométrie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR)
2.6. Calculs thermodynamiques
2.6.1. Vésicularités d’équilibre
2.6.2. Equilibres liquide-vapeur
2.7. Calculs de bilan de masse
Chapitre iii : Nucléation homogène des bulles dans les systèmes basalte-H2O et basalte H2O-CO2
Résumé
1. Introduction
2. Theoretical background
3. Experimental methods
3.1. Preparation of starting glasses
3.2. Equipment
3.3. Run procedure
4. Analytical methods
4.1. Sample preparation
4.2. Textural analyses
4.3. Scanning electron microscopy
4.4. Glass volatile contents
5. Experimental results
5.1. Volatile contents of pre-decompression glasses
5.2. Qualitative textural characteristics of post-decompression glasses
5.3. Quantitative study of internal textures
5.4. Volatile contents of post-decompression
6. Interpretation and discussion of experimental observations
6.1. Supersaturation pressures required for homogeneous bubble nucleation
6.2. Physical mechanisms of degassing and textures
6.2.1. Vesicularities
6.2.2. Nucleation events
6.2.3. Bubble coalescence
6.2.4. Fragmentation
6.3. Role of CO2 on physical mechanisms of degassing and textures
6.4. Equilibrium vs. non-equilibrium degassing
7. Volcanological implications
7.1. Comparison between experimental and natural textural parameters
7.2. Use of BSD systematics
8. Conclusions
Appendix
References
Figure captions
Conclusion
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