Le web comme support
Un nouveau média de diffusion
Avec l’arrivée et surtout l’essor et la démocratisation du web, les artistes tout comme les particuliers découvrent un nouvel espace qu’ils peuvent utiliser à leur guise. Internet est un immense réseau informatique connectant aujourd’hui tous les ordinateurs du monde. A l’origine destiné aux militaires et aux chercheurs d’universités, le réseau s’est ouvert à d’autres réseaux jusqu’à devenir une multitude de réseaux interconnectés. Tous les ordinateurs utilisent un protocole commun pour échanger les données. L’essor d’internet est étroitement lié au développement du World Wide Web71. Plus communément appelé Web, il s’agit de l’outil permettant d’utiliser le réseau internet. Il fonctionne sur un modèle client-serveur, l’utilisateur lui envoie une requête, le serveur la reçoit, traite l’information et lui communique le document demandé. L’utilisateur reçoit donc sur son navigateur une page affichant la réponse à sa requête. Le Web et Internet étant, pour l’utilisateur, sensiblement la même chose, nous ne feront pas de distinctions entre les deux ici.
Internet devient donc un nouvel espace de partage, virtuel certes mais offrant beaucoup de nouvelles possibilités. Loin des débuts laborieux des gros ordinateurs possédant une connexion plus que lente, aujourd’hui chacun possède un ordinateur, un téléphone, une tablette pouvant se connecter à internet. Le réseau s’étend même à d’autres objets n’ayant pas pour objectif premier l’utilisation d’internet par un utilisateur mais juste d’user du réseau pour quelques fonctions précises, comme par exemple les véhicules connectés qui vont être équipés d’une carte SIM72 spéciale ou utiliser le partage de réseau avec un smartphone pour proposer une gamme d’applications et de services destinés avant tout au conducteur mais également aux passagers. Internet couvre une majorité du globe, une très grande partie de la population peut avoir accès à un point de connexion qu’il soit privé ou public. Les utilisateurs peuvent donc user de ce réseau pour discuter, échanger, partager. Les connexions toujours plus performantes permettent à une donnée de faire le tour du monde quasiment instantanément et le plus souvent sans filtres. C’est une opportunité pour des artistes qui souhaitent diffuser plus largement leurs travaux sans le concours d’institutions. Sur le net les artistes urbains se trouvent comme dans la rue, au contact direct du public et des passants, ou des internautes dans ce cas. On dit souvent que les médias ont joués un grand rôle dans l’expansion et la démocratisation du street art. Ce nouveau réseau semble en avoir pris le relais avec une puissance d’impact démultiplié. En effet, les artistes peuvent gérer eux-même leur image, ils peuvent s’exprimer plus librement sur leur pratique, tenter de toucher un public plus large. Mais le public a lui aussi son rôle à jouer maintenant. L’impact des réseaux sociaux qu’évoquait André précédemment est réel. Aujourd’hui chacun peut grâce aux smartphones photographier un tag, un graffiti ou autre et le partager instantanément avec ses amis ou ses abonnés. Les réseaux sociaux ne sont qu’une partie d’internet, mais leur impact est sans précédent, une photo partagée sur Instagram peut recevoir des millions de « J’aime » en quelques jours.
Au delà d’un simple moyen de diffusion, c’est une réelle opportunité qui s’offre aux artistes. Le web devient pour eux une nouvel espace d’exposition au même titre que la rue ou que la galerie d’un musée. Cependant l’utilisation de la toile comme moyen d’exposition est à double tranchant. D’un côté l’artiste peut ainsi se créer un portfolio ou un site web lui permettant d’exposer et d’expliquer ses travaux participant ainsi à l’expansion du street art et à sa démocratisation, mais d’autre part les oeuvres sont lâchées dans ce nouvel espace et leur diffusion peut être difficile à contrôler. A propos de la place d’Internet dans le street art, Yvan Tessier déclare.
L’artiste compare donc la rue et Internet, nous avions déjà relevé les similitudes entre ces deux espaces. Cependant, le fait que les oeuvres soient ainsi collectées n’est il pas en contradiction avec la pratique habituelle du street art ? Alors que l’on peut critiquer les pratiques de musées qui collectionnent et enferment des reproductions ou des oeuvres de street art à l’origine pensées pour la rue, on retrouve le même principe sur Internet. L’oeuvre s’inscrit dans un ensemble qu’une photo ne pourra jamais totalement retranscrire. L’ambiance, le lieu font également l’oeuvre et l’oeil du photographe modifiera la perception que le spectateur a de celle-ci. C’est ce que soulève Daniel Buren avec ses Photos-souvenirs, quelles sont les conséquences d’un tel archivage photographique d’oeuvres, les enjeux et les conséquences de cette pratique ?L’intérêt du street art se situe aussi dans la balade, la recherche de l’oeuvre, la découverte. Pour découvrir des oeuvres inédites ou surprenantes de street art, il faut souvent s’éloigner des grandes avenues pour découvrir des ruelles ou même des lieux cachés, à l’accès interdit. C’est ce qu’on appelle l’urbex, abréviation de l’anglais Urban exploration. Cette activité de plus en plus répandue en France consiste à visiter et découvrir des lieux urbains, construits par l’homme et maintenant cachés, abandonnés, interdits, etc. Ces bâtiments et ces angles morts dans ou autour de la ville sont des lieux idéaux pour les artistes et peuvent donner lieu à des créations gigantesques. C’est par exemple le cas avec Denis Meyer, un street artiste bruxellois qui a monté un projet ambitieux : créé sur une surface de 50 000m². Pour cela l’artiste s’est attaqué à l’ancien siège social de l’entreprise Solvay à Ixelles en Belgique. Il retranscrit alors plus de l’équivalent de 150 carnets de notes et croquis répartis dans ce bâtiment de 8 étages79. Avec les collections d’oeuvres disponibles sur internet, il n’y a plus besoin de découvrir et d’arpenter la ville à la recherche de nouveaux tags, tout ou presque est disponible d’un clic. En effet, même si les oeuvres sont conservées sur pellicule ou numériquement, elles ne pourront pas toujours rendre totalement compte de l’ensemble d’un travail comme c’est le cas avec le projet de Denis Meyer.
Malgré tout, le réseau internet reste une véritable opportunité pour les artistes mais également les amateurs de street art. C’est ce qu’on remarqué sept passionnés de street art qui décident de monter en 2011 un site internet et une application mobile : Urbacolors. Dans la description de la première version du site, on peu lire que.
Penser la rue pour le web : Tag Clouds, Mathieu Tremblin
La toile offre donc un nouvel espace d’expression qui, bien loin de s’opposer à la pratique urbaine, permet de l’amplifier voire de la faire évoluer. En effet, de nombreux artistes ont grandit avec ces deux cultures et vont réfléchir à des manières de concilier ces deux espaces, à adapter les pratiques urbaines au Web, comment s’en servir pour mieux rendre compte de la pratique du street art etc. Outre des nouveaux formats d’oeuvres à la fois urbaines et numériques dont nous parlerons plus tard, des artistes vont réellement penser le numérique comme une extension des pratiques urbaines. C’est notamment le cas avec Mathieu Tremblin qui tend de par sa pratique à explorer les liens très étroits qui lient street art et numérique. Avec son projet Tag Clouds initié à Rennes en 2010, l’artiste ne cherche pourtant pas à mettre en avant les similitudes entre le street art et le numérique mais plutôt à interpeller sur la place des pouvoir publiques dans la ville. Il déclare en 2016 qu’il n’y a pas de message derrière ce travail.
Il admet cependant qu’il joue ici sur l’analogie du mot tag qui est utilisé à la fois dans la culture urbaine mais aussi dans la culture numérique. Alors que dans la rue, un tag désigne un graffiti, une oeuvre, il désigne dans le milieu numérique un marqueur sémantique ou lexical qui est utilisé sur les réseaux sociaux. Le titre de l’oeuvre que l’on peut traduire littéralement par Nuage de mots-clés désigne une représentation visuelle de mots les plus utilisés sur un site web, sur une page. L’artiste a donc pris en photo des murs couverts de tag, puis les a remplacés numériquement. Le texte reste le même, seul la typographie change, les lettrages propres à chaque artistes sont remplacés par une police unique. Le mur revêt grâce au numérique un nouvel habit, beaucoup plus lisible, beaucoup plus pratique. Le tag et le graffiti se fondent totalement dans ce nouvel espace virtuel, réinterprétés à cet effet. Il participe également de cette manière à la popularisation du street art. En effet, les lettrages utilisés par les artistes et l’empilement des différents « blazes » sur certains murs rendent la compréhension difficile. En apposant des photos de son travail à côté de celle comportant les tags originaux, Mathieu Tremblin permet aux internautes qui ne sont pas des habitués de la pratique de mieux la comprendre, en numérisant ces tags il perd certes beaucoup au niveau esthétique et en authenticité, mais il permet à côté de garder une trace plus lisible et compréhensible de ce qui recouvrait ces murs. Il va par la suite continuer son projet et recouvrir numériquement de nombreux murs dans de nombreuses villes de France et dans le monde.
Ce jeu entre des terminologies similaires permet de faire encore un fois un pont entre cet espace réel et le virtuel. Il va même jusqu’à totalement remplacer ces tags physiques par le montage pour les adapter au milieu qui les entoure. Le tag devient alors partiellement virtuel et rejoint son homonyme désignant des mots clés. Le tag et le graffiti revêtent dès lors une nouvelle dimension, la pratique urbaine est pensé pour cet espace virtuel, pour répondre à ses codes, à son langage et surtout à ses utilisateurs. Avec Mathieu Tremblin, le tag est encore physique et s’adapte au numérique. Il existe également des oeuvres rendant le tag totalement virtuel, nous parlerons plus tard de plusieurs outils créés et utilisés par des artistes, mais cela est également possible pour le grand public. C’est par exemple ce que propose l’application pour mobile Android, TouchTag. Application payante mise en ligne en 2010, elle comptabilise moins de 5000 téléchargements. Loin d’être représentative d’un engouement autour d’un street art numérique, la démarche est cependant caractéristique. L’application propose aux utilisateurs de créer des tags et graffitis directement sur leur écran. Avec neuf outils disponible, une infinité de couleurs et 18 fonds préchargés ou la possibilité de photographier soit même un mur, un lieu, qui servira de support. Le tag totalement virtuel peut ensuite évidemment être enregistré et partagé. Il ne s’agit pas d’une grande avancée technologique ou d’une révolution, sur le principe l’application propose exactement les même fonctionnalités que des logiciels comme Paint existant depuis des dizaines d’années déjà, mais appliquées et réactualisées pour embrasser l’esprit street art.
En parallèle, des artistes et des collectifs vont quant à eux totalement repenser la pratique artistique urbaine portée sur les nouvelles technologies et une idée omniprésente sur le web : le partage. C’est notamment le cas du Graffiti Research Lab. Sur leur site, les membres se définissent très simplement.
Pirater et détourner le réel. (Ox, Tremblin, Bartholl)
Les artistes jouent des espaces et s’amusent à pirater et détourner ce qui les entoure. Nous parlions précédemment de Aram Bartholl qui faisaient intervenir des éléments du virtuel dans l’espace réel, de cette manière il influait sur cet espace et la vision qu’en avait les spectateurs. L’espace quitte son orientation première le temps d’un instant pour atteindre un autre objectif. Détourner cet espace réel permet de lui donner un nouveau sens, c’est ce à quoi aspire la plupart des street artistes avec leurs oeuvres. En peignant ainsi les murs, ils les détournent de leur fonction architecturale première pour parfois les embellir, leur donner un peu de couleur, pour certains faire passer un message ou simplement marquer son passage. Le mur devient un support pour oeuvres, il ne se limite plus à sa fonction première et ce en dépit des us et des lois. Cette pratique illégale n’est pas sans rappeler une autre culture et une autre communauté qui sévissent pour leur part sur le web. Il s’agit des hackers qui vont tenter de contourner des protections logicielles et matérielles. Ils peuvent agir par envie de profit, considérer le fait de détourner des logicielles et des murs (pare-feu) comme un simple défi ou alors utiliser leurs talents dans une démarche militante, on parle alors d’hacktivisme83, comme le collectif le plus médiatisé les Anonymous.84 Ces groupes n’ont pas pour vocation première l’art, bien que certains artistes soient considérés comme des hacktivistes. Ces citoyens qui cherchent à modifier l’espace web à leur guise n’est pas sans rappeler le travail de certains artistes qui vont, à leur échelle, tenter de détourner le réel.
Lorsque l’art s’invite dans la rue, il est en contact direct avec le réel. Il n’est pas comme dans des galeries, pensé pour une exposition, dans un lieu prévu à cet effet comme une bulle, un cube blanc hors de la réalité dans laquelle tout est mis en scène et tourne autour de l’oeuvre. Au contraire dans la rue, rien n’indique qu’une oeuvre d’art existe,elle s’intègre au réel en espérant attirer le regard sur elle. C’est en détournant des objets du réel que certains artistes vont tenter d’interpeller les passants afin qu’ils se transforment en spectateurs le temps d’un instant. Ces artistes ont souvent une approche poétique, humoristique voire insolite. L’objet sort de sa fonction première souvent pratique, utile, pour devenir une oeuvre. C’est ce que Mathieu Tremblin met en avant dans certains de ses projets comme par exemple avec Parking Tickets Bouquet en 2013. L’artiste utilise alors des tickets de stationnement qu’il plie de manière à former des fleurs, il va ainsi les déposer tout les essuie-glaces des voitures garées dans la ville de Mons en Belgique. Avant cela dans la ville de Rennes en 2012, il mets en place Mouton Noir, un simple barrière en métal à laquelle il fixe une troisième paire de pieds mais au dessus, la barrière semble alors avoir des cornes, comme un animal. Ces objets apparemment anodins ne le sont pas pour l’artiste qui les détourne pour réinventer la ville et la révéler sous un nouvel angle aux passants. Il arrive ainsi à capter les regards et à marquer les esprits grâce à ces petites modifications. Le détournement est une pratique également omniprésente sur le web. Les réseaux sociaux pullulent de montages en tout genre reprenant des mèmes, des photographies ou tout autre contenu. Des pages et des sites spéciaux sont même totalement dédiés à cette pratique qu’il soit un simple passe temps d’amateurs ou alors une réelle production d’artistes qui jouent avec tous les outils à leur disposition. On peut par exemple penser à Arte qui à l’occasion de la diffusion de la collection documentaire Les petits secrets des grands tableaux85 propose sur son site internet86 une sélection de détournement des détails des tableaux, afin de les découvrir sous un autre angle. Le plus souvent un texte est ajouté, l’image est animée, sur une parcelle sélectionnée du tableau. Le détournement n’épargne donc personne sur internet, de la photo virale d’un anonyme à la situation cocasse d’une célébrité ou même d’un homme politique jusqu’à des oeuvres et des tableaux classiques et anciens. Un rien peut devenir prétexte au détournement, des artistes sur la toile vont d’ailleurs en faire leur principal objet de travail tout comme peuvent le faire des artistes dans le monde réel. C’est par exemple ce que nous propose Tony Futura qui dépoussière des toiles de maître en les mêlant à la culture pop actuelle. Parmi ses créations postées sur son compte Instagram, on retrouve entre autre une représentation d’American Gothic sur laquelle les visages des deux personnages principaux ont été remplacés par ceux de Kim Kardashian et Kanye West ou encore une image tirée du film Blanche Neige de Walt Disney sur laquelle l’oiseau posé sur la main de l’héroïne n’est plus celui du dessin animé mais une autocollant animé disponible sur Facebook représentant un pigeon violet qui est devenu viral sur internet quelques jours après sa sortie. Dans un diaporama consacré à l’artiste, L’Obs parle même d’art surréaliste.
De nouveaux outils de création
Le GPS : Cartographier et détourner
Le Global Positioning System souvent abrégé en GPS est un système de géolocalisation. Également connu sous le nom de Navstar, il est développé et mis en place par le département de la Défense des États-Unis à l’origine à des fins militaires, comme l’était le web. Le projet voit le jour dès les années 1960 pour s’installer progressivement. C’est en 1978 que le premier satellite est lancée en orbite, depuis vingt-trois autres l’on rejoint. L’idée d’ouvrir le système aux civiles est discutée dès le début des années 1990 pour une mise en application en 2000 lorsque le système se révèle fiable. A cette époque la couverture mondiale est totale et permet de se géolocaliser avec une précision de cent mètres. Depuis le système a été mis à jour, via d’autres satellites, des améliorations, etc. permettant de situer un appareil à dix mètres près. Les 24 satellites présents tournent donc à plus de 20 km du sol sur six orbites distinctes. Lorsqu’un appareil utilisant la technologie GPS essaie d’avoir une position, il doit entrer en contact avec au minimum trois de ces satellites. Il est plus ou moins facile de les capter suivant le temps ou si des obstacles verticaux sont présents (murs, montages, arbres, etc.) Le signal émis par l’appareil met un temps donné à arriver aux trois satellites, c’est grâce à cette information que la distance est calculée entre le satellite et le récepteur. S’en suit un calcul trigonométrique permettant de déterminer la position du récepteur, en croisant ces trois informations. Évidemment, plus le nombre de satellites captés est élevé, plus l’information est précise. En France, ces récepteurs ou assistants de navigation sont le plus souvent appelé du même nom que le système qu’il exploite. Un peu comme pour internet, à l’origine pensé comme un outil militaire puis ouvert au public pour enfin servir à des artistes, le GPS va lui aussi sortir de son cadre de développement militaire puis civil pour finir entre les mains d’artistes.
Le GIF : animer ses oeuvres
Le GIF est un format d’image numérique ultra populaire sur la toile. C’est en 1987 qu’un employé de Compuserve100, Steve Wilhite, créé le premier fichier GIF (Graphic Interchange Format101). A l’origine le format créé pour permettre le téléchargement d’images en couleurs ne permet de stocker qu’une unique image par fichier, mais s’en suive quelques modifications qui permettent rapidement de lier plusieurs images. C’est cette amélioration qui permettra la reconnaissance et la rapide expansion de ce format sur le net. Alors que le GIF désigne en effet un format, aujourd’hui on utilise surtout ce terme comme raccourci pour désigner les GIFs animé qui jonchent la toile. C’est à partir de 1993 que le web commence à supporter ce format plutôt lourd par rapport aux capacités de connexion, à partir de cette date commence le début de l’ère GIF sur internet. A partir du milieu des années 1990 donc, on commence à retrouver des GIFs un peu partout. Il s’agit à l’époque d’animations assez simples, de la bannière d’un signe clignotante à l’animation d’une boite à lettre dans les messageries électroniques, les GIFs commencent à envahir le web. Le succès des GIFs est évidemment lié à son format. Il se déclenche automatiquement au passage de l’internaute sur la page, il est court et tourne en boucle. Format super portable, il ne dépend d’aucun bouton, d’aucune action et de plus il attire l’attention de l’internaute en s’animant. Simple dans sa réalisation, tout le monde peut créer ses propres GIFs et les partager (d’autant plus vrai avec l’amélioration débit des connexions internet). En 2005, la conquête d’internet par les GIFs est quelque peu ralentie par l’arrivée d’une nouvelle plateforme : Youtube. En effet le partage de vidéo s’en retrouve simplifié à l’extrême. Le GIF peut alors sembler quelques peu désuet face à de véritable vidéos, sonorisées, qui se partagent elles aussi simplement sur les réseaux. Mais les images animées vont faire de la résistance et une véritable culture va se créer autour de ce format.
Le GIF animé est omniprésent sur internet mais pas seulement. Le succès de ces images animées va s’étendre à de nouveaux milieux, à tel point que l’Oxford Dictionary élit le mot GIF « mot de l’année 2012 ». Les lexicographes n’auront cependant pas réussi à trancher quant à la prononciation du mot en lui-même. Lors des Webby Awards 2013102, Steve Wilhite reçoit un Award d’honneur pour sa création (une reconnaissance plus officielle pour ce format) et déclare dans une interview au New-York Times : « They are wrong. It is a soft ‘G’. Pronounced ‘jif’ »103 mettant ainsi fin au débat. Le GIF est donc en quelque sorte reconnu comme une part réellement importante de la culture internet mais également de la culture populaire, il tend même à devenir une nouvelle forme d’art.
Comme la photographie ou le cinéma, à l’origine plus pensés pour des travaux scientifiques, il est difficile de concevoir à première vue le GIF comme une forme artistique. Format hybride se situant entre la photo et la vidéo, essentiellement numérique, il s’affirme cependant comme une pratique artistique ces dernières années. On commence à lier le GIF par exemple au monde de la mode grâce à deux américains. Un photographe, Kevin Burg, s’allie avec Jamie Beck un pro de l’animation pour faire prendre vie à ses photos de mode. Nous sommes en 2011, seul un élément de l’image s’anime en contraste avec le reste fixe. Ils appellent cela des cinemagraphs, comme un sous-genre du GIF animé. Le GIF passe donc d’une oeuvre kitsch réservé à l’internet, à une oeuvre d’art à part entière. Des GIF artistiques que l’on retrouve et célèbre hors de la toile. En février 2014, la Saatchi Gallery de Londres lance un concours inédit, le Motion Photography Prize, en partenariat avec Google+104 (les plateformes et réseaux numériques ne sont jamais très loin). Le premier concours de photographie animée en format GIF. Le succès fut immédiat avec pas moins de quatre mille propositions. Le jury présente le 16 avril les oeuvres retenues, celle-ci sont alors visible sur le site de la galerie mais également lors d’une exposition dans le musée. Ils présentent ici une nouvelle pratique photographique permettant d’intégrer une nouvelle imagerie plus poétique. Le vainqueur dans la catégorie « action », le français Micaël Reynaud, déclare dans un entretien accordé au journal Le Monde déclare voir le GIF comme « un montage très pointu d’une toute petite séquence », « c’est un terrain de jeu pour créer des séquences surprenantes. »
En France nous avons également pu observer lors des Transnumeriques Awards 2015 à l’exposition GIF IT ! #1 à Paris. Via une illusion d’optique, des GIFs imprimés s’animent au passage des visiteurs. On présente les travaux de 8 artistes (dont Ori Toor, Sholim, Vasya Kolotusha et Nico Tepo) mais surtout, on sort le GIF des écrans. Une deuxième édition s’est déroulé à la rentrée présentant de nouveaux artistes et ce sur plusieurs week-end. Dans le monde les GIFs commencent à prendre leurs places également, avec par exemple la chanteuse M.I.A qui utilise des GIF pour son clip XOXO en 2010 ou encore The Shoes proposant en septembre 2015 un clip uniquement créé à base de GIFs pour leur titre Drifted. Ce nouveau format s’est donc rapidement développé et popularisé au point de devenir une pratique à part entière et de se lier à d’autres arts. Le GIF s’expose même jusque dans la rue. En effet, du 21 mai au 10 juin 2016 les fondateurs de la galerie Balibart de Paris mettent à l’honneur les GIFs. Ils voient dans cette nouvelle pratique un retour au début du film d’animation image par image, l’un des cofondateur de la galerie déclare au Figaro : « On revient au début des films d’animation, à Walt Disney qui anime Mickey sifflotant sur son bateau! Cela permet de donner vie à des illustrations, de raconter des histoires au travers d’un dessin qui s’anime. »Pour exposer leur première exposition de GIFs animés ils vont donc choisir de s’afficher dans la rue de la capitale. Plusieurs écrans sont alors installés dans Paris, formant un parcours, et sur chacun d’entre eux est projeté un GIF.
L’impact de la culture numérique
Le street art fait parti de cette culture populaire, mais il est également influencé plus ou moins directement par de nombreux autres facteurs. Le street art peut être engagé sur des sujets sociétaux, politiques, écologiques, il peut revêtir de nombreuses formes, du graffiti à l’affichage. Il est même influencé esthétiquement par de nombreux courants artistiques. Les lettrages du graffiti peuvent rappeler la calligraphie, de nombreuses oeuvres colorées semblent descendre du mouvement pop art, etc. Parmi ces nombreuses influences, il en est une qui ressort particulièrement, il s’agit de la culture de masse. Lié à l’évolution des moyens de diffusions toujours plus performants, la télévision, les journaux, le cinéma, la radio, la culture de masse regroupe l’ensemble des productions, des pratiques de l’industrie culturelle. Des films aux séries télévisées en passant par les bandes dessinés, il s’agit de toutes ces formes de divertissement connues par tous, comme s’il s’agissait d’une culture mondiale. En effet, cette culture de masse parle au plus grand nombre, elle est beaucoup plus facile d’accès et de compréhension que des oeuvres que l’on pourrait qualifier d’indépendantes, le but étant de toucher le plus de monde. Aucun secteur n’est épargné. Mais c’est un atout pour les artistes. Ils peuvent ainsi utiliser ces images connus internationalement dans leurs oeuvres pour un message universel. L’imagerie lié à la culture de masse aide à l’exportation des oeuvres mais également à attirer l’oeil des passants. En effet, un spectateur non habitué au street art va plus facilement être attiré par une oeuvre reprenant une figure ou un texte connu que vers une oeuvre abstraite ou avec un personnage original.
Dans cette culture de masse, on retrouve bien évidemment les jeux vidéos. Ils inondent le monde depuis les premiers jeux d’arcade dans les années 1970. De nombreux street artistes vont reprendre les codes et les visuels de ces jeux qui ont, le plus souvent, bercé leur enfance. L’exemple le plus flagrant est évidemment celui que nous avons déjà évoqué Invader reprenant l’esthétique et le principe du jeu Space Invader. Les jeux les plus souvent représentés sont de manière logique les jeux les plus emblématiques, ainsi des représentations tirées de Pac-Man, de Pokemon ou de Super Mario apparaissent régulièrement. Ont peu également trouvé des oeuvres tirées de jeux plus récents. C’est le cas par exemple avec l’artiste C215 qui créé en 2015 une série d’oeuvres inspirées de l’univers de Far Cry 4 à la demande de l’éditeur du jeu, Ubisoft. Ces oeuvres ont été exposées à la Galerie Bertheas à Paris. Mais au delà du jeu vidéo, la culture numérique dans son ensemble va influencer l’esthétique des street artistes. C’est par exemple le cas avec SpY. En 2013, l’artiste espagnol présente son oeuvre 0 likes qui se revêt des airs d’expérimentations. En effet, il propose à un SDF de Madrid de garder un panneau de sa création. Sur celui-ci apparaît un pouce bleu symbole du « J’aime » sur Facebook accolé à l’inscription 0 likes. Il fait donc intervenir le virtuel dans le réel pour questionner les passants. Il utilise l’esthétique des réseaux sociaux pour les interpeller. Cette installation fait écho direct à de nombreux posts présents sur les réseaux sociaux demandant de « laisser un j’aime » pour résoudre un problème bien réel. L’action virtuelle n’a pas d’impact sur le monde réel, cependant les gens vont évidemment plus facilement cliquer sur un bouton qu’agir réellement. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe avec 0 likes, les dons seront plus importants et le SDF décidera par la suite de garder cette pancarte. L’esthétique de cette culture de masse,de cette culture numérique que tout le monde connaît attire, amuse sûrement et laisse le réel au second plan le temps d’un regard vers l’oeuvre qui nous projette dans un autre univers.
Quel futur pour le numérique au sein du street art ?
Le numérique comme porte vers l’institutionnalisation du street art ?
Dès les débuts du street art, les médias traditionnels que sont les journaux et la télévision ont joué un grand rôle dans l’expansion de la pratique. Au quatre coins du monde, artistes ou particuliers simplement férus d’art ont pu découvrir la pratique de l’art urbain se répandre comme une traînée de poudre à travers le monde, à travers des pratiques multiples, du graffiti des quartiers de New-York au pichação112 brésilien en passant par les débuts des affiches sérigraphiées d’Ernest-Pignon Ernest en France.Un mouvement informel se créé ainsi entre des artistes qui ne se sont pas rencontrés, qui pour certains n’ont jamais voyagé, mais qui s’influencent malgré tout grâce aux médias répandant la pratique. Aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies les médias sont surpassés par ce qu’on peut appeler les médias sociaux, présents sur internet. Ces derniers jouent un rôle importante dans la reconnaissance du street art. Cependant, reconnaissance ne veut pas dire obligatoirement institutionnalisation. En effet, internet permet une nouvelle communication autour des oeuvres des artistes. Ces derniers peuvent prendre en photo leurs oeuvres, les répertorier et même les cartographier que ce soit sur un site personnel, sur une page d’un des grands réseaux sociaux ou même sur des sites spécialisés dans la street art. En un clic, l’internaute peut avoir accès à des milliers de résultats concernant le street art, un type d’oeuvres ou même un artiste précis. Le street artiste n’a pas besoin d’intermédiaire pour présenter ses oeuvres voire même pour les vendre. Un circuit numérique parallèle au circuit classique. On peut donc légitimement se demander quel est l’intérêt de se tourner vers les galeries et les institutions ?
|
Table des matières
Remerciements
Sommaire
Introduction
Chapitre 1 : l’importance du lieu
A.Le croisement de deux contre-cultures aux problématiques communes
1.Street Art et Art Numérique, deux parcours hors institutions
2.Droit d’auteur et anonymat, suivi et reconnaissance des oeuvres
3.Art accessible mais illégal: du DIY au vandalisme, comment définir l’art ?
B. Quelle place pour cet art ?
1.Vers une démocratisation et une légitimation
2.Rues ou musées ? L’importance du lieu
3.Un art accessible à tous, l’opportunité numérique
C.La réappropriation d’espaces
1.Faire pont entre réel et virtuel : Maps & Are you human ?, Aram Bartholl
2.Des espaces publics : Street Ghosts, Paolo Cirio
3.Jouer des espaces : 50 square meters of public space, Epos 257
Chapitre 2 : l’opportunité numérique
A.Le web comme support
1.Un nouveau média de diffusion
2.Penser la rue pour le web
3.Pirater et détourner le réel
B.De nouveaux outils de création
1.Le GPS : Cartographier et détourner
2.Le QR code : Information et autres usages
3.Le GIF : animer ses oeuvres
4.L’impact de la culture numérique
C. Quel futur pour le numérique au sein du street art ?
1.Le numérique comme porte vers l’institutionnalisation du street art ?
2.Les nouvelles technologies au coeur de nouvelles pratiques
3.Une hybridation acceptable ?
Chapitre 3 : pratique
A. Une pratique sur le fil
1.Collecter, cartographier et partager
2.Art, vandalisme ou archivage ?
3.Rendre visible l’invisible
B. Laisser une trace
1.Après l’oeuvre, quel souvenir ?
2.Creuser les murs, une archéologie
3.L’oeuvre à travers différentes strates
Conclusion
Bibliographie
Index lexical
Index des illustrations
Annexes
Table des matières
Télécharger le rapport complet