ARRIVÉE DU BOUDDHISME EN OCCIDENT
Selon l’historiographie bouddhique, Siddharta Gautama a créé le bouddhisme au 6ème (-556) siècle avant notre ère en Inde du Nord. Sa conception vise la remise en question des instances religieuses de l’époque. Lorsque la tradition bouddhique fait son chemin à travers les différents pays du monde, une hausse et une multiplication des écoles bouddhistes sont observées. Cette éclosion s’explique par la nécessité de traduire et d’interpréter la tradition de l’Inde du Nord en contextes culturels forts différents et de l’intégrer aux croyances et pratiques des pays d’adoption1 • Le bouddhisme se divise en trois grandes branches: le Theravâda (1e courant le plus ancien), le Mahâyâna (1a Grande voie) et le Vajrayâna (la voie initiatique)2. La branche la plus ancienne du bouddhisme, le Theravâda, découle directement des enseignements du Bouddha3 (1′ « Éveillé ») dont les textes originaux ont été traduits du Pali. Elle s’est déployée du y e au YlIe siècle avant notre ère et « l’on peut avancer que cette tradition est la forme de bouddhisme qui est demeurée le plus proche du bouddhisme originel »4. Le bouddhisme Theravâda s’est propagé en Indochine surtout par l’intermédiaire des moines et est aujourd’hui présent en Asie du sud-est chez « la majorité des populations de Birmanie, de Thaïlande, du Laos et du Cambodge tout en ayant pénétré au Yietnam »5 ainsi qu’au Sri lanka.
La deuxième branche, le Mahâyâna, apparaît dans les deux premiers siècles de notre ère, découle des fondements du Theravâda, et conçoit que tous les êtres humains peuvent atteindre l’état de la « bouddhéité » ou l’ éveil6 et que cette voie est ‘e véhicule pour les y conduire7 . Cette branche a retenue en majorité les enseignements du canon bouddhis’te d’origine auxquels un certain nombre de Soutras8 et de commentaires ont été ajoutés. Le bouddhisme Mahâyâna vise un effort collectif dans l’atteinte de la libération dont le but ultime est de devenir un bodhisattva9 , tandis que le Theravâda est davantage individualiste de la sorte que la responsabilité du karma 10 et de l’atteinte de l’éveil revient au pratiquant. Le bouddhisme Mahâyâna trouve son origine en Inde du Nord pour ensuite pénétrer la Chine, qui en fait un bouddhisme mahâyâniste chinois avec différentes écoles de pensées, qui, au fil des siècles, s’est propagé en Corée, au Vietnam et au Japon (ex: le Zen). La dernière branche, le Vajrayâna, qui provient de la branche Mahâyâniste, a fait son entrée au Tibet au VIle siècle et est la fonte de trois traditions, soit du bouddhisme Chan provenant de la Chine, du bouddhisme tantrique de l’Inde du Nord et de la tradition Bon d’origine tibétaine Il. Les principales distinctions du bouddhisme Vajrayâna sont qu’il repose sur des textes sacrés, soit les Tantras 12 , qui ont pour finalité d’accélérer le processus dans l’atteinte de l’éveil, et que le maître/enseignant détient un rôle déterminant dans la pratique. Nous distinguons quatre écoles dans cette branche, de la plus ancienne à la plus récente: l’école des Nyingmapa, l’école des Kagyüpa, l’école des Sakyapa et l’école des Gélougpa.
Le bouddhisme parvient en Occident par le biais de voyageurs, tels les missionnaires jésuites du XYlème au XVIIlème siècle, et des informations rapportées, quoi que erronées, portant sur le bouddhisme Tibétain, Chinois et Japonais. Cette transmission partiale donne comme impression aux Occidentaux que le bouddhisme est un culte d’un « faux dieu» 13 . Ce n’est qu’au XlXe siècle que commencent à être étudiés et traduits de façon rigoureuse les textes bouddhiques en Occident. À ce sujet, les représentations des coutumes et de l’ histoire des peuples bouddhistes étaient recueillis et les textes envoyés à des grandes villes d’Europe à partir des années 185014 • Bien que le bouddhisme tibétain ait aussi subi l’ influence de cette période, du XlXe siècle jusqu’au début du XXe siècle, le Tibet a toutefois réussi à ne pas succomber à l’emprise directe de l’Europe. Selon Lopez, l’échec de l’Europe à diriger politiquement le Tibet, a renforcé l’ attrait pour ce pays et a contribué à la création d’une image romancée du Tibet traditionnel. Le mouvement romantique en Europe, à cette époque, s’opposant au rationalisme, est venu ajouter, également, à l’ intérêt croissant pour l’ Orient. Historiquement, les Français, les Anglais et les Allemands ont été les premiers à contribuer à une meilleure visibilité du monde asiatique de par leurs recherches sur les textes bouddhiques Mahâyâna.
Plus précisément, Friedrich Schlegel (Allemand, 1772-1829) en 1803, a proposé comme période, la Renaissance orientale, ce qm a permIs aux traditions religieuses et philosophiques bouddhiques d’être connues; Eugène Burnouf(Français, 1801-1852), l’un des premiers systématicien à organiser une grande quantité d’information bouddhique, a établi le bouddhisme comme essentiellement textuel; et c’est en 1875, à New York, que la Société théosophique fut fondée par Henry Steel Olcott (Américain, 1832-1907) et Helena P. Blavatsky (Russe, 1831-1891) invitant les Nord-Américains à s’ intéresser aux religions orientales 16. Suivant l’arrivée du bouddhisme en Occident, sous un aspect majoritairement livresque, ce sont d’abord les érudits qui s’y intéressent principalement comme religion nouvelle et ce, dès les années 1880. De surcroît, le bouddhisme est aussi vu, par les intellectuels, comme étant en harmonie avec les découvertes des sciences naturelles. Les convertis dépréciaient, par contre, la valeur des pratiques rituelles, et voyaient davantage le bouddhisme comme un passe-temps intellectuel, sans pour autant qu’ il en change leur vie. En effet, c’est ainsi que le bouddhisme conservera sa forme plutôt cognitive et rationnelle jusqu’à la fin des années 1960. Les inconvénients de la religion abandonnée, plus fréquemment le christianisme, auraient incité les premiers bouddhistes à découvrir les avantages de la pratique bouddhiste, soit par l’ utilisation de l’expérience personnelle comme acquisition des connaissances à la différence de la foi et du dogme17 . Cette vision partiale, proprement occidentale, du bouddhisme comme religion d’ intériorité et de spiritualité individuelle, libre de toutes contraintes dogmatiques et institutionnelles, est devenue hautement valorisée menant au rejet des institutions religieuses déjà en place. Qui plus est, ces motifs refusaient au bouddhisme l’ accès aux catégories des religions déjà existantes en Occident:
Les « deux bouddhismes» de Charles Prebish et leurs suites
Pour Charles Prebish, un bouddhologue américain, l’arrivée des immigrants et des réfugiés asiatiques aux États-Unis a favorisé une plus grande visibilité du bouddhisme auprès des Occidentaux. Dans son étude parue en 197921 , il propose de voir deux lignées distinctes dans le développement du bouddhisme aux États-Unis, soit celle pratiquée par les immigrants asiatiques placés en interaction avec les religions de vieille implantation, la culture et la politique de la société d’accueil, et celle que pratiquent les Occidentaux dits « convertis22 ». Prebish considère que la première lignée englobe des communautés plus stables sous les rapports des activités, des enseignements et du développement; elle est conservatrice et privilégie les doctrines de base et les pratiques religieuses bouddhistes. La deuxième lignée est formée de groupes d’Occidentaux, notamment de personnes qui ne sont plus attirées par les religions de longue tradition aux États-Unis, et ce, dans le contexte de forte révolution culturelle des années 1960 et 1970. Prebish est le premier chercheur à établir une distinction entre lignées de bouddhismes et à reconnaître par le fait même la difficulté de parvenir à une définition complète de ce à quoi correspond le bouddhisme en Occident. Mais, déjà à cette époque, Prebish entrevoit l’existence d’une troisième lignée, qu’il considère comme le résultat d’une nouvelle composition culturelle mixte, à savoir un « bouddhisme américain ». Les travaux menés par Prebish23 seront à l’origine d’une réflexion durable sur les « deux bouddhismes ».
Ainsi, aussi tardivement qu’en 2000, le religiologue allemand Martin Baumann24 distinguera également le bouddhisme « asiatique» pratiqué en Europe et le bouddhisme de « convertis » adopté par les Occidentaux comme deux courants qui convergent peu. Entre-temps, aux États-Unis, certains auteurs vont dériver vers des propos très tranchés tandis que d’autres auteurs tenteront de préciser les catégories issues de la réflexion de Prebish. Ainsi, en 1991, Helen Tworkov25 , dans un article paru dans le journal Tricyc/e26 , affirme que l’important développement d’un« bouddhisme américain» revient en fait aux bouddhistes caucasiens de la classe moyenne plutôt qu’aux bouddhistes d’origine asiatique. Plusieurs auteurs critiquent alors Tworkov et trouvent que ses propos sont racistes, mais cette dernière les maintient en distinguant nettement le bouddhisme en Amérique et le bouddhisme américain. Dans la perspective de changement qui est la sienne, Tworkov se montre surtout attentive au fait que le bouddhisme aux États-Unis se transforme et devient plus accessible aux Américains. Rick Fields, un bouddhologue américain, reprend la distinction de Prebish, mais il y accole à son tour des jugements de valeur qui sont absents des travaux de ce pionnier. Fields réfère aux membres du groupe davantage composé de personnes d’ascendance européenne comme étant des bouddhistes blancs27 (<< White Buddhists », terme qu’il propose pour la première fois en 1981).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION
CHAPITRE 1- LE BOUDDHISME EN OCCIDENT: REVUE DE LA LITTÉRATURE
1.1 Introduction
1.2 Arrivée du bouddhisme en Occident
1.3 Analyses selon des critères liés aux personnes
1.3.1 Les « deux bouddhismes» de Charles Prebish et leurs suites
1.3.2 Types de pratiquants
1.3.3 Termes pour identifier les pratiquants
1.4 Mesures de l’implantation
1.5 Bouddhisme au Canada
1.6 Changement religieux au Québec depuis 1960
1.7 Quête de sens et conversion
1.8 Bouddhisme au Québec
1.9 Bilan des lectures
1.10 Conclusion
CHAPITRE 2 – PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE
2.1 Introduction
2.2 Problématique. L’acculturation du bouddhisme
2.3 Approche théorique du projet de thèse
2.4 Méthodologie
2.4.1 Stratégies d’acquisition
2.4.2 Stratégies d’observation
2.4.2.1 Étude de cas
2.4.2.2 Lieu physique : le centre Manjushri
2.4.2.3 Critères d’inclusion
2.4.2.4 Types de participants
2.4.2.5 Procédures de recrutement
2.4.2.6 Collecte des données
2.4.3 Stratégies d’analyse
2.4.4 Description des critères de validité et des stratégies d’application
2.4.5 Limites méthodologiques
2.4.6 Description des considérations éthiques spécifiques au projet
2.5 Hypothèses
CHAPITRE 3 – STRUCTURE ET FONCTIONNEMENT DU CENTRE MANUSHRI
3.1 Introduction
3.2 Description d’une fête au centre Manjushri
3.3 Un lieu de culte et de symboles sacrés
3.4 Activités au centre Manjushri
3.4.1 Tenue vestimentaire
3.4.2 Langues parlées
3.5 Pratiquants
3.5 .1 Identification générale
3.5.2 Rôles des pratiquants
3.5.2.1 Rôle de participant
3.5.2.2 Rôle de traducteur
3.5.2.3 Rôle de musicien
3.5.2.4 Rôle d’aidant
3.6 Fonctions et structure du centre Manjushri
3.6.1 Importance des moines
3.6.2 Vivre le fait tibétain en Occident, au centre Manjushri
3.6.3 L’histoire du Tibet, un héritage vivant au centre Manjushri
3.6.4 Le Centre: un rôle d’enseignement
3.6.5 Le Centre: un lieu de rassemblement et d’ouverture
3.6.6 Administration du Centre
3.7 Conclusion
CHAPITRE 4 – RÉSULTATS
4.1 Introduction
4.2 Présentation des trois concepts clés
4.2.1 Pratique
4.2.2 Transformations
4.2.3 Appartenance culturelle
4.3 Résultats
4.3.1 Premier objectif – La pratique bouddhiste
4.3.1.1 Pratiquantes bouddhistes occidentales d’origine québécoise (BOQ)
4.3.1.1.1 Motivations sous-jacentes à la pratique
4.3.1.1.2 Mise en oeuvre de la pratique
4.3.1.1.3 Représentations de la pratique
4.3.1.1.4 Facilitateurs et défis de la pratique
4.3.1.1.5 Retombées de la pratique
4.3.1.2 Pratiquants bouddhistes asiatiques d’origine vietnamienne (BA V)
4.3.1.2.1 Motivations sous-jacentes à la pratique
4.3.1.2.2 Mise en oeuvre de la pratique
4.3.1.2.3 Représentations de la pratique
4.3.1.2.4 Facilitateurs et défis de la pratique
4.3.1.2.5 Retombées de la pratique
4.3.1.3 Pratiquants bouddhistes asiatiques d’origine tibétaine (BAT)
4.3.1.3.1 Motivations sous-jacentes à la pratique
4.3.1.3.2 Mise en oeuvre de la pratique
4.3 .1.3.3 Représentations de la pratique
4.3.1.3.4 Facilitateurs et défis de la pratique
4.3.1.3.5 Retombées de la pratique
4.3.2 Deuxième objectif – Les transformations personnelles, sociales et culturelles
4.3.2.1 Pratiquantes bouddhistes occidentales d’origine québécoise (BOQ)
4.3.2.1.1 Transformations personnelles, sociales et culturelles
4.3.2.1.2 Changements à la vie du pratiquant en raison de la pratique bouddhiste
4.3.2.1.3 Changements à la pratique
4.3.2.2 Pratiquants bouddhistes asiatiques d’origine vietnamienne (BAV)
4.3.2.2.1 Transformations personnelles, sociales et culturelles
4.3.2.2.2 Changements à la vie
4.3.2.2.3 Changements à la pratique
4.3.2.3 Pratiquants bouddhistes asiatiques d’origine tibétaine (BAT)
4.3.2.3.1 Transformations personnelles, sociales et culturelles
4.3.2.3.2 Changements à la vie
4.3.2.3.3 Changements à la pratique
4.3.3 Troisième objectif – Les formes d’appartenance culturelle
4.3.3.1 Pratiquantes bouddhistes occidentales d’origine québécoise (BOQ)
4.3.3.1.1 Ambiance vécue au Centre
4.3.3.1.2 Type de fréquentation au Centre
4.3.3.1.3 Sentiment d’appartenance au Centre
4.3.3.2 Pratiquants bouddhistes asiatiques d’origine vietnamienne (BA V)
4.3.3.2.1 Ambiance vécue au Centre
4.3.3.2.2 Type de fréquentation du Centre
4.3.3.2.3 Sentiment d’appartenance au Centre
4.3.3.3 Pratiquants bouddhistes asiatiques d’origine tibétaine (BAT)
4.3.3.3.1 Ambiance vécue au Centre
4.3.3.3.2 Type de fréquentation du Centre
4.3.3.3.3 Sentiment d’appartenance au Centre
4.4 Éléments communs et éléments distinctifs de la pratique, des
transformations et de l’appartenance culturelle
4.4.1 Éléments communs et éléments distinctifs de la pratique
4.4.1.1 Éléments communs de la pratique
4.4.1.2 Éléments distinctifs de la pratique
4.4.2 Éléments communs et éléments distinctifs des transformations
4.4.2.1 Éléments communs des transformations
4.4.2.2 Éléments distinctifs des transformations
4.4.3 Éléments communs et éléments distinctifs de l’appartenance culturelle
4.4.3.1 Éléments communs de l’appartenance culturelle
4.4.3.2 Éléments distinctifs de l’appartenance culturelle
4.5 Résumé des trois objectifs portant sur la pratique, les transformations et l’appartenance culturelle
4.6 Interprétation des résultats
CHAPITRE 5 – DISCUSSION
5.1 Introduction
5.2 Hypothèse 1 –
5.3 Hypothèse II –
5.4 Hypothèse III –
5.5 Acculturation de la pratique du bouddhisme au Centre
5.6 Portée et les limites de notre étude
CONCLUSION
LEXIQUE
BIBLIOGRAPHIE
1. ENTREVUES
2. LIVRES ET ARTICLES
3. AUTRES
ANNEXES
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