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Des savoirs raisonnés
Les savoirs scientifiques ne sont pas de l’ordre du vrai et du faux. Si c‘était le cas, les élèves ne se concentreraient que sur la solution. Les savoirs scientifiques doivent être raisonnés, apodictiques : la solution ainsi que les raisons sont connues (« je sais que ça ne peut pas être autrement et pourquoi »). Il ne s’agit pas de donner les savoirs aux élèves mais plutôt que ces derniers comprennent la nécessité dece savoir comme solution possible à une problématique. Ainsi, une séquence sur les mouvements corporels s’attardera à expliquer la conception des membres et pourquoi cela ne peut pas être autrement au lieu d’une simple description.
Les savoirs scientifiques sont donc des savoirs raisonnés qui résultent de la construction de problèmes explicatifs. Aussi, les élèves produisentdes raisons dans des situations où ils sont en mesure d’explorer le champ des possibles et de développer des arguments pour ou contre des idées explicatives, d’où la nécessité d’étudierl’argumentation.
La figure ci-dessous illustre la manière dont se construisent les problèmes explicatifs.
Des savoirs partagés
A la fois explicatifs et apodictiques, les savoirs scientifiques sont aussi des savoirs partagés et comparés à des références théoriques d’où l’importance des débats et des argumentations. En effet, un savoir ne sera vraiment scientifique que s’il est partagé par une communauté scientifique. La classe peut donc représenter cette communauté scientifique lors de la construction de savoirs scientifiques.
Ces trois caractéristiques du savoir scientifique émoignent bien de l’intérêt d’étudier le débat scientifique, notamment sur le plan de l’argumentation. Dans la seconde partie de notre cadre théorique, nous nous attarderons donc sur lescaractéristiques du débat scientifique, sa nature et ses fonctions.
Le débat scientifique
Dans cette seconde partie, nous allons tout d’abord essayer de comprendre ce qu’est un débat scientifique dans le domaine de interactions verbales. Nous nous intéresserons par la suite aux différents rôles et fonctions du débat scientifique. Enfin, il nous a paru important de citer le rôle primordial qu’à l’enseignant de mener le débat.
L’utilité du débat scientifique
En étudiant dans un premier temps les programmes scolaires de 2008, on note que le débat permet « l’observation, le questionnement, l’expérimentation et l’argumentation » et « développe […] l’esprit critique » (p. 24). Les di fférentes recherches montrent aussi que le débat scientifique est un moyen de construire des avoirs scientifiques par le biais des différentes interactions langagières, qui peuvent treê orales (échanges verbaux entre élèves) ou écrites (schémas et textes explicatifs). Dans mon propre cas, j’ai décidé de travailler sur les interactions orales ; elles apparaissent à deux mom ents dans l’apprentissage des savoirs scientifiques selon Astolfi et Peterfalvi (1993) : lorsque l’élève prend en compte ses représentations initiales et lorsqu’il élabore un nouveau modèle alternatif. L’évolution des conceptions des élèves vers un nouveau modèle, plusproche du savoir scientifique, nous permet de définir le changement conceptuel.
J. P. Astolfi et B. Peterfalvi (1993) établissent trois niveaux pour que se produise ce changement conceptuel (annexe 1) :
• Le repérage qui correspond à la prise de conscience de la conception ;
• La fissuration ou la déstabilisation conceptuelle à savoir la confrontation entre différentes idées des élèves ; le but est que l’élève se rende compte que son explication ne fonctionne pas ;
• Le franchissement : pour cela, l’élève a besoin d’une autre explication disponible qui est « mentalement satisfaisante ».
Les débats collectifs portent sur des productions explicatives élaborées en groupes. Cette phase permet de voir qu’il existe différents types de conceptions, de discuter sur ces productions afin de clarifier les oppositions et de provoquer des remises en question. Il apparait alors nécessaire que l’élève prenne en compte ses conceptions, qu’il soit déstabilisé et qu’il élabore un modèle alternatif. Le débat scientifique permet cette construction de savoirs scientifiques d’où la nécessité d’une discusion critique.
La diversité des débats
Bien que nous ayons limité notre étude au débat purement scientifique, on y trouve encore plusieurs différences. En effet, les débats scientif ques peuvent porter sur différents sujets : une recherche d’explication, des propositions de protocoles expérimentaux, des études de documents.
Le débat auquel nous allons nous intéresser se veutexplicatif : il s’agit d’expliquer certains problèmes scientifiques ou certains phénomènes. Durant ce débat conduit par l’enseignant, les élèves sont pleinement impliqués et y engagent leurs idées : c’est le modèle du socioconstructivisme. L’enseignant n’est là que pour organiser le débat, poser des questions explicatives mais en aucun cas pour valider ou invalider des hypothèses d’élèves ou donner la réponse. Selon C. Orange (2012), le débat explicatif sert « à organiser et délimiter le champ des possibles » (p.50). Cela aboutira à une « ident ification de nécessités qui donneront aux savoirs construits leur caractère apodictique, c’est-à-dire une certaine nécessité » (p.50) comme nous l’avons vu dans la première partie.
Les fonctions du débat
Le débat scientifique possède trois fonctions ; expliquées par C. Orange (2005) :
– Une fonction pédagogique : les élèves sont actifs t es’impliquent dans le débat. C’est l’occasion de travailler l’argumentation oral e ;
– Une fonction didactique : elle est en lien direct avec les dimensions sociales de l’apprentissage comme par exemple le cas de la survalorisation de la continuité dans l’organisation du corps humain. Le débat aide l’élève à remettre en cause ses conceptions ;
– Une fonction épistémique : lors du débat, on cherchà savoir « pourquoi ce ne peut pas être autrement » et non pas simplement « savoirque c’est comme ça ». Il apparaît alors que les savoirs scientifiques sont de type argumentatif. Afin qu’ils se construisent, une discussion critique est nécessaire.
Le rôle de l’enseignant
Bien que l’on considère que lors d’un débat, les élèves sont les principaux acteurs, le rôle de l’enseignant n’en reste pas moindre. Son premier rôle est de permettre à l’élève de s’impliquer intellectuellement dans le débat scientifique. Cela peut se faire en amont du débat par un travail individuel puis en groupe. Durant le débat, l’enseignant doit être le garant des règles d’écoute et permettre aux élèves par l’autorisation et l’accompagnement donnés à chacun d’eux de penser devant et avec les autres. Le second rôle de l’enseignant est d’orienter l’élève vers l’explicatif. Pour cela, il doit amener l’élève à comprendre que ce qui est discuté pendant le débat fait partie du savoir scientifique(savoir pourquoi cela ne peut pas être autrement) et que c’est la mise à jour, la confront ation et le « travail » des types de conceptions qui est important. Enfin, l’enseignant doit accompagner l’argumentation pour entrer dans l’explication.
Afin de comprendre la dynamique d’un débat, nous allons donc nous focaliser dans la troisième partie sur le contenu argumentatif du discours des élèves. Après avoir abordé les différentes façons d’étudier un débat ainsi que lesdifférents types d’argumentation, nous étudierons plus précisément les fondements des argumentations utilisées dans la classe, sur ce qui fait qu’elles sont reçues et acceptées par les autres élèves.
La place de l’argumentation dans les débats explicatifs
Bien que les débats permettent l’émergence et la confrontation des conceptions des élèves, il apparaît que l’argumentation a une place central e dans les débats explicatifs lorsque ces derniers permettent la construction de savoirs raisonnés, donc de définir un champ des possibles permettant ainsi l’identification de nécessités.
Qu’est ce que l’argumentation ?
L’argumentation consiste à présenter des arguments sur et/ou contre quelque chose ou quelqu’un. Selon Le Petit Larousse illustré, l’argument est une « preuve, une raison qui appuie une affirmation, une thèse ». Différentes formes d’arguments peuvent être utilisées au cours d’un débat scientifique (Weisser, 2003):
• L’affirmation sans justification . Elle peut être considérée comme le degré zéro de l’argumentation puisque qu’elle s’apparente à un ju gement de fait et qu’aucun argument n’est distingué. Elle est cependant peu fréquente puisque le conflit sociocognitif induit par le débat amènera les enfants à essayer de prouver leur dire.
• La reformulation. C’est un moyen de montrer par la paraphrase que la proposition d’un camarade est comprise.
« X : Et aussi avec un fil, hein, ça donne pas beau coup d’énergie, alors il faut deux fils pour que ça donne beaucoup d’énergie.
Y : Moi, je suis d’accord avec X : le bout de fil absorbe l’électricité qu’il y a sur la languette. Ca va sur le plot ou sur la vis. Ensuite, dans l’ampoule, l’électricité du plot et de la vis vont se transformer en bonne électricité, pour allumer l’ampoule. (sens du courant) » ;
• La réfutation. Elle prouve la fausseté ou l’insuffisance d’une proposition ou d’un argument. Par extension, elle en vient à désigner un procédé de rhétorique consistant à nier une proposition sans pour autant apporter de preuve valide de cette négation ;
• L’argument d’autorité. Il fait référence à une autorité politique, morale,scientifique reconnue et experte.
Les modèles de l’argumentation
C. Orange (2012 et 2003) distingue trois types de modèles de l’argumentation :
• Un modèle dialogal de Plantin qui implique un discours entre au moins deux personnes ;
• Des argumentations sur les possibles ;
• Un modèle monologal qui implique le discours d’une seule personne avec des argumentations sur l’impossibilité ou la nécessitéd’un énoncé explicatif.
Le modèle dialogal de l’argumentation de Plantin
D’une manière plus générale, Plantin (2005) affirmeque la remise en cause d’un point de vue engendre un désaccord qui est source de l’activité argumentative. Lors du débat scientifique, c’est par le biais des échanges que vont s’exprimer les différents points de vue qui s’opposent sur une même question. Ce désaccordest thématisé dans le débat. Toujours selon Plantin, trois actes fondamentaux existent :
– Trouver une solution au problème à savoir une explication et des arguments pouvant la prouver : c’est le rôle du proposant ;
– Montrer son désaccord par une argumentation contre: c’est le rôle de l’opposant ;
– Douter, se remettre en question, en refusant de prendre position pour telle ou telle thèse : c’est le rôle du tiers.
Le discours dialogal évolue alors en un discours à trois personnes que Plantin nommera trilogal. Un rôle n’est pas obligatoirement attribu é à une personne en particulier. Cette personne peut passer par plusieurs rôles au cours d’ un débat. Si le débat est abordé selon ce modèle dialogal, le rôle du tiers sera particulièrement étudié dans la résolution du problème scientifique.
Des argumentations sur les possibles : représentations et schématisations
Un autre modèle de l’argumentation existe, de manière complémentaire à la première. Il se focalise sur les argumentations permettant de développer le champ des possibles. En effet, lorsqu’un élève présentera son affiche, il fera appel à des images afin de construire une schématisation devant son interlocuteur. Divers échanges dans la classe ont lieu où les interlocuteurs reconstruisent cette schématisation avec leurs propres représentations. Cela permet de stabiliser une idée présentée et de s’assurer que tout le monde est en accord avec elle. Ainsi, la proposition pourra être reçue et deviendra un sujet discutable au sein de la classe. Au cours d’épisodes argumentatifs, les élèves s’accorderont sur ce que veulent dire les uns et les autres. C’est donc un moyen pour échanger des arguments.
Lors de la présentation des affiches, il y a toujours, selon C. Orange (2003), une « négociation » des schématisations proposées. Lescritiques, questions et remarques des élèves forcent les élèves qui ont produit une affiche à produire une explication.
Ainsi, cette fonction de l’argumentation semble très importante puisqu’elle permet d’une part « la compréhension » et d’autre part « la prise en considération par la classe d’idées qui vont alors être discutées ». C’est une « condition ed possibilité de la problématisation ».
Le modèle monologal
Les deux modèles vus précédemment permettent d’étudier une bonne partie des débats scientifiques mais n’apparaissent pas suffisant quant à la manière bien souvent implicite dont les argumentations sont reçues et acceptées par les autres élèves. Ainsi, le modèle monologal, puisque produit par un seul locuteur, se centre sur les argumentations d’une seule personne de l’ordre de l’impossibilité ou de la nécessité d’un énoncé explicatif, sans les relier explicitement à un contre-discours. Ces argumentati ons de preuve permettent de construire des raisons et parfois de manière implicite. Par exemple, lorsqu’un élève dit lors d’un débat sur la nutrition : « elles ont oublié de dire que ça trie parce que sinon il y a de la mauvaise nourriture qui va dans les muscles », les autres élèves ont compris pourquoi ce qui ste mauvais ne doit pas aller dans les muscles, l’élèven’a pas eu besoin de l’expliciter. C’est une évidence partagée par l’ensemble de la communauté t esur laquelle s’appuie bon nombre d’argumentations. Les fondements des argumentations des élèves ne sont pas toujours clairement énoncés par ces derniers. Le modèle de oulminT s’apparente à un modèle monologal et est très utile pour comprendre sur quoi se fondent les argumentations des élèves. Nous avons donc vu que les élèves, lorsqu’ils étaient locuteurs, avaient pour but de faire comprendre un phénomène, un mécanisme aux autres èvesél. Ils utilisent alors un registre explicatif compris par le reste de la classe à condi tion qu’il soit implicitement partagé par celle-ci et négocié. Nous allons maintenant étudierquels sont les fondements des argumentations des élèves et en quoi ils permettentla construction de nécessités dans la recherche de savoirs scientifiques.
Le modèle de Toulmin
Le schéma de l’argumentation
Afin d’étudier les fondements des argumentations, nous allons nous baser sur le modèle de Toulmin utilisé dans les années 1950 qui nous permettra de classifier les arguments selon leur fondement. Selon cet auteur (1993 et 1958), « tous les canons de la critique et de l’évaluation des arguments sont en pratiques dépendants du champ». L’argumentation est donc dépendante du sujet traité, de la classe, des références communes aux élèves et de l’histoire de leurs travaux communs. Il faut cependant que les élèves dépassent ce contexte afin de produire des argumentations pertinentes.
Selon Toulmin, une argumentation se compose :
– d’une thèse ou d’une conclusion (C) ;
– de faits invoqués à l’appui de cette thèse : la base de la thèse (D pour données) ;
– d’une garantie (à savoir une règle, un principe, un énoncé) permettant et justifiant le passage des données à la conclusion (G) ;
– d’un fondement permettant l’acceptation de la garant ie faisant autorité (F).
Cela conduit au schéma de l’argumentation suivant :
Ce schéma permet de traduire les interventions argumentatives des élèves implicites en explicites, de penser l’argumentation selon les champs argumentatifs et de comprendre sur quoi s’appuient les enfants pour produire des arguments expliquant les raisons. En plus des composantes citées précédemment dans une argumentation, Toulmin distingue aussi le « vraisemblablement » et le « sauf si ».
Le modèle de la figure 3 nous permet alors de comprendre la garantie et le fondement que nous nommerons la loi de passage des données à la conclusion.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Cadre théorique de référence
1.1. Les savoirs scientifiques
1.1.1. Une recherche d’explication
1.1.2. Des savoirs raisonnés
1.1.3. Des savoirs partagés
1.2. Le débat scientifique
1.2.1. Définition
1.2.2. L’utilité du débat scientifique
1.2.3. La diversité des débats
1.2.4. Les fonctions du débat
1.2.5. Le rôle de l’enseignant
1.3. La place de l’argumentation dans les débats explicatifs
1.3.1. Qu’est ce que l’argumentation ?
1.3.2. Les modèles de l’argumentation
1.3.2.1. Le modèle dialogal de l’argumentation de Plantin
1.3.2.2. Des argumentations sur les possibles : représentations et schématisations
1.3.2.3. Le modèle monologal
1.3.3. Le modèle de Toulmin
1.3.3.1. Le schéma de l’argumentation
1.3.3.2. Exemple d’études sur l’argumentation selon Toulmin
1.3.3.3. Les conclusions et les données dans les argumentations
1.3.3.4. Les différents types de garantie et fondement
2. Méthodologie
2.1. Méthodologie du recueil de données
2.2. Méthodologie d’analyse
3. Analyse de données
3.1. Analyse chronologique du débat
3.2. Analyse des argumentations
3.2.1. Argumentation de l’ordre du « vrai/faux » ou du « possible/nécessaire »…
3.2.2. Analyse des argumentations des élèves selon le modèle de Toulmin
3.3. Analyse du rôle de l’enseignant dans le débat scientifique
CONCLUSION
Bibliographie
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