Archives publiques et vie politique face aux théories libérales

Archives publiques et vie politique face aux théories libérales

L’évolution de la politique de communication dans les services d’archives français entre 1979 et 2008

Le 7 septembre 1790 marque la création des Archives nationales. Par opposition aux principes de l’Ancien Régime, l’accent est désormais mis sur la transparence et bientôt sur la communication des archives. Cette nouvelle institution se dote en effet d’une législation spécifique avec la loi du 7 messidor an II (25 juin 1794) qui annonce la libre communicabilité des archives. Mais, le XIXème siècle montre les limites de cette législation. Alors qu’en 1856 un règlement annonce le principe d’un accès sélectif aux archives publiques, un décret de 1898 restreint davantage la communicabilité en permettant l’accès aux seules archives de plus de 50 ans. Face à la libre communicabilité annoncée, les contradictions sont rapidement manifestes et dénoncées dès le début du XXème siècle. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Ligue des droits de l’Homme aspire à accéder aux documents officiels du conflit et appelle à l’ouverture des archives. Ces revendications sont partagées par le Front Populaire en 1936. Cependant, ces désirs d’ouverture doivent affronter quelques années plus tard le régime de Vichy. Par opposition à la transparence souhaitée, la France de Vichy fait rapidement resurgir la notion d’archives sensibles et de « secrets d’État ». Le régime de Vichy est « un passé qui ne passe pas »2, dont les documents sont rapidement incommunicables. La fin des années 1970 marque un tournant important avec la mise en place d’un ensemble législatif déterminant pour la politique de communication des archives. Plusieurs décrets sont prononcés, réduisant le délai légal de communicabilité des archives publiques, et plusieurs lois ont des conséquences sensibles sur l’organisation et la communication des archives, avec par exemple la loi pour l’accès aux documents administratifs du 17 juillet 1978. Mais le point majeur de cet ensemble juridique est la création, le 3 janvier 1979, d’une nouvelle législation pour les archives3. Cette nouvelle loi permet de nouveaux principes de communication, mais introduit également cinq délais spéciaux. Cette loi est rapidement critiquée. Les premières constatations de ses faiblesses ont lieu à la fin des années 1990. La concrétisation de ces constatations est longue. Il faudra attendre plus de 10 ans pour que soit mise en place la loi du 15 juillet 2008 sur la communicabilité des archives. Cette nouvelle législation, largement critiquée, introduit là encore, de nouveaux délais de communicabilité mais crée en parallèle une catégorie d’archives incommunicables.
Il s’agira alors de comprendre quelle a été l’évolution de la politique de communication entre 1979 et 2008 ; celle-ci conduit-elle à une fermeture ou à une ouverture progressive des archives ? Pour quelles raisons certaines archives restent-elles inaccessibles ? Après l’adoption de la loi du 15 juillet 2008, la notion de libre communicabilité peut-elle être remise en cause ? Pour ce faire, nous analyserons dans un premier temps le renouvellement de la politique de communication entre 1974 et 1979. Puis nous nous demanderons si la loi du 15 juillet 2008 conduit à une libéralisation des archives. Enfin, nous tenterons d’étudier les contradictions de la législation de 2008, entre principes libéraux, archives sensibles et « secrets d’État ».

Partie 1 – De 1794 à 1979, un renouvellement tardif de la politique de communication des archives

En deux siècles, les archives n’ont été régies que deux fois par la loi, après la Révolution avec la loi du 7 messidor an II, et au XXème siècle avec la loi du 3 janvier 1979 sur les archives. Entre ces deux dates, plusieurs décrets précisent la politique de communication des archives et des lois annexes ont des conséquences sensibles sur le fonctionnement des services d’archives et sur leur politique de communicabilité.

De la Révolution au Front Populaire : vers la libéralisation de l’accès aux archives ?
La loi du 7 messidor an II et la législation du XIXème siècle : l’ouverture des archives aux citoyens ?

La loi du 7 messidor an II (25 juin 1794) est la première législation encadrant l’institution des archives et est considérée comme le texte fondateur des Archives de France. Cette loi est établie dans le contexte de la Révolution et avec la volonté de rompre avec les principes de l’Ancien Régime. Ses deux éléments majeurs sont, d’une part, l’élaboration de principes destinés à aider au tri des documents collectés depuis le début de la Révolution et, d’autre part, la libre communicabilité des documents rassemblés aux Archives. Cette libre communicabilité est exprimée dans l’article 37 :« Tout citoyen pourra demander dans tous les dépôts, aux jours et aux heures qui seront fixés, communication des pièces qu’ils renferment: elle leur sera donnée sans frais et sans déplacement, et avec les précautions convenables de surveillance. Les expéditions ou extraits qui en seront demandés, seront délivrés à raison de quinze sous du rôle. »4
Le libre accès des documents devient alors un droit civique, appartenant à chaque citoyen. Les archives, appartenant jusqu’ alors à celui qui régnait, deviennent un bien commun. Sous l’Ancien Régime, seule une minorité de la population pouvait accéder aux archives détenues par le pouvoir royal, comprenant notamment le Trésor des chartes. Ces privilégiés, munis des plus hautes recommandations, étaient essentiellement des historiens et des académiciens. L’ouverture des archives à tous les citoyens provoque un déclin du lien entre pouvoir politique et recherche historique ; l’accès aux archives n’est plus un privilège donné par l’État à une minorité.
Cependant, ces principes libéraux sont rapidement ébranlés. En effet des limites à la notion de libre communicabilité apparaissent dès le milieu du XIXème siècle, avec un règlement de 1856. Ce texte rétablit le principe d’un accès sélectif aux archives publiques. Il mentionne ainsi les personnes autorisées à accéder aux dites archives :
« Pour avoir droit à la communication immédiate des documents demandés ou à un refus expressément motivé, il fallait être fonctionnaire public, membre ou lauréat de l’Institut, docteur d’une faculté, archiviste paléographe ou élève de l’École des chartes. »5
Ainsi, l’accès aux archives redevient l’apanage d’une minorité de la population. La possibilité d’accéder aux archives publiques est conditionnée par l’appartenance à une certaine catégorie sociale. Cette restriction de la communication se poursuit avec le décret du 12 janvier 1898 qui met en place un délai de communicabilité fixé à 50 ans, à l’issue duquel les documents sont librement communicables. Par ailleurs, si ce décret rappelle le versement obligatoire des archives, il établit également que les institutions versantes doivent donner leur approbation avant la consultation des documents. Les institutions étatiques retrouvent une main mise sur la communication des archives. Ainsi, les archives courantes ne sont pas communicables, seules les archives définitives d’au moins 50 ans le sont, avec accord préalable de l’administration versante. Les archives de l’Ancien Régime tombent dans l’oubli puisque les administrations qui doivent donner leur accord avant communication n’existent plus. Il semble ainsi que le principe de libre communicabilité soit relativement ébranlé. En conséquence, la loi du 7 messidor an II pose les bases d’une libre communicabilité des archives publiques en annonçant la possibilité pour tous les citoyens d’accéder aux archives. Cependant, cette loi est souvent vue comme incomplète et construite dans l’euphorie de la volonté démocratique post-révolutionnaire. Dès 1856, elle connaît ses premières contradictions en rétablissant progressivement le principe d’un accès sélectif aux archives pour certaines catégories de la population et pour les seules archives de plus de 50 ans. Les contestations ne tardent pas à se manifester et, au début du XXème siècle, de timides tentatives d’ouverture voient le jour.

Les années 1920-1930: de timides tentatives d’ouverture

Les premières contestations de la politique de communication des archives interviennent dès les années 1920. La volonté d’ouverture des archives est notamment défendue par la Ligue des droits de l’Homme qui, au lendemain de la Première Guerre mondiale, souhaite pouvoir accéder aux documents officiels du conflit afin d’en comprendre les causes et d’en écrire l’histoire, or cela n’est pas possible. Plusieurs intellectuels français s’indignent alors de cette situation, comme le philosophe et universitaire Victor Basch (1863-1944) et l’historien Alphonse Aulard (1849-1928). Co-fondateur et président de la Ligue des droits de l’Homme, Victor Basch est un intellectuel engagé qui publie le 29 mai 1927 dans le journal L’Œuvre un article intitulé « Ouvrons nos archives ! », protestant ainsi contre la politique de fermeture des archives françaises du conflit. L’historien Aulard quant à lui critique le retard de la France dans la publication des documents du conflit de 14-18, comme l’explique Sonia Combe :
« L’Allemagne vient en effet de publier une série de documents diplomatiques, « Die grosse Politik der europäischen Kabinette », de 1870 à août 1914 en 39 volumes […]. Du côté anglais, on note la publication des « British Documents on the Origins of the War ». « Chez nous, rien, commente Aulard. […] notre ministère des Affaires étrangères a répondu que le travail de dépouillement et de choix était long à faire. Pourquoi plus long en France qu’en Allemagne et en Angleterre ? » s’interroge-t-il. »
Les archives du conflit de la Première Guerre mondiale ne sont donc pas communicables immédiatement, malgré les contestations et les volontés de la Ligue des droits de l’Homme. Victor Basch, socialiste engagé, prend une part importante dans la montée au pouvoir du Front Populaire. Le Front Populaire veut ouvrir davantage les archives. Pour ce faire, ce gouvernement met en place un décret le 21 juillet 1936, exigeant le versement obligatoire des archives de plus de cent ans dans les dépôts de la capitale et dans ceux des services départementaux et dispense les ministères de la Guerre, des Affaires étrangères, des Colonies et le Conseil d’État de cette obligation. Par ce décret, les archives n’ayant plus d’utilité administrative immédiate devront donc être versées dans le service d’archives approprié pour leur communication future. Cependant, ce décret ne précise pas le sort des documents plus récents et freine la communication de certaines archives ministérielles en laissant aux ministères le choix de ne pas les déposer et laissant à la notion de « secret d’État » la possibilité de s’exprimer. Les pratiques antérieures semblent toujours actives puisque les institutions étatiques ont de nouveau main mise sur le dépôt et par là même sur la communication future des documents.

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Table des matières

L’évolution de la politique de communication dans les services d’archives français entre 1979 et 2008
Partie 1 – De 1794 à 1979, un renouvellement tardif de la politique de communication des archives
1 De la Révolution au Front Populaire : vers la libéralisation de l’accès aux archives ?
1.1. La loi du 7 messidor an II et la législation du XIXème siècle : l’ouverture des archives aux citoyens ?
1.2. Les années 1920-1930: de timides tentatives d’ouverture
2 Les revendications des années 1960-1970 : l’appel à l’ouverture et à la transparence des archives
2.1. « The Freedom of Information Act » : le modèle américain ?
2.2. L’accessibilité des archives : de nouvelles dispositions
3 La loi du 3 janvier 1979 : de nouveaux principes de communicabilité dans les services d’archives
3.1. Élaboration et apports de la loi
3.2. L’évolution des délais de communicabilité
Partie 2 – La loi du 15 juillet 2008 : vers la libéralisation des archives ?
1 La nécessité d’une nouvelle législation
1.1. Les constatations du rapport Braibant
1.2. Justice, histoire et mémoire : de nouveaux enjeux mémoriels au cœur des archives
2 Une mise en place longue, difficile et souvent critiquée
2.1. Un projet de loi tardif : mise en place et contenu
2.2. Un projet de loi largement contesté
3 L’application concrète de la loi dans les services d’archives
3.1. L’évolution des délais de communicabilité
3.2. Des conséquences et des changements importants pour les services d’archives et les usagers
Partie 3 – Principes libéraux, archives sensibles et inaccessibilité : les contradictions de la législation ?
1 Archives publiques et vie politique face aux théories libérales
1.1. Les archives de Vichy et de la guerre d’Algérie : des secrets d’État ?
1.2. Quel régime juridique pour les archives politiques ?
2 Archives inaccessibles : une diversité de situations
2.1. Les défauts de traitement, obstacle à la communication
2.2. Les notions de « vie privée » et de « sûreté de l’État »
2.3. Des catégories particulières de documents
3 Des recours possibles devant l’inaccessibilité de certains documents d’archives
3.1. Les principes et le fonctionnement des dérogations
3.2. Des recours extérieurs : la CADA et les tribunaux administratifs
Bibliographie
Olivier Camille | L’accès aux archives et les difficultés de communicabilité dans les services d’archives français : une remise en cause de la libre communication des archives ? 1979 à nos jours
État des sources
Les usagers face aux refus de communicabilité et aux dérogations dans les services d’archives départementaux aujourd’hui
Partie 1 – Les publics et la politique de communication des services d’archives départementaux
1 Des publics assez informés ?
1.1. Des lacunes dans la connaissance de la législation ?
1.2. Des moyens d’information imparfaits
2 La satisfaction des publics face à la politique d’ouverture
2.1. Des délais de communication satisfaisants ?
2.2. Le sentiment d’une ouverture progressive des archives ?
3 Questions mémorielles et archives sensibles : les publics face aux archives controversées
3.1. Existe-t-il encore des secrets d’État ? L’avis des publics
3.2. Un intérêt pour les questions mémorielles ?
Partie 2 – Les refus de communicabilité au sein des archives départementales
1 Des refus toujours présents aujourd’hui
1.1. Les refus de communication aux archives départementales
1.2. Les motifs des refus de communicabilité
1.3. Le cadre de la demande de consultation
2 Des solutions face aux refus de communicabilité ?
2.1. Un personnel d’archives favorable à la communicabilité des documents
2.2. D’autres modes de consultation d’archives face aux services départementaux
3 Refus de communicabilité et dérogations : un lien systématique ?
3.1. La part des demandes de dérogation au sein des refus de communicabilité
3.2. L’appréhension des publics face aux dérogations
Partie 3 – Les dérogations aujourd’hui : pratiques et principes
1 Des dérogations moins importantes mais toujours présentes
1.1. Demandes de dérogation et acceptation : un équilibre ?
1.2. La CADA, les tribunaux administratifs et le Conseil d’État : des recours peu utilisés
2 La prise en charge des demandes de dérogation
2.1. Un personnel d’archives réceptif et favorable aux dérogations
2.2. Des temps d’instruction trop longs ?
3 Les dérogations a posteriori : la satisfaction des publics ?
3.1. La justification des délais imposés ?
3.2. La dérogation : un outil d’ouverture suffisant ?
Conclusion
Table des annexes
Table des illustrations.

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