Recherche théorique : sur les pas de la résilience urbaine
Au cours de notre démarche bibliographique, il nous est apparu important de revenir sur la perception de l’inondation et sa prise en compte en milieu urbain afin de comprendre l’introduction du terme résilience dans notre société. Nous nous sommes, au cours de cette approche théorique de la résilience urbaine, concentrées tout d’abord sur l’évolution des politiques publiques en cindynique. Puis, nous nous sommes focalisées sur le sens donné à la résilience suivant les disciplines et aux enjeux dont elle fait part. Le but de cette partie consacrée à la recherche théorique est d’explorer la notion de résilience, afin de définir son application en urbanisme au regard de son contexte politique.
Les politiques publiques de gestion des risques : de la résistance à une maîtrise de l’urbanisation
La croyance aux ouvrages de protection
Historiquement, l’inondation était comprise dans le fonctionnement des sociétés urbaines. Dans de nombreuses villes, les crues pouvaient même être acceptées par la population. C’était le cas en Camargue au milieu du XIXe siècle. Elles faisaient partie de l’économie des civilisations, étant parfois le seul moyen d’enrichissement des sols. Puis, dans la suite de l’histoire, les populations n’ont plus accepté l’inondation. Ainsi, on a commencé à vouloir conquérir l’eau, se l’approprier. « Dès le XVIIIe siècle; dans de nombreuses vallées françaises, on verra les grands propriétaires terriens poursuivre l’œuvre de l’endiguement du cours d’eau et du drainage des marécages afin d’assurer la mise en culture des prairies des plaines alluviales » (Scarwell, 2007, p26). Pour cultiver plus de terres, les populations ont commencé à repousser les fleuves et à construire dans des zones qui n’avaient jamais été aménagées à cause du risque élevé d’inondation.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, de grandes inondations affectent le territoire français, notamment celle de 1856 (l’une des plus importantes crues recensées dans l’histoire). Les inondations sont présentes dans tout le territoire français et mettent en lumière l’inefficacité des travaux de protection. Par conséquent, suite à ces événements, la construction d’autres digues, pour garantir la mise hors d’eau des lits majeurs, va être lancée. S’ajoutant à cette phase d’aménagement, le courant hygiéniste qui apparait au XIXe siècle répand au sein de la population l’idée de faire disparaitre l’eau de la ville par le biais des réseaux souterrains (Scarwell, 2007).
Ainsi, pendant des décennies, la lutte contre les inondations a d’abord consisté à se protéger des excès du cours d’eau et donc à contrôler celui-ci. Il s’agissait d’éradiquer le risque par le recours à des mesures structurelles basées sur le concept de résistance consistant à faire face à une perturbation sans subir de dégâts (Scarwell, 2007). C’est au XIXe siècle que les premières disciplines commencent à s’intéresser aux risques. On retrouve les mathématiques, les sciences de l’ingénieur et les statistiques. Les chercheurs tentent de définir, d’expliquer puis de modéliser l’aléa. Le risque est minimisé via la modélisation. Dans cette logique, si l’on est capable de prévoir le risque et ses nuisances c’est que l’on peut s’en protéger et s’y préparer. Il devient dès lors possible d’organiser la société en prévention de l’occurrence de ces risques.
Même si les Plans des Surfaces Submersibles ont été instaurés par la loi du 30 octobre 1935 (permettant à l’administration de s’opposer à toute action ou ouvrage susceptible de faire obstacle au libre écoulement des eaux ou à la conservation des champs d’inondation), les politiques publiques ont confiance dans la science et la technologie et construisent dans des zones susceptibles d’être inondées. « L’État, finançant des projets de protections de la Loire, peut difficilement s’opposer à l’urbanisation des zones protégées par ces supports techniques » (Rode, 2009). Politiquement, le risque est réduit à zéro, on ne soulève pas que l’imperméabilisation des sols liée à l’urbanisation accroit le risque d’inondation. « La construction d’ouvrages de protection comme les travaux de curage conduit progressivement les populations, qui se croient protégées, à occuper de nouvelles terres dans les vallées inondables en arrière des digues et en aval des barrages ou retenues collinaires jouant un rôle d’ecrêteurs de crues » (Scarwell, 2007, p26). Jusque dans les années 90, la politique française construit sur l’idée que la technique pourrait supprimer le risque et supprimer les zones humides.
Paradigme scientifique et environnemental
À partir des années 1970, deux paradoxes émergent et sont à l’origine d’une remise en cause de la logique de protection du risque zéro :
– L’augmentation de la récurrence des événements catastrophiques suit l’amélioration de la connaissance scientifique sur l’aléa. « Le rapport Brundtland sur l’environnement et le développement ajoute « qu’au cours des années 70, six fois plus de gens sont morts de catastrophes dites naturelles qu’au cours des années 60 et deux fois plus de gens en ont souffert. Ce sont la sécheresse et les inondations (…) qui ont progressé le plus. » Cette tendance s’est poursuivie durant les années 80 » (Robert, 1994, p1). La récurrence de catastrophes coûteuses et meurtrières de la fin des années 1980, comme la grande inondation qui a frappé Nîmes en 1988, conduit à une remise à plat des dispositifs de gestion, même si de nombreux progrès scientifiques ont été réalisés, les phénomènes sont aléatoires et relèvent d’une certaine fatalité.
– Supprimer les extrêmes hydrologiques par des aménagements lourds entraîne une dégradation et un appauvrissement des zones humides. En effet, les crues et les étiages jouent un rôle essentiel dans la richesse et le maintien des écosystèmes aquatiques et riverains (Rode, 2009). La Loire n’est plus vue comme un espace à protéger par des aménagements lourds, mais plus comme un espace naturel à préserver et à valoriser.
La maîtrise de l’urbanisation
Dans la décennie 80, les politiques d’aménagement prennent conscience de la nécessité de respecter l’environnement. « Le double constat des conséquences du développement économique sur les milieux, d’une part, et de la vulnérabilité des nouveaux espaces urbains, d’autre part, force à intégrer les usages et les représentations des territoires dans l’action publique d’aménagement » (Gralepois, 2012). L’État admet que la technique ne peut pas maîtriser tous les risques naturels, et met en place des mesures de prévention des risques d’inondation. « La prévention est une façon de dissocier définitivement la gestion de crise et la gestion du risque : elle consiste en effet à agir en amont de la crise pour éviter que celle-ci se produise, sans avoir pour autant à agir sur l’aléa. » (Reghezza-Zitt, Rufat, Djament-Tran, Le Blanc, Lhomme, 2012).
L’État met ainsi en place un système d’indemnisation des victimes contre les catastrophes naturelles en 1982 en pensant en amont à assurer la population contre les dommages et les pertes liés à celles-ci. La loi dite CATNAT instaure également une maîtrise de l’urbanisme, sous forme de Plan d’Expositions aux Risques naturels. Parallèlement, les lois de décentralisation de 1982 à 1986 transfèrent aux communes les compétences d’urbanisme et la réalisation des PER. Ces derniers délimitent les zones à risques et valent servitudes d’utilité publique. Ils sont annexés au Plan d’Occupation des Sols.
Par la suite, l’État transforme les PER en Plans de Préventions des Risques en 1995. Ce sont les services de l’État et non les communes, qui réalisent et coordonnent les Plans de Préventions des Risques d’Inondation. Ces derniers délimitent à l’échelle communale ou intercommunale, des zones exposées aux risques naturels et fixent des zones inconstructibles ou à construction restreinte en fonction du risque encouru.
Au début des années 2000, les disciplines issues des sciences sociales commencent à s’intéresser à la question des risques. Derrière la modélisation des risques, il y a aussi la question de l’organisation. La prévention et la gestion demandent aussi à être explorées, un intérêt qui entraîne la diffusion du concept de vulnérabilité sociale. Ce concept, ne réduit plus simplement la vulnérabilité à sa facette biophysique, c’est à dire aux impacts matériels directs de l’inondation en fonction du degré d’exposition à l’aléa et d’une sensibilité face à celui-ci. L’analyse de la vulnérabilité biophysique est donc faite à partir de facteurs passifs (exposition, résistance, sensibilité), « or, un système biophysique développe aussi des capacités à faire face, exemple : adaptation des espèces vivantes aux fluctuations du climat » (Provitolo, 2009).
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Table des matières
Introduction
Partie I : Appropriation théorique de la résilience et de la gouvernance des risques
I. Recherche théorique : sur les pas de la résilience urbaine
1. Les politiques publiques de gestion des risques : de la résistance à une maîtrise de l’urbanisation
1.1. La croyance aux ouvrages de protection
1.2. Paradigme scientifique et environnemental
1.3. La maîtrise de l’urbanisation
2. La résilience comme nouvelle stratégie de gestion des risques
2.1. La résilience : une utopie ?
2.2. La résilience : un terme discursif
II. La gouvernance en gestion des risques, vers le PCS
1. Interdépendance de la maîtrise du risque
1.1. La sécurité civile pour la prévention et la gestion du risque d’inondation
1.2. Les différences phases de la gestion des risques
2. Vers le Plan Communal de Sauvegarde : un document actif continuellement en gestion de crise
2.1. Une politique de maîtrise du risque inondation à travers plusieurs supports
2.2. Une réflexion sur le rôle du PCS dans la conception de projet urbain
III. Démarches et questionnements
1. Appropriation du concept de résilience urbaine, un travail théorique à mettre en pratique
2. Problématique et hypothèses
3. Un territoire d’étude à préciser
4. Entretiens avec les acteurs de la gestion des risques et de la conception urbaine
Partie II : La résilience à l’épreuve des terrains
I. Choix de la résilience urbaine : deux visions s’y rattachant
1. Définition de résilience par les acteurs plus organisationnelle que structurelle
2. Notre définition de la résilience urbaine à deux facettes organisationnelle et structurelle
II. Nantes Métropole, une intercommunalité à la confluence de nombreux cours d’eau
1. Le risque d’inondation par la présence de nombreux cours d’eau
2. Document pour gérer et prévenir des risques : les PPRI du territoire de Nantes Métropole
3. Nantes métropole, le fruit d’un long processus datant de 1925
III. Nantes : Étude d’une résilience organisationnelle
1. Nantes, la ville centrale de l’agglomération nantaise
2. Partage des compétences : Nantes/Nantes Métropole
2.1. Les compétences relatives à la sécurité civile
2.2. La prise en compte du risque en aménagement : une compétence de Nantes Métropole
3. Démarches de résilience organisationnelle
3.1. L’élaboration du PCS nantais à l’origine de démarches de sensibilisation
3.2. Une coopération des différents acteurs grâce à un réseau de référents efficace
IV. Étude de la résilience de la conception urbaine de la future ZAC des Isles
1. Rezé, un territoire enclin au développement
1.1. Rezé : une histoire liée à celle de Nantes
1.2. Une politique de peuplement
2. Rezé, une ville peu dynamique en gestion des risques
2.1. Le PCS, une formalité administrative
2.2. Une faible coopération urbanisme/sécurité civile en matière de risques
3. Présentation du territoire d’étude : futur emplacement de la ZAC des Isles
3.1. Prémices de la ZAC, un projet de longue date
3.2. Reprise du projet, un nouveau programme général
4. Démarches résilientes de la future ZAC
Conclusion
Bibliographie
Mots Clés : Résilience, Plan Communal de Sauvegarde, Nantes Métropole, Gestion des risques.
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