Appropriation sociale des technologies en réseau Enjeux dans les campus virtuels

L’approche de Mc Luhan dans les années 60 semble prophétique : les «nouvelles technologies», en tant qu’ouverture vers un «nouveau monde sémiotique » participent à une « retribalisation » des communautés qui absorbent les « nouvelles habitudes de perception des médias dans chacun des domaines de la vie professionnelle » (1964, page 56). Mais la vraie révolution, ajoute-t-il, est dans la phase tardive et prolongée de l’ajustement de toute vie sociale et personnelle dans ce nouveau modèle de perception : l’interactivité des communications électroniques (ordinateurs et télévisions du futur) donnera naissance à un « village global », où chacun pourra parler à tous, et tous à chacun.

Cette approche, très critiquée à son époque, semble pourtant faire écho à l’appropriation sociale des technologies de l’information et de la communication (TIC) que nous connaissons actuellement. Les avancées des technologies informatiques en réseau  ont fondamentalement bouleversé nos habitudes de communication : qui pourrait se passer aujourd’hui de la messagerie électronique ? Qui n’a pas posé une question sur un forum de discussion concernant un conseil ou une demande d’information à une heure tardive et s’est étonné de recevoir une réponse d’un inconnu – en moins de 24 heures – qui solutionnait son problème ?

Si certains pensent que les technologies informatiques en réseau nous déconnectent de la réalité, l’enthousiasme pour le réseautage sur l’Internet tend à prouver le contraire. Pour Dumas (2002, page 5), il est « dans la nature même de l’Internet de favoriser le réseautage ». Désormais, plus d’un Français sur deux âgé de 15 ans et plus utilise Internet selon Ipsos Media, profiling 2006 . Soit une croissance de 372 % par rapport à juin 2000, date à laquelle le nombre d’internautes de 15 ans et plus était de 5,7 millions. Les sites de mise en réseau connaissent un essor insoupçonné: LinkedIn, Viaduc, 6nergies, OpenBC et Myspace. Leur slogan ? Reprendre contact avec des anciens amis, se faire de nouveaux amis, écrire des blogs ou encore trouver un emploi etc. Aux Etats-Unis, 45% des Américains (soit 68 millions) font partie d’un réseau en ligne . Le plus important est MySpace avec plus de 38 millions de membres en avril 2006 (contre 8 million en avril 2005). Il regroupe aujourd’hui dans le monde plus de 120 millions d’internautes  . Viennent ensuite Blogger puis MSN groupe. Dans le monde de l’Éducation, un tel essor est également visible : Facebook, créé en 2004 par des étudiants d’Harvard, est devenu en deux ans le réseau social des élèves de lycées, grandes écoles et universités anglophones, le plus populaire avec plus de 6 millions de comptes d’étudiants actifs. Cette « retribalisation virtuelle » aiguise nos interrogations de chercheurs : De quoi sont fait ces échanges ? Bonnes pratiques, connaissances implicites ou explicites (Nonaka et Takeuchi, 1995), nouveaux rites d’interaction (Goffman, 1974) ? Quels enseignements peut-on en tirer dans un contexte éducatif ? Comment passer du « social networking » au « social learning » (Vygostki, 1986 ; Lave and Wenger, 1991) et favoriser l’apprentissage social grâce à l’utilisation des technologies informatiques en réseau ?

DU LIEN TECHNOLOGIQUE AU LIEN SOCIAL 

L’Internet n’est pas qu’une technologie, c’est une idéologie de la connectivité. (Quéau, 2000) .

L’étude des enjeux du lien social médiatisé par le lien technologique constitue le point de départ de notre réflexion centrée sur l’appropriation sociale des TIC. L’approche par le concept de lien a été choisie pour sa « valeur heuristique » (Auziol, 2006 ). Dans un usage quotidien, le lien serait un terme homonymique, c’est à dire un terme utilisé en diverses circonstances et dans des sens différents. D’après le dictionnaire Littré, le lien (du latin ligamen) est « ce qui relie, unit deux ou plusieurs choses entre elles » (par exemple, le lien de cause à effet). Il est aussi, dans une acceptation informatique, une « séquence d’instructions reliant deux parties d’un programme ». Mais il est aussi ce qui « unit entre elles deux ou plusieurs personnes» (lien de parenté, lien du sang) et enfin constitue un « élément affectif ou intellectuel » qui attache l’homme aux choses (les liens de sympathie par exemple). D’un coté, il relie les choses entre elles. De l’autre, il unit les personnes par un élément affectif ou intellectuel. Il revêt ainsi une résonance particulière dans les environnements d’apprentissage informatisés que sont les campus virtuels. En effet, le lien technologique et le lien social sont deux enjeux fondamentaux et complémentaires de l’introduction des technologies informatiques en réseau :
– Le lien technologique est porté par le réseau numérique et relève une caractéristique essentielle pour toute situation d’apprentissage : il est un des composants de l’interactivité entre l’apprenant et la machine numérique. Du lien naît l’hyperlien et la navigation hypertextuelle qui favorisent non plus le statut de spectateur mais celui d’acteur de l’apprenant dans sa formation et auteur de son parcours d’apprentissage.
– Le lien social est créé par les échanges entre apprenants ou entre tuteurs et apprenants ; il est donc porteur d’interactions sociales. Il est constitué d’une relation entre deux ou plusieurs personnes, jusqu’à constituer potentiellement un réseau d’apprenants ou une communauté.

Cette partie nous invite à approfondir la notion d’interactivité au coeur de la relation homme/machine et d’interaction au coeur de la relation homme/homme à travers les communications instrumentées. Le chapitre s’organise ainsi en deux temps. Dans un premier temps, nous abordons le concept de lien technologique pour ensuite appréhender le concept de lien social médiatisé par les technologies informatiques en réseau (nature du lien et structures sociales émergentes). Dans un second temps, nous étudions les enjeux de l’appropriation sociale des TIC dans les campus virtuels d’un point de vue plus empirique, à travers l’environnement du CERAM Sophia Antipolis.

Lien technologique, artefact ou intuitif ?

Il est nécessaire, avant toute chose, de préciser la notion de lien technologique que nous entendons dans cette recherche, puis ses propriétés étudiées par les chercheurs en Sciences de l’Information et de la Communication (Augier, 2005 ; Ertzscheid, 2002) et en Sciences de l’Éducation (Audran, 2005, Baron et Bruillard, 1996).

Conçu par la main de l’Homme

Dans sa fonction technologique, ou encore mécanique, générique, automatique (Baron et Bruillard, 1996, page 93), le lien est à la genèse de la mise en réseau d’un système d’ordinateurs reliés entre eux (interconnectés) grâce à des lignes physiques et échangeant des informations numériques (valeurs binaires dont l’unité de construction masquée est le bit, mesure basée sur le couple « zéro-un »). Agrégés ou agencés selon des règles de mathématiques logiques, ces valeurs sont converties en chiffres, en lettres, en fonctions, avant d’être exploitées sous forme de textes, d’images et de sons. Il a donc un caractère artificiel (Dujardin, 1998) puisqu’il se crée à partir d’un message codé par la main de l’Homme. Il génère ainsi des flux d’informations ou de données selon les modèles logico-formels issus de la sphère scientifique (grâce notamment aux algorithmes).

La définition que nous proposons est ainsi la relation entre les entités (flux) qui se nouent (noeud d’information) pour fonder un réseau (Parrochia, 1993, page 71) grâce à l’échange de données binaires créées par la main de l’Homme.

Réticulaire

Tout d’abord, il constitue la liaison génératrice de l’échange d’informations ou de données (le flux), qui, eux-mêmes, génèrent des noeuds d’échanges, tangibles. Cet élément constitue une information précieuse dans notre recherche car il nous permettra de justifier plus tard l’esquisse topologique des espaces d’apprentissage que nous allons modéliser, à savoir qu’un noeud d’information est observable et quantifiable pour analyser la nature des échanges, au delà des flux d’informations qui sont difficilement observables dans leur globalité de par leur complexité. Le niveau de complexité des flux constituant le réseau numérique est issu de la difficulté que nous éprouvons à saisir leur nature. Ils sont en quelque sorte polymorphes et réticulés, c’est à dire que de même composition (valeurs binaires), ils se cristallisent dans des formes et systèmes différents (Perrault, 1997) de façon quasi automatique (Quéau, 1986). Il semble ainsi impossible de faire une typologie des réseaux de par la complexité des flux réticulés les composant (Ertzscheid, 2002).

« L’idée d’une typologie des réseaux peut apparaître en soi comme une contradiction dans les termes : de quelle manière en effet peut-on appliquer une contrainte formelle de type hiérarchique à une entité dont l’essence est précisément d’offrir les conditions de l’éclatement et de la dispersion au moyen de la richesse et de le densité des liens qu’elle tisse entre les unités qui la composent ? (Ertzscheid, 2002, page 133) » .

Une topologie est cependant plus à propos car elle représente des formes géométriques dans des espaces ouverts.

Dynamique

La conception de Ertzscheid (2002) confirme la dynamique du réseau portée par la dynamique des relations qui constituent le lien technologique. Ce serait la raison pour laquelle le réseau s’intègre dans une logique de changement permanent, voire d’une auto-éco-organisation (Morin, 1990), représenté par une approche systémique, telle qu’elle est définie par Le Moigne (1990). La dynamique gère les flux, les boucles de rétroaction positives (amplification) et négatives (stabilité, freinage) qui font osciller le système autour de points d’équilibre (nœuds).

A la fois source et récepteur

Une autre propriété du lien technologique est la suivante : les flux d’information sont également à la fois source et récepteur (Negroponte, 1995 ; Couchot, 2005).

« Les réseaux de TV et les réseaux informatiques sont presque deux pôles opposés. Le réseau de télévision est une structure de distribution hiérarchisée avec une source (. . .) et de nombreux récepteurs homogènes (. . .). En revanche, les réseaux informatiques sont un treillis de processeurs hétérogènes, chacun pouvant être à la fois source et récepteur. (Negroponte, 1995, page 223) » .

Cette propriété est sans doute celle qui a le plus d’impact pour notre recherche. En effet, le lien technologique, en tant qu’échange d’informations, remet en question le schéma simplifié du processus de communication de l’approche mécaniste « source – émetteur – canal – message – récepteur » (Shannon and Weaver, 1937). De ce fait, les internautes passent d’un statut de récepteur à celui d’émetteur. Les technologies numériques offrent alors la capacité au récepteur d’intervenir sur le processus de production de l’information (Couchot, 2005).

« Le réseau numérique marqué par la modularité, son holisme réticulé, sa vitesse, sa réversibilité qui constitue comme un enchevêtrement de processus, articulant fonctions de traitement, computation, transport, transmission. (Forget & Polycarpe, 1997, page 85) » .

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Table des matières

Introduction Générale
Introduction
I Appropriation sociale des technologies en réseau Enjeux dans les campus virtuels
1 Du lien technologique au lien social
1.1 Introduction
1.2 Lien technologique, artefact ou intuitif ?
1.2.1 Conçu par la main de l’Homme
1.2.1.1 Réticulaire
1.2.1.2 Dynamique
1.2.1.3 A la fois source et récepteur
1.2.2 Interactivité des machines numériques
1.2.2.1 Le concept
1.2.2.2 Les propriétés de l’œuvre ouverte
1.2.2.3 L’hypertexte ou l’énoncé non clos
1.2.2.4 Interactivité machinique et mentale
1.2.3 Du spectateur à l’auteur
1.2.3.1 Un espace mobile de significations
1.2.3.2 Des virtuoses de l’interprétation sensible
1.2.3.3 Enfermés dans une lucarne sensible
1.2.3.4 Ouverture sociale : l’art numérique en réseau
1.3 Appropriation sociale des TIC
1.3.1 Le lien social médiatisé par le lien technologique
1.3.1.1 Le lien social, définition et dynamique
1.3.1.2 Le lien social médiatisé
1.3.1.3 La dialectique médiatisation/médiation
1.3.2 Structures sociales émergentes
1.3.2.1 Amalgame entre formes, forces et structures
1.3.2.2 Les réseaux sociaux
1.3.2.3 Les communautés en ligne
1.3.2.4 Les communautés de pratique
1.3.2.5 Les communautés d’apprenants
1.4 Synthèse
2 Dynamique dans un campus virtuel
2.1 Introduction
2.2 Enjeux pédagogiques et économiques
2.2.1 Enseigner ou Faire Apprendre à distance ?
2.2.1.1 Multiplicité des environnements
2.2.1.2 Dématérialisation des environnements
2.2.1.3 Gérer la dialectique présence vs distance
2.2.2 Contexte économique
2.2.2.1 Industrialisation de la formation
2.2.2.2 Rapport de la commission Européenne 2005
2.2.2.3 Les solutions Open Source
2.3 Terrain de recherche : le CERAM
2.3.1 Présentation
2.3.1.1 Les débuts, de 1997 à 2001
2.3.1.2 Dissonance dispositive : 2002
2.3.2 Etudes sur les interactions : 2003-2006
2.3.2.1 Approche et outils
2.3.2.2 Projet coopératif : la mission virtuelle
2.3.2.3 Etude typologique de la nature des échanges
2.3.2.4 Dispositif Espace stage 2005
2.4 Synthèse
II Dialogie des liens pour Faire Œuvre commune
3 Un cadre d’intelligibilité bi-conceptuel
3.1 Introduction
3.2 Faire Œuvre
3.2.1 Actualisation de la puissance créative
3.2.1.1 Œuvre
3.2.1.2 Faire Œuvre
3.2.2 Processus individuels de construction de connaissances
3.2.2.1 Des conceptions traditionnelles
3.2.2.2 A l’instant poétique
3.3 Vers une communauté apprenante
3.3.1 Le lien d’altérité
3.3.1.1 Les interactions sociales
3.3.1.2 Le conflit socio-cognitif
3.3.1.3 L’acte de signification partagé
3.3.2 L’apprentissage social et la construction de l’identité
3.3.2.1 L’apprentissage situé
3.3.2.2 La dialectique participation/réification
3.4 Synthèse
4 Esquisse topologique du lien
4.1 Introduction
4.2 Esquisse de l’espace pédagogique
4.2.1 Pourquoi une esquisse ?
4.2.2 Qu’est ce que la topologie ?
4.2.2.1 Une science qui classifie les espaces
4.2.2.2 Formes d’ensemble au détriment des mesures quantitatives
Conclusion Générale

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