Ecole et famille : quand il est question de coéducation…
Qu’est-ce que signifie la coéducation ?
Si la question de recherche de ce mémoire veut mettre en évidence la façon dont des parents d’élèves de maternelle perçoivent, apprécient ou jugent le nouveau référentiel d’évaluation mis en place dans ces classes depuis les dernières prescriptions de 2013 du Ministère de l’Education Nationale, elle se doit de l’envisager dans un contexte plus global de la relation entre école et famille.
Historiquement, Feyfant (2015) nous rappelle qu’école et famille sont deux entités aux « frontières marquées entre instruction et éducation ». Pourtant, l’institution scolaire a évolué, passant du statut de « sanctuaire quasi-exclusif du savoir » à une école ouverte, et notamment ouverte aux familles. Le système éducatif français a historiquement construit une distance entre ces deux espaces, mais pourtant, l’enfant de la maison, qui devient élève à l’école, contraint une relation nouvelle entre les différents acteurs de son éducation et induit, du reste, un contact, une vision commune entre école et parents. C’est pourquoi, notamment dans les textes officiels de 2013, mais déjà antérieurement à cette date, apparaissent et sont mis en avant-scène des concepts tels que la coéducation, le partenariat, la collaboration ou bien encore la coopération entre l’école et les parents d’élèves. D’ailleurs, « coopérer avec les parents et les autres partenaires de l’école » fait désormais partie, selon le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation (2013), des dix compétences que doivent maîtriser les professeurs et les personnels d’éducation. Mais, qu’entend on exactement par le terme « coéducation » ? Aussi, dans cette partie, nous proposons de contribuer à la réflexion sur ce thème, de chercher à en dresser la ou les définitions, à partir de différents éclairages théoriques en sciences de l’éducation.
Coéducation : un point de vue historique de la relation parents/école en constante évolution
Les recherches convergent pour démontrer que la coéducation, recouvrant des réalités multiples, mérite le détour par une petite « visite historique » de cette notion. En France, cette idée de « faire alliance » se trouve en effet en bonne place, au cours des années 1920/1930, dans les titres d’ouvrages de l’Education nouvelle, où la coéducation est alors conçue comme une éducation commune entre filles et garçons : est alors dans le viseur la question de la mixité dans un « apprendre ensemble » à l’école.
Pourtant, pour l’essentiel des écoles engagées alors dans des pédagogies autres que l’approche alternative de l’Education nouvelle, les familles, et en particulier les parents, sont laissés à la marge de l’institution scolaire : historiquement, école et famille sont deux espaces distincts, l’école étant considérée par les familles comme un « sanctuaire du savoir », imperméable à la culture informelle familiale. Or, Kherroubi (2008) nous rappelle que les parents se sont vus proposer petit à petit, par l’institution scolaire, un modèle participatif nouveau, fait de droits et d’une reconnaissance croissante. Au début des années 80, la création des ZEP (Zones Educatives Prioritaires) favorise en parallèle l’entrée des parents dans le domaine scolaire avec la notion de « partenariat ». La circulaire du 19 mars 1982 stipule en effet que « les parents sont associés à l’élaboration de projets éducatifs ». Par la suite, c’est la loi d’Orientation du 10 juillet 1989 qui inscrit le rôle des parents dans une communauté éducative. Dans une lettre officielle envoyée aux parents en septembre 1990, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Lionel Jospin, souligne la rupture qu’introduit une telle décision : « Ils [les parents] font partie de ce que nous appelons la communauté éducative. Cette notion peut paraître bien éloignée des réalités et des problèmes scolaires qui sont les vôtres au quotidien. Pourtant, grâce à cette idée, c’est la première fois que votre rôle est affirmé avec autant de force dans un texte législatif. C’est une étape importante. » En outre, le parent participatif n’est plus seulement limité au parent d’élève délégué mais il bénéficie alors de nouveaux droits : ceux à titre collectif (en tant que représentant au conseil d’école par exemple), et ceux à titre individuel (en tant que parent ayant l’autorité parentale sur l’enfant, comme le suivi de scolarité par exemple).
Co-éduquer : une pluralité des logiques d’action parentale
Si l’école transforme l’enfant en élève, elle transforme également leurs parents en parents d’élève. Ce nouveau statut n’est pas sans répercussion : l’entrée de l’enfant à l’école, en préscolaire ou en école élémentaire, constitue une étape dans l’évolution de la fonction parentale, dans la mesure où l’adaptation de l’enfant à ce nouveau lieu social peut être envisagé comme le témoignage de la capacité des parents à bien « élever » leur enfant. Ce nouveau lieu d’accueil, à travers l’adaptabilité et la sociabilité de l’enfant, permet en effet aux parents de vérifier leurs propres compétences parentales.
Par ailleurs, Garnier (2010) évoque l’ambiguïté de cette coéducation, de cette démarche qui serait équivoque, car d’une part, les textes officiels prônent une « exigence forte de symétrie et de réciprocité dans le cadre d’une communauté éducative », mais d’autre part, la réalité du terrain est toute autre. C’est fondamentalement l’école qui cherche à transmettre ses bonnes pratiques, ou qui détermine son ouverture aux familles selon ses propres valeurs et sa propre culture. Partageant un point de vue similaire, Glasman (1995) parle ainsi « d’acculturation forcée », dans le fait que cette invitation à s’impliquer à l’école ressemble plus en réalité à une injonction. C’est une véritable violence symbolique, au sens employé par Bourdieu, qui peut être perçue par les familles les plus éloignées du système scolaire. Ainsi, Glasman évoque l’idée de « l’avatar de la théorie ancienne du handicap socioculturel », dans la mesure où les enseignants peuvent, par un rapide raccourci, imputer la difficulté scolaire au milieu social d’appartenance. L’ambiguïté de la coéducation pourrait donc se situer dans cet argumentaire à charge où l’école aurait tendance à reporter la responsabilité des difficultés scolaires sur les parents.
Aussi, la coéducation ne se vit pas qu’à travers un modèle unique d’engagement scolaire des parents, mais au contraire, elle est porteuse d’une pluralité de significations et d’enjeux de leurs points de vue, et entraîne chez eux des logiques d’action, des formes d’implication, et des modes d’engagement très divers : franchir la porte d’une école maternelle peut se traduire de diverses manières ou au travers de diverses activités (signer une autorisation de sortie, apporter des gâteaux à l’école, participer à un atelier cuisine, témoigner auprès des élèves de sa passion ou de ses loisirs, rencontrer l’enseignant de son enfant autour des dernières évaluations, accompagner la classe lors d’une sortie, aller à la fête de l’école, participer à la réunion de rentrée de la classe, être élu parent d’élève délégué…).
Description du cadre contextuel
Avant d’entrer dans l’analyse des apports et des enjeux de ce nouveau dispositif que représente le nouveau référentiel d’évaluation de maternelle de l’école publique de A., nous allons tout d’abord nous attarder sur le cadre contextuel à l’intérieur duquel ce carnet de progrès a été mis en place.
Il s’agit en effet d’interroger les différents aspects de ce contexte, de bien prendre en considération tant le « théâtre » de l’intervention que constitue l’école maternelle de A. que la demande institutionnelle à laquelle cette intervention cherche à répondre.
Photographie de l’école maternelle de A. et de la classe de MS/GS de Mme G
Aussi, avant de mettre le focus sur l’objet de notre recherche, il semble utile de dresser une carte d’identité de l’école maternelle publique de A., au sein de laquelle ce travail d’observation et d’entretiens auprès des parents et de l’enseignante de la classe a été mené. Dans quel contexte général ce carnet de progrès a-t-il vu le jour ? Des entretiens informels menés auprès de l’enseignante de la classe de MS/GS nous a permis de brosser un portrait général de l’école et de cette classe en particulier.
L’école maternelle publique de A. est une école comprenant actuellement 7 classes, de la prépetite section à la grande section, c’est une école qui jouxte géographiquement l’école élémentaire mais ces deux structures sont gérées par deux directions différentes. Elle scolarise actuellement 204 élèves et se voit doter d’une huitième classe à la rentrée scolaire prochaine.
Notons également que l’offre éducative est plurielle, la commune de A. ayant également une école maternelle privée constituée elle aussi de 6 classes.
Au sein de cette école maternelle, la population accueillie est, selon le point de vue de l’enseignante de la classe, assez mixte et les classes sociales diverses : la commune est recherchée par certaines familles ayant leur activité professionnelle à Nantes et qui veulent établir leur résidence principale dans la moyenne couronne de l’agglomération nantaise.
Soulignons, du reste, que ces familles à l’activité professionnelle citadine semble majoritairement être le fait de la classe moyenne, les enfants des cadres supérieurs semblant nettement moins représentés dans chaque classe de cet établissement. Mais la présence de logements HLM sur la commune amène également la fréquentation de l’école par un public socialement plus défavorisé. Il est à noter la spécificité de cette école qui est d’accueillir régulièrement, mais pour des périodes de quelques mois, les enfants des gens du voyage, dont la fréquentation scolaire est aléatoire d’une année sur l’autre. Ces différents profils de famille amènent ainsi au constat d’un réel brassage de population. En revanche, les propriétaires terriens, agricoles ou viticoles, ont traditionnellement l’habitude de scolariser leurs enfants dans l’enseignement privé confessionnel. Cette frange de la population n’est donc que guère représentée dans cet établissement.
Par ailleurs, l’équipe pédagogique de cet établissement préélémentaire est plutôt stable, les enseignantes y étant affectées depuis plusieurs années, entre 2 et 10 ans. Selon le point de vue de Mme G., cette stabilité confère à l’équipe une cohésion, une bonne connaissance du terrain et des publics accueillis et une dynamique de travail collective.
Enfin, la relation de l’école avec ses partenaires extérieurs semble elle aussi caractérisée par une bonne entente et une collaboration constructive : les rapports avec la municipalité sont satisfaisants, s’exprimant au travers d’une communication régulière, puisque de nombreux projets émanant de l’école maternelle demandent un partenariat efficace avec les services municipaux. Une réelle coopération est tout autant mise en œuvre avec les différentes structures de la commune : espace culturel pour un festival de spectacles vivants, collaboration avec l’école de musique, la médiathèque qui propose des animations in situ pour toutes les classes, le cinéma dans le cadre du dispositif « cinécole », les structures sportives municipales mises à la disposition des écoles…
Utilisation du carnet de progrès et pratique professionnelle de l’évaluation dans cette classe
L’enseignante de la classe observée voit dans l’usage du carnet de progrès élaboré en équipe la possibilité d’associer ses élèves à leur évaluation. Elle cherche aussi, au travers de l’utilisation de cet outil en classe, à ce que ses élèves mettent plus de s ens sur leurs apprentissages, qu’ils voient plus précisément ce que l’école attend d’eux et vers quoi ils tendent. Elle entre enfin dans un dispositif d’évaluation positive où l’objectif est de valoriser ce que savent faire chacun de ses élèves. Cependant, l’enseignante évoque les limites d’une synthèse écrite de l’évaluation : selon elle, cette évaluation doit s’accompagner d’échanges avec l’enfant et les parents et ne pas figer uniquement par l’écrit les constats des progrès observés.
Dans la pratique quotidienne de la classe, l’enseignante constate qu’après seulement 5 mois de mise en service de cet outil, ses élèves semblent se l’être déjà assez bien approprié, car ils sont en demande d’évaluation par l’usage de ce carnet, et commencent à mettre du sens sur ce qu’ils font au travers de ce référentiel.
L’enseignante de la classe pense que la discussion individualisée (Quelle compétence es-tu en train de travailler ? Peux-tu la valider ? Si non, pourquoi ? Si oui, quelle est l’étape suivante ?) avec chaque enfant contribue à la prise de conscience des réussites ou au chemin qu’il reste à parcourir jusqu’à cette validation. L’envie de valider, de progresser dans son carnet semble être un élément de stimulation pour l’élève. Le temps pédagogique accordé à mettre en mots ce quiest travaillé, à verbaliser la compétence en jeu sert sans doute la conscientisation des progrès de chacun.
Présentation des outils : le guide d’entretien
Pour recueillir des données complètes et des informations pertinentes, capables d’éclairer notre champ de recherche, des entretiens semi-directifs ont donc été planifiés avec certains parents d’élèves de la classe de MS/GS de l’école de A. Afin d’instaurer un véritable échange permettant à chaque parent d’exprimer ses perceptions, ses appréciations du carnet de progrès de son enfant, et plus largement ses modalités d’action et d’implication à l’école dans un contexte éventuel de coéducation, un instrument a été élaboré sous la forme d’un guide d‘entretien, recensant une liste de questions en lien avec notre thème d’enquête.
Cet outil a été conçu en pensant la question initiale comme une amorce à l’échange, suffisamment ouverte pour que le parent présent se sente à l’aise et directement concerné par cette question introductive. Ainsi, le choix a été fait de créer une dynamique de conversation et une invitation à une entrée directe dans le témoignage, en abordant au début de l’échange, les premiers mois du parcours scolaire de l’enfant et en parallèle, les débuts de ce nouveau statutde parent d’élève.
Des difficultés à coéduquer à des perspectives pour parfaire la coéducation
La coéducation : une position difficile à atteindre
Une relation entre coéducateurs spontanément évoquée dans le cadre de la difficulté scolaire
Quand les parents sont sondés sur leur relation à l’enseignante de la classe, la plupart d’entre eux soulignent le fait que ce contact n’est envisagé la plupart du temps que dans le contexte de la difficulté scolaire. C’est le cas de la maman de Clara qui explique : « Après, vous voyez bien, j’ai pas voulu prendre un rendez-vous, je le prends si vraiment ça se passe mal mais j’ai pas pris de rendez-vous… » C’est le même type de réflexion qui anime la maman de Nadège quand elle dit : « Non, parce que je me suis dit, ben je sais pas, peut-être comme tout parent, je me suis dit que si vraiment il y avait quelque chose qui n’allait pas, je pense que F (prénom de l’enseignante) me l’aurait dit le plus tôt possible, donc honnêtement, non…Tant qu’on ne se plaint pas de ma fille et que je vois qu’elle est…qu’elle suit…»
La coéducation dans ce cas de figure n’est pas pensée en terme de démarche conjointe entre céoducateurs, quel que soit le contexte scolaire ou le niveau scolaire de l’élève concerné. Rappelons qu’elle renvoie alors au modèle d’expertise, cité par Garnier (2016), où parents et enseignant sont dans une relation asymétrique et leur relation justifiée avant tout par les résultats effectifs de l’élève que la communauté éducative cherchera à faire évoluer.
De nouveaux horizons pour la coéducation ?
Dans ce mémoire, nous avons voulu mettre en évidence les effets du carnet de progrès, outil conçu par l’équipe pédagogique de A., qui rappelons-le, a fait le choix d’un carnet de suivi des apprentissages sous forme de parcours scolaire pré-formaté où sont validées progressivement les réussites de l’élève. L’élaboration de cet outil, sa mise en page et son contenu, étant laissés à l’appréciation des enseignants par l’institution, il nous faut désormais préciser que l’école maternelle de A. aurait tout aussi bien pu faire un autre choix de format, celui d’un document quasiment vierge où le parcours scolaire de l’enfant s’inscrit au fur et à mesure. Quelles auraient pu être les conséquences d’un tel choix du point de vue de parents ? Avec un tel format où rien n’est borné d’avance, les parents ne voient pas le parcours scolaire idéal.
C’est un avantage en ce qui concerne toutes les critiques que nous avons fait émerger en amont, notamment celles des compétences non validées. Avec la logique de présentation port-folio, pas de compétences non acquises, mais juste des traces de celles qui sont réussies. En revanche, cette simple conservation des preuves de la réussite ne permet ni à l’élève de se projeter dans ses apprentissages futurs illustrés dans le carnet de progrès, ni aux parents de prendre connaissance des attendus de la scolarisation en maternelle.
Par ailleurs, la trace matérielle de la réussite de l’enfant (dessins, photo…) a peut-être, dans le format du port-folio, un pouvoir mnésique plus fort pour l’enfant qui revoie, auprès de ses parents, l’empreinte de son activité : il peut commenter avec moins de difficulté d’interprétation son dessin, une photo où il figure, sans doute mieux qu’une illustration commune à tous les élèves, comme c’est le cas dans le carnet de progrès. C’est bien ce qu’évoque ici le papa de Stanislas en comparant les photos du cahier de vie et les dessins de carnet de progrès: « C’est des images, donc c’est plus facile. Là [en désignant le carnet], c’est de l’image aussi, de l’imagerie, mais ça reste du dessin et c’est pas…Quand il voit l’image, je pense qu’il ne voit pas ce que lui a vécu, par contre sur une photo, il est sur la photo… »
Conclusion
Toute éducation est par nature coéducation : un enfant tout seul, ça n’existe pas, il est en permanence au cœur d’un tissu éducatif entre parents, fratrie, enseignants, pairs, objets, médias… Pourtant, si cette coéducation est une donnée intangible autour de l’enfant, celle qui intéresse notre recherche, à savoir la coéducation entre enseignants et parents, s’exprime et prend des directions multiples, selon la façon dont s’incarne le « co ».
Aussi, l’analyse des effets de la mise en place du carnet de progrès à l’école maternelle de A. révèle un premier constat : les parents d’élèves de cet établissement préscolaire, qu’ils soient en phase complète avec cet outil ou qu’ils émettent plus de réserve à son encontre, sont tous en attente ou en demande d’une collaboration avec l’école de leur enfant. Même si la manière d’envisager le partenariat, la participation correspond à des modalités d’action parentales variées, elle exprime à l’unanimité des familles rencontrées un besoin, une envie, une attente « d’être avec l’école ».
Pour tenter de répondre à cette problématique, nous avons cherché à constituer une variété de profils la plus représentative des parents d’élèves de la classe de MS/GS de l’école maternelle de A. Bien qu’étant conscient du caractère par définition limité et insuffisant de cet échantillon, des modèles de familles n’étant effectivement pas représentés dans notre étude, notre contribution à la réflexion sur le thème des effets du carnet de progrès sur la coéducation parents/enseignants nous permet de dresser, même s’ils ne donnent qu’une vision très partielle, les bilans suivants :
La majorité des parents rencontrés pense qu’en effet, ce nouveau format de référentiel d’évaluation est un atout supplémentaire pour plus de coéducation. Valorisant au quotidien les progrès de l’élève, permettant des échanges plus riches entre parents et enfant, donnant la parole aux familles pour une plus grande prise de conscience de leur rôle de coéducateurs, permettant de mieux comprendre les attendus de la scolarité en école maternelle, cet outil semble être un levier important pour une éducation partagée et cohérente autour de l’enfant.
Un autre regard parental sur le carnet de progrès plaide en faveur d’un dispositif critiquable, jugé comme élément qui interroge ou qui empêche la coéducation. Bien que ce point de vue est le fait d’une petite minorité de parents, il exprime les limites d’une coéducation entre partenaires aux valeurs éducatives différentes et à la conception des finalités de l’évaluation qui peuvent pleinement diverger. Ces écarts de « styles éducatifs » entre école et familles viennent de ce fait questionner la cohérence éducative autour de l’enfant.
Pleinement convaincus des apports de ce dispositif ou réservés quant à son message évaluatif, c’est pourtant l’ensemble des parents d’élèves rencontrés qui montre, lors de nos entretiens, en quoi ce carnet de progrès ne les laisse pas indifférents, comment il vient interroger leur posture parentale et de quelle manière il les invite à poser déjà un regard de parent d’élève sur leur enfant scolarisé en maternelle.
Or, il est indéniable que le concept de coéducation, pour être pris au sérieux par les différents partenaires concernés, suppose que l’école en général, et l’école maternelle pour ce qui concerne notre travail, ne se considère plus comme la seule légitime à définir les valeurs éducatives. Cette dimension plurielle de l’éducation, où chacun reconnait qu’il n’est pas le seul éducateur de l’enfant, où, comme le rappelle Brougère (2010), « chaque instance ne participe que partiellement à son éducation », implique qu’elle soit rendue visible, qu’elle soit « mise en scène » au travers de projets fédérateurs, de dispositifs qui permettent partenariat et participation des différents éducateurs de l’enfant. A ce propos, il pourrait être intéressant d’orienter notre recherche vers une autre scène, en se posant la question du devenir de la coéducation parents-enseignants au-delà de l’école maternelle : comment, à l’école élémentaire, s’exprime cette coéducation alors que la relation directe entre école et famille n’est plus quotidienne comme à l’école maternelle ? L’évaluation du CP au CM2 est-elle tout autant levier de coéducation ?
Par ailleurs, l’école doit comprendre qu’elle n’a pas le « monopole de l’apprentissage et que l’éducation est la résultante de ces différentes dimensions qui incluent les apprentissages informels ». Or, si la coéducation, pour être cohérente et complète, est la résultante d’une part, de l’éducation formelle reçue dans l’institution scolaire et d’autre part, d’une éducation informelle reçue en dehors de l’école, notamment par le milieu familial, se pose en conséquence la question du lien avec l’évaluation. Dans un contexte institutionnel où savoir coopérer avec les parents est devenu une compétence professionnelle attendue des professeurs des écoles, la coévaluation de cette multi-éducation doit être réfléchie : Est-ce aux parents d’élèves d’avoir en charge l’évaluation de l’éducation informelle ? De quelle façon ? Sous quelle forme ? Indépendamment ou en collaboration avec l’enseignante ? Pour quels buts ? Quelle prise en compte de cette évaluation de l’éducation informelle ?
Il n’est pas ici le propos de cette étude de répondre à ce type de questionnement. Mais, quoi qu’il en soit, cet enjeu délicat de la coévaluation des apprentissages selon l’approche par compétences pourrait par la suite faire l’objet d’une nouvelle recherche…
Pour conclure, si, du point de vue enseignant, « faire de la coéducation », c’est avant tout reconnaître la multiplicité des modalités d’apprentissage et d’éducation et savoir mettre en place des dispositifs qui permettent aux parents et aux enfants d’y contribuer, encore faut-il que la formation initiale ou continue des enseignants participe à la clarification de ce concept. Or, il est bon de noter qu’à ce jour, la formation des enseignants à la relation avec les parents est tout à fait limitée et n’induit pas d’« enthousiasme institutionnel » à mettre en œuvre la coéducation.
Par ailleurs, comme l’explique Beaumatin (2005), l’enfant a le statut de médiateur entre école et famille, il est au cœur des « confrontations de pratiques éducatives en harmonie ou en opposition » entre l’institution et ses parents. Chacun doit donc bien avoir en tête, parents comme enseignants, qu’un « conflit interpersonnel peut se transformer en conflit intrapersonnel » pour l’enfant. Aussi, les différents partenaires doivent veiller à ce que la coéducation, loin de pénaliser l’enfant par des tensions entre parents et enseignants, soit au contraire un terreau propice à un plus grand épanouissement personnel de l’enfant, une mise en confiance, une motivation et une appétence accrues pour un parcours scolaire finalement réussi.
L’élève, au cœur d’une unité de ton entre coéducateurs, pourra alors compter sur l’alliance de ses deux mondes, familial et scolaire, qui participent tous deux à sa construction et à son développement
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Approches théoriques sur l’évaluation et sur la coéducation à l’école maternelle
Chapitre 1. Cadre théorique et évaluation
1.1. Evaluation à l’école : de quoi parle-t-on ?
1.1.1. L’évaluation diagnostique
1.1.2. L’évaluation formative
1.1.3. L’évaluation sommative et la docimologie
1.2. Spécificités de l’école maternelle française et genèse de l’évaluation à l’école maternelle
1.2.1. Les spécificités de l’école maternelle au travers du prisme du prisme de son histoire
1.2.2. De l’évaluation à l’école maternelle : pourquoi ? comment ?
Chapitre 2 : Ecole et famille : quand il est question de coéducation
2.1. Qu’est-ce que signifie la coéducation ?
2.2. Coéducation : un point de vue historique de la relation parents/école en constante évolution
2.3. Co-éduquer : une pluralité des logiques d’action parentale
Chapitre 3 : Axes de recherche
3.1. Modèle de recherche et d’analyse
3.2. Hypothèses de recherche
Partie 2 : cadre méthodologique et recueil de données
Chapitre 1 : Description du cadre contextuel
1.1. Photographie de l’école maternelle de A. et de la classe de MS/GS de Mme G
1.2. Conception du carnet de progrès par l’équipe pédagogique
1.3. Utilisation du carnet de progrès et pratique professionnelle de l’évaluation dans cette classe
1.4. Rapports entre les parents d’élèves et l’enseignante
Chapitre 2 : Cadre méthodologique
2.1. Présentation de l’échantillon des parents entretenus
2.2. Conditions du recueil des données
2.3. Présentation des outils : le guide d’entretien
Partie 3 : Analyse et interprétation des résultats
Chapitre 1. Analyse des entretiens et vérification des hypothèses
1.1. Styles parentaux et valeurs éducatives
1.2. Le carnet de progrès comme élément facilitateur de coéducation
1.2.1. Contexte de la mise en place du carnet de progrès : éthique de l’outil et style pédagogique de l’enseignante
1.2.2. Le carnet de progrès comme élément médiateur entre l’enfant et ses parents
1.2.3. Le carnet de progrès : un outil qui permet aux différents coéducateurs de parler le même langage
1.2.4. Le carnet de progrès : reflet de la vie de la classe et impact sur le style parental
1.2.5. Le carnet de progrès : levier d’ une plus grande coéducation
1.3. Le carnet de progrès : un élément qui interroge, qui limite ou qui empêche la coéducation
1.3.1. Le carnet de progrès comme vecteur d’interrogation parentale .
1.3.2. Le carnet de progrès comme objet limitant la coéducation
1.3.3. Le carnet de progrès : paramètre qui empêche la coéducation
1.3.4. Le carnet de progrès : un outil perfectible du point de vue parental
Chapitre 2 : Des difficultés à coéduquer à des perspectives pour parfaire la coéducation
2.1. La coéducation : une position difficile à atteindre
2.1.1. Une relation entre coéducateurs spontanément évoquée dans le cadre de la difficulté scolaire
2.1.2. La coéducation : un espace / temps à inventer
2.1.3. Coéducation : un concept fragile, à faire évoluer et progresser au rythme de chacun
2.2. Limites de cette étude et perspectives pour parfaire la coéducation
2.2.1. Aux frontières de cette recherche
2.2.2. De nouveaux horizons pour la coéducation ?
Conclusion
Bibliographie