Approches numériques de la filtration membranaire et de la formation d’un dépôt

Approches numériques de la filtration membranaire et de la formation d’un dépôt

Les méthodes numériques (CFD : Computational Fluid Dynamics), présentent un grand potentiel pour étudier les phénomènes complexes gouvernant les mécanismes de séparation par membranes et pour identifier les paramètres opératoires critiques. En effet, elles permettent de minimiser les expériences et, en déterminant les conditions d’écoulement à l’échelle locale, d’analyser les phénomènes plus précisément que par l’approche expérimentale qui reste souvent macroscopique. Ainsi, différents travaux menés depuis la fin des années 90 se sont plus particulièrement intéressés à la simulation de l’écoulement dans une paroi poreuse et à la formation du dépôt.

Ecoulement dans une paroi poreuse 

La simulation de ce type d’écoulement a été étudiée par Damak et al. [34]. Dans cette étude, les auteurs ont couplés l’équation de Navier Stokes relative à un écoulement laminaire à l’équation de Darcy. Les résultats obtenus ont permis de distinguer l’influence des nombres de Reynolds axial (le long du tube) et de Reynolds de filtration (perpendiculaire à l’écoulement) sur les profils des vitesses axiales et radiales et sur les pertes de charge dans le tube dans le cas d’un écoulement laminaire incompressible et isotherme.

Simulation de la formation d’un dépôt

La simulation de la construction du dépôt sur le média filtrant a fait l’objet de nombreux travaux utilisant différents logiciels commerciaux dont les plus courants sont FLUENT (volumes finis), COMSOL ou encore Matlab qui couplent la résolution des équations de Navier Stokes et de Darcy-Brinkman. Ces outils numériques ont permis de simuler la formation des dépôts à plusieurs échelles. Günther et al. [35]. ont développé un modèle d’écoulement simulant la formation d’un dépôt dans un canal à paroi poreuse de géométrie similaire à celle des fibres creuses de modules utilisés expérimentalement. Ce modèle a été utilisé pour simuler le fonctionnement d’un dispositif de microfiltration à fibres creuses pour évaluer l’effet de la densité de fibres dans le module sur la répartition spatiale longitudinale du dépôt. La non uniformité de la perméabilité sur la longueur de la membrane a été simulée par Mendret et al. [36]. L’épaisseur du dépôt dépend étroitement de la phase initiale de sa formation et des caractéristiques de la membrane utilisée.

La formation d’un dépôt de particules à l’échelle du pore en fonction de la taille des particules a été étudiée par Noël et al. . Pour cela, l’écoulement est simulé dans le domaine fluide transportant les particules (écoulement de Stokes) et dans le domaine poreux (écoulement de Darcy ou Darcy-Brinkman). L’effet du dépôt des particules sur la perméabilité et la porosité est modélisé. Dans cette étude les interactions physicochimiques sont négligées. L’effet du pontage est bien mis en évidence. En fonction du ratio taille des particules / taille du pore de la membrane, deux cas sont distingués. L’utilisation de la loi de Darcy pour modéliser l’écoulement dans le dépôt est valide lorsque ce rapport est petit. Toutefois, quand la séparation n’est pas à l’échelle, les modèles homogénéisés type Darcy sont de mauvaises approximations de l’écoulement.

D’autres études se sont intéressées au dépôt d’une particule après son contact avec une autre particule déjà déposée en utilisant le bilan des forces qui s’exercent sur elle. Ainsi, pour étudier les caractéristiques des dépôts à l’échelle des particules, la structure du colmatage externe est simulée par prédiction de la position de chaque particule. L’effet de différentes conditions opératoires telles que le flux de filtration, la concentration et la forme des particules sur la structure des dépôts formés a été étudié par Hwang et al. [38]. Pour simplifier la simulation, les particules sont supposées rigides, monodisperses et de taille supérieure à 1 µm et le débit de filtration faible, les forces de Van der Wals, les interactions électrostatiques et les mouvements Browniens sont négligés. Les résultats montrent que la forme de la particule joue un rôle déterminant dans la porosité du dépôt : Plus les particules sont elliptiques et moins sphériques, plus le dépôt formé devient poreux. Ces simulations sont validées par les résultats expérimentaux sur les effets de la forme et de la taille des microorganismes sur les propriétés du dépôt [15]. Ces auteurs ont aussi étudié la structure locale du dépôt formé par des particules sphériques de taille inférieure au micromètre [39]. Ils ont montré que l’empilement des particules dans le gâteau peut être divisé en deux régions. Quand la pression de compression est plus petite que la valeur maximale de la force de répulsion électrostatique, il existe là une distance d’équilibre entre les particules voisines. Par contre, si la pression de compression est supérieure à la valeur maximale de la force de répulsion électrostatique, les particules entrent en contact. L’empilement des particules au contact de la membrane est compact et présente une résistance élevée. Par contre, la fraction du dépôt superficielle présente une structure plus poreuse. L’avantage majeur des modèles numériques à l’échelle de la particule est qu’ils permettent d’analyser l’influence des différents paramètres opératoires sur l’organisation des particules à l’intérieur du dépôt. Toutefois, ces approches restent souvent limitées. En effet la plupart des études ne font pas le lien entre l’échelle microscopique et l’échelle macroscopique (perméabilité du dépôt, résistance…). De plus, les particules sont généralement considérées rigides et monodisperses et les conditions opératoires sont simplifiées ce qui ne traduit pas la complexité des systèmes réels. C’est pourquoi ces simulations doivent être impérativement couplées à des validations expérimentales.

Validation des modèles numériques

Les modèles numériques sont souvent utilisés comme outils prédictifs pour étudier l’influence de certains paramètres opératoires sur le colmatage. Ils sont généralement validés par comparaison avec les résultats expérimentaux. D’autres études, à l’inverse, utilisent la simulation numérique pour valider des méthodologies expérimentales innovantes. En effet, certains auteurs comme Rahimi et al. [40] et Ahmad et al. [41] ont simulé numériquement l’influence de plusieurs paramètres physiques clés de la filtration et ont validé les simulations numériques par l’expérience. Par exemple, le flux de perméat de l’eau à travers une membrane a été simulé par CFD 3D en utilisant dans l’équation de Darcy la distribution de pression prédite au lieu des pressions moyennes à l’entrée et à la sortie du module de filtration [40]. Ahmad et al. [41] ont simulé, sous FLUENT, la concentration de polarisation et le coefficient de transfert de masse pour différentes conditions opératoires dans un canal étroit avec une paroi poreuse. Leurs résultats numériques ont été validés par comparaison avec les données de la littérature. Bacchin et al. [42] ont simulé l’accumulation des colloïdes à la surface de membrane en filtration tangentielle en intégrant les propriétés physico-chimiques spécifiques aux suspensions colloïdales déterminées expérimentalement. Le flux critique est déterminé par simulation numérique et comparé avec celui mesuré expérimentalement durant la filtration d’une suspension de particules de latex. Delaunay et al. [43] ont, quant à eux, développé une nouvelle technique expérimentale basée sur la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR) pour quantifier le colmatage causé par les protéines durant l’ultrafiltration du lait écrémé. Ces résultats expérimentaux ont été validés par simulation numérique des profils de vitesse et la distribution des protéines sur la membrane. Dans ce cas, la simulation numérique a permis de valider cette nouvelle technique de quantification de colmatage. Les techniques numériques assistées par ordinateur (CFD) ont été utilisées pour modéliser l’écoulement de flux, les propriétés hydrodynamiques dans les différentes géométries de modules membranaires et le colmatage.

Malgré les avancées réalisés dans les simulations numériques, la disponibilité de plusieurs logiciels commerciaux et l’important progrès réalisé au niveau de la compréhension de la formation du colmatage au niveau des membranes et son effet sur ses cinétiques, les modèles développés nécessitent d’être validés et perpétuellement améliorés par les résultats expérimentaux. Toutefois, peu de données sont disponibles sur les phénomènes ayant lieu à l’échelle microscopique. Les voies expérimentales classiques ne permettent pas d’explorer le dépôt au niveau du filtre sans d’altérer l’écoulement et les interactions entre les composants d’un dépôt.

Techniques de caractérisation du dépôt

L’étude de la construction des dépôts implique la compréhension des phénomènes ayant lieu dans trois régions : (i) la membrane (ii) l’interface membrane/liquide avec la présence possible d’un dépôt (iii) la partie fluide. La performance de la séparation est déterminée par les caractéristiques de ces trois régions et leurs interactions [47]. Plusieurs travaux ont été menés concernant l’étude du dépôt. L’approche classique évalue le colmatage de manière globale par le biais du suivi des paramètres physiques tel que la pression, la perméabilité…au cours des essais de filtration. Cependant, le suivi local, « in situ », en temps réel de la formation du dépôt est indispensable pour comprendre les mécanismes impliqués afin de mieux le maîtriser. Plusieurs techniques ont été développées dans ce sens : elles sont énumérées et évaluées de manière exhaustive dans les revues de Chen et al. [47] et Meng et al. [48]. De façon générale, elles peuvent être répertoriées selon différents critères :

– Non-invasif : la génération et la détection du signal permettant la caractérisation du dépôt doivent être externes au module de filtration.
– Temps réel : l’étude de phénomènes dynamiques nécessite de mettre en œuvre des techniques qui ont des temps de réponse très rapide
– Résolution : afin d’analyser l’organisation et la structure des dépôts, elle doit être de l’ordre de grandeur ou plus petite que la taille des particules. Pour les méthodes optiques, elle dépend de la longueur d’onde du signal appliqué. 

En pratique, il est difficile d’observer en temps réel des événements au voisinage d’un pore avec une bonne résolution. La plupart des techniques de caractérisation des dépôts nécessitent la fabrication de dispositifs spécifiques. On s’intéresse dans cette revue aux techniques les plus couramment utilisées telles que la microscopie électronique à balayage, la microscopie à force atomique…ainsi qu’à celles qui apparaissent les plus pertinentes pour l’étude du dépôt à l’échelle de la particule.

Méthodes non optiques

Les techniques qui ne reposent pas sur des principes d’optique présentent plusieurs avantages : leur résolution peut être de l’ordre de l’angström, les acquisitions sont rapides et elles ne nécessitent pas de dispositifs de filtration spécifiques. Selon leur principe de fonctionnement, elles permettent l’étude de phénomènes à la surface de la membrane et au niveau du dépôt (réflectométrie ultrasonique [49], Spectroscopie d’impédance électrochimique [50]), au niveau de la région de transport du liquide (tomographie axiale calculée par ordinateur (TACO) [51]) ou au niveau des trois zones simultanément (résonnance nucléaire magnétique [52]). Néanmoins, ces méthodes sont complexes et l’interprétation des données peut être délicate.

Réflectométrie ultrasonique

C’est une des premières techniques utilisées dans la caractérisation du dépôt. Lorsqu’une onde sonore rencontre une interface, une partie est transmise et l’autre est réfléchie. L’analyse de ces ondes permet de mesurer la position ou le déplacement d’une interface. De plus, elle peut également fournir des informations sur les caractéristiques physiques des milieux traversés [47]. Cette technique a été utilisée par Li et al. [53] pour caractériser les différentes interfaces d’un dépôt formé sur une membrane plane durant le traitement d’un effluent . La différence entre le temps d’arrivée et l’amplitude du signal réfléchi pour une membrane propre et une membrane colmatée a permis de déterminer l’épaisseur et la densité du dépôt.

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Table des matières

Introduction Générale
Chapitre I. Revue Bibliographique
I.1 Applications des procédés membranaires
I.1.1 Traitement des eaux
I.1.2 Industries pharmaceutique et biotechnologiques
I.2 Synthèse des connaissances sur la séparation membranaire
I.2.1 Principe
I.2.2 Classification des procédés membranaires
I.2.3 Structure et composition chimique des modules membranaires
I.2.4 Mise en œuvre des membranes
I.2.5 Transfert de matière et limites du procédé
I.2.6 Colmatage lié au dépôt de particules
I.2.7 Paramètres influants sur la filtration des suspensions cellulaires
I.3 Approches numériques de la filtration membranaire et de la formation d’un dépôt
I.3.1 Ecoulement dans une paroi poreuse
I.3.2 Simulation de la formation d’un dépôt
I.3.3 Validation des modèles numériques
I.4 Techniques de caractérisation du dépôt
I.4.1 Méthodes non optiques
I.4.2 Méthodes optiques
I.5 Caractérisation du dépôt par microscopie de fluorescence
I.5.1 Principe de la fluorescence
I.5.2 Marquage des microorganismes
I.5.3 Microscopie à fluorescence
I.6 Contexte et enjeux scientifiques
Chapitre II. Contexte de l’étude et conception du dispositif expérimental
II.1 Présentation du travail, objectifs et approche
II.2 Conception et fabrication de la chambre de filtration
II.3 Microsieves
Chapitre III. Matériel et Méthodes
III.1 Particules modèles
III.2 Microorganismes modèles
III.2.1 Milieux de culture
III.2.2 Conservation des souches
III.2.3 Mise en œuvre de la culture des microorganismes
III.2.4 Techniques analytiques
III.2.5 Marquage des microorganismes
III.3 Caractérisation des suspensions modèles
III.3.1 Distribution de taille des suspensions
III.3.2 Propriétés de surface
III.4 Acquisition d’images
III.4.1 Microscopie optique
III.4.2 Microscopie à épifluorescence
III.4.3 Microscopie confocale
III.5 Préparation des suspensions pour les essais de filtration
III.6 Essais de filtration
III.6.1 Membranes
III.6.2 Module de filtration
III.6.3 Protocole expérimental
III.7 Acquisition et traitement d’images
III.7.1 Acquisition des images
III.7.2 Analyse quantitative des images
Chapitre IV. : Etude préliminaire : Qualification de la chambre de filtration
Présentation du travail, objectifs et approche
Chapitre V. : Filtration des suspensions de particules inertes
Présentation du travail, objectifs et approche
V.1 Caractérisation tridimensionnelle, in situ, des dépôts de particules inertes monodispersées
V.2 Caractérisation tridimensionnelle, « in situ », des dépôts de particules inertes bidispersées
In situ 3D characterization of bidispersed spherical particle cakes using confocal laser scanning microscopy
Chapitre VI. : Filtration de suspensions de microorganismes et évaluation de la pertinence de l’étude
VI.1 Filtration de suspensions de microorganismes
Présentation du travail, objectifs et approche
VI.1.1 Caractérisation tridimensionnelle, in situ, de dépôts de microorganismes en suspensions pures
VI.1.2 Caractérisation du dépôt issu du mélange des deux microorganismes
VI.2 Evaluation de la pertinence de particules modèles inertes pour simuler des dépôts biologiques
VI.2.1 Comparaison globale du colmatage
VI.2.2 Analyse à l’échelle microscopique des caractéristiques des dépôts de filtration
Conclusion du chapitre
Conclusion Générale

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