Introduction
LES développements des accélérateurs de particules et des moyens techniques associés ont rendu accessibles au cours des dernières années des régions de la carte des noyaux sans cesse plus éloignées de la vallée de stabilité. Les études menées sur les noyaux exotiques ont mis en lumière des comportements jusqu’alors insoupçonnés, comme par exemple l’existence des noyaux à halos, de la radioactivité à deux protons, ou la modification des nombres magiques loin de la stabilité. Outre les activités de recherche portant sur la mise en œuvre des nouvelles techniques de production et de détection qu’ils réclament, ces noyaux de plus en plus instables constituent d’excellents tests pour les nouveaux formalismes du problème nucléaire à N-corps imaginés parallèlement par les théoriciens. Toutes les données collectées jusqu’à nos jours démontrent que la structure nucléaire peut être schématiquement comprise comme la conjugaison de trois aspects, comme représenté sur la figure 1. Tout d’abord, de même que pour les électrons d’un atome, l’existence de configurations particulièrement stables pour des nombres magiques de protons et/ou de neutrons est interprétée comme la signature d’une structure en couches des noyaux, et donc d’un potentiel moyen dans lequel les nucléons se déplacent librement. À l’opposé, l’observation de raies typiques d’un spectre rotationnel révèle un comportement collectif des nucléons qui peut être expliqué par une interaction résiduelle de type quadrupolaire, comme dans le modèle d’Elliott [1]. À ces deux grandes caractéristiques de la structure nucléaire est venu s’ajouter dans les années 1960 un troisième aspect, suggéré par la constatation que les noyaux pair-pair se montrent systématiquement plus liés que leurs voisins pair-impair avec un état fondamental de moment cinétique total nul. Ces observations ont été considérées comme la manifestation d’un phénomène d’appariement entre nucléons identiques des couches externes. La condensations des paires de moment angulaire total nul, analogues aux paires de Cooper d’électrons responsables de la supraconductivité, peut être simplement décrite en termes d’une nouvelle interaction résiduelle entre les nucléons, comme dans le modèle de Racah [2]. Il existe à l’heure d’aujourd’hui de nombreuses théories microscopiques en physique nucléaire. Pour les noyaux de masse intermédiaire ou élevée proches de la stabilité, les méthodes de champ moyen auto-cohérent Hartree-Fock ou Hartree-Fock-Bogoliubov apportent une première description approximative, mais globalement satisfaisante, de la plupart des noyaux par une paramétrisation directe de la fonctionnelle d’énergie. Les corrélations induites par les interactions résiduelles y sont alors partiellement incluses par des brisures de symétries dans un traitement effectif à particules indépendantes. D’un autre côté, dans l’espoir d’acquérir une vision unifiée de la structure nucléaire à partir des principes premiers, ces dernières années ont vu un développement notable des approches ab initio. Elles visent à résoudre le problème quantique à N-corps à partir de paramétrisations de l’interaction « nue » entre les nucléons (les potentiels d’Argonne par exemple [5]), à deux voire trois corps. Les formalismes de Faddeev [6, 7] et de Yakubovsky [8] offrent par exemple un traitement exacts des systèmes à trois et quatre constituants. Des fonctions d’ondes nucléaires très précises 1 peuvent également être reconstruites par des méthodes de type Monte-Carlo quantiques (QMC) — fonctions de Green Monte-Carlo et diffusion Monte-Carlo — au travers d’une exploration stochastique de l’espace par les nucléons [9–12]. D’autre part, il est aussi possible de rechercher les états stationnaires du noyau dans l’esprit des méthodes à mélange de configurations de la chimie quantique. En substance, il s’agit de tirer profit du succès de l’approximation des nucléons indépendants pour définir une base adéquate dans laquelle la matrice hamiltonienne à N-corps est diagonalisée : on parle ainsi de modèle en couches sans cœur [13–15]. Des calculs comparatifs ont par ailleurs récemment mis en exergue que l’ensemble de ces approches ab initio conduisent remarquablement à des résultats similaires [16]. Toutefois, quand bien même elles constituent à l’heure actuelle une référence en termes de calculs de structure nucléaire de par leur accord avec les mesures, ces méthodes restent limitées aux noyaux légers — typiquement jusqu’à A ∼ 13 — par les moyens numériques. Finalement, le modèle en couches avec mélange de configurations demeure encore aujourd’hui le cadre théorique le plus performant pour prendre en compte de manière systématique l’ensemble des corrélations au-delà du champ moyen pour une large gamme de noyaux [17,18]. En définissant un cœur magique supposé inerte et un ensemble de couches dites « actives », l’équation de Schrödinger est résolue avec un hamiltonien comportant une interaction résiduelle effective en partie ajustée aux résultats expérimentaux. Sa capacité à reproduire efficacement un grand nombre d’observations et son pouvoir prédictif concernant les noyaux relativement stables ont fait du modèle en couches un pilier des calculs de structure du noyau depuis ses premières applications. Néanmoins, la croissance rédhibitoire de la dimension de l’espace des états avec le nombre de particules et/ou le nombre de couches rend rapidement le problème à N-corps insoluble. Une telle limitation se révèle alors d’autant plus problématique que le traitement des noyaux exotiques exige de considérer un nombre de plus en plus important de couches de valence. Elle s’applique de surcroît aux extensions du modèle récemment proposées [19,20], inspirées de travaux similaires pour son homologue atomique [21], et visant à capturer les propriétés des systèmes ouverts que représentent les noyaux proches des « drip-lines » par un couplage aux états du continuum. Afin d’étendre l’applicabilité du modèle en couches, une alternative à la diagonalisation directe du hamiltonien se trouve de nouveau dans des méthodes QMC. Basées sur une reformulation stochastique de l’équation de Schrödinger, elles permettent de ramener le problème quantique à N-corps à un ensemble de problèmes à un corps, solubles numériquement, et décrivant des particules indépendantes évoluant chacune dans un potentiel extérieur fluctuant. Les schémas QMC souffrent toutefois d’une pathologie, communément appelée problème de signe ou problème de phase, se manifestant par une divergence dramatique des erreurs statistiques. Elle apparaît en règle générale pour des systèmes fermioniques, ou pour les systèmes magnétiques frustrés en physique de la matière condensée, et rend totalement incontrôlables les simulations numériques.
Une première application à des noyaux exotiques
L’évolution des nombres magiques lorsque N et/ou Z s’éloignent de la vallée de stabilité constitue actuellement un important axe de recherche. Très récemment, une étude expérimentale menée au GANIL 10 a permis d’accéder à la spectroscopie d’isotopes impairs de Cobalt se situant aux alentours du noyau 68Ni [99, 100]. Celui-ci est considéré comme un bon candidat pour présenter une double magicité : N = 40 correspondrait alors à une fermeture de couche exotique interprétée par un affaiblissement du potentiel spin-orbite dans le champ moyen. Afin d’interpréter les résultats obtenus, des calculs de type modèle en couches avec mélange de configurations ont été effectués. Ils ont visé à apporter une explication aux systématiques observées dans l’évolution avec le nombre de neutrons de l’énergie d’excitation entre l’état fondamental J$ = 7/2− et le premier état J$ = 3/2− et dans la probabilité réduite de transition E2 entre ces états. Avec la couche f p pour espace de valence et l’interaction effective GXPF1A, la diagonalisation complète du hamiltonien a conduit à un spectre s’accordant relativement bien avec l’expérience. En revanche, la probabilité de transition électromagnétiques BE2(3/2− → 7/2−) s’est avérée largement surestimée. L’influence de l’orbitale 0g9/2 n’a par ailleurs pu être que partiellement étudiée en raison de la dimension de la matrice hamiltonienne. Des troncations ont ainsi dû être imposées en ne retenant que les configurations répondant aux critères suivants :
• l’orbitale 0f7/2 est supposée remplie pour les neutrons ;
• la promotion de protons sur le niveau individuel 0g9/2 est interdite ;
• seules sont retenues les excitations faisant intervenir au maximum 4 particules-4 trous.
Premiers résultats dans les couches sd et fp
Nous nous focaliserons dans un premier temps sur les trois noyaux de la couche sd précédemment considérés, le noyau pair-pair 28Mg, le noyau N = Z impair-impair 26Al, et le noyau impair 27Na. La figure 3.5 donne les spectres « yrast » obtenus pour l’interaction effective réaliste USD, par l’approximation SEMF (pour rappel), par la méthode QMC à chemins contraints, et par diagonalisation via le code ANTOINE. Concernant les états T = 1 du 26Al, nous avons une fois encore fait appel à l’invariance de charge de l’interaction en effectuant les calculs pour son noyau isobarique analogue 26Mg. Les énergies QMC sont de nouveau associées à des erreurs statistiques contrôlées quel que soit le noyau, contrairement à l’approche traditionnelle SMMC (voir la figure 3.1). Ces résultats mettent finalement en exergue que la reformulation QMC à chemins contraints conduit à une approximation tout-à-fait excellente de la spectroscopie des trois noyaux en question, la différence maximale entre les énergies exactes et celles déterminées se situant aux alentours de 0.2 MeV, soit 0.003 % d’erreur relative. Une telle précision est d’ailleurs particulièrement remarquable concernant le noyau impair 27Na. Rappelons en effet que pour de tels noyaux la méthode SMMC traditionnelle ne peut échapper au problème de phase quand bien même l’interaction résiduelle satisfait aux critères de Lang (voir section 3.2).
Le modèle de Hubbard
La cohésion de la majorité des solides est assurée par des électrons délocalisés sur l’ensemble du réseau cristallin. Leurs propriétés peuvent alors être globalement expliquées au moyen de modèles simples mettant en jeu des fermions sans interaction comme la théorie des bandes, celle des liquides de Fermi, ou les méthodes de fonctionnelles de la densité (DFT). Depuis les années 1960, l’émergence de nouveaux matériaux aux propriétés non conventionnelles met cependant un tel schéma en défaut. Par exemple, certains oxydes de métaux de transition comme les cuprates de terres rares, exhibent une multitude de phases exotiques qui pour la plupart échappent complètement aux approches de type DFT (voir la figure 4.1). En fonction de la stœchiométrie de ces composées et de la température sont ainsi observées :
• des phases isolantes antiferromagnétiques ;
• des ordres de spin et de charge incommensurables ;
• un comportement supraconducteur apparaissant à « haute » température critique avec un paramètre d’ordre de symétrie dx2−y2 ;
• ou encore une phase toujours assez mystérieuse dite de « pseudo-gap », non supraconductrice bien que la densité d’états électroniques soit considérablement affaiblie.
Il est aujourd’hui communément admis que ces états quantiques non conventionnels naissent de fortes corrélations entre les électrons, mais leurs compréhensions et celle de leur compétition à basse énergie demeurent toutefois un défi majeur de la physique théorique de la matière condensée. Introduits presque simultanément par plusieurs auteurs en 1963 dans le but d’étudier les effets de la compétition entre la délocalisation et les corrélations des électrons [137–139], le modèle de Hubbard constitue une approche effective minimale pour décrire des électrons en interaction sur un réseau. En géométrie bidimensionnelle, il a été proposée par P. Anderson pour capturer les propriétés des cuprates [23]. Leur structure, schématiquement représentée sur la figure 4.1, est en effet arrangée en couches planaires de CuO2 empilées les unes sur les autres, au sein desquelles les atomes de cuivre forment un réseau carré et les atomes d’oxygène se situent aux centres des paires d’atomes Cu les plus rapprochés
Conclusions
L’ESSENTIEL du travail exposé s’inscrit dans l’optique de disposer à terme d’une alternative à la diagonalisation directe du hamiltonien du modèle en couches nucléaire au travers des méthodes Monte-Carlo quantiques (QMC). Ce manuscrit présente les développements formels et pratiques d’un schéma stochastique original, basé sur un état d’essai variationnel de champ moyen enchevêtré par les symétries (SEMF). Celui-ci est utilisé pour initier, guider le mouvement brownien en temps imaginaire, mais aussi pour le contraindre suivant les techniques de référence permettant de contrôler le problème de phase. Au regard des résultats exploratoires rapportés, la méthode proposée semble offrir une reconstruction remarquable de la spectroscopie « yrast » des noyaux des couches de valence sd et f p, et même pour les noyaux de masse impaire alors que ceux-ci s’avèrent ordinairement bien plus pathologiques vis-à-vis du problème de phase. Une telle qualité s’explique par l’aptitude de l’approche SEMF à fournir un état d’essai efficace et qui offre déjà une approximation très convenable aux occupations des couches, moments multipolaires, et probabilités de transitions électromagnétiques. Ces observations nous ont d’ailleurs incité à débuter une étude SEMF de noyaux exotiques de Cobalt situés autour de la fermeture de couche N = 40 en relation avec un programme expérimental mené dernièrement au GANIL. La principale restriction dont souffre la méthode QMC à chemins contraints se révèle être le temps de calcul qu’elle réclame avec les moyens numériques à notre disposition. La continuité naturelle du travail présenté porte par conséquent sur une parallélisation des codes développés. Nous songeons également implémenter l’évaluation des probabilités de transitions électromagnétiques et de décroissances β (Fermi et Gamow-Teller) par l’intermédiaire d’un estimateur mixte dédié qui a été utilisé dans de récents calculs ab initio du type QMC en base position [162]. Pour l’avenir, il faudra envisager de dépasser l’approximation des estimateurs mixtes pour les valeurs moyennes d’observables en adaptant au cas nucléaire la technique de rétro-propagation brièvement décrite au premier chapitre. Nous suggérons par ailleurs d’étendre l’approche stochastique proposée afin d’autoriser la reconstruction des états excités. Pour un spin donné, l’effort nécessaire à la réalisation de ce projet réside dans la détermination de solutions variationnelles SEMF orthogonales à celles déjà obtenues pour l’état fondamental . Enfin, notre méthode reconstitue actuellement les corrélations d’appariement entre les nucléons au travers du mouvement brownien des états à particules indépendantes. Il est alors envisageable de les inclure directement au sein du schéma de reconstruction en considérant des marcheurs de type Hartree-Fock-Bogoliubov au lieu de déterminants de Slater. La faisabilité pratique d’un tel échantillonnage se voit cependant compromise par le temps de calcul exigé, qui serait assurément plus important, notamment en raison de la restauration indispensable des nombres de neutrons et de protons. Nous nous sommes en outre intéressés aux approches QMC du modèle de Hubbard dont le diagramme de phase en géométrie bidimensionnel demeure largement débattu et d’un intérêt considérable pour la compréhension des matériaux supraconducteurs à haute température critique. Nous avons prouvé que la méthode à dynamique guidée par une fonction d’onde d’essai réelle conduit à un échantillonnage de l’état fondamental exempt de tout problème de signe, quels que soient l’interaction sur site et le taux de remplissage du réseau. Nous avons alors établi que les erreurs systématiques qui sont pourtant numériquement constatées pour de petits « clusters » trouvent leur origine dans une accumulation des marcheurs au voisinage de la surface nodale de l’état d’essai. Cette accumulation a pour conséquence le développement d’un comportement asymptotique en loi de puissance dans la distribution de la norme des marcheurs, entrainant une variance infinie de l’erreur sur l’état exact. Finalement, nous avons de plus démontré l’équivalence entre la dynamique QMC guidée par un déterminant de Slater et la méthode de champ moyen stochastique à poids positifs récemment suggérée. En étendant leur principe à des opérateurs densité de type Hartree-Fock, nous avons également pu retrouver le schéma QMC gaussien, introduit en 2004 pour échantillonner sans problème de signe les propriétés du modèle de Hubbard à température finie. À ce stade, seule une amélioration de l’état d’essai qui guide les trajectoires browniennes pourrait éliminer les erreurs systématiques. L’approche variationnelle SEMF 2 apparaît de nouveau comme une candidate susceptible de fournir un tel état au regard des résultats encourageants auxquels elle a récemment mené avec le hamiltonien de Hubbard [63]. Le formalisme QMC ainsi obtenu serait alors complètement similaire à celui mis en œuvre dans ce mémoire pour la structure du noyau atomique. Pour conclure, les approches QMC s’affichent comme des candidates attrayantes à la résolution du problème quantique à N-corps, permettant de contourner sa complexité exponentielle. Elles s’avèrent toutefois soumises à des hypothèses de validité strictes, souvent négligées, et se voient généralement contaminées par le problème de signe/phase qui les rend totalement inopérantes. À ce jour, aucun schéma stochastique n’est en mesure de garantir que soient respectés les critères de variance finie et de trajectoires à poids positifs qui sont nécessaires à une reconstruction exacte de l’état quantique d’un système de fermions en interaction.
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Table des matières
Introduction
Notations
1 Approches Monte-Carlo quantiques du problème à N-corps
1.1 Fondements théoriques des méthodes Monte-Carlo quantiques
1.1.1 Base surcomplète des déterminants de Slater : réinterprétation d’un état corrélé
1.1.2 Condition de validité de la réinterprétation
1.2 Propagation stochastique en temps imaginaire
1.2.1 La méthode du temps imaginaire
1.2.2 La dynamique standard à champs auxiliaires
1.2.3 La dynamique guidée par un état d’essai
1.3 Le problème de phase
1.3.1 Origine du problème
1.3.2 Schémas de contrôle du problème
1.4 Calcul d’observables et estimateurs
2 Un état d’essai variationnel pour le modèle en couches nucléaire
2.1 Le modèle en couches nucléaire avec mélange de configurations
2.2 La méthode de champ moyen « enchevêtré » par les symétries
2.2.1 Principe
2.2.2 Le hamiltonien SEMF
2.2.3 Mise en œuvre numérique
2.3 Aspects spécifiques au modèle en couches
2.4 Résultats pour les couches sd et f p
2.5 Une première application à des noyaux exotiques
3 Reformulations stochastiques du modèle en couches nucléaire
3.1 Forme quadratique du hamiltonien
3.2 Schémas QMC à champs auxiliaires pour le modèle en couches
3.3 Approximation des chemins contraints
3.4 Mise en œuvre numérique
3.4.1 Discrétisation des équations différentielles stochastiques
3.4.2 Simulation de la distribution des marcheurs selon leur poids et estimation des observables
3.4.3 Influence des différents paramètres de simulation
3.5 Premiers résultats dans les couches sd et f p
4 Ouverture vers les systèmes électroniques fortement corrélés
4.1 Le modèle de Hubbard
4.2 Limitation des traitements QMC à champs auxiliaires
4.3 Approches QMC exemptes de problème de signe
4.3.1 Le schéma à dynamique guidée
4.3.2 Le schéma de champ moyen stochastique à poids positifs
4.3.3 Le schéma QMC « gaussien »
4.3.4 Mise en œuvre, résultats, et discussion
Conclusion
Bibliographie
Remerciements
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