Approches comparées en 5e et en 2nde concernant le développement de la compétence critique des élèves sur la féodalité

Quelles sont les intentions de l’école ?
Selon les textes officiels, l’un des principaux rôles assignés à l’école est de former de futurs citoyens autonomes et responsables. L’esprit critique joue un rôle primordial à ce titre. Cependant, pour Michel Onfray « l’école a toujours été l’instrument au service de l’idéologie de l’Etat en place. Elle prétend éduquer, elle rétrécit l’espace intellectuel ; elle affirme former à la liberté, elle ne célèbre que la soumission, l’obéissance, elle dit ouvrir les êtres sur la vie, elle les coupe du monde réel par des fictions ; elle professe l’autonomie, elle ne croit qu’à la discipline ; elle se donne la mission de têtes bien faites, elle ne produit que des têtes bien pleines » (Onfray in Le Gal, 2007, Préface). Ces tensions contradictoires dans les missions assignées à l’école ont été mises en évidence par Odile Chenevez : « Nous naviguons entre le désir de former des citoyens militants et critiques, et le désir qu’ils soient obéissants. Et en tant qu’enseignants, quel esprit critique souhaitons-nous développer ? Voulons-nous vraiment développer un esprit « trop » critique sur le système et la société ou plutôt œuvrer vers une acceptation « éclairée » de cette société ? » (Chenevez, 2000, Editorial).

Cadre théorique et question de recherche

Les injonctions institutionnelles : un concept flou, général et transversal 

Nous sommes partis de la définition de la pensée critique, qui constituait le thème général du séminaire de recherche mené par notre directrice de mémoire, Anne Vézier. Nous avons alors observé une contradiction entre la définition de l’institution et celle des didacticiens de l’histoire. Nous avons pour cela lu et comparé plusieurs textes institutionnels . Nous avons de prime abord observé une différence fondamentale entre la conception de l’esprit critique propre à la France et la conception de la pensée critique propre au Canada. Cette différence nous a aidé à cerner une première hypothèse. Le concept d’esprit critique, dans le contexte français, apparaît de manière très vague, alors que dans le cas canadien, il est découpé en plusieurs items, axés autour des étapes socio-cognitives qui permettent de construire la pensée critique (Willingham, 2007). La différence sémantique doit être notée entre les deux approches. Esprit signifie une « disposition particulière, aptitude de quelqu’un à faire preuve de quelque chose, à s’intéresser à quelque chose » alors que pensée signifie un « ensemble des processus par lesquels l’être humain au contact de la réalité matérielle et sociale élabore des concepts, les relie entre eux et acquiert de nouvelles connaissances ». Du côté canadien, la pensée critique relève dans sa définition même d’une éducation qui passerait par un ensemble d’étapes (idée de processus) et par une confrontation entre plusieurs registres de données et d’explications pour créer des concepts, les mettre en lien afin de construire des savoirs (Daniel, 2012).

En France, Alain Rey date l’apparition de l’expression « esprit critique » de 1667. Il définit ainsi cette qualité attachée à la personne : « qui n’accepte aucune assertion sans s’interroger d’abord sur sa valeur » . Alain Rey précise que l’esprit critique se différencie de l’esprit de critique : « esprit négatif qui ne voit que les défauts des personnes et des choses ». Le site de l’inspection académique évoque le fait que «« l’esprit » apparaît plutôt comme un principe de la vie intellectuelle, principe ou état qui s’oppose à la sensibilité, aux pulsions, à l’inconscient. Quant au vocable « critique », il souligne à la fois la capacité de juger et de discerner » . Il s’agirait donc de prendre conscience de ses émotions et de ses représentations spontanées afin d’analyser objectivement les faits. Pour l’inspectrice générale en histoire-géographie, Françoise Janier-Dubry, l’esprit critique ne peut s’exprimer qu’en respectant une méthodologie très détaillée. Selon elle, les élèves doivent tout simplement imiter la posture intellectuelle de l’enseignant : « La posture distanciée du professeur constitue sans doute un élément facilitateur pour le développement par les élèves de l’esprit critique, le mimétisme constituant sans doute le plus puissant des vecteurs pour faire advenir l’honnête homme du XXIe siècle » . Il n’est pas anodin qu’un inspecteur général d’histoire géographie soit à l’origine de la conceptualisation de l’esprit critique pour l’éducation nationale. L’histoire scolaire est investie, par ses objets d’études et les questions socialement vives qu’elle aborde, de cette éducation à l’esprit critique, même si de fait elle est transversale à toutes les disciplines . Un trait générique aux « éducations à » est qu’elles doivent apprendre des attitudes et des capacités qui permettraient aux citoyens de distinguer le « vrai » du « faux ». Dans l’esprit critique, la construction de savoirs serait absente au profit de l’évaluation de savoirs. Nous partons donc de cette première hypothèse. L’esprit critique, tel qu’il est défini par l’institution, induit un cadre positiviste, dans lequel les savoirs seraient triés à l’aune d’un prisme de fiabilité scientifique. Il s’apprendrait grâce à une méthodologie apte à trier les informations/explications/interprétations bonnes ou mauvaises, selon cette fiabilité dont les règles (suffisamment de preuves, bien documentées, informations relues par divers pairs) varient selon le document et le contexte dans lequel il est produit.

L’inspecteur général d’histoire-géographie, Jérôme Grondeux, donne cependant une définition différente de l’esprit critique. Pour lui, cet esprit se fonde sur des dispositions. Il parle d’un ensemble d’attitudes (curiosité, modestie, lucidité, autonomie, écoute) et des manières d’aborder, de connaître les choses (savoir s’informer, savoir différencier les faits et les interprétations, savoir évaluer les interprétations) . Pour Jérôme Grondeux, il ne s’agit plus de déployer une norme méthodologique. Il explique qu’il faut savoir distinguer le fait établi de l’interprétation, c’est-à-dire la manière dont on explique les faits. Les différentes interprétations doivent être confrontées, comparées. Cette conception institutionnelle de l’esprit critique tend ici à créer des dispositions chez les élèves, à s’interroger sur des savoirs, à savoir douter et à savoir juger, en différenciant les croyances des interprétations, enjeu central dans la discipline historique. Il ne s’agit plus d’agir par simple mimétisme.

La réalité des pratiques sur le terrain : des élèves qui sont dans le vrai-faux 

Audigier explique qu’on enseigne des savoirs institutionnels, sans les questionner : « On enseigne pour l’essentiel les résultats, c’est-à-dire ce que l’on sait de tel ou tel objet, ce que l’on tient aujourd’hui pour vrai. La discipline scolaire éloigne à la marge ce qui met en doute, ce qui interroge les savoirs. La dimension critique se résume avant tout à un contrôle de la vérité des assertions » (Audigier, 1995, p.71). Cette dimension de l’esprit critique rejoint ici la définition institutionnelle qui en est faite. Les analyses des pratiques ordinaires de la classe menées par Tutiaux Guillon ont mis en évidence le fait qu’une grande partie des activités proposées en classe sont dites de « basse tension » (Tutiaux-Guillon, 2008). Elles consistent à faire prélever par les élèves des informations dans des documents. Ce type d’activité se focalise sur les savoirs comme résultats et l’on demande aux élèves de chercher des preuves dans les sources. Les savoirs transmis sont donc linéaires, propositionnels (savoir que). Il s’agit simplement de faire reproduire le savoir précédemment acquis, sans le problématiser. Cet état des lieux des pratiques ordinaires dans la classe d’histoiregéographie souligne les limites inhérentes aux injonctions institutionnelles.

Ce qu’en disent les didacticiens : créer des ponts entre théorie et pratique 

Notre recherche s’est portée sur les travaux de Sylvain Doussot (Doussot, 2018). D’après le chercheur, la tension entre histoire et vérité doit être dépassée dans le cadre de la discipline scolaire. L’objectif est alors de faire en sorte que les élèves ne se demandent plus seulement si telle source dit la vérité, mais plutôt quelle explication est possible pour cette source dont les traces ne disent pas tout. Doussot s’est appuyé sur les pratiques de référence des historiens. Le but n’est pas ici que les élèves soient capables de reproduire leur travail, mais qu’ils puissent en saisir les enjeux.

Il a notamment fait référence au travail de l’historiographe allemand Koselleck. Pour ce dernier, faire de l’histoire, c’est faire « un pas de plus » que la simple mise en relation de données et d’idées explicatives : « cela revient à élaborer des hypothèses qui cherchent à savoir non seulement comment les choses se sont réellement passées, mais aussi comment il se fait qu’elles aient été rendues possibles » (Koselleck, 1997, p. 217 et p. 229). Un savoir est scientifique lorsque l’on comprend les raisons de ce que l’on sait. « Non pas savoir que, mais avoir compris qu’il ne saurait en être autrement » (Doussot, 2010, pp. 85-104).

Doussot réfléchit donc à réduire l’écart entre la façon de faire de l’histoire par les historiens et celle qui est pratiquée à l’intérieur des classes. Il cherche à adapter la méthodologie utilisée par les historiens à la salle de classe. Il explique qu’on peut organiser en classe un véritable travail d’enquête critique, entendu comme problématisation historique (Doussot, 2018). La problématisation fait son apparition dans le courant des années 1990. Elle apparait comme un moyen de renouveler les pratiques scolaires et notamment l’étude documentaire. Cette idée connait un certain engouement, si bien qu’aujourd’hui, les différents manuels d’histoire géographie font apparaitre à chaque début de chapitre une question entendue comme problématique. Ainsi, pour prendre l’exemple du manuel Hatier utilisé par les élèves de 5ème du collège Chantenay, les questions posées au début du chapitre sur l’ordre seigneurial sont les suivantes : « Comment les seigneurs dominent-ils les campagnes et comment se transforment-elles ? Quel rôle joue l’Eglise dans la société ? ». Mais suffit-il de poser une question pour problématiser? Le questionnement, la problématique, est un point de départ qui doit permettre au processus de problématisation de s’effectuer. Les didacticiens insistent sur l’intérêt de la problématisation pour favoriser l’apprentissage des élèves. Les avancées concernant la problématisation doivent beaucoup aux didacticiens des sciences. Popper identifie la science comme un « processus ayant pour point de départ et pour terme la formulation de problèmes toujours plus fondamentaux et dont la fécondité ne cesse de s’accroitre, en donnant le jour à d’autres problèmes encore inédits » (Popper, 1985, pp. 329-330). Des explications sont trouvées et soumises à la critique. Pour Orange, « il ne s’agit pas simplement de construire un problème pour produire une solution, mais d’explorer et de « cartographier » le champ des possibles. Cette exploration met en exergue le caractère essentiel des savoirs scientifiques : leur nécessité (apodicticité) » (Orange, 2005, pp. 69-94). Nous devons ici nous pencher sur les spécificités de la discipline historique pour comprendre comment il convient d’utiliser ce concept de champ des possibles.

Tout d’abord, quelles sont les spécificités de la science historique ? Pour Lautier et Moniot, l’histoire s’apprend par une compréhension « spontanée » liée à la capacité à comprendre « les histoires qui nous arrivent » (Moniot, 2001 ; Lautier, 1997, 2003). La garantie de la scientificité du savoir doit alors passer par le contrôle des raisonnements. Le savoir de sens commun peut se transformer en savoir scientifique, à condition de lui appliquer des formes de mise à distance. En effet, les écrits spontanés des élèves sont empreints des représentations sociales et donc en décalage avec les attentes scolaires (Cariou, 2012, p. 200). Il faut donc les reformuler, les interroger et les transformer en genre second par le processus de confrontation des données et des explications, afin de faire construire des savoirs acceptables, au regard des attentes scolaires selon un processus que l’on appelle secondarisation. C’est là qu’interviennent les procédés de mise à distance. Les travaux de Lautier et de Cariou en ont listé plusieurs, notamment le contrôle de l’analogie, la périodisation et la modalisation. La compétence critique parait ici tributaire de l’utilisation de ces procédés de mise à distance. Elles paraissent notamment appropriées pour créer les dispositions citées par Jérôme Grondeux et ainsi permettre de différencier les croyances des interprétations.

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Table des matières

Introduction
Cadre théorique et question de recherche
1.1. Les injonctions institutionnelles : un concept flou, général et transversal
1.2. La réalité des pratiques sur le terrain : des élèves qui sont dans le vrai-faux
1.3. Ce qu’en disent les didacticiens : créer des ponts entre théorie et pratique
1.4. Hypothèse de recherche
1.5. Indicateurs de résultats
Constituer un recueil de données sur la féodalité
2.1. La situation professionnelle des chercheurs-ses
2.2. La séquence et la séance en cinquième
2.2.1. La séquence : L’ordre seigneurial
2.2.2. La séance : « Qu’ont fait les seigneurs pour que les paysans travaillent pour eux ? »
2.3. La séquence et les séances en seconde
2.3.1. Une séquence plus resserrée qu’en cinquième par rapport aux contenus
2.3.2. Les séances sur la féodalité
Analyse et discussion des données
3.1. Analyse des données
3.1.1. Analyse des données concernant la classe de cinquième
3.1.2. Analyse et discussion pour la seconde
3.2. Discussion et mise en perspective des analyses pour les 5ème et les 2nde
3.2.1. L’absence de mise en tension entre données et explications
3.2.2. Le rôle du professeur
3.2.3. Le poids des pratiques ordinaires de la classe
3.2.4. Le choix des documents
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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