La naissance de la synthèse totale a lieu au 19ème siècle lorsque F. Wöhler réalise la synthèse de l’urée à partir de cyanate d’ammonium. Plusieurs autres avancées marquent l’histoire de la synthèse totale comme par exemple la synthèse du (+)-glucose par E. Fisher, qui lui vaut le prix Nobel de chimie en 1902. On assiste au 20ème siècle à une augmentation du nombre de produits naturels synthétisés ainsi que de leur complexité. C’est ainsi que W. Bachmann a synthétisé la (±)-équilénine en 1939, une hormone oestrogène extraite de l’urine de jument gravide .
La seconde moitié du 20ème siècle voit naître l’avènement des techniques spectroscopiques, notamment la résonance magnétique nucléaire, un outil puissant pour lechimiste organicien qui lui permet d’élucider des structures moléculaires complexes. Parmi les grands chimistes organiciens, on peut citer R. B. Woodward, qui fut le premier à synthétiser la strychnine sous forme d’un seul énantiomère, et E. J. Corey pour ses nombreuses synthèses totales comme l’acide oléanolique et l’acide gibbérillique, entre autres. Ces deux scientifiques américains ont reçu le prix Nobel de chimie respectivement en 1965 et 1990.
Les produits naturels sont extraits d’organismes vivants comme les champignons, les plantes, les animaux ou les bactéries. Le milieu marinen particulier, offre aux chercheurs une diversité exceptionnelle de molécules pouvant présenter des propriétés biologiques intéressantes aussi riches que variées.
On peur citer comme exemple, la tétrodotoxine, neurotoxine isolée en 1909 du fugu, un poisson-globe. Ce poisson servi par certains restaurateurs japonais, disposant d’une licencespéciale accordée par l’état, peut provoquer la mort, environ 4 à 6 heures après son absorption, si cette toxine n’est pas correctement enlevée du poisson. La toxine est en réalité produite par la bactérie Pseudomonas que le poisson consomme (Figure 3). Une première synthèse totale en version racémique de la tétrodotoxine a été réalisée par l’équipe de Kishi en 1972. Par la suite, Du Bois et al. ont rapporté une synthèse énantiosélective de cette molécule.
Au cours de ce travail de thèse, nous nous sommes intéressés à la synthèse de deux molécules naturelles d’intérêt biologique, la Dasyscycphine D et le Laingolide A. A cette fin, nous avons utilisé des réactions pallado-catalysées, des réactions de métathèse et étudié une cycloaddition de Diels-Alder pour la synthèse de la Dasyscyphine D. En ce qui concerne le Laingolide A, nous avons utilisé une réaction tandem dimérisation croisée/oxonia-Cope, permettant d’accéder à des macrolactones par agrandissement de cycle, et nous présenterons les différentes stratégies étudiées pour accéder au macrolide.
Approche synthétique de la Dasyscyphine D
Présentation des Dasyscyphines
En 2005, l’équipe de Sterner a isolé et caractérisé trois terpénoïdes tétracycliques provenant des fermentations de l’ascomycète Dasyscyphus niveus, nommés Dasyscyphines A, B et C. Par la suite, l’équipe d’Opatz a isolé du même champignon deux nouveaux composés tétracycliques nommés Dasyscyphines D et E.
Le champignon Dasyscyphus niveus pousse sur les chênes en décomposition ou sur les hêtres en Europe, en Amérique du Nord et dans les forêts de Nouvelle-Zélande. Il inhibe complètement la germination du conidia Magnaporthe grisea respectivement à 20 µg/mL et 25 µg/mL.
Les Dasyscyphines B et C quant à elles, se sont révélées fortement cytotoxiques envers des lignées cellulaires humaines cancéreuses (HepG2, HeLa S3, U937, Colo 320, Jurkat) avec un IC50 compris entre 0,5 et 3 µg/mL, et possèdent des activités antimicrobiennes modérées. En revanche, même pour des concentrations allant jusqu’à 100 µg/mL, la Dasyscyphine A ne présente pas d’activité biologique significative. A ce jour, seules deux synthèse totales de composés appartenant à la famille des Dasyscyphines ont été rapportées pour la (–)-Dasyscyphine B et la (±)-Dasyscyphine D.
Nous présenterons dans les paragraphes suivants les deux synthèses totales de ces composés, réalisées respectivement par les équipes de She et d’Alvarez Manzaneda, avant de détailler le travail que nous avons effectué concernant une nouvelle approche synthétique de la (±)-Dasyscyphine D.
Synthèse totale de la (±)-Dasyscyphine D par l’équipe de She
En 2011, l’équipe de She a effectué la première synthèse totale de la (±)- Dasyscyphine D utilisant comme étapes-clés une réaction de pentannélation catalysée au platine et une double annélation de Robinson. Cette synthèse a été réalisée en neuf étapes avec un rendement global de 18 %. Ainsi, dans cette approche, la Dasyscyphine D (1) provient de la 2-indanone 2 via deux réactions d’annélation de Robinson, qui permettent la construction des cycles D et C. Le composé 2 résulte d’une pentannélation de l’ester 3 catalysée par le dichlorure de platine, qui permet de former le cycle B.
La préparation de l’ester 3 débute par la protection du phénol 4, suivie de l’addition du bromure d’éthynylmagnésium sur la fonction cétone et de la protection de l’alcool résultant sous forme d’acétate avec un rendement de 95% pour ces trois étapes .
Rappels bibliographiques sur l’utilisation de diènes de type 1,3,3-triméthyl-2- vinylcyclohexène dans la réaction de Diels-Alder
La réaction de Diels-Alder faisant intervenir une cycloaddition [4+2] entre un diène (1,3) et un diénophile, est certainement la méthode la plus utilisée pour la préparation de cycles à six chaînons et est reconnue comme une réaction phare de la chimie organique. Depuis sa découverte par Otto Diels et Kurt Alder en 1928, la réaction de Diels-Alder a subi un développement intensif, et est devenue une réaction importante en méthodologie de synthèse organique. Elle permet notamment d’accéder à des motifs cyclohexéniques de façon chimio-, régio- et stéréosélective en version inter- ou intramoléculaire (Schéma 38). Par ailleurs, ces transformations en tant qu’étapes-clés ont été fréquemment utilisées pour la construction de molécules complexes biologiquement actives et de produits naturels.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE A. APPROCHE SYNTHETIQUE DE LA DASYSCYPHINE D
I. Présentation des Dasyscyphines
II. Synthèse totale de la (±)-Dasyscyphine D par l’équipe de She
III. Synthèse totale de la (–)-Dasyscyphine B par l’équipe d’Alvarez-Manzaneda
IV. Nouvelle approche synthétique de la (±)-Dasyscyphine D
IV.1. Rétrosynthèse envisagée
IV.2. Synthèse du diène 29
IV.3. Synthèse du diénophile 31
IV.4. Rappels bibliographiques sur l’utilisation de diènes de type 1,3,3-triméthyl-2-vinylcyclohexène dans la réaction de Diels-Alder
IV.5. Rappels bibliographiques sur l’utilisation de diénophiles de type indénone dans la réaction de Diels-Alder
IV.6. Essais de cycloaddition [4+2] entre 29 et 31
IV.7. Nouvelle stratégie de synthèse
IV.7. a. Préparation du diénophile 106
IV.7.b. Essais de cycloaddition [4+2] avec le nouveau diénophile 114
V. Conclusion
PARTIE B. SYNTHESE TOTALE DU LAINGOLIDE A
I. Présentation du Laingolide A et du Palmyrolide A
II. Synthèses totales du Palmyrolide A : rappels bibliographiques
II.1. Synthèse de Maio
II.1.a. Synthèse du fragment C1-C7
II.1.b. Synthèse du fragment C13-C18
II.1.c. Couplage des fragments C1-C7 etC13-C18
II.1.d.Synthèse d’autres isomères du Palmyrolide A
II.2. Synthèse de Brimble
II.2.a. Synthèse du fragment C1-C7
II.2.a.Estérification de Yamaguchi et fin de la synthèse
II.2.b. Synthèse des isomères (5R,7S,14R) et (5R,7S,14S) du Palmyrolide A
II.3. Synthèse de Sudhakar
II.3.a. Préparation du fragment 151
II.3.b. Préparation du fragment 152
II.3.b. Couplage des fragments 151 et 152- Fin de la synthèse
II.2.b. Synthèse des isomères syn (5S,7R,14R) et (5R,7S,14R) du Palmyrolide A
II.2.c. Synthèse des isomères anti (5R,7R,14R) et (5S,7S,14R) du Palmyrolide A
II.4. Synthèse de Reddy
II.4.a. Synthèse du (ent)-Palmyrolide A
II.4.b. Synthèse du cis-Palmyrolide A
III. Synthèse totale du Laingolide A
III.1. Rétrosynthèse du Laingolide A
III.2. Préparation du fragment C11-C14 du Laingolide A
III.3. Préparation du fragment C1-C9 du Laingolide A
III.4. Essai de couplage entre le fragement C1-C9 et le vinyl iodure C11-C14
III.4.a. Essai de couplage entre l’alcool C1-C9 et le vinyl iodure C11-C14via une estérification de Yamaguchi
III.4.b.Couplage entre l’amide C1-C9 et le vinyl iodure C11-C14 via une réaction de Buchwald
III.5. Nouvelle rétrosynthèse envisagée
III.5.a. Préparation du précurseur de cyclisation 229
III.5.b. Macrocyclisation de 229
III.5.c. Préparation et macrocyclisation du précurseur modifié 237
III.6. Synthèse d’un autre isomère Laingolide A
IV. Conclusion et perspectives
CONCLUSION GENERALE