Approche spatiale des pratiques alimentaires comme indice d’intégration sociale

Les phénomènes de migration ont souvent été étudiés. Cependant comme l’explique Manuel Calvo, les situations observées portent seulement sur un aspect de la migration : l’aspect économique. Sont alors souvent oubliés les aspects biologiques, sociaux et culturels qui vont eux aussi changer. [Calvo, 1982] De plus, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’existe pas d’uniformisation, d’un point de vue alimentaire, des modes de vies. L’alimentation est révélatrice de la position dans un cycle de vie et dans un groupe social. Il est donc toujours pertinent d’étudier les pratiques alimentaires des groupes sociaux, comme un élément distinctif, biologique, culturel et historique.

Ce Projet de Fin d’Etudes (PFE) établit un lien entre alimentation, intégration et espace. Le travail, exploratoire, a été mené de deux manières complémentaires : travail bibliographique et travail de terrain. Il a pour but de valider la pertinence du sujet et de poser l’hypothèse de travail suivante : la diversité des lieux alimentaires est un des marqueurs de l’intégration sociale d’un groupe immigré. L’étude du phénomène de migration actuelle se heurte souvent à l’absence de données. En effet, les études statistiques et autres travaux de recherche sont soit à une échelle nationale soit locale. A Tours, aucune donnée n’existe, que ce soit sur le nombre de réfugiés présents ou sur une thématique plus précise comme l’hébergement de ces personnes. L’enquête de terrain a donc été utilisée comme outil de récolte d’informations. L’association Utopia lance en 2017 un réseau d’hébergement citoyen pour les réfugiés, elle propose à des bénévoles d’ouvrir leur maison pour accueillir un réfugié pendant une durée déterminée. Elle a été la porte d’entrée sur le terrain. Les mineurs étrangers isolés logés chez des hébergeurs solidaires constituent donc la population cible. C’est à la fois une opportunité sur le terrain et un intérêt pour une population, souvent sans protection, qui a orienté ce choix. Les notions d’intégration ont été abordées selon les théories et travaux des sociologues de l’Ecole de Chicago conduits entre 1915 et 1940. Ils ont mis en avant des indicateurs d’intégration sociale comme l’éducation ou encore l’organisation de l’habitat. En effet, l’immigration et les relations des groupes ethniques sont des questions centrales de leurs recherches que l’on pourrait qualifier de sociologie urbaine.

Le contexte du travail de recherche

La méthodologie de la recherche

Débuté en quatrième année, lors du cours « Méthodologie de la Recherche », ce Projet de Fin d’Etudes (PFE) se poursuit lors de la dernière année du cycle ingénieur. Contrairement aux travaux d’autres étudiants qui s’inscrivent dans le cadre d’un projet de recherche mené et coordonné par les professeurs ou des laboratoires, ce projet est une initiative étudiante et personnelle. Il aide à acquérir une méthodologie de travail dans le domaine de la recherche. Conçu comme un travail exploratoire et itératif, il aborde la question de l’alimentation comme un des facteurs d’intégration pour les réfugiés mineurs en France. L’alimentation est observée selon la diversité de lieux alimentaires disponibles pour les réfugiés, notion explicitée dans la deuxième partie. Les différentes sources bibliographiques ont permis de comprendre le contexte actuel de migration en France, ainsi que le rôle et la place de l’alimentation dans une culture. Dans la bibliographie, figurent donc des émissions de radio, des documentaires télévisés, des articles scientifiques, des ouvrages et des rapports de colloques. Cette phase bibliographique a aidé à poser une problématique et une hypothèse de travail. Le travail de terrain, commencé en parallèle a permis de conforter, d’invalider, de préciser ou de renouveler la problématique, les notions abordées et l’hypothèse de travail. L’entrée sur le terrain n’a pas été évidente et plusieurs personnes ont été sollicitées afin d’augmenter les chances de réponse positive. Le travail de terrain nécessite, en effet, beaucoup de temps, il s’agit de gagner la confiance d’une population sensible, très médiatisée et souvent stigmatisée. Ainsi, une réflexion a été apportée sur la manière d’approcher et d’appréhender le territoire et sa population. Les réponses apportées lors des entretiens ne sont ni révélatrices de la totalité du groupe observé, ni complètes. Elles sont valables pour chaque personne rencontrée, « l’individu ethnographique n’est ni un atome statistique ni une intériorité romanesque » (Beaud et Weber, p 282). En effet, les réponses reflètent un point de vue et le résultat d’un processus, c’est-à-dire le résultat des interactions sociales et personnelles d’un individu depuis sa naissance. C’est ce processus que cherche à analyser l’ethnographe. [Beaud et Weber, 2010] Les deux phases de travail, bibliographique et de terrain, ont été complémentaires, précisant un peu plus à chaque itération la problématique et l’hypothèse de travail.

Ce projet a pour but de mettre en place des outils d’analyse de terrain et non de répondre à l’hypothèse énoncée. Il serait donc possible d’imaginer une continuité à ce travail. Un(e) autre étudiant(e), pourrait reprendre ce travail et compléter l’enquête de terrain. Cette personne pourrait alors utiliser les outils présentés dans ce projet mais également enrichir la palette d’outils. Il pourrait être intéressant d’enquêter sur un autre terrain (centre d’hébergement en région parisienne par exemple). Les deux travaux pourraient se compléter, l’un portant sur la définition de la problématique, de l’hypothèse et des outils à utiliser, l’autre portant sur l’enquête de terrain, du choix du terrain et de l’analyse des données.

Les termes clés liés à la migration

Avant de commencer à aborder le sujet de l’intégration des réfugiés à travers les pratiques alimentaires, il est important de définir les termes du sujet. Les notions présentées dans la suite de ce Projet de Fin d’Etudes (PFE), ont été abordées selon les définitions qui vont être données. Les termes « migrant » et « réfugié » doivent être distingués. En effet, ce sont des termes très utilisés actuellement, parfois pris l’un pour l’autre. Le vocabulaire associé à la migration a souvent une connotation négative, comme avec le terme « immigré ». En reprenant les définitions du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), on note qu’un migrant est « un individu effectuant une migration », c’est-à-dire se déplaçant d’un point A vers un point B. Si l’on parle d’un travailleur migrant, c’est alors « un individu travaillant dans un autre pays que le sien ». Toute personne est donc migrante à un moment de sa vie, que ce soit pour aller au travail, partir en vacances, déménager vers une autre ville, etc. (la distance parcourue n’étant pas prise en compte dans le déplacement). Cette définition peut être complétée par celle donnée par l’UNSECO, un migrant « peut être compris comme toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né et qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays ». Cependant, cette définition demande à être complétée: certains pays considèrent comme migrants des personnes nées dans le pays. La plus large définition montre la difficulté à cerner le phénomène actuel de migration. En effet, il faut distinguer les personnes qui quittent leur pays pour des raisons politiques, de conflit, de persécution, de dégradations environnementales, des personnes qui travaillent ou vivent dans un autre territoire pour une meilleure qualité de vie. En d’autres termes, il faut distinguer les personnes qui doivent quitter leur pays pour des raisons indépendantes de leur volonté, des personnes qui choisissent de partir de leur pays. [UNESCO, 2018] .

Un réfugié est « une personne qui a trouvé refuge hors de sa région, de son pays d’origine dans lequel il était menacé (par une catastrophe naturelle, une guerre, des persécutions politiques, raciales, etc.) » (CNRTL, 2018). Cette définition peut être complétée par celle du Ministère de l’Intérieur qui explicite le statut de réfugié, une des trois formes de protection en France parmi la protection subsidiaire et le statut d’apatride.

« Le statut de réfugié peut vous être accordé sur trois fondements :
1. La convention de Genève relative au statut de réfugiés du 28 juillet 1951. Le statut de réfugié est délivré à « toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ;
2. L’asile dit constitutionnel, qui tire son origine de l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946. Le statut de réfugié est accordé à « toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté » ;
3. Le mandat du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) : si vous avez été reconnu réfugié par le HCR sur la base des articles 6 et 7 de son statut. » .

(Ministère de l’Intérieur – Direction générale des étrangers en France, 2015) Il est possible de résumer la différence entre ces deux termes ainsi : un migrant est une personne se déplaçant d’un territoire à un autre ; un réfugié est une personne quittant son pays car elle y est persécutée, elle rejette la protection de son pays et cherche la protection dans un autre pays. Dans ce travail, les mineurs étrangers isolés et logés chez des hébergeurs solidaires en France constituent la population cible. D’une part, le terrain a conditionné le choix de la population : l’association Utopia (Annexe 1) fait le lien entre les hébergeurs solidaires et les réfugiés. D’autre part, le statut des réfugiés mineurs est un peu différent de celui des adultes et donc intéressant à prendre en compte. En effet, à leur arrivée en France, les mineurs sont placés sous la responsabilité des départements qui ont une obligation de protection envers eux. Les jeunes étrangers isolés relèvent de la responsabilité de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), qui est chargée de les repérer et de les signaler au procureur. Il lui faut ensuite procéder à un entretien qui permet de déterminer si le mineur relève du dispositif de protection. La minorité du jeune est également vérifiée lors de cet entretien et d’un examen médical (examen osseux). Début 2019 à Tours, il faut plus de trois semaines pour obtenir un entretien avec les services de l’ASE. Le procureur oriente ensuite le jeune vers un département d’accueil. L’ASE sera chargée d’assurer l’hébergement, la bonne santé physique et psychique, l’accès à l’éducation et l’aide à la constitution d’état civil. Les jeunes réfugiés bénéficient également d’une aide financière. Dans le cas d’une décision négative, c’est notamment la situation des personnes interrogées, le parquet prononce un non-lieu à assistance éducative, la mise à l’abri des jeunes est interrompue. Il est alors possible de saisir le juge des enfants, cependant c’est un dispositif très long et les jeunes ne bénéficient d’aucune protection en attendant le recours, ils n’ont alors aucun représentant légal. Les hébergements d’urgence ne peuvent pas les accueillir puisqu’ils sont réservés aux personnes majeures, ils sont alors contraints de dormir dans la rue. Certains sont accueillis par des hébergeurs solidaires qui leur offrent le gîte et le couvert ainsi qu’une aide pour constituer le dossier de recours. [InfoMIE, 2013] C’est le cas des enquêtés, qui ont parfois vécus dans la rue avant de rentrer dans ce réseau solidaire et bénévole.

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Table des matières

Introduction
1. Le contexte du travail de recherche
1.1. La méthodologie de la recherche
1.2. Les termes clés liés à la migration
1.3. L’aménagement du territoire et la migration
2. L’intégration, un phénomène vu au travers des pratiques alimentaires
2.1. Le contexte de migration
2.2. Les mécanismes de l’intégration
2.3. L’alimentation : une porte d’entrée sur le terrain
3. L’espace alimentaire des réfugiés : enquête ethnographique
3.1. La méthodologie du travail de terrain
3.2. Les pistes d’analyse des entretiens
3.3. La construction d’un outil d’analyse
Conclusion
Bibliographie
Document écrit
Document audiovisuel
Webographie
Annexe
Annexe 1 : Présentation de l’association Utopia

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