Contexte et enjeux : le milieu tropical fortement anthropisé
Les enjeux liés à une meilleure compréhension du fonctionnement hydrologique des régions tropicales humides sont indéniables avec, pour les décideurs, la nécessité de tendre vers une maîtrise qualitative et quantitative durable de la ressource en eau. Ces régions sont soumises à des changements globaux majeurs que sont les fortes mutations anthropiques du fait de grands changements démographiques (déforestation au profit des zones agricoles et de l’urbanisation) (Foley et al., 2005; Geist et Lambin, 2001; Lambin et al., 2003). La ville de Yaoundé a par exemple vu sa population passer d’environ 60 000 habitants en 1960 (Franqueville, 1979) à plus de 3 millions en 2017 (UNDESA, 2019 ). Ces changements anthropiques se conjuguent aux impacts, déjà ressentis, des changements climatiques (Allan et al., 2010; Knutson et al., 2010), avec une amplification des évènements climatiques extrêmes (Cai et al., 2014). Ces forts enjeux nécessitent donc le développement d’outils de gestion de la ressource en eau (modélisation hydrologique mensuelle et annuelle) et des phénomènes de crues (modélisation hydrologique horaire), adaptés à la non-stationnarité des territoires.
Les bassins expérimentaux, les données légères et les données nouvelles
Bien que faisant face à des enjeux sociétaux et économiques grandissants du fait de l’explosion démographique, les régions intertropicales présentent des suivis hydro climatiques généralement très limités dans l’espace et dans le temps (Hughes et al., 2015; Paturel et al., 2010; WWAP, 2009), ne permettant pas une compréhension fine du fonctionnement hydroclimatique et des processus liés aux aléas hydrologiques. On observe par exemple à l’échelle des régions tropicales, pour de nombreuses bases de données régionales ou mondiales (CRU , SIEREM , GHCN ), une diminution significative du nombre de stations pluviométriques à partir des années 1970. Afin de pallier ce problème de données lacunaires, des approches adaptées aux bassins peu ou non jaugés ont été développées (Blöschl, 2013; Hrachowitz et al.,2013; Sivapalan, 2003). Ces approches intègrent notamment la notion de bassins « donneurs », à partir desquels des informations (e.g. paramètres de calage de modèle) sont transférées vers des bassins non-jaugés appelés bassins « cibles ». Ces approches incitent également à l’exploitation de données complémentaires, comme les données issues de produits satellitaires et de ré-analyse pour l’estimation des précipitations (e.g. GPM-IMERG: Huffman et al., 2015), de l’évapotranspiration (e.g. GLEAM: Miralles, 2011), de l’humidité du sol (e.g. ESA-CCISM , GLDAS: Rodell et al., 2014), de l’occupation des sols et de son évolution (ESA-CCI-LC For Africa ), Les données satellitaires de précipitations peuvent par exemple être utilisées pour désagréger des données pluviométriques journalières enregistrées au sol (Wüest et al., 2010). Dans un contexte contraint financièrement, le déploiement d’un réseau de mesures intégrant une instrumentation « légère » (Crabit et al., 2011) et la collecte d’informations résultant des sciences participatives (Kongo et al., 2010; Le Coz et al., 2016) permettent de compléter les données complémentaires par des données de terrain. Ces données de terrain permettraient d’apporter un gain de connaissance sur le fonctionnement hydrologique de la zone d’étude même sur de courte période de déploiement (Kuchment et Gelfan, 2009).
L’exercice d’une instrumentation dédiée à un travail de thèse est fastidieux et les résultats ne sont pas garantis. En démarrant une démarche d’instrumentation « sur mesure », plusieurs questions se posent :
– Quelles difficultés seront rencontrées sur le terrain pour mener à terme une instrumentation « sur mesure » ?
– Quels bénéfices peut-on tirer de la mise en place d’un dispositif léger ? et des données globales récentes ?
– La durée de trois ans de la thèse nous mène à un suivi de l’instrumentation de deux ans au mieux. Est-ce que deux ans de suivis seront suffisants pour comprendre et modéliser les processus ?
La modélisation hydrologique annuelle et mensuelle
Dans un objectif de gestion de ressource en eau, de nombreux modèles hydrologiques couramment utilisés permettent des simulations au pas de temps annuels et mensuels (GR1A, GR2M, Budyko (1974), modèle de Ponce et Shetty (1995)). Ces modèles conceptuels ou empiriques ont comme limites principales de ne pas prendre en compte la non-stationnarité des occupations des sols. On se questionne sur les domaines et limites d’application des modèles usuels dans un contexte tropical à forte évolution temporelle de l’urbanisation Une solution consiste à développer des modèles « sur mesure » pour tenir compte des spécificités du milieu, des données disponibles et des résultats escomptés. Un modèle sur mesure est développé spécialement pour un site et répond à un ou des objectifs spécifiques.
Bien souvent, les modèles sur mesure sont construits pour une utilisation unique. On se questionne sur l’intérêt et les limites du développement d’un modèle hydrologique annuel surmesure et parcimonieux intégrant la non-stationnarité des occupations des sols en contexte peu jaugé. Ce modèle permettrait de reconstruire une chronique d’écoulements annuels, de simuler l’impact de scénarios futurs d’aménagements et d’urbanisations, et de quantifier les contributions des principaux sous-bassins à occupation des sols contrastés.
La modélisation hydrologique horaire
Dans un objectif de modélisation des crues en contexte peu jaugé, des modèles hydrologiques et ou hydrauliques au pas de temps horaire, conceptuels et parcimonieux (peu de paramètres de calage) à structure simple (e.g. un réservoir sol, approche globale et/ou semidistribuée) sont souvent priorisés (e.g. les modèles de type GR en France). Les modèles existants ont été majoritairement développés et appliqués en climat tempérés (e.g. méthodes SCS-CN : Mishra et Singh, 2013). Le développement de modèles « sur-mesure » (Moussa et al., 2009) permet d’intégrer plus facilement les spécificités de la zone étudiée (e.g. débordements, zones imperméables) et facilite également l’intégration de données nonconventionnelles (e.g. utilisation du NDVI pour l’estimation de l’évapotranspiration : Nouri et al., 2014 ; intégration des précipitations satellitaires : Hughes et Slaughter, 2015). La structure du modèle peut être globale ou distribuée : un modèle global (e.g. HBV : Bergstrom et al., 1995) considère le bassin comme une seule unité, permet de simuler l’hydrogramme à la sortie mais ne permet pas de tenir compte de la variabilité spatiale des précipitations, ni de la variabilité spatiale des occupations du sol et des caractéristiques du milieu, ni de la propagation dans le réseau hydrographique ; un modèle distribué (e.g. SWAT : Arnold et al., 2012) ou semidistribué permet de pallier ces limitations et permettra des simulations de l’hydrogramme en plusieurs points de l’espace.
La modélisation des crues peut être événementielle ou continue. La modélisation événementielle nécessite la connaissance des conditions initiales d’humidité du milieu. Une modélisation continue permet de pallier cette limitations et permet aussi l’agrégation des sorties de modèles à différents pas de temps (journaliers, mensuels, annuels) afin que l’outil développé puisse répondre à différents objectifs (représentation des crues, représentation des bilans hydrologiques). On se questionne sur les performances à attendre du développement de modèles sur mesure ou de l’adaptation de modèles existants en contexte urbain, tropical et peu jaugé.
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Table des matières
CHAPITRE 1 : Introduction générale
CHAPITRE 2 : Etat de l’art
1 INTRODUCTION
2 LE CONTEXTE TROPICAL HUMIDE
2.1 DES CONDITIONS CLIMATIQUES PARTICULIERES
2.2 UNE FORTE MUTATION DES TERRITOIRES
2.3 UN SUIVI HYDROMETEOROLOGIQUE LIMITE ET LIMITANT
2.4 CONCLUSION
3 ETAT DES LIEUX DES DONNEES RECENTES NON CONVENTIONNELLES
3.1 DONNEES GLOBALES (SATELLITAIRES, RE-ANALYSES, INTERPOLATIONS DE DONNEES AU SOL)
3.2 DONNEES ISSUES DES SCIENCES PARTICIPATIVES
3.3 DONNEES « LEGERES »
3.4 CONCLUSION
4 LA MODELISATION HYDROLOGIQUE
4.1 GENERALITE
4.2 REPRESENTATION DES PROCESSUS
4.3 REPRESENTATION SPATIALE
4.4 REPRESENTATION TEMPORELLE
4.5 PHASES DE CALIBRATION ET DE VALIDATION
5 MODELISATION DES BILANS HYDROLOGIQUES MENSUELS ET ANNUELS
5.1 OBJECTIF : GERER LA RESSOURCE EN EAU
5.2 RELATIONS EMPIRIQUES
6 MODELISATION HORAIRE, CONTINUE ET EVENEMENTIELLE
6.1 OBJECTIF : GESTIONS DES CRUES ET DES INONDATIONS
6.2 PROCESSUS
6.3 MODELE MHYDAS
7 MODELISATION EN MILIEU PEU OU NON JAUGE
7.1 DECENNIE PUB
7.2 COMPARAISON DES METHODES D’ESTIMATION DES SIGNATURES HYDROLOGIQUES
7.3 CONCLUSION
8 IMPACT DES CHANGEMENTS D’OCCUPATIONS DES SOLS SUR LES PROCESSUS HYDROLOGIQUES
8.1 METHODES D’ANALYSE D’IMPACT DES CHANGEMENTS D’OCCUPATION DES SOLS
8.2 QUANTIFICATION DE L’IMPACT DE L’URBANISATION SUR LES PROCESSUS HYDROLOGIQUES
8.3 QUANTIFICATION DE L’IMPACT DES CHANGEMENTS D’ODS EN MILIEU TROPICAL
CHAPITRE 3 : Le bassin tropical de la Méfou (Yaoundé, Cameroun)
1 INTRODUCTION
2 CARACTERISTIQUES DU MILIEU
2.1 CONTEXTE GEOGRAPHIQUE REGIONAL
2.2 TOPOGRAPHIE ET HYDROGRAPHIE
2.3 GEOLOGIE ET PEDOLOGIE
2.4 HYDROGEOLOGIE
2.5 OCCUPATION DES SOLS (ODS) ET AMENAGEMENTS
3 DONNEES HISTORIQUES
4 FONCTIONNEMENT HYDRO-CLIMATIQUE
4.1 LE CLIMAT
4.2 CARACTERISTIQUES HYDROLOGIQUES
4.3 ANALYSE DES RELATIONS PLUIE-DEBIT
4.4 HUMIDITE DU SOL
5 CONCLUSION
CHAPITRE 4 : Instrumentation et mesures terrain
1 INTRODUCTION
2 MISSIONS DE TERRAIN
3 INSTRUMENTATION
3.1 OBJECTIFS SCIENTIFIQUES ET CONTRAINTES DE TERRAIN
3.2 STATIONS HYDROMETRIQUES
3.3 STATIONS PLUVIOMETRIQUES
3.4 RESUME DES DONNEES COLLECTEES
4 MESURES COMPLEMENTAIRES
4.1 JAUGEAGES ET CONSTRUCTION DE COURBES DE TARAGE
4.2 MESURES DES VITESSES D’ECOULEMENT DE SURFACE SUR LES TRONÇONS
4.3 AUTRES MESURES ET OBSERVATIONS TERRAINS
5 CONCLUSION
CHAPITRE 5 : Analyse multi-échelle spatio-temporelle des données physiographiques, pluviométriques et hydrologiques
1 INTRODUCTION
2 LES BASSINS « DONNEURS »
2.1 LOCALISATION
2.2 PEDOLOGIE
2.3 MORPHOMETRIE ET TOPOGRAPHIE
2.4 OCCUPATION DES SOLS (ODS)
3 ANALYSE SPATIO-TEMPORELLE DES PRECIPITATIONS
3.1 METHODES DE TRAITEMENT DES DONNEES DE PRECIPITATIONS
3.2 VARIABILITE MULTI-ECHELLE SPATIO-TEMPORELLE DES PRECIPITATIONS
4 SEPARATION DU DEBIT ENTRE ECOULEMENT DE SURFACE ET DEBIT DE BASE
4.1 METHODES DE SEPARATION DU DEBIT DE BASE
4.2 PARAMETRISATION ET CHOIX DU MODELE DE SEPARATION
4.3 ESTIMATION DES DEBITS DE BASE DES SOUS-BASSINS
5 CONDUCTIVITES ELECTRIQUES
6 CONCLUSION