Les systèmes autonomes ou partiellement autonomes, tels que les aéronefs, satellites, drones, rovers, voitures, humanoïdes, etc., sont devenus si complexes qu’il devient humainement difficile d’anticiper leurs comportements, particulièrement lors de l’occurrence de pannes. Au delà de sa mission, il est donc essentiel que la conception et l’utilisation du système s’élargissent à la gestion de la santé (system health management, Prognostics and Health Management ou PHM). La gestion de santé d’un système vise au développement d’outils qui aident à la réduction des coûts liés aux indisponibilités et aux réparations, mais également à sa reconfiguration et à l’optimisation de sa mission. Par exemple, dans le cas d’un système de type rover dont la mission est d’explorer différentes zones afin d’y accomplir des expériences, la gestion de santé consiste à assurer la réalisation des expériences les plus importantes malgré un problème de déplacement (dysfonctionnement des moteurs) ou encore une diminution de l’énergie disponible (dysfonctionnement des panneaux solaires). Pour la gestion d’une flotte d’avions, la gestion de santé consiste à maximiser la disponibilité des avions tout en minimisant le coût des réparation, ce qui peut alors s’apparenter à la médecine préventive.
Une technique de surveillance de la santé (health monitoring) efficace doit être adoptée pour déterminer l’état du système à tout moment. Une méthode de diagnostic détermine l’état courant du système et identifie les causes probables (interaction avec l’environnement, fautes, etc.) qui peuvent conduire à cet état en raisonnant sur les observations. Une méthode de pronostic utilise le plan de mission courant et la connaissance sur la dégradation du système pour anticiper les comportements anormaux ou les fautes et ainsi prédire les futurs états. On associe généralement le pronostic à la prédiction de la fin de vie (End Of Life ou EOL) d’un système en service, date à laquelle le système n’est plus opérationnel, ou à sa durée de vie résiduelle (Remaining Useful Life ou RUL), durée restante jusqu’à la fin de vie. Le diagnostic et le pronostic permettent donc d’avoir un rapport sur la santé actuelle du système ainsi qu’une prédiction de l’évolution de son état dans le futur. Ces informations servent alors à reconfigurer le système et à mettre à jour les plans de mission et de maintenance, d’où l’importance de la qualité du diagnostic et du pronostic.
Intégration des méthodes de diagnostic et pronostic
Si le diagnostic et le pronostic du système semblent être corrélés, leurs calculs sont généralement dissociés, car les échelles de temps manipulées par ces deux processus sont très différentes. Pourtant, certains systèmes ont des missions à l’échelle de leur dégradation, comme par exemple les sondes spatiales, qui peuvent être soumises à des phénomènes physiques importants et qui sont souvent irréparables. Un rapprochement des méthodes semble propice à l’obtention de meilleurs résultats de surveillance de santé, et donc à de meilleures prises de décision autonomes du système. Pour respecter des contraintes de performances, il peut donc être pertinent, par exemple, de n’effectuer que des prédictions sur les états courants les plus probables déterminés par le diagnostic. De la même manière, les états pour lesquels le pronostic calcule la fin de vie la plus proche pourrait motiver la recherche d’un diagnostic plus précis ciblé.
Cette thèse a pour objectif principal d’étudier l’intérêt d’une approche intégrée des méthodes de diagnostic et de pronostic, et son impact sur les résultats de surveillance de santé de systèmes. Afin de répondre à cette problématique, une architecture de gestion de santé est définie pour assurer les missions des systèmes. Les systèmes étudiés dans ces travaux sont considérés comme des systèmes hybrides, de par leur complexité et l’hétérogénéité des observations. La surveillance de la santé du système est réalisée par une méthodologie basée sur les modèles et sur l’utilisation des observations en ligne. Un modèle est un système abstrait représentant imparfaitement le système concret. Pour appliquer la méthodologie à un cas réel, il est indispensable de considérer les incertitudes relatives à la modélisation, mais aussi les incertitudes relatives aux observations sur le système. Enfin, la méthodologie répond aussi à la gestion des performances de calcul, qui est intrinsèquement liée aux incertitudes.
Architecture de gestion de santé d’un système
Le terme « système », utilisé dans des nombreuses expressions telles que système informatique, système industriel, système solaire ou système endodontique, est défini dans ce manuscrit de la manière suivante.
Définition 1 (Système). Un système est une combinaison d’éléments qui interagissent entre eux et avec l’environnement, et qui est cohérente vis à vis d’un certain objectif.
Un système est décrit par sa structure et sa fonction, ainsi que son interaction avec son environnement, délimitée par des frontières spatiales et temporelles. Cette interaction peut se faire vers ou depuis ses frontières (liaisons orientées), et sous formes d’informations, d’énergie ou de matières transférées, en fonction de la discipline. Les entrées sont les liaisons orientées vers le système. Elles agissent sur le comportement du système et permettent de le commander. Les sorties sont les liaisons orientées vers l’environnement. Elles correspondent à des informations renvoyées directement depuis le système. Un système industriel, par exemple, est généralement commandé via les entrées de ses actionneurs, tandis que les données de sortie sont renvoyées par des capteurs. Un actionneur réalise un travail physique à partir d’une énergie fournie. Un capteur mesure une grandeur physique et la transforme en grandeur utilisable.
Les entrées, comme les sorties, sont dites continues (ou quantitative) si elles peuvent prendre une infinité de valeurs. C’est le cas lorsqu’elles sont issues de capteurs ou d’actionneurs analogiques ou numériques. En revanche, elles sont dites discrètes (ou qualitative) si elles peuvent prendre un nombre fini de valeurs. C’est le cas pour les capteurs ou actionneurs Tout Ou Rien (TOR), qui peuvent prennent les valeurs 0 ou 1, ou bien si les données sont prétraitées (classification, symbolisation, abstraction de données continues). En général, les valeurs des sorties sont influencées par celles des entrées, mais dépendent aussi de la situation interne du système (l’état du système) qui est liée à ce qui s’est passé précédemment.
Lors de l’étude d’un système à des fins d’observations, de contrôle, d’extraction d’information, etc., il est commun de définir une architecture afin de mettre en perspective l’objectif des travaux.
Systèmes hybrides
Un système est dit « hybride » si sa description fait intervenir explicitement et simultanément des dynamiques de type continu (phénomènes ou comportements continus) et discret (événementiel).
L’évolution d’un système hybride est généralement décrit par un système multimode (multimode system), pour lequel chaque mode est associé à une dynamique continue (modèle continu) qui représente un fonctionnement du système sous des conditions opérationnelles particulières. L’état continu du système évolue selon la dynamique continue associée au mode courant du système. Les changements de modes sont décrits par un système à événements discrets (Discrete-Event System ou DES). Un changement de modes est marqué par l’occurrence d’un événement interne ou externe au système (faute, événement de mission, interaction avec l’environnement, condition sur l’état continu, etc.). L’état discret du système est l’état courant du DES.
Un tel système de modes est utile pour décrire un système ayant une dynamique continue particulière pour chaque mode de fonctionnement (dynamique continue par morceau). Il n’est en revanche pas suffisant pour représenter une dynamique intrinsèquement hybride, c’est à dire une dynamique dépendante de l’état continu et d’informations discrètes, comme par exemple l’ensemble des évènements survenus dans le système. Ce genre de dynamique est utile pour modéliser certains phénomènes, comme la dégradation ou la stabilité d’un système. Par exemple, pour la plupart des systèmes industriels, lorsque la dégradation n’est pas observable, elle est estimée avec des probabilités d’occurrences de fautes. Ces probabilités peuvent évoluer différemment dans chaque mode du système (on parle du niveau de stress d’un mode), mais elles peuvent également dépendre de l’analyse des fautes survenues précédemment (un enchaînement de certaines fautes peut avoir un effet catalyseur, par exemple). Pour pouvoir exprimer ces dépendances, on définit dans ces travaux une telle dynamique comme hybride. La valeur courante de cette dynamique hybride est appelée état hybride. Dans l’objectif de pouvoir modéliser un système aussi précisément que possible, le système de modes est ainsi étendu en associant une dynamique hybride à chaque mode.
Important : Dans ces travaux, un mode est donc la combinaison d’un état du DES, d’une dynamique continue et d’une dynamique hybride. L’état du système est la combinaison de ses états discret, continu et hybride.
Dans le cadre de la gestion de la santé, on s’intéresse à la modélisation des changements de dynamiques du système lorsqu’une ou plusieurs fautes surviennent. Un mode décrit l’évolution du système dans des conditions de santé spécifiques. Tant qu’aucune faute n’est survenue, le système est dans un mode nominal (nominal mode). Les fautes sont supposées permanentes, c’est-à-dire que lorsqu’une faute survient, le système entre dans un mode dégradé (degraded mode ou faulty mode), et ne reviendra plus dans un mode nominal sans réparation. Il peut ainsi finir dans un mode de défaillance (failure mode), dans lequel le système n’est plus opérationnel.
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Table des matières
Introduction
1 État de l’art
1.1 Concepts généraux
1.2 Architectures de supervision de système
1.2.1 Architectures orientées-mission
1.2.2 Architectures orientées-santé
1.3 Méthodes pour le diagnostic
1.3.1 Approches continues
1.3.2 Approches discrètes
1.3.3 Approches hybrides
1.3.4 Diagnostic avancé
1.4 Méthodes pour le pronostic
1.4.1 Approches continues
1.4.2 Approches discrètes
1.4.3 Approches hybrides
1.4.4 Fusion de méthodes de pronostic
1.5 Conclusion
2 Cadre de modélisation
2.1 Introduction
2.2 Exemple du robot mobile
2.3 Réseaux de Petri hybrides particulaires
2.4 Modèle de santé
2.5 Cas d’étude : les réservoirs d’eau
2.5.1 Description du système
2.5.2 Modélisation HPPN
2.6 Conclusion
3 Diagnostic
3.1 Introduction
3.2 Gestion des incertitudes
3.2.1 Incertitude symbolique
3.2.2 Incertitude numérique
3.3 Génération du diagnostiqueur
3.3.1 Copie du modèle
3.3.2 Séparation en niveau de comportement et niveau hybride
3.3.3 Modification des conditions symboliques
3.3.4 Suppression des conditions hybrides
3.3.5 Fusion des transitions
3.3.6 Suppression des transitions bouclant sur une même place hybride
3.4 Processus du diagnostiqueur
3.4.1 Prédiction
3.4.1.1 Pseudo-tirage des transitions
3.4.1.2 Mise à jour des valeurs des jetons
3.4.2 Correction
3.4.2.1 Calcul du score d’une hypothèse
3.4.2.2 Rééchantillonnage des jetons
3.5 Diagnostic
3.6 Algorithme stochastique de changement d’échelle
3.7 Gestion des performances calculatoires
3.7.1 Réduction de la complexité du réseau
3.7.2 Régulation du nombre total de jetons
3.8 Cas d’étude : les réservoirs d’eau
3.8.1 Diagnostiqueur HPPN
3.8.2 Résultats
3.8.2.1 Scénario 1
3.8.2.2 Scénario 2
3.8.2.3 Scénario 3
3.9 Conclusion
4 Pronostic
4.1 Introduction
4.2 Intégration des méthodes de diagnostic et de pronostic
4.3 Génération du pronostiqueur
4.3.1 Copie du modèle
4.3.2 Modification des conditions
4.3.3 Suppression des transitions non tirables
4.3.4 Suppression des bruits de l’évolution de l’état
4.4 Processus de pronostic
4.4.1 Initialisation du pronostiqueur
4.4.2 Processus du pronostiqueur
4.4.2.1 Mise à jour des valeurs des configurations avec l’entrée discrète
4.4.2.2 Tirage des transitions
4.4.2.3 Mise à jour des valeurs des jetons
4.5 Pronostic
4.6 Gestion des incertitudes
4.6.1 Connaissance de l’état courant
4.6.2 Évolution de l’état dans le futur
4.6.3 Connaissance des entrées futures
4.7 Cas d’étude : les réservoirs d’eau
4.7.1 Pronostiqueur HPPN
4.7.2 Résultats
4.7.2.1 Scénario 1
4.7.2.2 Scénario 2
4.7.2.3 Scénario 3
4.8 Vers une intégration avancée des méthodes de diagnostic et de pronostic
4.9 Conclusion
5 Cas d’étude : le rover K11
5.1 Introduction
5.2 Description
5.3 Modélisation du rover
5.4 Implémentation
5.5 Résultats
5.5.1 Scénario nominal
5.5.2 Scénario de faute sans replanification
5.5.3 Scénario de faute avec replanification
5.5.4 Analyse des performances
5.6 Conclusion
Conclusions