Cette étude associant identités alpines et mobilités s’inscrit dans la ligne des enseignements assurés par Anne-Marie Granet-Abisset au département d’Histoire de l’UFR de Sciences humaines, Université Pierre Mendès France de Grenoble.
Elle s’intègre logiquement dans les orientations de recherche concernant les usages de la mémoire, le patrimoine, les mobilités et migrations, et les sociétés de montagne, définies par l’équipe « Sociétés, Entreprises et Territoires » de l’UMR CNRS 5190 du LARHRA (Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes).
Son cadre spatial et temporel la place ainsi au carrefour des disciplines de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie et de la géographie humaine et politique, comme autant de prismes différents et susceptibles d’approfondir la connaissance des chercheurs et des acteurs entre eux. Il m’arrivera dans le déroulement de cette introduction d’évoquer une première fois certains travaux collectifs, simplement en bas de page, à titre général et sans citation particulière comme l’usage le demande habituellement, comme autant de balises essentielles à cette entrée en matière dans un univers des sciences de l’homme très complexe.
UN ESPACE et DES HOMMES, une recherche née de questions d’actualité Parmi ces montagnes qui entourent Grenoble, la « chaîne » de Belledonne constitue un espace alpin conséquent si on se réfère à son volume et son altitude, mais qui au gré des enquêtes d’opinion ou des conversations en milieu urbain, semble pâtir d’une image atypique, comme un espace dénué d’une réelle identité.
Contrairement au Vercors et à la Chartreuse, et ceci expliquant peut-être cela, il est à noter que Belledonne n’a pas fait jusqu’ici l’objet d’un classement en Parc Naturel Régional, sans que pour autant ses élus aient renoncé à trouver d’autres solutions pour encadrer son développement.
Cette image assez réductrice suscite à elle seule bien des interrogations qui s’avèrent étroitement liées aux thématiques de recherche énoncées plus haut, en particulier celles qui touchent aux spécificités montagnardes et aux figures de l’altérité . Il semble donc cohérent de s’attarder sur le supposé défaut d’identité de Belledonne, en remettant le territoire en perspective historique et en cherchant à éprouver des critères qui soient adaptés à ses composantes humaines.
Il convient pour cela de revisiter cet espace alpin en opérant des va et vient constants entre le dehors et le dedans, de s’obliger à changer de clocher et de promontoire en variant les angles, en cherchant à se placer à des points de vue différents. Car quelque soit la manière dont on appréhende un territoire c’est bien dans l’existence et la position des hommes que s’incarne le lien charnel de l’histoire tissé entre l’espace et le temps. C’est à travers leur existence que des identités culturelles et sociales font souche et se transforment. Et si la réflexion portant sur les questions d’identité territoriale n’est pas une nouveauté pour les chercheurs en Sciences de l’Homme, il ne fait pas de doute que la pression de l’actualité en ce début du XXIe siècle conduit à pousser cette quête plus loin encore, dans un questionnement toujours plus précis. À l’heure où une commission d’état envisage de supprimer les départements et refondre les régions, avec entre autres missions de remédier aux lourdeurs du découpage administratif national, il devient légitime de s’interroger très globalement sur la façon dont se sont constituées les sociétés provinciales d’aujourd’hui, entre villes et campagnes, et plus particulièrement de chercher à mieux comprendre à quelles logiques elles répondent ici et là. La démarche universitaire en ce domaine n’est pas nouvelle mais mérite d’être suivie . En restant à l’échelle locale et régionale, et dans le cadre alpin, à l’heure où Belledonne s’engage –après avoir rejoint la grande Communauté de communes du Grésivaudan– dans une deuxième procédure d’aide européenne au développement de type Leader + , l’historien d’aujourd’hui peut être tenté de s’inviter au débat afin d’observer de plus près comment s’est tissée, à travers les générations, la trame de cette société néo-rurale, périurbaine mais aussi montagnarde –quoi qu’on en dise en matière d’identité– sorte de terreau où les activités humaines se transforment et se compostent en se déplaçant parfois, alimentant en retour de nouvelles perspectives croisées de gouvernance publique et de développement.
Qu’il s’agisse d’historiographie ou de méthode comme étapes incontournables de la recherche, et qu’il se base sur l’intuition ou l’empirisme, le rôle de l’historien devra être évoqué ainsi que son positionnement parmi les acteurs de la société qu’il interroge. Puisque celui ci endosse –plus ou moins malgré lui– cette responsabilité de trouble-fête qui consiste à revenir sur le passé et sur les relations entre les uns et les autres en sondant les couches du vécu (mais pas toujours comme les acteurs locaux s’y attendent), on peut attendre de l’ensemble de la profession historienne qu’elle ne renonce pas à argumenter « en société » et sur le long terme pour tenter de dissoudre certains malentendus, voire certains blocages accumulés. J’entends par société aussi bien les milieux « ordinaires » que les milieux « autorisés » qu’ils soient médiatiques, culturels et/ou universitaires.
Non seulement la démarche historique –impliquant tri analytique et réflexivité– est délicate parce que sensible pour la plupart des témoins dont l’existence a été traversée, marquée, malmenée ou simplement ignorée par l’histoire officielle, mais elle pose de surcroît un problème de légitimité en tant qu’acte volontariste trop rarement considéré comme utile au renouvellement de la société.
Identités, Familles et Activités sont les composantes et piliers thématiques de cette étude articulée sur le cercle des sociabilités contemporaines, une étude résolument inscrite dans le temps de l’histoire et dans l’emprise de l’espace alpin de Belledonne, mais sans que les limites en soient figées. Les témoignages sur deux, trois, voir quatre générations (mentionnées comme référentes par les interlocuteurs) pour des personnes ayant vécu de la fin du XIXe siècle à nos jours quant aux dates ultimes, s’inscrivent dans une séquence temporelle d’une envergure cohérente. Cette séquence mène d’un tournant de siècle à l’autre en passant par les périodes de guerre et entre-deux… ainsi que la période de développement économique des Trente glorieuses et à ses suites plus incertaines.
À travers les sources repérées ou constituées à l’occasion de cette recherche, nous proposerons une lecture de ces thématiques qui passe par le filtre des mobilités, privées et professionnelles, comme opérateur du questionnement, afin de mieux saisir ce qui jusqu’à présent aurait pu échapper à la restitution patrimoniale traditionnelle.
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Table des matières
PARTIE 1 – LES SOCIABILITÉS MONTAGNARDES, ENTRE L’HISTOIRE DES REPRÉSENTATIONS ET LA CONSTRUCTION TERRITORIALE
Chapitre 1 – Mentalités et représentations culturelles, le risque de l’éparpillement ?
Un siècle de mutations favorable aux mentalités
Orientations universitaires
La source judiciaire et la source orale, dépositaires de la parole ordinaire
Les questions d’échelle
Chapitre 2 – L’historiographie alpine
Au carrefour de la géographie, l’histoire et l’anthropologie
L’objet « paysage » entre nature et culture
De la spécificité montagnarde
Immobilisme et mobilités, retard et progrès
Chapitre 3 – Les différents visages du patrimoine
Des biens, des valeurs et de l’appartenance
Patrimoine et territoire
L’individu au cœur du changement
Des liens entre patrimoine et démocratie
PARTIE 2 – DES MATÉRIAUX POUR L’ÉTUDE DES SOCIABILITÉS
Chapitre 4 – La documentation officielle des structures de développement
La communauté de communes du Balcon de Belledonne
L’Espace Belledonne, un type d’archives très particulier, bonne matière première pour une étude de sciences politiques
Le Pays du Grésivaudan
Chapitre 5 – Les ouvrages d’histoire locale, une mine d’informations de proximité
Paul Perroud à La Combe de Lancey : deux ouvrages de références
« Laval autrefois, histoire d’une commune de Belledonne en Isère »
Georges Salamand et les industries de la région d’Allevard
Chapitre 6 – Les archives écrites : traces distanciées de l’existence et des activités
Trois types d’archives
Méthode d’approche face à des sources pléthoriques
Chapitre 7 – Les sources orales
Les archives locales
Récits de vie d’habitants, le corpus « identités montagnardes » élaboré pour cette recherche
Récits et témoignages de mobilités montagnardes extérieures à Belledonne
Entretiens réalisés en vallée du Grésivaudan
PARTIE 3 – BELLEDONNE COMME ELLE SE PRÉSENTE
Chapitre 8 – Un espace intermédiaire (physionomie, axes et pôles)
Belledonne, une montagne à part ?
Le choix du cadre et de l’échelle
Découpages territoriaux et logiques de vallées
Chapitre 9 – L’histoire transmise ou les lieux communs
Activités économiques anciennes et actuelles
Mémoire villageoise et pratiques rurales
Espaces résidentiels et navetteurs
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