Approche historique de la profession infirmière
La constitution de la profession infirmière se comprend par les contextes sociaux et historiques depuis le treizième siècle. La profession a répondu, s’est adaptée et a évolué au regard des demandes et des besoins de la population et de la société. Les « bons soins » prodigués à l’époque par les infirmières, religieuses Augustines de l’Hôtel-Dieu de Paris, sont devenus une véritable discipline aujourd’hui. Un parcours de l’histoire de la profession et la naissance de la formation professionnelle permet de comprendre cette évolution du métier d’infirmière ainsi que la nécessité de ces changements. Nous en dégagerons les principales caractéristiques qui ont permis une structuration et une reconnaissance professionnelle.
Histoire de la profession infirmière
Si nous remontons aux origines de la pratique du soin, nous pouvons retrouver dans l’Antiquité, les théories magiques et l’utilisation des plantes. Pour les grecs, la santé et la beauté sont des éléments importants de leur vie. Au Vème siècle avant JC, Hippocrate se centre sur une médecine plus rationnelle et humaine. La conception de cette médecine est de trouver une cause à la maladie et il apparait l’idée que les soins doivent être réalisés par les personnes qui ont la connaissance. Nous sortons déjà des représentations caractérisant les soins comme étant prodigués par la femme qui donne la vie, la préserve et transmet ses savoirs aux autres femmes. Hippocrate fait naitre des principes de déontologie, avec une approche psychologique du malade et protégée par le secret professionnel. La médecine collective et de l’hygiène publique apparait à l’époque romaine. C’est le christianisme qui transformera les soins en devoir religieux, en modifiant fortement le rapport au corps et en se centrant sur des soins de l’âme. Au moyen âge, les congrégations religieuses recueillent les indigents puis ce sont des congrégations exclusivement féminines qui se dédient à des soins d’entretien de la vie, de confort et d’hébergement. Nous voyons naitre l’auxiliariat des soins, les sœurs Béguines et Augustines sont alors sous la tutelle des moines et des sœurs supérieures. Cependant, les religieuses perdent progressivement l’accès au corps des malades par l’arrivée des premiers médecins, clercs de l’église. Ils rejettent les femmes soignantes qu’ils considèrent comme des sorcières et imposent une domination médicale par l’appropriation des savoirs des sorcières et des guérisseuses.
Le prêtre Saint Vincent de Paul souhaite porter secours aux indigents et soigner leurs maux. Il est considéré comme le précurseur des soins aux malades et souhaite former des jeunes filles sans instruction aux soins. Il leur transmettra également une attitude à l’égard des malades et aussi des médecins, des dames de la paroisse et des administrateurs. Les Sœurs de Saint Vincent de Paul forment alors la première formation soignante en 1633 à Paris. Il est intéressant de noter que le mot enfermier est utilisé en 1398, dérivé du mot enfermerie qui date de 1288. En 1642 apparait l’appellation infirmier qui désigne la personne qui soigne ses consœurs malades.
Progressivement, les religieuses s’installent dans les hôpitaux et sont reconnues comme des professionnelles soignantes. L’apparition des hôpitaux publics et nationalisés à la révolution française entraine l’apparition de personnels infirmiers laïcs aux côtés des religieuses qui gardent une place très importante, de pouvoir, de décision et d’organisation. Les infirmières laïques sont sans instruction primaire; ce qui fixe la profession soignante en bas de l’échelle salariale. Leur relation professionnelle avec le corps médical masculin est alors plaquée sur la considération de la femme dans la République, sous tutelle du chef de famille. L’évolution de la médecine vers une médecine pouvant guérir avec la découverte du vaccin antivariolique, et le développement de l’aseptie, de l’antiseptie et de la chirurgie, laisse dans une certaine mesure une place aux soins infirmiers, conceptualisés par Florence Nightingale en 1859. La nécessité de former de véritables auxiliaires médicales apparait chez les médecins qui proposent un enseignement infirmier, dans le cadre de la croix rouge française en 1876 puis d’un cours municipal parisien en 1878. Le personnel infirmier laïc remplace progressivement les religieuses dans les hôpitaux et endosse l’image d’une femme ayant des compétences ménagères à l’instar de la femme au foyer et démontrant un grand dévouement.
Pour compléter cette approche historique de la naissance de la profession infirmière, il nous semble important de décrire synthétiquement l’apparition des écoles d’infirmières, qui ont largement permis à la fonction soignante infirmière de se professionnaliser.
Histoire de la formation infirmière
Comme nous l’avons précisé, les premières écoles de formation infirmière voient le jour successivement en 1876 pour le privé et en 1878 à l’Assistance Publique. Cependant, ce n’est que le 28 octobre 1902, quelques 25 ans plus tard, qu’une circulaire ministérielle, relative à l’application de la loi du 15 juillet 1893 , entérine le principe d’assistance médicale gratuite et la création d’écoles d’infirmières. Nous pouvons y voir un réel tournant historique pour l’évolution de la fonction infirmière.
L’école d’infirmière de la Salpêtrière propose un programme de formation comprenant des enseignements théoriques sur l’anatomie, la physiologie et les soins de base, des démonstrations et des cours de travaux pratiques. Elle comporte toutes les caractéristiques d’une école professionnelle, formant par l’alliance de la théorie et de la pratique et préparant à une profession. C’est pendant la première guerre mondiale qu’émerge le besoin d’une formation plus complète afin que l’infirmière puisse répondre aux besoins de la population, des différents contextes, de guerre notamment. L’infirmière s’impose alors dans une permanence de soins aux malades, dans une surveillance de l’environnement, mais aussi dans l’application des prescriptions du médecin, duquel elle reste une subordonnée. Après la première guerre mondiale, le développement de l’antibiothérapie et des techniques d’exploration fait de l’hôpital un lieu plus technique et qui nécessite de nouveaux professionnels de santé pour y répondre. Ce sont les diététiciennes, les manipulateurs en radiologie, les techniciens de laboratoire qui apparaissent, et l’infirmière se voit confier des tâches qualifiées de plus médicales. Cette hiérarchie professionnelle se construit en conséquence de cette hyper-technicité. Nous y reviendrons plus tard dans notre présentation. C’est bien au début du XXème siècle que les premières réflexions sur le niveau de recrutement des infirmières ont lieu. Le premier brevet de capacité professionnelle est décrété le 27 juin 1922 , puis un arrêté du 24 juin 1924 fixe les nouveaux programmes des écoles d’infirmières de l’État français. Ils vont évoluer au fil du siècle, tout comme la durée de la formation, variant de 24 mois à 33 mois, à 38 mois et demi à 36 mois, depuis 2009. Nous pouvons remarquer que, par le titre d’infirmière diplômée de l’État français, l’état garantit une indépendance à la profession, et ce dès 1922. Il permet le déploiement d’une autonomie dans une partie de son exercice professionnel, par la création d’un rôle indépendant appelé rôle propre en 1978. D’ailleurs, les infirmières ont revendiqué cette autonomie et cette reconnaissance sociale tout au long du XXème siècle. Leur champ d’activités et de compétences n’a cessé d’évoluer, ainsi que celui de leurs responsabilités et de leur autonomie.
Enfin, la profession est réglementée par des décrets qui fixent les règles professionnelles, listent les actes professionnels et décrivent précisément l’exercice infirmier. Le décret du 29 juillet 2004 intègre au Code de la santé publique les textes relatifs aux règles et aux actes professionnels infirmiers . Il existe depuis 2006 un Ordre national des infirmiers, deuxième des sept ordres professionnels de santé en France, avec 180 000 inscrits en 2015. Depuis 2016, un code de déontologie des infirmiers se substitue au décret du 29 juillet 2004. Nous en parlerons un peu plus loin.
Nous reviendrons sur certains aspects de la formation, non décrits ici, plus loin dans notre travail. Il s’agira de décrire le processus actuel de la formation infirmière dans ses aspects réglementaires, organisationnels et de reconnaissance académique et sociale du diplôme. Nous faisons le choix de proposer tout d’abord une approche sociologique de la profession infirmière, avec un objectif d’éclaircissement des caractéristiques d’une profession, d’un groupe professionnel et du processus de professionnalisation. Nous compléterons notre présentation par une description de la professionnalisation des infirmiers d’après une étude des premiers développements de la professionnalité (Savoyant, 2005). Nous aurons alors l’ensemble des éléments nécessaires pour la compréhension du mouvement de professionnalisation des infirmiers.
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Table des matières
Introduction
La construction de l’objet de recherche
Vers une problématique de recherche
Chapitre 1 : Le contexte professionnel de la recherche
1. Approche historique de la profession infirmière
1.1. Histoire de la profession infirmière
1.2. Histoire de la formation infirmière
2. Approche contemporaine de la formation et de la profession
2.1. L’évolution de la formation et de la profession au XXème et XXIème siècle
2.2. La formation des infirmières dans un contexte de mutation
2.2.1. Le contexte de santé publique
2.2.2. Le contexte hospitalier
2.2.3. Le contexte français de certification
2.2.4. Le contexte européen des études
2.2.5. Les référentiels de formation
2.2.6. Le code de déontologie des infirmiers
2.3. La réforme des études infirmières en France
2.3.1. Explicitation de la réforme de la formation infirmière
2.3.2. Le cadre réglementaire
2.3.3. Le programme de formation
2.3.4. Les Instituts de Formation en Soins Infirmiers dans ce contexte
3. Approche démographique de la profession infirmière
3.1. La situation démographique des infirmiers
3.2. Les trajectoires des professionnels infirmiers
4. Approche sociologique de la profession infirmière
4.1. La notion de profession
4.2. Le professionnalisme
4.3. Les enjeux de professionnalisation
4.4. La professionnalité
4.5. Le groupe professionnel des professions de santé
Chapitre 2 : La professionnalité des infirmiers
1. Approche didactique de l’activité de l’infirmier
1.1. La dimension technique
1.2. La dimension relationnelle
1.3. La dimension organisationnelle
1.4. La dimension pédagogique
2. Le genre de l’activité
3. Les gestes de métier
4. L’identité professionnelle
Conclusion