Approche expérimentale du traitement local des métastases hépatiques

Histoire de la radiofréquence

   La première utilisation de la radiofréquence (courant haute fréquence alternatif) est le bistouri électrique (1911), appliqué pour coaguler des petites lésions cutanées et de la vessie, puis pour la chirurgie des tumeurs cérébrales (1928) (22). Durant les années 1970, les générateurs sont devenus plus petits, plus performants, monitorant la température à l’extrémité de l’électrode et la puissance. Les voies sensitives étaient alors électrocoagulées dans le traitement des douleurs chroniques (algies faciales). En 1985, Huang et al. (23, 24) sont les premiers à utiliser la radiofréquence pour détruire les voies de conduction dans le traitement des arythmies cardiaques. La petite taille des lésions créées par la radiofréquence de l’ordre de quelques millimètres constituait la limite de la technique jusqu’à ce que d’importants progrès dans la forme des électrodes et dans l’énergie délivrée puissent créer des lésions de plusieurs centimètres. Ce fut alors l’engouement pour cette technologie aussi bien dans la recherche fondamentale que clinique, d’abord en urologie pour l’hypertrophie bénigne de prostate (25) puis plus récemment dans le traitement des tumeurs primitives et secondaires hépatiques.

Les effets thermiques indirects

    Les dommages tissulaires progressent jusqu’à 7 jours après l’arrêt de l’hyperthermie (32), puis la taille des lésions de nécrose diminue lentement dans le temps, le tissu nécrotique étant remplacé par des cellules inflammatoires (34). La progression de ces dommages tissulaires dans le temps est le résultat de plusieurs mécanismes. L’hyperthermie induit l’apoptose pour des températures comprises entre 40 et 45 °C. L’application locale d’une hyperthermie dans un tissu ou une tumeur crée un gradient de température qui décroit au fur et à mesure que l’on s’éloigne du point d’impact. Basé sur l’étude de l’activité de la caspase , le pic d’apoptose survient 2 heures après la fin de l’hyperthermie et progresse pendant 12 heures (35). La stimulation de l’apoptose est directement induite par l’hyperthermie, l’altération de l’environnement tissulaire ou secondaire à des cytokines (35, 36). D’autres facteurs, comme la protéine HSP (heat shock protein) 70, protéine impliquée dans la thermotolérance acquise, peuvent inhiber l’apoptose (37). La stase puis la thrombose vasculaire péritumorale induite par l’hyperthermie sont des phénomènes qui peuvent persister jusqu’à 24 heures après la fin du traitement. L’hypoxie secondaire entraine une baisse du pH intratissulaire, participant à la mort cellulaire (29). L’hyperthermie induit la production d’interleukine 1 et de TNFα par les cellules de Kupffer (30). Les lymphocytes T et les macrophages sont rapidement stimulés par une hyperthermie locale, suivie par un pic d’immunoblastes et de mastocytes jusqu’à 20 jours après l’application (38). La réponse immunitaire antitumorale participe aux méchanismes de destruction tumorale, qui perdurent dans le temps et qui peuvent s’étendre à d’autres localisations. Ainsi Isbert et al. ont montré, sur un modèle de tumeurs implantées dans le foie, que la destruction de la tumeur d’un lobe par hyperthermie réduisait la croissance tumorale de la tumeur non traitée sur le même animal par rapport au groupe contrôle et au groupe résection chirurgicale (39).

Radionics® 

   Le matériel Radionics® (Radionics Instruments, INC, Burlington, MA, USA) se compose d’un générateur monopolaire de 480 kHz, d’une puissance de 200 Watts à 50 ohms. L’électrode permet de mesurer la température au site d’application. Cette électrode intègre un système interne de refroidissement. Une pompe péristaltique à galets perfuse de l’eau stérile froide à travers l’extrémité de l’électrode afin de réguler l’échauffement au contact. La carbonisation du tissu autour de l’électrode augmente considérablement l’impédance électrique et diminue la conduction électrique donc la production de chaleur au delà. Ce système de refroidissement permet d’obtenir des nécroses tissulaires plus étendues. L’électrode de Gauge permet d’obtenir des nécroses de 3 cm de diamètre pour une longueur d’aiguille dénudée de 3 cm et un temps moyen d’application de 15 à 20 minutes (44). Afin d’obtenir des lésions plus importantes, une aiguille en forme de trident appelée « cluster » a été développée: elle permet d’obtenir des lésions de 5 cm de diamètre. Le courant est recueilli par des plaques ou électrodes de dispersion collées sur la face postérieure des cuisses du patient, 2 à 4 plaques sont nécessaires.

Les techniques concurrentes

   Les techniques qui ont été développées pour les mêmes indications que la RF sont le laser et la cryothérapie. L’injection d’acide acétique, d’antimitotique ont fait l’objet de publications de petites séries mais n’ont pas connu de développements ultérieurs (48). L’injection d’éthanol, si elle a montré son efficacité dans le traitement des hépatocarcinomes localisés, n’a pas été créditée des mêmes résultats dans le traitement des métastases hépatiques. Cette moindre efficacité de l’éthanol dans les métastases hépatiques s’explique par la moins bonne diffusion du liquide dans la lésion, qui est un tissu dur au  stroma fibreux, entourée de foie sain plus mou, rendant la distribution de l’éthanol imprévisible, par opposition à l’hépatocarcinome qui est une tumeur molle dans un foie de cirrhose de consistance dure (49). L’ablathermie par micro-onde (microwave) est une technique développée principalement au Japon. La nécrose tumorale est obtenue par diffusion de microondes de 2450 MHz produites par un générateur à l’extrémité d’une aiguille coaxiale. Comme pour la RF, ce sont les frictions moléculaires qui entraînent l’échauffement à proximité de l’aiguille. Une zone de nécrose de 10 à 12 mm de diamètre est obtenue après une application de 30 à 60 secondes. Plusieurs applications, soit en faisant une répétition des tirs soit en utilisant plusieurs aiguilles, peuvent être effectuées en une même séance et peuvent détruire une lésion de 6 cm de diamètre. Si l’efficacité de cette technique est comparable à celle de la RF (48, 50), son coût dix fois supérieur a probablement été un frein à son implantation hors du Japon.

La cryothérapie

   Le but de la cryochirurgie est la destruction in situ des tissus ou tumeurs en utilisant de très basses températures. Les premières utilisations de la congélation en cancérologie ont été faites par James Arnott en 1845 (56). Il utilisait une solution congelée de sérum salé pour réduire la taille des tumeurs dépassées du col utérin ou du sein. Entre 1870 et 1900, la production de gaz liquides (air, protoxyde d’azote et azote) a permis d’étendre ses indications aux traitements des cancers cutanés puis aux autres tumeurs solides en particulier hépatiques (57). Il est possible de réaliser durant une laparotomie la destruction d’une MH de 4 cm avec une cryosonde (circuit fermé d’azote liquide) de 3,2 mm de diamètre fonctionnant pendant 15 minutes (un cycle de 10 à 15 minutes et un cycle de 5 à 10 minutes entrecoupés d’une période de décongélation de 5 minutes) (58). L’utilisation synchrone de 6 cryosondes permet, dans les mêmes conditions, de détruire un volume sphérique de 80 mm de diamètre. Les études expérimentales ont démontré qu’une congélation rapide suivie d’une décongélation lente assurait une destruction complète des cellules tumorales soumises à une température inférieure à moins 20° Celsius (57). La morbidité de la technique est bien connue. Dans une revue récente de la littérature (59) les résultats de 2713 patients porteurs de MH et traités dans 72 centres, ont été analysés. La mortalité péri-opératoire était de 1,5% (33 patients) dont 21% liée à un infarctus du myocarde (patients récusés pour la chirurgie) et 18,2% (6 patients) en rapport avec un cryochoc. Un cryochoc était observé dans 1,5% des cas. Il s’agit d’une complication grave et spécifique se manifestant sous forme de troubles métaboliques majeurs en rapport avec la nécrose tumorale induite par la cryothérapie (insuffisances respiratoire et rénale, troubles de la coagulation). Ce phénomène de cryochoc mettrait en jeu les mêmes médiateurs, cytokines, TNFα et interleukine 6 que le choc septique (60). L’élévation de ces médiateurs serait corrélée au volume de foie congelé, à la durée de congélation et à un clampage pédiculaire. Le seuil limite du volume de foie congelé au delà duquel le risque de cryochoc augmente serait de 200 cm3. Le taux de complications graves, liées le plus souvent aux fractures survenant à l’intérieur des glaçons en formation et qui peuvent aboutir après décongélation à de larges plaies hépatiques (équivalent à une fracture hépatique) (57), sont inférieures à 5% (59): hémorragie majeure, abcès intrahépatique, fistule biliaire ou biliome, complications pleurales,… Les autres complications mineures variaient de 6 à 33% suivant les séries (57,58). Siefert et al. (61) ont étudié le taux de récidive après cryothérapie (85 patients): 33% dans le site de cryothérapie, principalement pour les tumeurs d’un diamètre supérieur à 3 cm, 65% dans le foie et 56% en extrahépatique (récidives corrélées avec une non diminution du taux d’ACE en post-thérapeutique) après un suivi médian de 22 mois. Ce taux d’échec local était expliqué par les auteurs par un mauvais positionnement des sondes de cryothérapie et par un mauvais monitorage de la température. Ces deux critiques sont aussi valables pour la radiofréquence: en effet, la mesure de la température au contact de l’aiguille ou de la sonde n’est pas le reflet de la température en périphérie de la lésion, ce d’autant plus que la lésion est volumineuse et que l’on veut créer un zone de nécrose au pourtour de la tumeur en tissu sain afin de se prémunir d’une récidive locale. Rivoire et al. (58) rapportent un taux de récidive locale de 18 % pour des tumeurs de plus de 5 cm de diamètre. Les auteurs contrôlent en peropératoire par échographie le bon positionnement des cryosondes ainsi que le bon déroulement de la procédure et la réalité des marges, permettant un succès dans 97 % des cas pour des tumeurs supérieures à 6 cm (62). Finlay et al. (63) ont rapporté une étude (rétrospective) comparant résection hépatique versus résection hépatique associée à la cryothérapie dans les MH de cancers colorectaux. Il n’y avait pas de différence de survie entre les 2 groupes de patients (50% avec une médiane de suivi à 20 mois, la médiane de survie globale étant de 33 mois). Quatre études (64-67) ont comparé l’ablathermie par cryothérapie et par RF (tableau 2). Si la mortalité ne diffère pas entre les 2 techniques, la morbidité ainsi que le taux d erécidive locale sont plus importants dans 2 études pour le groupe traité par cryothérapie (64, 66). La cryothérapie semble supérieure pour traiter les tumeurs de plus de 4 cm de diamètre (65, 67), avec des taux de récidives locales de 17 % contre 38 % pour la RF (65). Il est difficile de conclure quant à la supériorité de l’une de ces 2 techniques, les études étant hétérogènes avec souvent peu de malades. De plus le choix de la technique était fonction de la période, les auteurs étant passés à la RF après avoir débuté leur expérience par la cryothérapie car cette dernière technique était accessible depuis plus longtemps que la RF.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE 
1. La radiofréquence 
1.1. Histoire de la radiofréquence 
1.2. Aspects techniques 
1.2.1. Principe
1.2.1.1. Les effets tissulaires
1.2.1.2. Les effets cellulaires immédiats
1.2.1.3. Les effets thermiques indirects
1.2.3.4. Taille de la zone d’ablathermie
1.2.2. Matériel
1.2.2.1. Radionics® (Figure 1.2.)
1.2.2.3. RITA (Radiofrequency Intersticial Tumor Ablation) Medical Systems® (Figure 1.3.)
1.2.2.3. Radiotherapeutics® (Figure 1.4.)
1.2.2.4. Berchtold® (Figure 1.5.)
1.3. Les techniques concurrentes 
1.3.1. Le laser
1.3.2. La cryothérapie
1.3.3. Ultrasons de haute énergie focalisés
1.4. Traitement des tumeurs hépatiques par radiofréquence 
1.4.1. Efficacité thérapeutique
1.4.2. Mortalité et morbidité
1.4.2.1. Mortalité
1.4.2.2. Morbidité
1.4.2.3. Morbidité biliaire
2. La thérapie photodynamique 
2.1. Histoire de la thérapie photodynamique 
2.2. Les réactions photochimiques 
2.2.1. Les réactions photochimiques de type I
2.2.2. Les réactions photochimiques de type II
2.3. La photodégradation des photosensibilisants 
2.4. Les photosensibilisants 
2.4.1. Propriétés idéales d’un photosensibilisant
2.4.2. Les photosensibilisants de deuxième et de troisième générations
2.4.3. La 5,10,15,20-tetrakis(m-hydroxyphenyl)bacteriochlorine (m-THPBC)
2.5. L’oxygène, élément clé du déroulement des réactions photodynamiques 
2.5.1. La consommation en oxygène au cours de la PDT
2.5.2. Utilisation de moyens permettant de pallier la déplétion en oxygène au cours de la PDT
2.5.2.1. Application de faibles irradiances
2.5.2.2. Fractionnement de l’irradiation
2.5.2.3. Compensation de l’hypoxie préexistante
2.6. Les mécanismes de photodestruction des tumeurs par la PDT 
2.6.1. Dommages cellulaires
2.6.2. La nécrose
2.6.3. L’apoptose
2.6.4. Dommages vasculaires
2.6.4.1. Les mécanismes des dommages vasculaires
2.6.4.2.Facteurs influençant la réponse vasculaire à la PDT
2.6.4.2.1. L’intervalle drogue-lumière (IDL)
2.6.4.2.2. L’irradiance appliquée
2.6.5. Dommages immunitaires
2.7. La thérapie photodynamique en pratique clinique 
2.7.1 Cancer de l’œsophage
2.7.2. Cancer pulmonaire non à petites cellules
2.7.3. Les cancers ORL
2.7.4. Les tumeurs de vessie
2.7.5. Les tumeurs cutanées
2.7.6. Les cholangiocarcinomes hilaires
2.7.7. Les tumeurs du pancréas
2.7.8. Les autres indications
RESULTATS 
1. Etude des lésions biliaires induites par la radiofréquence et prévention de ces lésions 
1.1. Modèle expérimental de lésions biliaires lors de la réalisation d’une ablathermie hépatique par RF 
1.2. Prévention des lésions biliaires lors de la réalisation d’une ablathermie hépatique par RF au contact des voies intrahépatiques 
2. Cinétique de distribution intahépatique et intratumorale de la 5,10,15,20-tetrakis(m-hydroxyphenyl)bacteriochlorine (m-THPBC) 
2.1. Modèle expérimental de tumeur hépatique chez le rat athymique à partir d’une lignée de tumeur humaine HT29
2.2. Pharmacocinétique intrahépatique et intratumorale de la m-THPBC par spectroscopie de diffusion élastique et par extraction 
2.2.1. Techniques de mesure de la concentration intratissulaire d’un photosensibilisant
2.2.2. Spectroscopie de diffusion élastique (ESS)
2.2.3. Description de l’appareil de mesure
2.2.3.1. Module « Source de Lumière »
2.2.3.2. Sonde à fibres optiques
2.2.3.3. Module de spectrométrie, ordinateur et programmes informatiques associés
DISCUSSION ET PERSPECTIVES
CONCLUSIONS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
Liste des abréviations
Communications écrites et orales

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