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Qualité de vie, données de vie réelle et infodémiologie
L’amélioration du niveau de vie dans les sociétés modernes, industrielles et occidentales a transformé le concept de santé (8). Initialement définie comme « absence de maladie ou d’infirmité », l’OMS en 1948, élargit la définition a un « état de complet bien-être physique, mental et social » (9). Le concept de qualité de vie apparait dans les années 1960 aux Etats-Unis, comme « Conjonction d’une modification du pronostic des maladies, de la considération de l’autonomie du patient et d’un besoin d’évaluation médicale ». Depuis ce temps, la qualité de vie est considérée comme une dimension essentielle de la santé, le concept de « qualité de vie liée à la santé » en étant la conjonction. Elle est un paramètre indispensable pour évaluer les interventions et les prises en charge des patients.
Plus tard, dans les années 90, l’organisation mondiale de la santé se positionne sur la qualité de vie, comme étant un concept global et multidimensionnel. Elle l’a définie en 1993 (9) comme : « La perception qu’ont les individus de leur place dans la vie, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels ils vivent, par rapport à leurs objectifs, attentes, normes et préoccupations. Il s’agit d’un vaste champ conceptuel, qui englobe de manière complexe la santé physique d’une personne, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités du milieu environnant. Lorsque l’étude de la qualité de vie se limite aux effets sur la santé, on parle de qualité de vie liée à la santé (QVLS) »
Ce concept est principalement utilisé en épidémiologie et en analyse médico-économique de coût-efficacité (10). En effet, depuis les années 1970, le critère de survie ou de morbidité n’apparait plus suffisant pour quantifier le bénéfice clinique d’un produit de santé (8).
Mesure de la qualité de vie et « patient centrisme »
La mesure de la qualité de vie est devenue incontournable dans l’évaluation des produits de santé, ainsi que dans l’évaluation des pratiques médicales des offreurs de soin (10,11). Un changement de perspective s’effectue, d’un point de vue pouvant être paternaliste dans les pratiques cliniques, vers la satisfaction/qualité perçue par les patients dans les différentes étapes du parcours de soin et leur perception des conséquences des décisions médicales dans leur vie.
La mesure subjective de la qualité de vie liée à la santé s’est imposée comme nécessaire dans l’évaluation du bénéfice des interventions de santé, en complément des mesures cliniques objectives, permettant d’évaluer l’impact d’une pathologie ou d’une intervention de santé du point de vue du patient (10,11).
La notion de subjectivité et de « point de vue patient » est ici importante. C’est à dire, il s’agit que le patient puisse, par son ressenti personnel, influer sur l’évaluation d’une pratique médicale ou d’un produit de santé. Là où il s’agissait d’obtenir des critères chiffrés, normés, les plus objectifs et standardisés possibles tels que l’allongement de la survie, ou un score de gravité d’effet indésirable, l’on incorpore un sentiment subjectif d’un usager en santé. Ce changement de paradigme a été évalué comme étant bénéfique à la pratique des soins, ainsi que dans les relations médicales (11). Les outils d’évaluation de qualité de vie utilisés par les professionnels de santé ont même été reconnus comme des aides au recueil de l’anamnèse, de la pratique de la consultation médicale et paramédicales (11).
Le patient est réinvesti d’une partie du pouvoir de décision et son ressenti participe davantage aux décisions médicales/thérapeutiques qui le concernent. C’est le principe de « décision partagée ». En 2013, un article du British Medical Journal (BMJ) titre « Let the patient revolution begin » (12). L’article développe les efforts des patients pour sortir d’un paternalisme médical, pour chercher à renouveler les pratiques. Il évoque notamment les populations de patients présents sur internet, comme moteur de ce changement de paradigme. En particulier, les auteurs écrivent : « Des années de paternalisme ont laissé les médecins et les patients démunis face à un autre type d’interaction […]. Le monde qui se dessine avec l’Internet participatif, où le virtuel l’emporte sur le réel, d’informations à la fois individualisée (où domine le point de vue de l’utilisateur) et communautaire (centré sur le partage, mais aussi sur le croisement statistique), va-t-il offrir l’écosystème capable d’accueillir – enfin – une médecine centrée sur les patients ? » 8 ans plus tard, c’est exactement dans ce mouvement que le travail de cette thèse s’inscrit. Cependant les auteurs précisent aussi la nécessité d’une vigilance intellectuelle, où les acteurs du domaine de la santé pourraient chercher à exploiter la tendance du « patient-centrisme », où le danger serait que le patient soit captif d’une architecture commerciale et idéologique qui n’aurait rien à envier au paternalisme qu’il aurait dépassé. L’article se conclut d’une remarque : Ne confondons pas « centré sur le patient » et « orientation client ». Être centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine.
Les questionnaires d’exploration de qualité de vie liée à la santé
Une approche possible pour décrire la qualité de vie, pouvant être liée à la santé, d’un individu est d’obtenir des mesures rapportées par le patient concernant différentes dimensions de sa propre santé. Ces études ont pour but de fournir une description quantitative des états de santé expérimentés par un malade.
Actuellement, des méthodes de recueil de données de vie réelle qui s’intéressent à la réalité patient (en opposition à un produit de santé par exemple), sont les questionnaires de qualité de vie. Ils rentrent dans la catégorisation conceptuelle définie par la Haute Autorité de Santé (HAS) des Patients Reported Outcomes Measures (PROMs) et des Patients Reported Experience Measures (PREMs) (11).
Il existe différents questionnaires d’évaluation, explorant des ressentis patients pouvant être généralistes comme l’état moral, ou très spécifiques comme l’intensité d’un déficit fonctionnel ; ou encore un questionnaire spécifique à une maladie. S’il fallait préciser la dichotomie, l’on pourrait dire que les PROMs se concentrent davantage sur des « résultats cliniques » alors que les PREMs se concentrent plus sur le ressenti patient (11).
Ces questionnaires peuvent être transmis par un professionnel de santé, ou directement remplis par le patient. Ils se distinguent des autres résultats en santé par le fait que la mesure est évaluée par le patient, sans interprétation des réponses par un professionnel de santé (11,13). Les PREMs et les PROMs sont des instruments de mesure conceptuelle, selon la perspective du patient, dans sa subjectivité (relatif au sujet pensant), comme la douleur, la fatigue, l’anxiété, et plus largement la qualité de vie liée à la santé. On retrouve ici la notion de s’affranchir du filtre médical pour se rapprocher de la subjectivité, de la réalité patient, développée dans le patient-centrisme.
Il convient de préciser que ces outils doivent être validés de façon adéquate, d’évaluation des propriétés métrologiques et psychométriques. Dans le cadre des études en vie réelle, ils sont une ressource utile pour enrichir l’évaluation de l’impact des technologies de santé selon la perspective des patients.
Parmi les différents questionnaires validés et utilisés dans la pratique courante, nous pouvons citer les deux questionnaires d’évaluation de qualité de vie liée à la santé, l’EQ-5D (Euro Quality of Life – 5 Dimensions), et le SF-36 (Short Form 36 items). Ce sont ces deux questionnaires, en prenant en compte les faits qu’ils permettent l’exploration et la mesure de la qualité de vie, validés et reconnus par la HAS à ces fins (10,14), qui nous ont permis de commencer à définir les concepts à introduire dans notre approche.
Le questionnaire Short Form 36 (SF-36)
Le questionnaire générique Short Form 36 (SF-36) (figure 3) est un exemple de mesure de la qualité de vie, composé de 36 items (15). Il permet d’évaluer un profil d’expérience d’état de santé d’un patient à travers 8 dimensions : Le fonctionnement physique, les limitations du rôle liées à la capacité physique, les douleurs physiques, la santé générale, la vitalité, le bien-être social, les limitations liées à la santé mentale, et la santé mentale en elle-même. Chaque dimension propose plusieurs choix au patient : « 1 – très limité », « 2 – légèrement limité », et « 3 – pas du tout limité ». In fine le patient obtient un score sur une échelle de 0 à 100.
Le questionnaire EuroQoL 5 Dimensions (EQ-5D)
L’EQ-5D est un autre questionnaire générique de qualité de vie dont l’utilisation est recommandée par la HAS (figure 4). Il est le fruit du travail de la société savante européenne sur la qualité de vie : EuroQoL (16).
Il se décompose en deux parties :
Une partie explore cinq dimensions évaluées par le patient selon sa perception propre : la mobilité, l’autonomie de la personne, les activités courantes, la/les douleur(s) et gêne(s) ressentie(s), ainsi que l’anxiété ou la dépression.
La deuxième partie correspond à une échelle visuelle analogique graduée de 0 à 100 sur laquelle le patient place son ressenti de « son état de santé aujourd’hui ».
Le codage du résultat est réalisé de la façon suivante : Chaque dimension a trois réponses possibles (respectivement codées de 1 à 3) : « pas de problème », « quelques problèmes », « problèmes majeurs ». 5 dimensions dont l’intensité de l’impact selon 3 codes résulte en 243 états de santé possibles (35 = 243).
Ainsi il est possible d’obtenir un code à 5 chiffres : 11111 lorsque le patient n’a « pas de problème » sur l’ensemble des cinq dimensions, ou 33333 s’il ressent des problèmes majeurs dans les différentes dimensions de sa qualité de vie.
L’EuroQoL a par la suite proposé une variante de ce questionnaire, avec cinq niveaux de réponse par dimension, afin d’éviter l’effet de plafonnement dû à un codage à trois chiffres, ainsi que pour améliorer la sensibilité de la détection de faibles variations de qualité de vie (16).
L’infodémiologie
L’infodémiologie, un terme qui apparait dans les années 2000 suivant les travaux de Gunter Eysenbach (17), est définie comme : « L’ensemble des méthodes et techniques conçues pour mesurer et suivre la « demande » d’informations sur la santé ainsi que « l’offre », dans les contenus numériques présents sur Internet, dans un but général de santé publique. »
Depuis les années 2000, le champ de recherche de l’infodémiologie a accompagné l’augmentation des usages et l’essor d’internet. Le terme en lui-même a commencé à se démocratiser et l’on peut retrouver sa définition dans des articles de presse médicale. Le moniteur des pharmacies (2018) développe en particulier, qu’elle peut être définie comme la science basée sur des technologiques de l’information et des communications dont l’objectif est de surveiller l’état de santé des populations et d’orienter les politiques de santé publique (18). Les médias sociaux, qui regroupent réseaux de contact professionnels ou généralistes, forums, blogs, réseaux de contenus et autres, permettent aux patients et à leur entourage d’échanger directement, de rechercher de l’information médicale ou de décrire leurs symptômes sans passer par des professionnels de santé. Ils constituent pour des épidémiologistes une source informelle et complémentaire de données, apportant des informations de santé non recueillies par ailleurs ou révélant des points de vue sur des sujets liés à la santé (19). Par exemple les données de Twitter peuvent être employées pour surveiller l’émergence et l’évolution de maladies infectieuses comme la grippe (20).
Nous avons pu définir ce qu’est l’infodémiologie. Nous allons maintenant aborder la partie pratique, applicative d’un point de vue technique.
La condition sine qua none à la récupération des données est l’autorisation d’accès. En effet, si une page ou si un compte est privé, fermé ou verrouillé, ses données ne doivent pas être accessibles et récupérables par un tiers. Nous n’aborderons ici que les cas des données accessibles.
Il existe différentes méthodes pour extraire des données présentes sur internet (21), que ce soit une page normale ou un réseau social. Les deux principales sont les Application Programming Interface (API) et le crawling (que l’on pourrait traduire en français par robot d’exploration et de moissonnage de données). Dans le cas de l’API, le site ou réseau social lui-même, offre un accès direct à sa base de données par une interface dédiée, ce qui lui permet de contrôler les conditions d’accès d’une machine (ordinateur) à ses données. Ce fonctionnement permet de créer un marché de la donnée pour celui qui en est le propriétaire. C’est par exemple le cas du réseau social Twitter. Cette technique a l’avantage d’accéder aux données ciblées, mises à disposition par le propriétaire, sans avoir besoin d’accéder à la base de données sources.
Le crawler est un logiciel qui a pour fonction de lire le code d’une page internet et d’en extraire les données. Les crawlers, fonctionnent à l’inverse des API qui sont mis à disposition des sites internet. Ils sont développés par l’utilisateur qui cherche à récupérer les données présentes sur les sites. Afin de contrôler l’accès à leurs données, certains sites peuvent entraver l’utilisation de crawlers, obligeant à passer par leur API s’ils en disposent. De plus, un crawler exploite l’architecture d’une page, en termes de code, pour identifier et récupérer les données. Dès lors, dès la moindre modification de la page, le crawler sera rendu inutilisable.
Pour le cas des réseaux sociaux, blogs et forums, leur utilisation par des communautés d’internautes repose sur l’acceptation des conditions d’utilisations. Ces conditions, lorsqu’elles sont acceptées en l’état, garantissent le fait que les données générées par l’utilisateur sont exploitables par le site et ses partenaires. Ces paramètres peuvent par la suite être modifiés, notamment lors du passage à un compte « privé ». Par exemple, si l’on recherche des messages postés sur le réseau social Twitter, l’API du site livrera les publications publiques correspondant à la requête spécifique (ex : présence d’un mot clef), mais pas celles des comptes étant « privés ».
L’intérêt scientifique et médical concernant le champ de recherche qu’est l’infodémiologie augmente constamment. En effet, une revue (22) réalisée en 2020 montre que sur 338 études infodémiologiques incluses, le nombre d’articles augmente chaque année, les publications de 2017 et 2018 comptant pour plus de la moitié des publications de la décennie (22). La source de données la plus populaire était Twitter, suivie par Google, venaient ensuite les autres sites et forums. Le réseau social Facebook était marginal derrière ces sources. Concernant les sujets d’études, les études infodémiologiques abordaient de façon majoritaire les maladies (au sens général), ainsi que les épidémies. Suivies par les études centrées sur le soin et la santé publique, les médicaments, le tabagisme et l’alcool (22). La revue conclut sur le fait que l’infodémiologie est un moyen innovant de réaliser des évaluations sanitaires à différentes échelles. Les données issues d’internet ont aussi l’avantage d’être directement récoltables et analysables, là où d’autres méthodes traditionnelles peuvent être extrêmement chronophages (22).
Ainsi, l’on commence à discerner que l’infodémiologie, alliée au développement du mouvement du patient-centrisme, peut représenter une opportunité pour capter et analyser de nouvelles données, directement issues des patients, à propos de thématiques de santé.
Données de vie réelle
Cette notion de source de données exploitables et complémentaires pour les épidémiologistes, nous amène à évoquer les données de vie réelle (figure 5) (23).
Définies par la Haute Autorité de Santé (HAS), les données de vie réelle (ou de vraie vie), sont : « Les données qui par définition ne sont pas collectées dans un cadre expérimental, mais générées suite à la réalisation des soins et actes médicaux en routine pour les patients, reflétant, a priori, la pratique courante » (24). Elles peuvent être collectées et analysées de manière spécifique, comme pour des analyses de pharmacovigilance, pour constituer des registres ou des cohortes, ou encore dans le cas d’études ad hoc sur un sujet particulier. Leurs sources peuvent être multiples, comme les dossiers informatisés de patients ou encore les analyses des consommations de soins et produits de santé. La HAS et le ministère des solidarités et de la santé précisent qu’elles peuvent également provenir du web, des réseaux sociaux et des objets connectés (24).
LE PROJET EN PRATIQUE
Maintenant que les différentes notions clefs ont été introduites, nous allons pouvoir nous attacher à développer le projet en lui-même, sa conception et méthodologie, ses objectifs et les moyens d’évaluations qui ont été utilisés. Avant toute chose, ce travail spécifique a fait l’objet d’une publication dans le Journal of Medical Internet Research en 2022 (19), disponible en annexe. Le propos développé ci-après, rédigé avec un angle moins technique que dans l’article, s’attachera à retracer la méthodologie globale du projet, en décrivant la place du pharmacien et sa valeur ajoutée, ainsi que la synergie de son duo avec un data scientist dans la conduite du projet.
Problématisation du sujet
La société Kap Code est une start-up française dédiée à l’analyse médicale des réseaux sociaux. Ce travail de thèse est issu d’un stage de 6 mois de recherche et développement au sein de cette société. Kap Code utilise des algorithmes de TAL et des ontologies médicales et thérapeutiques permettant d’identifier les médicaments (dénomination commune internationale, molécule), effets indésirables, concepts médicaux, ou encore de classifier les différents sous-sujets liés à un thème médical abordés par les patients. L’algorithme d’évaluation des impacts de QdV était un des nombreux projets d’algorithmes en phase de recherche et développement. La caractérisation du profil d’impact de QdV était un enjeu majeur pour la start-up, dont les analyses servent à mieux comprendre la réalité patiente, leurs difficultés, besoins, dans un but de proposer des services et informations les plus utiles possibles.
La qualité de vie et ses impacts sont étudiés et mesurés. Cependant l’analyse des résultats est conditionnée aux objets évalués. L’analyse des verbatims libres présents sur les réseaux sociaux est complémentaire, dans le sens où l’on ne pose pas de question standardisée aux patients, mais que l’on analyse ce qui est décrit de façon naïve. Le pendant de cette approche est la difficulté à standardiser les résultats, dans le sens où il existe différentes façons de faire référence, ou décrire, une même chose. Par exemple, il est possible de décrire un impact sur le moral par la pose d’un diagnostic de trouble de l’humeur, par la présence de certains symptômes, ou encore par des expressions courantes (ex : avoir le moral dans les chaussettes). De même, un impact physique peut être décrit par la description d’un symptôme (exemple : mes jambes sont faibles), ou par la description d’une incapacité à réaliser une action (exemple : j’ai besoin d’aide pour prendre ma douche).
La première étape du projet, a été de définir comment traduire le langage patient et ses différentes expressions possibles, en impact de qualité de vie. Parce que la Haute Autorité de Santé recommande l’utilisation des questionnaires EQ-5D et SF-36, ce sont ces outils qui ont servi à établir les bases de notre approche, sur les dimensions de la qualité de vie à appréhender. La définition de 1993 de l’OMS a aussi grandement contribué à établir le cap du projet.
La partie suivante développe comment une approche mixte de QdV a été créée pour analyser les impacts décrits dans les commentaires libres de patients. En reprenant les différentes définitions et identifiants les consensus des différentes parties prenantes.
Étapes clefs
L’ensemble des étapes clefs a été prédéfini avant de démarrer le projet (figure 7).
La partie Synopsis ou besoin interne, correspond ici à la nécessité de développer un algorithme de détection des impacts de qualité de vie. A partir de la définition du besoin, 3 étapes parallèles suivent. La définition des objectifs associés, qu’ils soient quantitatifs (performances) ou qualitatifs (quels types d’analyse sont à réaliser). L’extraction correspond à la récupération de messages pertinents, évoquant au moins une thématique de santé, à partir des réseaux sociaux, blogs et forums. Bien sûr, la partie recherche bibliographique correspond à une recherche de la littérature scientifique, avec comme objectif d’identifier des projets semblables à celui en cours de réalisation afin de profiter des connaissances et de l’état de l’art. Cette partie a concerné à la fois des travaux d’analyse médicale de données textuelles, l’analyse médicale des réseaux sociaux, ainsi que les définitions et consensus portant sur la qualité de vie liée à la santé. Concernant les analyses médicales des réseaux sociaux, une emphase particulière a été donnée à l’identification des méthodes/outils algorithmiques utilisés ainsi qu’à leurs performances associées. Ceci ayant pour but de comparer les méthodes entre elles et de tester celles les plus pertinentes pour notre projet, tout en visant les meilleures performances possibles.
La partie annotation correspond à la labellisation humaine des messages identifiés et nettoyés pour être exploitables par ordinateur. Cela correspond à l’annotation, par message, de la présence ou de l’absence d’un impact de qualité de vie, qui permet d’aboutir à un Gold standard, ou standard étalon servant de base de référence pour l’ensemble de la partie algorithmique.
L’ingénierie des variables correspond à l’identification des paramètres les plus pertinents, jouant un rôle dans l’identification des schémas clefs (verbatims spécifiques, temps des verbes, pronoms personnels, etc.).
Cette étape peut bénéficier de boucles d’amélioration continue, où il est possible de tester différentes combinaisons de variables entres elles, et de voir l’influence de ces différentes combinaisons sur les performances de l’algorithme. Cette étape peut aussi s’appeler « optimisation des hyperparamètres ».
L’évaluation des performances peut se faire selon différents indicateurs, certains propres à l’intelligence artificielle, et d’autres communs avec le monde de la santé comme l’Aire Sous la Courbe (AUC), la sensibilité et la spécificité, ainsi que les valeurs prédictives positives et prédictives négatives. La sélection des indicateurs d’évaluation fait partie intégrante d’un projet de développement d’algorithme d’apprentissage automatique, car il permet d’aboutir au modèle final.
Approche et méthodologie médicale de la QdV
Différentes définitions cohabitent
A l’heure actuelle, des standards validés servent à explorer la qualité de vie liée à la santé et les ressentis patients (11). Cependant la définition même de la QdV se heurte toujours à certains problèmes conceptuels (33,34). En effet, des notions clefs cohabitent, beaucoup de concepts sont retrouvés dans différentes définitions, alors que d’autres semblent en être absents.
Exceptée pour la définition de l’OMS, il ne semble pas y avoir de consensus établi pour définir la qualité de vie de manière précise, tous s’accordant à dire qu’il s’agit d’une définition complexe, propre à chaque individu en fonction de sa propre perception, propre définition, dans le contexte socio-culturel dans lequel il vit.
En effet, selon les auteurs et sociétés savantes, il existe plusieurs différences au niveau des définitions (34): la qualité de vie serait définie en termes de position de vie, de fonctionnement, de sentiment à propos du fonctionnement, d’existence et de différence entre le soi actuel et le soi idéal. Lorsque la qualité de vie est liée à la santé, elle est davantage définie en termes de fonctionnement, de sentiment à propos du fonctionnement, de santé et de valeur accordée à la durée de vie.
A titre d’exemple, on peut trouver plusieurs définitions publiées et validées, de la qualité de vie (34):
• « La satisfaction ressentie par un sujet dans les différents domaines de sa vie » Patrick & Erickson, 1987)
• « Sous l’angle individuel, c’est ce que l’on se souhaite au nouvel an : non pas la simple survie, mais ce qui fait la vie en bonne santé, amour, succès, confort, jouissance, bref le bonheur » (Fagot-Largeault, 1991)
• « La perception qu’un individu a de sa place dans l’existence, dans le contexte culturel et du système de valeurs dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes » (OMS, 1993)
• « Un état d’équilibre : équilibre entre plaisirs et contraintes ; équilibre entre aspirations et possibilités du moment » (Kemoun et al. 1996)
• « La vie est de qualité quand la vie fait sens » (Corten, 1998)
• « La combinaison du bien-être objectivement et subjectivement indiqué dans de multiples domaines de la vie considérés comme saillant dans la culture et le temps tout en adhérant à des standards universels des Droits de l’Homme » (Wallander et al. 2001)
Des comparatifs entre les différents outils validés d’évaluation de la qualité de vie, montrent que des dimensions sont communes à plusieurs outils, certains étant plus spécifiques sur des points particuliers (Tableau 2).
De manière générale, les dimensions de la qualité de vie les plus retrouvées, à la fois en termes de composante empirique et dans les définitions conceptuelles, concernent les dimensions sociale et relationnelle, le bien-être psychologique et l’humeur, l’emploi, la capacité d’un individu à s’autodéterminer, son autonomie en tant qu’acteur de sa vie propre, la compétence personnelle et l’intégration communautaire.
Lorsque la qualité de vie s’allie à la santé, quatre dimensions principales sont retrouvées :
• La dimension physique : capacité physique, autonomie, gestion des activités quotidiennes, …
• La dimension psychologique : dépression, anxiété, gestion des émotions, …
• La dimension somatique : symptômes, douleurs, asthénie, sommeil, …
• La dimension sociale : environnement familial, professionnel, amical, activités de loisirs, vie sexuelle, …
Ainsi, ces 4 dimensions au moins devaient figurer comme grandes catégories de notre approche. De par l’expertise de Kap Code dans l’analyse du vécu patient via les réseaux sociaux, des réunions d’idéation ont été réalisées avec les différents chefs de projets amenés à analyser les messages. L’objectif était de confronter les grandes catégories identifiées, à la fois la réalité terrain de ce que les patients peuvent décrire dans leurs commentaires, ainsi qu’à l’adéquation du besoin en termes d’analyse.
Suite à ces discussions, les quatre dimensions ont été évaluées comme pertinentes à inclure dans l’algorithme. Une autre dimension a été identifiée au cours de ces réunions : la dimension financière. En effet, celle-ci peut apparaître accessoire par rapport aux quatre précédentes que l’on peut juger plus « cliniquement pertinentes », mais l’expertise des chefs de projets a identifié que dans certains cas, la maladie peut avoir un impact financier. En effet, certains patients témoignent du fait qu’à force d’invalidité, des pensions ou allocations financières sont nécessaires. C’était par exemple le cas de certaines populations de patients qui discutaient de la difficulté de faire reconnaître leur maladie comme Affection Longue Durée (ALD), garante d’un meilleur remboursement de leurs frais de santé. De même, la recherche d’approches holistiques ou de médecines « douces / alternatives » non remboursées peuvent peser sur le budget d’une personne qui cherche à alléger le fardeau de sa maladie. De façon beaucoup plus classique, l’achat de médicaments ou produits non remboursés en pharmacie participe aussi à l’impact financier de la maladie. De manière générale, dans les études déjà menées par Kap Code et sur plusieurs maladies différentes, des commentaires de patients témoignent de la nécessité d’avoir un « budget maladie » ou encore d’une difficulté à « boucler les fins de mois » en lien avec la gestion de la maladie. Ces réunions, analyses préexistantes et messages patients, ont motivé l’ajout de la dimension financière comme cinquième dimension de notre approche. Il s’agit d’un exemple où le ressenti, les témoignages patients, ont permis de définir une méthodologie d’analyse de l’expérience patiente la plus adaptée possible.
Les dimensions de Qualité de vie retenue
L’objectif de l’algorithme est de reconnaître dans les verbatims patients, les impacts de qualité de vie sur les cinq dimensions retenues, physique, psychique, activités quotidiennes, relationnelle, financière. Ainsi, il convient de prédéfinir tous les impacts possibles qui pourraient rentrer dans ces catégories. Par exemple, une douleur peut à la fois être physique et psychique. Ne plus pouvoir effectuer une action peut être le reflet d’un impact physique et/ou d’une activité quotidienne devenue impossible.
Cette phase de caractérisation fine des impacts, était nécessaire à l’étape suivante du projet qui était l’annotation des messages. L’annotation et son but sera développée dans la partie suivante, cette partie se concentrant sur les raisons sous-jacentes, décrites dans les messages, comme révélatrices d’une dimension impactée.
Le développement d’une grille d’impact de qualité de vie a été permis grâce à différents points de comparaisons avec les questionnaires précédemment identifiés.
Cette méthodologie a été inspirée par différents arbres décisionnels (figure 8) établis pour définir les objets (ou items) investigués par des questionnaire de qualité de vie, en l’occurrence les questionnaires AQoL-8D et AQoL-6D (Assesment of Quality of Life – six or eights dimensions) (35).
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Table des matières
PARTIE 1 : Définitions
I. Intelligence artificielle, Traitement Automatisé du Langage Naturel, Machine Learning, Deep Learning
1. L’intelligence artificielle
2. Le Traitement Automatisé du Langage
3. Le machine Learning
4. Le Deep Learning et réseaux de neurones
II. Qualité de vie, données de vie réelle et infodémiologie
1. Mesure de la qualité de vie et « patient centrisme »
2. Les questionnaires d’exploration de qualité de vie liée à la santé
3. L’infodémiologie
4. Données de vie réelle
PARTIE 2 : Le projet en pratique
1. Problématisation du sujet
2. Étapes clefs
3. Approche et méthodologie médicale de la QdV
4. Formation & annotation des messages – coefficient de kappa
5. Machine learning – sélection des variables et différents modèles
6. Résultats et performances de l’algorithme
Partie 3 : Utilisation de l’algorithme, exemple d’analyse d’impact de qualité de vie
Conclusion
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