Problèmatique environmentale
Le monde subit actuellement des changements sans précédent (Chapin et al., 2009). Depuis son apparition sur terre, l’homme n’a cessé d’interagir et de façonner les écosystèmes pour son développement social et économique (Chapin et al., 2009). Cependant, au cours des 50 dernières années, l’homme a altéré les écosystèmes plus rapidement et plus largement que pendant n’importe quelle période comparable de l’histoire de l’humanité (MEA, 2005). Ainsi, les écosystèmes marins doivent faire face à de nombreuses et croissantes perturbations telles que la surexploitation des stocks halieutiques, la pollution, l’extraction de matières minérales, le nombre croissant d’espèces introduites et invasives, la dégradation d’habitats et les changement climatiques (Worm et al., 2006 ; Eastwood et al., 2007 ). Dans le passé cinq extinctions de masses ont déjà eu lieu et se sont traduites par la perte de 75% des espèces vivantes sur une période de moins de deux millions d’années (Barnosky et al., 2011). Certains scientifiques évoquent maintenant l’imminence d’une sixième extinction dont l’homme serait le principal responsable (Leakey et Levins, 1996 ; Brook et al., 2008). En effet, les activités de ce dernier ont un effet de plus en plus délétère sur le fonctionnement des écosystèmes marins (Diaz et al., 2004) et ont des conséquences directes sur les services écosystémiques qu’ils procurent et qui sont indispensables à la survie de l’homme (Costanza et al., 1997).
Les services écosystémiques peuvent être définis en terme de contribution de l’écosystème au bien-être humain. En d’autres termes ce sont les bénéfices que les hommes tirent des écosystèmes (MEA, 2005). Ils sont regroupés en quatre catégories :
➤ Services d’approvisionnement : services correspondant aux produits, potentiellement commercialisables, obtenus à partir des écosystèmes (nourriture, eau potable, produits pharmaceutiques, etc).
➤ Services de régulation : bénéfices obtenus de la régulation des processus des écosystèmes, tels que la régulation du climat.
➤ Services culturels : bénéfices non matériels obtenus par les hommes à partir des écosystèmes à travers l’enrichissement spirituel, le développement cognitif, la réflexion, la création, les expériences esthétiques.
➤ Services de supports : sont ceux qui sont nécessaires pour la production de tous les autres services de l’écosystème.
Les bénéfices tirés de ces services écosystémiques dépendent du « bon » fonctionnement des écosystèmes et donc des espèces qui les composent (Worm et al., 2006). Bien qu’il existe de nombreuses façons pour définir le fonctionnement d’un écosystème (Paterson et al., 2012), ce dernier peut être décrit comme les processus de transfert d’énergie et de matière au sein de l’écosystème. Il peut ainsi être quantifié en mesurant les flux d’énergies au sein de l’écosystème (production primaire et secondaire, respiration, décomposition) (Crowert et Frid, 2015). Ainsi, la compréhension de la façon avec laquelle les perturbations naturelles et anthropiques altèrent le fonctionnement des écosystèmes (et par consequence la durabilité des biens et services qu’ils fournissent) et leur résilience, c’est-à-dire la capacité d’un écosystème à absorber une perturbation sans changer d’état (Carpenter et al., 2001) représente une question primordiale en conservation et revêt une importance croissante (Coll et Libralato, 2012).
Le concept de resilience
Le développement de la résilience écologique a commencé en 1960 avec des tentatives de modélisation mathématique d’un écosystème dynamique (Leowontin, 1969 ; May, 1977). Ainsi, si la dynamique d’un système est décrite par un système d’équations différentielles, les équilibres correspondent aux valeurs pour lesquelles toutes dérivées sont nulles. Reprenant ces notions d’équilibres et de stabilité autour d’un état, la résilience a dans un premier temps été défini comme le temps mis par le système pour retourner à cet équilibre après y avoir été éloigné par une perturbation (Pimm, 1984). En écologie, il existe deux approches de la résilience reflétant chacune différents aspects de la stabilité (Holling, 1996). La première approche est appelée « Engineering resilience ». Dans cette approche la résilience est définie comme la mesure du temps de retour à un équilibre unique. Cette approche suppose l’existence d’un équilibre ou un état stable. Un système avec un temps de retour court à l’équilibre serait plus résilient que celui avec un temps de retour plus long (Pimm, 1984 ; Holling, 1996). La deuxième approche est appelée « Ecological resilience » et suppose qu’un système puisse exister sous plusieurs états stables (Holling, 1996). Dans cette approche, la résilience se définit par la capacité d’un écosystème à absorber une perturbation sans changer d’état. C’est cette dernière approche que nous priviligierons dans la thèse. En effet, il a été démontré que l’« Ecological resilience » est un concept plus applicable aux changements observés par les écologistes (Gunderson, 2009). Ainsi, penser la résilience, revient à comprendre les conditions dans lesquelles un écosystème franchit un seuil et évolue vers un nouvel état stable (Mathevet et Bousquet, 2014). Dans cette approche, la résilience est une propriété émergente de l’écosystème qui s’organise et évolue avec le temps grâce à des cycles adaptatifs (Gunderson, 2000 ; Gunderson et Holling, 2009). À mesure que ces changements se produisent, la capacité du système à absorber les perturbations (sa résilience) change également (Walker et Salt, 2006, 2012).
La métaphore de la balle et du bassin, (où la balle représente l’état du système et les bassins représentent l’ensemble des états d’équilibre stable sous lesquels le système peut exister) est souvent utilisée pour illustrer comment un système peut évoluer (Figure I-1). D’un côté la balle peut subir des perturbations qui peuvent la faire rouler, deux cas se présente alors : 1) soit la balle se situe au fond d’un bassin (a) et dans ce cas la perturbation la fera bouger mais cette dernière reviendra à son état d’origine ; 2) soit la balle se trouve à la fois au sommet d’une bosse et est proche d’un seuil entre deux bassins (b) et dans ce cas, la perturbation peut la faire rouler vers un autre état. D’un autre côté, les bassins peuvent également évoluer soient s’éroder (c) soient se combler (d).
De la définition d’indicateurs de santé des écosystèmes à une gestion écosystémiques des ressources marines
Les services écosystémiques sont devenus un nouveau moteur dans la politique de conservation (Crowe et Frid, 2015). Le défi pour les décideurs politiques est de favoriser et de stimuler la croissance tout en évitant simultanément de dégrader l’état de l’environnement. Ainsi, la gestion durable de l’environnement est passée d’une option à une nécessité juridique. En effet, les outils règlementaires envisagés pour atténuer les effets des activités humaines sur les écosystèmes prévoient d’évaluer l’état écologique des écosystèmes. Dans ce contexte, la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM) requiert que les Etats membres de l’Union Européenne atteignent un « Bon Etat Ecologique » (BEE) d’ici 2020, selon 11 descripteurs constitués de plusieurs indicateurs (Tableau I-1). En effet, la réussite de cet objectif repose sur le developpement d’indicateurs permettant d’évaluer l’état de santé des écosystèmes. Un écosystème en bonne santé se définissant comme un écosystème capable de maintenir sa structure (organisation) et son fonctionnement au cours du temps face à des perturbations extérieures (Costanza et Mageau 1999). Ainsi l’évaluation de l’état de santé d’un écosystème est basée sur la mesure conjointe d’indices permettant d’analyser son activité (ex: production nette, efficacité écotrophique assurant la disponibilité de matière pour les niveaux trophiques supérieurs, recyclage…), son organisation et sa résilience.
Parmi les 11 descripteurs de la DCSMM, le descripteur D4 vise à évaluer la structure et le fonctionnement des réseaux trophiques en traitant simultanément la diversité biologique des compartiments trophiques et la dynamique des interactions. Ce dernier est sans doute l’un des descripteurs les plus délicats à mettre en œuvre étant donné que l’identification d’indicateurs simples permettant d’évaluer la santé des interactions dynamiques complexes est difficile. Par ailleurs, l’un des défis dans la mise en œuvre du descripteur D4 est d’acquérir les connaissances scientifiques nécessaires sur les différents éléments qui définissent l’état du milieu marin. En effet, l’analyse des réseaux trophiques nécessite des jeux de données importants (Jennings et al., 2002) puisque les régimes alimentaires des espèces varient dans le temps et dans l’espace (Kirby et Beaugrand, 2009) et parfois selon leur stade de vie. A ce jour, il existe encore de nombreuses lacunes concernant l’écologie trophique de nombreuses espèces clés de l’écosystème appartenant notamment aux niveaux trophiques inférieurs (Hattab, 2014). De ce fait la compréhension des interactions trophiques actuelles et futures d’un écosystème reste un véritable défi pour les «scientifiques ».
Par le passé, les mesures de gestion concernant les ressources marines ont longtemps été conduites espèce par espèce ce qui ne permettait pas de prendre en compte la complexité et la dynamique des écosystèmes. La mise en place de mesures de gestion écosystémique s’est récemment établie avec l’Approche Ecosystémique des Pêches (AEP) (Garcia, 2003). Seule cette approche holistique permettrait de gérer au mieux les multiples actions de l’homme et de maintenir les écosystèmes dans des conditions propices à la production et à la fourniture des services écoystémiques désirés par l’homme (Mc Leod et al., 2005).
Dans ce contexte, les modèles de réseau trophique sont des outils efficaces pour l’exploration des effets potentiels des activités humaines sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes (ex : Hattab, 2014 ; Tecchio et al., 2015 ; Raoux et al., 2017 ; Pezy et al., 2017 ). En effet, l’analyse des relations alimentaires entre les différents groupes d’espèces au sein d’un écosystème via ce type de modélisation permet d’acquérir une image intégrative de la structure et du fonctionnement des écosystèmes. La structure des réseaux trophiques a un lien direct avec la stabilité des écosystèmes, définie comme la capacité d’un écosystème à maintenir son état à travers le temps quelles que soient les perturbations subies (Rooney et al., 2006 ; McCann, 2000 ; Rooney et McCann, 2012). Certaines architectures apportent de la stabilité et d’autres pas (Rooney et al., 2006). Il est donc important de comprendre quelles architectures des réseaux trophiques apportent aux écosystèmes une résilience face aux perturbations anthropiques auxquelles ils sont soumis. Les indices de l’analyse des réseaux écologiques ou « Ecological Network Analysis » (ENA) en Anglais permettent de caractériser l’état, la structure (organisation) et le fonctionnement des écosystèmes (Ulanowicz, 1986). De plus ces indices sont souvent utilisés pour évaluer le niveau de stress des écosystèmes car ils permettent de quantifier les effets d’une perturbation sur l’écosystème (Ortiz and Wolff, 2002 ; Patricio et al., 2006 ; Tecchio et al., 2015). En outre, certains indices de l’analyse des réseaux écologiques ont pu être reliés au concept de stabilité ou comme indicateur de la résilience du réseau trophique (Heymans et al., 2007). Enfin, ces indices sont considérés comme un ensemble d’indicateurs potentiels, en cours de développement pour décrire l’état de santé des écosystèmes sous l’angle du fonctionnement du réseau trophique (Niquil et al., 2014). Cette proposition qui a été faite dès 2011 auprès de l’OSPAR (convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est) et du Ministère de l’environnement avait pour objectif de proposer le premier jeu d’indices qui soit à proprement parler holistique (sans fractionner l’écosystème en sousensembles) et fonctionnel (basé sur les flux de matières dans le réseau trophique) (Rombouts et al., 2013 ; Niquil, 2014).
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Table des matières
Introduction Générale
1 Problématique environnementale
1.1 Introduction
1.2 Le concept de résilience
1.3 De la définition d’indicateurs de santé des écosystèmes à une gestion écosystémiques des ressources marines
2 Objectifs de la thèse
Chapitre I : Contexte Scientifique
1 Transition énergétique
1.1 Introduction
1.2 L’énergie éolienne offshore
1.3 Impacts environnementaux potentiels des éoliennes en mer
1.3.1 Principaux impacts potentiels sur la biodiversité en phase de construction
1.3.1.1 Destruction d’espèces et d’habitats
1.3.1.2 Emissions sonores
1.3.1.3 Impact sur l’avifaune
1.3.2 Principaux impacts potentiels sur la biodiversité en phase d’exploitation
1.3.2.1 Champs Electro-Magnétiques (CEM)
1.3.2.2 Température
1.3.2.3 Pollution chimique
1.3.2.4 Effet récif
1.3.2.5 Effet réserve
1.3.2.6 Impact sur l’avifaune
1.3.2.7 Impacts cumulés
2 Zone d’étude
2.1 Baie de Seine
2.1.1 Contexte hydro-sédimentaire et communautés benthiques
2.1.2 Les communautés de poissons
2.1.3 Mammifères marins
2.1.4 Contexte humain
2.2 Le parc éolien au large de Courseulles-sur-mer
2.2.1 Historique du site d’étude
2.2.2 Principales caractéristiques du futur parc éolien au large de Courseulles-sur- mer
3 Descriptions des modèles de réseaux trophiques
3.1 Approche écosystémique
3.2 Présentation des modèles de réseaux trophiques utilisés
3.2.1 Le modèle Ecopath with Ecosim (EwE)
3.2.2 Les principales limites du modèles EwE
3.2.3 La routine ENA tool
3.2.4 Les indices de l’analyse des réseaux écologiques
3.2.5 Le modèle qualitatif
4 Rappel du contexte et des principaux objectifs de la thèse
Chapitre II: Benthic and fish aggregation inside an offshore wind Farm: Which effects on the trophic web functioning?
1 Introduction
2 Material and methods
2.1 Study area
2.2 Courseulles-sur-Mer OWF
2.3 Presentation of the trophic modelling approach
2.4 Parametrisation of the Ecopath model describing the situation before the wind farm
2.5 Balancing the Ecopath model
2.6 Simulating the “reef effect” due to the wind farm implantation using ecosim simulations
2.7 Analysing ecosystem organisation, major interactions and emergent properties
3 Results
3.1 Compartments’ ecological roles before the installation of the offshore wind farm
3.2 Ecosystem structural features after the installation of the wind farm
3.3 Sensitivity analyses
4 Discussion
4.1 Food web control before the installation of the offshore wind farm
4.2 Simulating the “reef effect” due to the wind farm implantation using ecosim simulations
4.3 Advantages and limitations of the EwE models
5 Conclusion
Chapitre III: An ecosystem approach of MRE: The potential effects of Offshore Wind Farms on ecosystem structure and functioning
1 Introduction
2 Material and methods
2.1 Study area
2.2 Courseulles-sur-Mer OWF
2.3 The pre-existing Ecopath model
2.4 Time dynamic simulations: the “reef effect” and “reserve effect” due to the OWF implantation
2.5 Linking ecosystem health with two types of OSPAR indicators
2.5.1 Traditional Indicator (The Mean Trophic Level)
2.5.2 Candidate Indicators (the Ecological Network Analysis indices)
2.6 Statistical analysis on the ENA indices
3 Results
3.1 Biomass profiles
3.2 MTL comparisons between the four situations
3.3 ENA indices and ecosystem attributes comparisons between situations
4 Discussion
4.1 Methodological issues
4.2 The MTL a good indicator to asses changes in trophic webs
4.3 Ecosystem maturity and resilience: interpreting ratios and ENA patterns
5 Conclusion
Conclusion Générale
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