Approche écologique de la perception et de l’action 

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Les actions d’interception comme illustration des interactions avec l’environnement : l’hypothèse du timing opérationnel

Dans le cadre de l’approche cognitiviste, l’anticipation joue un rôle essentiel dans la réussite des actions d’interception. L’anticipation peut être définie comme la capacité à prédire la survenue d’un événement avant qu’il ne se produise. Ainsi, (Schmidt, 1968) a proposé que la réussite d’une action d’interception repose sur une double anticipation. La première est perceptive et permet de prédire les paramètres spatiaux et temporels de l’interception. La seconde est motrice et permet de programmer une action ayant pour but d’atteindre le lieu prédit de l’interception dans le temps initialement estimé. Par la suite, (Tyldesley et Whiting, 1975) ont repris cette idée de double anticipation pour proposer le modèle du timing opérationnel. Ce modèle correspond à une sélection d’un programme moteur qui intègre tous les paramètres adaptés à la situation. Il exige une prédiction précise des paramètres spatio-temporels des déplacements de la cible pour pouvoir l’intercepter. Les informations en lien avec la trajectoire de la balle et ses variations de position et de vitesse devraient être connues auparavant et utilisées pour identifier une variable temporelle qui indique le temps restant avant le contact, appelé temps de pré-contact (time-to-contact : TTC) ((Lee, 1976) pour une définition dans un autre contexte théorique).
Dans le cas d’interception de balle à vitesse constante se déplaçant suivant une trajectoire rectiligne, le TTC peut être estimé avec la formule suivante : TTC = −d (Équation 1 )
Cette équation est simple, mais il faut noter que le cas d’interception d’objet à vitesse constante et rectiligne est extrêmement rare hors d’un cadre expérimental et que le cas typique est celui d’interception d’objet à vitesse non-constante. C’est ce que nous allons aborder dans le détail dans la partie qui suit.

Interaction avec des objets à vitesse non-constante

Si les actions d’interception requièrent une grande précision, il faut souligner que le système visuel ne paraît pas précisément équipé pour estimer précisément l’accélération d’un objet en mouvement (Benguigui, Ripoll, et Broderick, 2003; Brouwer, Brenner, et Smeets, 2002; Watamaniuk et Heinen, 2003). Or la plupart des objets en mouvement sont soumis à des conditions d’accélérations positives ou négatives causées par l’effet de la gravité et de décélérations dues aux forces de frottement.
De nombreuses recherches de psychophysique ont étudié les limites du système visuel à travers la mesure des seuils de sensibilité de l’être humain pour détecter les variations du vecteur vitesse, c’est-à-dire soit la variation de la norme, soit la variation de la direction (e.g., (Babler et Dannemiller, 1993; Brouwer et al., 2002; Calderone et Kaiser, 1989; Regan, Kaufman, et Lincoln, 1986; Werkhoven et al., 1992)). Typiquement, les études se focalisant sur les changements de norme de vitesse consistent à identifier, pour un stimulus de vitesse variable, le seuil à partir duquel le changement de vitesse est perçu. Le pourcentage de variation est défini par le ratio ([(v finale – v initiale ) / v moyenne ] × 100 où v est la vitesse (e.g., (Babler et Dannemiller, 1993; Calderone et Kaiser, 1989; Regan et al., 1986)). Des études ont montré qu’avec un temps de présentation supérieur ou égal à 300 ms, l’accélération peut être perçue pour un ratio de 20 à 25% de variation de la norme du vecteur vitesse (e.g., (Babler et Dannemiller, 1993; Brouwer et al., 2002; Werkhoven et al., 1992)). Les études de (De Bruyn et Orban, 1988; Werkhoven et al., 1992; Mateeff, Genova, et Hohnsbein, 1999) ont ainsi montré que l’augmentation de la variation de vitesse réduit le temps de réponse pour identifier cette variation. Lorsque c’est la direction et non la norme de vitesse qui change, il apparaît que le temps de réaction est inversement proportionnel à l’angle de déviation (angle entre la direction précédente d’un stimulus et la direction future) (Mateeff et al., 1999; Genova, Mateeff, Bonnet, et Hohnsbein, 2000; Hohnsbein et Mateeff, 1998).
Il apparaît donc que la perception des variations de vitesse est possible dans le cas où ces changements sont suffisamment importants. Plus les variations sont grandes, meilleure sera la perception. Avec de faibles variations, la détection de variation de vitesse est difficile et le système visuel sera mis en défaut. De ce fait, la précision requise pour les actions d’interception n’est pas assurée. D’autres travaux ont par ailleurs montré que l’utilisation d’information sur la variation de vitesse n’était pas possible, que cette variation soit faible ou forte (Benguigui et al., 2003; Benguigui et Bennett, 2010).
Pour compenser ces limites du système perceptivo-moteur, l’approche cognitiviste a avancé l’hypothèse selon laquelle le cerveau serait en mesure d’élaborer des modèles internes permettant de prédire l’évolution de la trajectoire sans avoir besoin de détecter ses propriétés. Ces modèles internes permettraient une reconstruction de la trajectoire de la balle issue des essais antérieurs mémorisés et des lois invariantes de l’environnement intégrées pour prédire les évènements (Wolpert et Flanagan, 2001). Nous détaillons dans la section suivante le concept du modèle interne.

Les modèles internes représentatifs de l’environne-ment

Les modèles internes prédictifs représentent un concept clé de l’approche cognitiviste. Ils permettent la reconstruction de l’information dans un processus actif et expliquent les capacités d’anticipation du système sensorimoteur, notamment quand le système visuel est limité comme nous l’avons vu précédemment pour les variations de vitesse (Wolpert et Ghahramani, 2000). Le concept de modèle interne a été initié par (Craik, 1943) qui a défini leur élaboration par des systèmes prédictifs permettant la reconstruction de la réalité pour prédire des évènements extérieurs au monde physique. Ces modèles seraient développés et affinés au fil des expériences rencontrées et des apprentissages réalisés (Berthoz et Petit, 2006). Ils reposent sur l’intégration d’invariants de la physique Newtonienne tels que par exemple la position, la vitesse, la gravité, la résistance de l’air.
Une des principales méthodes pour étudier les capacités de représentations internes et de prédictions des trajectoires de balle est l’utilisation du paradigme d’occlusion visuelle. Avec cette méthode, (Whiting et Sharp, 1974) ont été les premiers à chercher et à déterminer de la balle a été découpée en plusieurs périodes : tout d’abord la balle est projetée dans une salle non éclairée (Dark Period : DP), puis la balle devient visible (Visible Period : VP), puis la balle est occultée (Occluded Period : OP, Latency Period : LP) et enfin la balle est interceptée les périodes qui devraient être visibles pour une interception réussie. Pour cela, ils ont mené une tâche d’interception de balle de tennis lancées par une machine de projection et ont fait varier le début et la durée des périodes d’occultation visuelle. La balle était toujours projetée dans le noir, puis elle était illuminée pendant une certaine durée au cours du vol, puis occultée pendant une durée variable, et enfin la balle devait être attrapée dans le noir (voir Figure 1). Les résultats ont montré une chute de la performance dès que la durée de la période d’occultation était supérieure à 160 ms.
D’autres études réalisées au cours de ces dernières années ont confirmé que la performance d’interception d’une cible diminue de façon importante après occultation d’une durée de 200 ms (Marinovic, Plooy, et Tresilian, 2009; López-Moliner, Brenner, Louw, et Smeets, 2010; Yakimoff, Mateeff, Ehrenstein, et Hohnsbein, 1993). Cette dégradation de la performance est d’autant plus importante lorsque le temps d’occultation augmente. Cela signifie que si des modèles internes sont utilisés, leur précision pourrait être limitée. D’autres modèles internes ont été envisagés pour expliquer les anticipations réalisées sur des rebonds de balle et sur les effets de la gravité. Ces deux questions vont être détaillées dans les sections qui suivent.
Modèles internes pour prédire les rebonds de balle
Dans des environnements dynamiques tels qu’en sports de balle, les propriétés de ces environnements peuvent être incorporées dans le but de guider le regard et le mouvement requis. Dans ce registre, (Land et McLeod, 2000) ont montré chez des joueurs de cricket que les batteurs anticipaient le rebond de balle. En effet, ils ont remarqué que le regard était orienté vers la position future du rebond de 100 à 200 ms avant que la balle n’arrive. De plus, ils ont montré que les saccades oculaires étaient suivies d’une fixation sur la balle pour estimer la trajectoire de la balle post-rebond, quand elle quitte la main du lanceur (Figure 2). Ceci suggère que les batteurs utilisent des données sensorielles en combinaison avec l’expérience antérieure du mouvement de la balle pour prédire l’emplacement du rebond.
Dans le même contexte, (Hayhoe, Mennie, Sullivan, et Gorgos, 2005) ont montré que les propriétés d’un rebond de balle pouvaient être anticipées. Dans leur étude, les mouvements des yeux, de la tête et des mains ont été enregistrés pendant que les participants attrapaient des balles après rebond. Comme pour les batteurs de cricket, les participants fixaient d’abord les mains du lanceur, puis faisaient une saccade jusqu’au point du rebond. Par la suite, ils poursuivaient la balle jusqu’à ce qu’elle soit attrapée. Ainsi, les auteurs ont constaté que les participants ciblaient une région juste au-dessus du point de rebond, plutôt que le point de rebond lui-même. Les analyses oculaires ont relevé un regroupement des points d’observation suite aux saccades produites avant le rebond. Ceci a suggéré que les participants utilisaient les informations issues de la période pré-rebond pour cibler l’emplacement probable du rebond. De plus, les auteurs ont montré que les précédents essais avaient une influence sur l’anticipation des propriétés du rebond de balle et sur la capacité à poursuivre la balle. En effet, lorsque la balle de tennis a été remplacée de façon inattendue par une balle plus élastique, les participants ont été incapables de poursuivre visuellement la balle au cours des premiers essais. Il est également apparu que les participants se réadaptaient très rapidement à la nouvelle balle et retrouvaient une bonne précision dans la poursuite après seulement deux ou trois essais.
Les auteurs ont évalué la précision de la poursuite pour les deux balles. Ils ont mesuré la proportion de temps durant laquelle la distance entre la balle et la position regardée était inférieure à deux diamètres de la balle, dans la période entre le rebond et la capture. Les résultats ont montré une amélioration de la précision de la poursuite sur 6 essais, et une amélioration rapide au cours des trois premiers essais pour la balle élastique. La capacité à effectuer des mouvements de poursuite précis dans ce contexte dépend donc de la connaissance des propriétés dynamiques de la balle. L’ajustement de la précision était assez rapide et uniforme d’un sujet à l’autre, ce qui suggère que l’adaptation à de tels changements dans l’environnement est une caractéristique importante du comportement naturel (Figure 3).
(Hayhoe et al., 2005) ont conclu que les saccades et les mouvements de poursuite dans une tâche de capture de balle indiquent que l’acquisition des informations visuelles est planifiée par rapport à des attentes du déplacement et du rebond de la balle. Ces attentes précises correspondent selon les auteurs à un modèle interne stocké en mémoire. Lorsque les propriétés de la balle changent, des erreurs se produisent. Ces erreurs correspondent aux attentes liées au modèle interne. Il apparaît néanmoins que le modèle peut être mis à jour très rapidement à partir de l’utilisation d’un feedback sur les erreurs commises.
Dans une autre étude de (Diaz, Cooper, Rothkopf, et Hayhoe, 2013), une tâche d’interception dans un environnement virtuel de squash a été réalisée. La balle devait être interceptée après avoir rebondi. Elle pouvait avoir trois vitesses initiales différentes, et deux niveaux d’élasticité. Pour chaque trajectoire pré-rebond, deux trajectoires post-rebond étaient possibles selon le niveau d’élasticité (Figure 4). Durant l’expérience, deux balles ayant une même vitesse initiale auront la même trajectoire de balle pré-rebond. Cependant, si ces deux balles ont une élasticité différente alors leurs trajectoires post-rebond seront différentes. Ainsi, pour qu’un participant prédise la trajectoire post-rebond avec des saccades pré-rebond, il doit prendre en compte la propriété d’élasticité de la balle. Les résultats ont montré que, sans avoir reçu d’instruction particulière, les participants ont effectué des saccades précises, qui prennent en compte les changements de la vitesse et l’élasticité de la balle pour prédire le temps d’arrivée et l’emplacement de la balle celle-ci après rebond (Figure 5). Cela suggère une adaptation des modèles internes en fonction des propriétés spécifiques des objets avec lesquels il y a interaction. Cette adaptation pourrait se faire au travers d’un apprentissage rapide. Par exemple dans une tâche d’interception de balle réelle, les sujets adaptent leur orientation du regard face à une nouvelle élasticité de balle après trois essais (Hayhoe et al., 2005).
Critique du modèle interne de la gravité
Il apparaît donc que de nombreux résultats empiriques supportent l’hypothèse d’un modèle interne de la gravité. Toutefois, cette interprétation a soulevé certaines questions comme cela a notamment été relevé dans la revue de questions de (Baurès et al., 2007). Il ressort également des questions d’ordre méthodologique qui peuvent remettre en cause certaines interprétations. De ce fait, il apparaît que le terme de modèle interne peut être questionné en raison du manque de précision des estimations possibles.
Ainsi, dans l’expérience de (McIntyre et al., 2001), les différences temporelles obtenues dans l’activité EMG étaient seulement de 30 ms environ ce qui est très réduit si on compare cette valeur avec celle prédite par l’utilisation de la valeur de g pour déclencher le mouvement et qui devrait donner des différences de 234, 517 et 1781 ms, respectivement pour les vitesses initiales de 2.7, 1.7 et 0.7 m/s. Par conséquent, ces résultats sur l’activité du EMG ne fournissent pas une validation quantitative de l’utilisation de la gravité g, mais plutôt une modulation de la réponse. les résultats de l’étude de (Zago et al., 2004) ont également été remis en cause. Dans cette étude, les participants devaient intercepter une balle réelle à partir d’informations résultant d’une balle virtuelle projetée sur un écran. Cela a entrainé des vitesses de sortie de balle très différentes entre ce qui était projeté en condition 0g et la balle réelle qui passait dans la zone d’interception beaucoup plus rapidement que ce que la balle virtuelle n’indiquait. Par conséquent, les participants pouvaient être surpris d’avoir une période d’interception très réduite avec la balle réelle par rapport à celle prévue pour une balle virtuelle. Ceci peut expliquer les faibles performances dans la condition 0g. Cette différence n’est d’ailleurs pas présente dans la deuxième expérience de (Zago et al., 2004) et il n’est pas certain que les meilleurs résultats à 0g soient liés à l’absence d’engagement du modèle interne de la gravité avec une balle virtuelle sans masse. (Baurès et al., 2007) ont ainsi expliqué que ces résultats pouvaient être liés au fonctionnement basique du système perceptivo-moteur dans lequel les performances se dégradent davantage dans la condition accélérée comparé à la condition vitesse constante (Benguigui et al., 2003).
De plus, (Baurès et al., 2007) ont souligné que la valeur de g n’est pas constante et, de ce fait, ces variations peuvent impacter la précision de l’estimation du TTC estimée (voir Équation 1 ). En effet, les changements d’altitude et de latitude affectent la gravité g. De même, un objet en chute libre est soumis aux forces de frottement de l’air. L’accélération qui en résulte peut être calculée à partir de la formule suivante : ag  = dv kv2 dt m+(Équation 3 )
L’expertise selon l’approche cognitiviste
Afin de mieux comprendre l’expertise dans les sports de balle, de nombreuses recherches ont utilisé les principes de l’approche cognitiviste (e.g., (Abernethy et Russell, 1987)). Cette démarche, qui compare experts et non-experts a permis de faire progresser les modèles conceptuels de cette approche. En effet, dans ce type de sport, les athlètes accèdent à des niveaux de maitrise élevés et donnent l’impression de repousser les limites fonctionnelles des systèmes perceptifs et moteurs. Ainsi, selon l’expression bien connue de (Bartlett, 1947) (p.836) l’expert donne souvent l’impression d’avoir « all the time in the world ».
Pour atteindre le niveau d’expert, (Chase et Simon, 1973) ont remarqué qu’il fallait au minimum dix ans de pratique dans un domaine. Ensuite, (Ericsson, Krampe, et Tesch-Römer, 1993) ont montré qu’il y avait une relation très nette entre le niveau de pratique et le nombre d’heures de pratique accumulées. Ils ont ainsi formalisé ce principe avec la théorie de la « pratique délibérée ». Cette théorie pose le principe selon lequel l’expertise sportive nécessite une pratique intense pendant environ dix ans à raison de 1000 heures par an, soit 10 000 heures au total (voir aussi (Baker et Côté, 2006), pour une approche similaire). Cette pratique doit être organisée de la meilleure façon et dépend bien évidemment de facteurs intrinsèques à chaque individu, mais elle permet selon les principes de l’approche cognitiviste de construire et d’optimiser les solutions perceptives, motrices et cognitives les plus efficientes.
Performance perceptivo-cognitive
La performance perceptivo-cognitive a fait l’objet de nombreuses études dans le but de révéler les déterminants de l’expertise. Les travaux de (de Groot, 1946, 1965) furent les premiers à souligner le rôle essentiel de la mémoire dans le développement de l’expertise. Dans la continuité de ces travaux, (Chase et Simon, 1973) ont montré que si les experts avaient des capacités de mémorisation largement plus importantes que des joueurs de moindre niveau, cela se manifestait principalement dans le cadre du jeu d’échec grâce à des stratégies de stockage et de restitution fondées essentiellement sur la signification des configurations de jeu. Ces travaux ont servi de support dans de nombreux domaines. Pour les sports de balle, ce support a permis de dépasser le constat d’études qui ne montraient pas de différence entre experts et novices à partir de mesures des fonctions élémentaires de la perception visuelle comme par exemple l’acuité visuelle, la vision des couleurs, le temps de réponse périphérique, la perception de la profondeur et l’équilibre des muscles oculaires (Abernethy, Neal, et Koning, 1994; Ward, Williams, et Loran, 2000; Williams et Grant, 1999; Starkes et Deakin, 1984; Williams, 2000). Ainsi, bien que la vision joue un rôle essentiel dans ces sports, les capacités visuelles de bases semblent suffisantes pour atteindre les meilleurs niveaux d’expertise. Cela signifie que les différences experts-novices se situent à d’autres niveaux et notamment dans les capacités de traitement de l’information. En effet, il a été proposé que les experts en sports de balle accroissent de façon optimale leur capacité d’analyse des informations, c’est-à-dire identifier et traiter les informations environnementales afin de mieux les sélectionner pour exécuter l’action appropriée. La capacité de traitement de l’information étant aussi limitée, il est proposé que l’automatisation des gestes permette la libération de l’espace attentionnel afin de traiter les éléments imprévus ou importants. L’automatisme de l’expert consiste à réaliser ces gestes en utilisant le minimum de capacité attentionnelle.
Ces processus sont étayés par des systèmes de mémoire développés par les experts pour optimiser les capacités perceptives et motrices (Marteniuk, 1976; Ericsson et Kintsch, 1995; Ericsson et Lehmann, 1996). Les travaux (Alain et Proteau, 1980; Alain et Sarrazin, 1990) ont montré par exemple que l’utilisation de ces bases de connaissances permettait d’écarter les événements hautement improbables et d’attirer l’attention sur les événements les plus probables chez les experts en sports de raquette (voir également (Ward et Williams, 2003)). Néanmoins, les travaux (Alain et Proteau, 1977) ont montré que, dans des tâches de temps de réaction de choix, les experts adoptaient une stratégie conservatrice afin de réduire le nombre d’erreurs. En effet, ils diminuaient leur temps de réponse uniquement pour des probabilités d’occurrences très élevées. D’une façon plus générale, en sports de balle, un jugement précis est basé sur plusieurs capacités perceptivo-cognitives telles que : (a) la récupération d’informations avancées sur l’orientation de la posture de l’adversaire, (b) l’identification des motifs de jeux, (c) l’exploration efficace de l’environnement visuel et (d) la détermination des options les plus probables de l’adversaire (Williams et Ford, 2008). Ces travaux soulignent l’importance des prises de décisions et des capacités d’anticipation des experts.
Capacité d’anticipation et de prise de décision des experts
L’anticipation permet de gagner du temps, elle représente un élément crucial dans le domaine des sports de balle. De nombreuses études, prenant comme support une grande variété de sports, ont rapporté des capacités supérieures d’anticipation des experts par rapport aux joueurs moins experts. De telles études indiquent que les experts prédisent mieux le déroulement de situations sportives à partir des sources d’informations visuelles détectées plus tôt dans l’environnement (Williams, Ford, Eccles, et Ward, 2011; Shim, Carlton, Chow, et Chae, 2005; Alves, Voss, Boot, Deslandes, Cossich, Inacio Salles, et Kramer, 2013; Helsen et Starkes, 1999; Mann, Williams, Ward, et Janelle, 2007; Voss, Kramer, Basak, Prakash, et Roberts, 2010; Ward et Williams, 2003; Williams et al., 1999; Williams et Ward, 2007; Abernethy, 1990). Ces sources d’informations peuvent être des indices perceptifs prélevés sur le comportement adverse ou sur une organisation plus ou moins complexe (par exemple en sports collectifs) en fonction de connaissances sur les probabilités d’occurrences de certains évènements basés sur les expériences antérieures.
Des études ont cherché l’origine de capacités supérieures d’anticipation des joueurs experts en sport. Par exemple, (Aglioti, Cesari, Romani, et Urgesi, 2008) ont étudié les capacités supérieures perceptives et motrices d’anticipation des joueurs experts de basket : dans une expérience de jugement perceptivo-cognitif les individus devaient évaluer la destination des tirs de basket à partir de plusieurs séquences vidéo de durées variables, par trois réponses possibles  » IN : balle à l’intérieur du panier / OUT : balle en dehors du panier / I don’t known : jugement non défini ». Les participants étaient divisés en trois groupes : des joueurs experts pratiquants ayant une expertise visuo-motrice ; des observateurs experts ayant une expertise visuelle et des novices sans aucune expérience en basket. En se basant sur les trois modalités de réponses, trois pourcentages ont été calculés : pourcentage de réponses correctes, pourcentage de réponses incorrectes, pourcentage de réponses incertaines. Les résultats ont montré que les joueurs experts de basket prédisent plus tôt et plus précisément la trajectoire du ballon de basket que les observateurs qui n’ont pas d’expérience motrice directe avec le basket et ceci particulièrement pour les vidéos de courte durée ne montrant qu’une partie de la trajectoire (séquence de 568 ms). En effet, le pourcentage de réponses correctes devient supérieur au pourcentage de réponses incertaines aux alentours de séquences vidéo d’une durée de 568 ms chez les experts, alors que chez les novices le passage de réponse incertaine à réponse correcte se fait à partir des séquences vidéo de 781 ms. Seuls les joueurs experts arrivaient à prédire les actions et la trajectoire future du ballon en se basant sur des informations extraites à partir des indices cinématiques issus des mouvements du joueur. Les auteurs ont déduit que la capacité supérieure de prédiction/perception des joueurs experts pouvait être expliquée par leur expertise motrice supérieure et leur expérience visuelle acquise simultanément lors de performances sportives.
Identification des indices visuels du comportement adverse
Les indices sont définis comme des éléments partiels d’information qui vont être combinés et enrichis pour permettre de formaliser une information exploitable pour l’action. L’occlusion temporelle et spatiale est une des méthodes les plus utilisées pour comprendre les capacités d’identification et d’utilisation des indices chez les experts (e.g., (Paull et Glencross, 1997)). Elle a d’abord été basée sur la vidéo puis plus récemment sur la réalité virtuelle. Son but est de contrôler l’information visuelle pour identifier les indices peuvant être utilisés (Jackson et Mogan, 2007). Les réponses demandées peuvent être de nature verbale ou motrice.
L’occlusion temporelle consiste à étudier les effets des variations temporelles de visibilité et d’occultation d’une cible en mouvement. Elle est plus souvent utilisée pour déterminer quelle est la quantité d’information nécessaire pour prédire la position de la cible. Par exemple, des études ont ainsi montré que les experts en cricket et en tennis de table prédisent la localisation future de la balle à partir d’informations visuelles collectées pendant une courte période (200 à 500 ms), par exemple pour prédire l’emplacement du rebond d’une balle (Land et Furneaux, 1997; Land et McLeod, 2000; Hayhoe, McKinney, Chajka, et Pelz, 2012).
Dans l’occlusion spatiale, certaines des parties spécifiques du corps de l’adversaire lors de la simulation vidéo sont occultées, e.g. la raquette et le bras du serveur en tennis (Mecheri, Gillet, Thouvarecq, et Leroy, 2011). Cette technique permet d’identifier les parties du corps et les mouvements les plus informatifs afin de réaliser des prédictions. Les méthodes d’occlusion sont complétées aujourd’hui par des techniques de distorsion d’information grâce à la réalité virtuelle (Pollick, 1998; Huys, Cañal-Bruland, Hagemann, Beek, Smeeton, et Williams, 2009). Cet ensemble est associé aux techniques d’oculométrie qui permettent d’étudier l’orientation du regard. Ces travaux ont montré des stratégies visuelles de construction d’information en se focalisant sur les indices les plus importants et en cherchant à les mettre en relation (e.g., (Hagemann, Schorer, Cañal-Bruland, Lotz, et Strauss, 2010; Jackson et Mogan, 2007)). Par exemple, (Williams, Huys, Cañal-Bruland, et Hagemann, 2009) ont étudié les différences de stratégies oculaires dans des situations d’anticipation chez des joueurs experts et novices en tennis. Avec des séquences vidéo projetées, ils ont occulté certaines parties du corps ; notamment les épaules, les hanches ou les bras du joueur adverse. Les participants devaient prédire si les coups seraient dirigés à gauche ou à droite. Les résultats ont révélé que les joueurs de tennis experts prenaient des indices informationnels à partir des différentes zones du corps (épaules, hanches, jambes) et de la raquette, alors que leurs joueurs novices récupéraient uniquement les informations à partir de la zone bras-raquette. Par conséquent, les joueurs experts semblent utiliser une stratégie de récupération d’informations « globale », contrairement aux joueurs moins experts qui semblent principalement s’appuyer sur des informations locales (voir aussi (Huys et al., 2009)). Des résultats similaires ont également été rapportés concernant le gardien de but de handball (Loffing et Hagemann, 2014). Lors de la présentation de vidéos de tirs de penalty où certaines parties du corps ont été occultées partiellement ou totalement, Loffing et Hagemann ont montré que les gardiens de but experts et novices étaient capables de prédire le type de lancer (tir plus ou moins difficile), mais seuls les joueurs experts ont utilisé davantage de sources d’information telles que les régions distales (bras et ballon) et les régions proximales (partie supérieure du corps). Ces différents exemples montrent que l’occlusion permet d’identifier les différentes stratégies de récupération d’informations entre experts et non-experts.
Utilisation des probabilités situationnelles
La prise en compte des probabilités de situations est définie comme la capacité d’un joueur à extraire l’information contextuelle pertinente face à un évènement (e.g., (Williams et Ford, 2008)). Cette capacité des joueurs à utiliser l’information de probabilités de situations pour l’anticipation a ainsi été soulignée chez des sportifs, dans différentes disciplines, tels que des gardiens experts de handball (Mann, Schaefers, et Cañal-Bruland, 2014), des volleyeurs compétents (Loffing, Stern, et Hagemann, 2015), ou encore les experts en karaté (Milazzo, Farrow, Ruffault, et Fournier, 2016). Ces études suggèrent qu’avec de l’expérience et une expertise avancée les athlètes peuvent utiliser les informations de probabilité de situation de leur environnement afin d’anticiper.
(Farrow et Reid, 2012) ont, par exemple, voulu déterminer la contribution de la répétition des séquences de jeu pour anticiper. Ils ont mené une expérience dans laquelle les participants devaient prédire l’emplacement des services de tennis qui leurs étaient présentés sur un écran tactile au cours d’un set. Des régularités étaient introduites dans les séquences, par exemple le premier service joué toujours du même côté. L’étude a ainsi révélé que les régularités de situation de jeu étaient plus vite détectées et utilisées par les experts (joueurs seniors) que les moins experts (joueurs juniors).
Les joueurs peuvent aussi s’appuyer sur des indices contextuels tels que la position de l’adversaire sur le terrain pour prédire la direction future de la balle au tennis. (Loffing et Hagemann, 2014) ont montré que dans le tennis professionnel, les probabilités de direction des coups varient en fonction de la position du joueur. Les résultats de cette étude suggèrent que les joueurs expérimentés prennent en compte la fiabilité des sources d’information en pondérant différemment les indices contextuels et cinématiques disponibles.
Pour résumer, on peut se référer à la proposition de (Müller et Abernethy, 2012) selon laquelle l’anticipation des experts, permettant de guider le positionnement initial du corps, est produite à partir d’informations perceptives (issues de la cinématique du mouvement) et/ou des probabilités de jeu. Ensuite, d’autres informations sur la trajectoire de l’objet pourraient être utilisées pour affiner au mieux le mouvement afin de réussir l’interception. Selon la théorie cognitiviste, les anticipations perceptives et décisionnelles doivent être complétées par des anticipations motrices, c’est ce qui est abordé dans la partie suivante.

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Table des matières

Introduction générale .
I Cadre Théorique 
1 Approche cognitiviste de la perception et de l’action
1.1 Principes généraux .
1.2 Les actions d’interception comme illustration des interactions avec l’environnement : l’hypothèse du timing opérationnel
1.3 Interaction avec des objets à vitesse non-constante .
1.4 Les modèles internes représentatifs de l’environnement .
1.4.1 Modèles internes pour prédire les rebonds de balle .
1.4.2 Le modèle interne de la gravité .
1.4.3 Critique du modèle interne de la gravité .
1.5 L’expertise selon l’approche cognitiviste .
1.5.1 Performance perceptivo-cognitive .
1.5.2 Capacité d’anticipation et de prise de décision des experts
1.5.3 Identification des indices visuels du comportement adverse
1.5.4 Utilisation des probabilités situationnelles .
1.5.5 Utilisation des modèles internes .
1.5.6 L’expertise cognitivo-motrice .
2 Approche écologique de la perception et de l’action 
2.1 Principes généraux .
2.2 Les lois de contrôle .
2.3 Un exemple de loi de contrôle : le modèle de la vitesse requise .
2.4 Un exemple de spécification optique de l’information : la variable optique tau
2.5 Adaptation et régulation de l’action face à des trajectoires à vitesse non-constante 54Table des matières
2.6 L’expertise selon l’approche écologique .
2.6.1 Délai visuo-moteur et adaptation face à des trajectoires imprévisibles
3 Tâche de poursuite visuo-manuelle 
3.1 Introduction .
3.2 Rappel historique des tâches de poursuite visuo-manuelle .
3.3 Les tâches de poursuite visuo-manuelles selon les différentes approches
4 Intérêt de la réalité virtuelle pour étudier la perception et l’action 
4.1 Introduction .
4.2 Réalité virtuelle au service de l’étude des processus perceptifs et moteurs dans le sport .
II Études experimentales 
1 Première partie expérimentale : Étude des processus perceptivo-cognitifs et perceptivo-moteurs des experts en sports de balle 
1.1 Introduction de la première partie expérimentale .
1.2 Expérience 1 : Étude des jugements perceptivo-cognitifs dans un environnement virtuel sur des trajectoires modifiées d’un ballon de basket chez des experts et non-experts .
1.2.1 Introduction .
1.2.2 Méthode .
1.2.3 Résultats .
1.2.4 Discussion .
1.3 Expérience 2 : Etude des jugements perceptivo-cognitifs dans un environnementréel (séquences vidéo) sur des trajectoires modifiées d’un ballon de basket chez des experts et non-experts .
1.3.1 Introduction .
1.3.2 Méthode .
1.3.3 Résultats .
1.3.4 Discussion .
1.4 Expérience 3 : Etude des coordinations perceptivo-motrices dans un environnement virtuel sur des trajectoires modifiées d’un ballon de basket chez des experts et non-experts .
1.4.1 Introduction .
1.4.2 Méthode .
1.4.3 Résultats .
1.4.4 Discussion .
1.5 Conclusion .
2 Deuxième partie expérimentale : Etude des régulations perceptivo-motrices des experts en sports de balle 130
2.1 Introduction de la seconde partie expérimentale .
2.2 Expérience 4 : Sport expertise in perception-action coupling revealed in a visuomotor tracking task .
2.2.1 Abstract .
2.2.2 Introduction .
2.2.3 Method .
2.2.4 Data Analysis .
2.2.5 Results .
2.2.6 Discussion .
2.3 Expérience 5 : Capacité d’adaptation face à des déviations imprévisibles et rôle du délai visuo-moteur dans une tâche de poursuite visuo-manuelle
2.3.1 Introduction .
2.3.2 Méthode .
2.3.3 Résultats .
2.3.4 Discussion .
2.4 Expérience 6 : Poursuite visuo-manuelle en immersion 3D .
2.4.1 Introduction .
2.4.2 Méthode .
2.4.3 Résultats .
2.4.4 Discussion .
Discussion générale, limites et perspectives .
Références bibliographiques 

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