Approche éco-conseil et développement durable
Depuis l’époque des chasseurs-cueilleurs jusqu’à aujourd’hui, la capacité des humains à se projeter dans le futur joue un rôle fondamental dans la survie de notre espèce. Cette capacité d’anticipation permet d’identifier, de gérer et d’atténuer les risques inhérents à notre survie physique et métaphysique (Beauchamp,1996). Par exemple, cette aptitude a permis l’acquisition de compétences nécessaires à la création d’outils dont disposent aujourd’hui les humains pour déjouer la famine, prévenir la maladie et les infections, se protéger de la nature comme de voisins hostiles.
Ainsi, comme le mentionne Villeneuve (2005) en paraphrasant la phrase iconique du développement durable, l’idée d’un « développement qui permet de satisfaire les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs (Rapport Brundtland) », n’est pas récente. Depuis l’aube de l’humanité, les humains tentent d’améliorer leur sort et essayent d’offrir un futur meilleur à leur descendance. Et ce constat est formel; nous sommes ici, plus nombreux que jamais, après près de 300 000 ans de vie sapiens (Leroi-Gourhan & Collectif, 2005).
Cependant, notre entrée dans l’ère de l’information (Manuel Castells, 1997) pose un questionnement important. Pour plusieurs penseurs (Chomsky, 2004; Chossudovsky, 2005; Freitag, 2008; Labrecque, 2008; Morin, 2007; Sachs, 1996) le modèle de développement économique et social dans lequel l’occident évolue depuis la fin du XVIe siècle (Gilbert Rist, 2001) fait aujourd’hui face à ses apories. Cela se traduit notamment par une dégradation de l’environnement, des cultures, des territoires et par une mondialisation des injustices et des inégalités (Chossudovsky, 2005). Nous devons aussi nous adapter à des changements climatiques (voir les rapports du GIEC) que nous avons contribué à accélérer et dont les mesures d’adaptation sont et seront très complexes à mettre en œuvre (Villeneuve & Richard, 2007).
Les critiques au modèle néo-libéral viennent de tous les horizons. Des sciences fondamentales, particulièrement de l’écologie, en démontrant notre totale dépendance aux écosystèmes (Tansley, 1937) et aussi des milieux sociopolitiques qui portent un regard critique sur notre responsabilité en tant qu’humain envers les autres humains et la nature (Beauchamp, 2005; Jonas, 1998).
Déjà en 1972, le rapport Meadows, (aussi connu sous le nom « Halte à la croissance? » ou The Limits to Growth) rédigé par des chercheurs associés au Club de Rome, questionnait notre modèle de développement. Le mythe économique concernant la croissance infinie dans un monde aux ressources limitées était battu en brèche. Le rapport mettait en relation les limites écologiques de la croissance économique et démographique en unissant cinq problématiques globales : l’accélération du processus d’industrialisation à l’échelle mondiale, la croissance rapide de la population mondiale, la malnutrition liée à la pauvreté, la dépendance aux ressources naturelles non renouvelables et l’accélération de leur exploitation et finalement la dégradation généralisée de l’environnement (Meadows, Randers, & Meadows, 2004).
La principale conclusion du rapport indique que si les tendances observées en lien avec les cinq problématiques globales se maintenaient, les limites écologiques de notre modèle de développement seraient atteintes dans les cent prochaines années. En dernière analyse, les chercheurs associés à ce rapport présentaient une esquisse d’un nouveau modèle de développement qui redéfinissait la notion de progrès en misant sur l’amélioration de notre capacité à assurer le mieux-être de l’espèce humaine dans le respect des équilibres écologiques qui entretiennent la vie (Meadows et al., 2004). Le rapport Meadows jetait les prémisses d’une réflexion globale sur un nouveau modèle de développement à inventer.
Le développement durable, concept issu dans le prolongement du Rapport Meadow, constitue une proposition visant à modifier une trajectoire sociohistorique ne prenant pas suffisamment en compte les effets contre-intuitifs du développement « classique ». Ainsi, comme le soutient Di Castri (2005), le développement durable s’est construit à partir du rejet d’un modèle particulier de développement. Il constitue une proposition complexe, orientée vers le changement social, qui interpelle les communautés locales, nationales et internationales à réfléchir autrement le développement humain afin de trouver des moyens diversifiés pour agir de manière écologiquement viable, économiquement efficace et socialement responsable.
Le développement durable d’aujourd’hui est composé d’une diversité de représentations et d’approches (Riffon, 2012) comme la conformité réglementaire (approche planificatrice), les stratégies d’affaires (approche économiste) ou encore la conviction, qu’elle soit politique (approche humaniste), écologique (approche écologiste) ou fondée sur des valeurs (approche éthique). Toutes ces stratégies d’application mobilisent des outils appropriés (Villeneuve & Riffon, 2011a; 2011b).
Les contextes d’application sont également multiples, comme en témoignent les démarches de développement durable dans les entreprises, dans les milieux environnementaux, sociaux, gouvernementaux et dans le milieu des affaires. Au Québec, il existe une Loi sur le développement durable qui contraint les ministères et les organismes gouvernementaux à adopter un plan de développement durable. Autrement, les organisations s’inscrivent de manière volontaire dans une telle démarche, motivées par des raisons d’ordre environnemental, social, économique, éthique. Ainsi, les finalités ou l’horizon moral, recherché par les organisations ne sont pas nécessairement les mêmes ou tout au moins, les moyens pour les atteindre sont variés.
Le développement durable est un concept antinomique, polysémique et paradoxal, mais ayant la qualité de s’adapter aux circonstances, qui seront toujours singulières. Malgré ce caractère nébuleux, il n’en demeure pas moins un moyen d’action pour repenser nos modes d’habitation du monde et une finalité, reposant sur de multiples valeurs. Même si le concept de développement durable est discuté à l’échelle internationale depuis plus de 40 ans (Villeneuve, 2006), il ne fait pas l’unanimité.
L’engouement pour le développement durable suscite également son lot de critiques et de contre-mouvements (décroissance, écologie radicale). Les tenants d’une approche critique du développement durable le contestent sur la base qu’il est une voie sans issue pour induire un changement durable dans la relation qu’entretiennent les humains entre eux et avec la nature (Abraham, Marion, & Philippe, 2011).
Le développement durable est aussi critiqué parce qu’il n’offre pas un cadre théorique universel, au point que Mancebo (2006) lui refuse le titre de concept. On lui reproche sa finalité anthropocentrique, de mener à des dérives comme l’éco-blanchiment (Gendron, 2007) ou, plus fondamentalement, de reconduire les valeurs et les comportements du système économique dominant ayant créé les problèmes auxquels il faudrait s’attaquer (Azam, 2010; G Rist, 2007; Sauvé, 2011). Effectivement, le développement durable conçu de manière seulement technico-économique est à terme insoutenable (Morin 2000). Il y a aussi ceux qui le rejettent parce qu’il empêcherait l’économie et le confort.
Malgré la diversité des points de vue concernant le développement durable, la vision portée sur ce dernier par la communauté de pratique en éco-conseil repose sur certains principes communs :
• L’interdépendance entre notre communauté de destin et la nature est source de vie et de mort. On ne peut pas séparer les mécanismes de l’évolution humaine de leur emprise sur la nature ni l’emprise de la nature sur l’évolution humaine. Cependant, pour une première fois dans l’Histoire, nous en avons conscience et avons le pouvoir de modifier dramatiquement les paramètres, ce qui commande une responsabilité éthique (Jonas, 1998);
• Nous avons atteint ou nous sommes en voie d’atteindre plusieurs limites, qu’elles soient climatiques, sociales, démographiques, écologiques, ou économiques (Villeneuve & Richard, 2007);
• Pour permettre une plus grande justice sociale, il importe de redéfinir plus équitablement les modes de distribution des richesses, des savoirs et des ressources (Droz, Lavigne, Massé, & Milbert, 2006);
• Le développement durable est un concept flou qui mérite d’être réfléchi dans le paradigme de la complexité et l’action qui lui est liée devrait aussi découler de cette manière particulière d’envisager le monde (Morin & Weinmann, 1994);
• Les actions doivent êtres orientées vers des finalités éthiques explicites (Huybens, 2009).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 – Récit de pratique
1.1 Changement de paradigme
1.2 Un nouvel engagement
1.3 L’univers d’intervention
1.4 Fondation et créativité organisationnelle
1.5 Résistances au changement
1.6 La pratique
CHAPITRE 2 – Récit de dialogue: Le World café
CHAPITRE 3 – Problématique
3.1 Approche éco-conseil et développement durable
3.2 Le pourquoi du comment, ou comment discuter de valeurs?
3.3 Objectifs et questions de recherche
3.4 Pari d’interprétation
CHAPITRE 4 – Les savoirs théoriques mobilisés
4.1 Praxéologie
4.1.1 Le praticien réflexif
4.1.2 Le praticien chercheur
4.2. Le paradigme de la complexité
4.3. Éthique
4.3.1 Des individus reliés
4.3.2 Éthique appliquée
CHAPITRE 5 – Les savoirs procéduraux mobilisés
5.1 Observation participante
5.2 Journal d’itinérance
5.3 Le dialogue
5.4 Autorégulation dans l’action
5.4.1 Les procédés
5.4.2 La visée
5.4.3 Les besoins
5.5 Co-construction et intelligence collective
5.6 Les processus participatifs
CHAPITRE 6 – Comment accompagner le pourquoi?
6.1 Résultats praxéologiques de la recherche
6.1.1 Boucle praxéologique de la recherche
6.1.2 Réservoir de sens et co-constuction
6.13 Horizon moral
6.1.4 Éthique du dialogue et dialogue éthique
6.1.5 World café et déclaration de principes
6.2 La pratique renouvelée
CONCLUSION
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