Approche définitionnelle des concepts « métaphysique » et « ndeup »

Dans son livre Le N’DOEP, Transe thérapeutique chez les Lébous du Sénégal, Oumar NDOYE soutient que les Lebou sont le fruit d’une mixité ethnique. Ce qui fait qu’en réalité, il serait très difficile de les catégoriser dans une ethnie précise. Même s’ils se rapprochent des wolofs et sont parfois même considérés comme un sous-groupe de l’ethnie wolof, certaines sources attribuent l’antériorité des Lebou sur l’ethnie wolof. Ce groupe «ethnique» se retrouve au Sénégal et reste attaché à sa tradition et à toutes les pratiques socio-culturelles qui s’y rattachent. C’est dans ce sens que dans leur cadre d’évolution, c’est-à-dire dans leur système social, existe un aspect très important qui, dans une certaine mesure, rythme leur vie.

En effet, ce qui caractérise ce groupe social, c’est surtout son rapport au sacré, et cela il le partage avec d’autres ethnies du Sénégal comme l’ethnie sérère. C’est en ce sens qu’ : « Ils ont en commun l’institution familiale et un fond religieux animiste ». Ces deux aspects se retrouvent dans le système Lebou et sont intimement liés à la pratique du culte traditionnel.

Le ndeup est un aspect de cette religion traditionnelle Lebou, que l’on pourrait qualifier d’animiste si l’on s’en tient aux aspects extérieurs, mais religion qui a ses particularités. C’est pourquoi certains penseurs comme M.C. et Ed. ORTIGUES soutiennent que : « La religion animiste telle qu’elle se présente au Sénégal n’est pas un polythéisme. Elle invoque un Dieu Unique bien que le culte s’adresse principalement à des génies, des esprits ancestraux appelés rab en wolof et pangol en sérèr » .

Toutefois, ce qui fait l’originalité du ndeup est à chercher ailleurs, autrement-dit, ce qui la fonde ne se laisse pas voir et est recouvert d’un voile de sacralité qui la rend indicible. Qu’est-ce-qui donne à la religion traditionnelle Lebou, que l’on peut aussi appeler culte des rab sa force ? Malgré la modernité qui, tous les jours, agresse les structures sociales des sociétés africaines, pourquoi cette pratique survit-elle toujours ?

Approche définitionnelle des concepts

Il s’agira surtout d’essayer de définir ce que l’on entend par « métaphysique » et par « ndeup ». Dans le cadre de notre étude, doit-on seulement définir la métaphysique telle qu’elle se présente à comme un héritage et un de la tradition occidentale, par exemple l’appréhender à partir du modèle aristotélicien ? Ou, nous faut-il seulement tenir compte de nos réalités pour aborder la question ? Pour ce qui est du ndeup, il s’agira de voir à quoi il consiste, et surtout de dégager ses fondements.

Qu’entend-on nous par métaphysique ? 

Chercher à trouver une approche définitionnelle renvoie tout simplement à se poser la question complexe : qu’est-ce-que la métaphysique ? La question de la définition de la métaphysique est très ancienne. Déjà, depuis les anciens grecs, la question de l’origine du Monde et des phénomènes se posait. Ils cherchaient à définir l’origine des choses à travers les quatre éléments que sont l’eau, la terre, le feu et l’air. Ceux qui les suivront chercheront à leur tour à trouver la cause ou les causes de tous les phénomènes à partir d’explications diverses. Et, déjà l’intérêt accordé par ces philosophes aux choses qui allaient au-delà du monde physique était une manifestation du désir d’interroger ce qui nous était étranger. Aristote, dans ses écrits, définit la métaphysique comme la science de l’être en tant qu’être ou ontologie, et comme la science de l’Etre Suprême ou théologie. Elle est cette science qui consiste à rechercher la cause première de toute chose.

La métaphysique serait la science de l’Etre et ce dernier peut s’entendre de plusieurs manières. D’où, son caractère polysémique. Aristote, pour mieux approfondir sa réflexion, attribue à l’Etre des catégories qui lui sont spécifiques. C’est dans ce sens qu’il dit : « L’Etre proprement dit se prend en plusieurs acceptions : nous avons vu qu’il y avait d’abord l’Etre par accident, ensuite l’Etre comme vrai auquel le faux s’oppose comme Non-Etre ; en outre il y a les types de catégories, à savoir la substance, la qualité, le lieu, le temps et tous les autres modes de signification analogiques de l’Etre » . Cette approche aristotélicienne de la métaphysique sera celle en vigueur dans les modes de pensée occidentale.

Apparemment cela semble ne pas être le cas. En effet, Abbé Alexis KAGAME, dans son ouvrage La Philosophie Bantu-rwandaise de l’Etre s’évertuera à montrer que la démarche aristotélicienne ne saurait être appliquée à tous les systèmes. Et cette idée se retrouve dans ces propos de KAMA : « Il ne servirait à rien d’adapter à la culture bãntu les données des traités classiques. Il faut donc reconnaître le rôle de la philosophie classique, mais s’en servir comme d’un instrument pour atteindre un but différent » . Au-delà de la problématique soulevée par KAGAME, la question essentielle est de prendre conscience qu’il s’agit d’appréhender la question métaphysique en fonction de sa propre culture et ne pas l’adapter aux données des traités classiques, c’est-à-dire celles de la conception occidentale, donc aristotélicienne. Il va montrer que les catégories développées par le Stagirite ne peuvent pas fonctionner dans les modes de pensée africaine. Aux dix catégories d’Aristote, il oppose les quatre catégories fondamentales de la pensée rwandaise que sont :

– Muntu : l’existant d’intelligence (homme)
– Ikuntu : l’existant sans intelligence (la chose)
– Ahantu : l’existant localisateur (lieu- temps)
– Ukuntu : l’existant modal (manière d’être de l’existant)

Ces quatre modes diffèrent totalement de ceux définis par Aristote, ce qui laisse penser que chaque système peut à partir de sa conception définir ses modalités et ses catégories. Pour KAGAME : « La source la plus important que nous utilisons, est constituée par la linguistique» . Ce qui montre l’importance de la parole dans les systèmes de pensée africaine. Et cet aspect de la question se trouve dans la quasi totalité des religions traditionnelles africaines. Cette dimension linguistique est un élément fondamental dans le processus d’appréhension des religions traditionnelles africaines. Ce qui laisse apparaître une forte imprégnation de la culture dans le champ du religieux.

On le voit donc, la question de la définition de la métaphysique demeure complexe en ce sens qu’elle fait face à la difficulté de lui trouver une univocité. Ce qui laisse croire que la métaphysique renvoie tout simplement à des objets qui sont éloignés de notre perception sensible, et elle peut être sujette à plusieurs interprétations. Le caractère non-univoque de la métaphysique nous autorise à penser que dans l’espace négro-africain toute chose peut avoir dans son essence une valeur métaphysique qui la fonde.

Le Noir a une vision du monde, des choses et des réalités qui intègre un champ sémantique assez large. On y trouve des relations avec les êtres invisibles, les esprits, les mânes, les ancêtres et enfin la relation avec le Dieu Suprême. Dans sa quête du sacré, l’homme-africain fait intervenir plusieurs déités que l’on pourrait qualifier d’intermédiaires avec la divinité suprême qui est très éloignée. C’est ainsi que pour A. Hampaté Bâ : «Entre le Sacré Suprême, inaccessible, et l’homme, s’étend tout un Sacré médian qui prend source et appui dans le Sacré Suprême, et à son tour se déverse en forces fastes ou néfastes sur l’univers, par l’entremise de certains agents» .

L. V. Thomas, confortant les propos de Hampaté BÂ affirme que : « […], ce qui devient objet de culte, ce sont les réalités, supports des forces éminentes, susceptibles de renforcer l’homme et le groupe social, et qui, sans être Dieu, se représentent comme des manifestations directes de la force de Dieu » . Tout est objet de métaphysique, la parole, la danse, et même les signes. Le rapport de l’homme Noir à la chose métaphysique est plus prégnant que chez le blanc. Ce dernier essaie de trouver la rationalité en toute chose, et face à certains phénomènes, il tente d’apporter une réponse qui trouve son fondement dans la raison et cela est un legs de la tradition philosophique occidentale. C’est ainsi que, pour un philosophe comme Descartes, la raison peut nous permettre d’expliquer tout phénomène.

Qu’est-ce-que le ndeup ? 

Tenter de définir ce terme wolof équivaudrait d’abord à se saisir de son sens, et ensuite d’en dégager la portée métaphysique. En effet, le sens premier qui se laisse saisir à partir d’une compréhension lacunaire du mot ne suffit pas à traduire son sens véritable. Ce terme est plein de sens, et à lui seul traduit toute la symbolique d’une pratique traditionnelle. Le sens véritable du mot prête à équivoque. Si l’on se réfère aux propos d’Omar NDOYE : «Le mot N’döep signifie recouvrir. Les Lébous disent que ce rituel s’appelait ainsi à cause des tam-tams d’eau qui servaient autrefois de section rythmique dans des danses de possession» . Cette définition de NDOYE ne coïncide pas avec celle beaucoup plus métaphysique que donne El Hadji Omar Ngalla GUEYE historien traditionnaliste établi à Yoff, village traditionnel Lebou.

Au cours des recherches qui ont été menées dans ce village traditionnel Lebou, ce notable Lebou nous a donné une version qui donne à ce concept un sens beaucoup plus profond. Pour lui, le mot ndeup renvoie surtout à un processus de retour. Mais de quel retour s’agit-il ? C’est là toute la portée métaphysique qu’il donne au sens du mot. Pour lui, le retour dont il s’agit ici est celui des différentes parties du corps du possédé. Il y a ici une double lecture que l’on peut faire de ces propos. D’abord nous pouvons y voir une forte présence d’une valeur ontologique et d’autre part une valeur linguistique qui est donnée au mot. En effet, dans la langue wolof « dëep na » veut dire soit « je suis revenu » au sens où le sujet était allé quelque part, soit « je retourne » au sens où le sujet retourne quelque chose, un objet, comme s’il s’agissait par exemple de retourner le couvercle d’une marmite. Selon notre source, chez les Lebou, l’utilisation de la consonne « n » devant certains mots permet de donner un autre sens au mot. C’est cela qui fait que l’on prononce ndeup. D’où la portée linguistique à laquelle faisait référence KAGAME.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I : Le ndeup dans le système social Lebou
I-1- Approche définitionnelle des concepts « métaphysique » et « ndeup »
I-1-1. Qu’entend-on nous par métaphysique dans ce contexte ?
I-1-2. Qu’est-ce que le ndeup ?
I-2- Identification des aspects sociaux du « ndeup »
I-2.1. Le culte des rab dans la société Lebou
I-2.2. L’esthétique du ndeup
I-3- La symbolique de la parole dans le ndeup
I-3-1 La parole : au-delà de la fonction communicationnelle
I-3-2 La parole mode d’interpellation du sacré
PARTIE II : La transcendance de l’être
II-1- La conversion du soi
II-1-1. La perte du soi au profit de l’autre
II-1-2. La reconnaissance du soi par l’unification à l’autre
II-2-. Le symbolisme dans le ndeup
II-2-1. Le rôle des images-symboles dans le ndeup
II-2-2. La Symbolique de la mort
II-3- La question de l’actualité de la pratique du ndeup
II-3-1. De la pertinence du culte dans le contexte actuel
II-3-2. De la fonction sociale du ndeup dans la société Lebou
CONCLUSION

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