De grands défis environnementaux et sanitaires
Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), rendu public en octobre 2018, confirme de manière quasiment incontestable que les activités humaines sont la principale cause du réchauffement climatique actuel [GIEC 2018]. Il confirme également que l’objectif de limiter la hausse moyenne des températures à l’échelle du globe à 1, 5°C d’ici 2100, qui avait été fixé au cours de la COP 21 à Paris en 2015, sera difficile à respecter. En effet, comme l’illustre la Figure I.1, en 2017-2018 ce réchauffement atteignait déjà 1°C. Aussi, les experts du GIEC exposent des pistes pour tenter de respecter l’objectif de 1, 5°C afin de limiter au maximum les conséquences négatives qui affecteraient les espèces vivantes animales et végétales. Ainsi, le GIEC insiste sur la nécessité de réduire drastiquement la demande en énergie des bâtiments, de l’industrie et des transports. En parallèle, pour compléter cette première recommandation, des experts tels que Jean Jouzel, glaciologue, climatologue et ancien vice-président du Groupe scientifique du GIEC, préconisent l’utilisation de procédés ou de matériaux, comme les biosourcés, capables de capturer le dioxyde de carbone atmosphérique, de trois scénarios de réduction des émissions de GES [GIEC 2018] un des principaux GES . Le secteur du bâtiment qui est pointé du doigt dans ce rapport, représente pour la France 22% des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et 45% de l’énergie finale consommée en France [ADEME 2018a]. En effet, deux tiers des logements résidentiels du parc bâti ont été construits avant 1974 en l’absence de toute réglementation thermique [PACTE 2017]. Le secteur du bâtiment contribue donc de manière significative au phénomène de réchauffement climatique. Par ailleurs, ces problématiques ne sont pas les seules à concerner le secteur du bâtiment. En effet, la qualité de l’ambiance intérieure, notamment le confort acoustique et le confort hygrothermique, sont également impactés par la mauvaise isolation du parc bâti ciblée par le rapport PACTE de 2017. Comme nous passons en moyenne 80% de notre temps dans des environnements intérieurs [ADEME 2018b], ces problématiques ont donc un impact direct sur la santé des occupants. En ce qui concerne les nuisances sonores, 86% des Français déclaraient en 2014 être gênés à leur domicile. Les principales sources sont le bruit des transports et les bruits de voisinage [IFOP 2014]. Le coût sur la santé de chacune de ces nuisances sonores est estimé à 11, 5 milliards d’euros par an en France selon une étude diligentée en 2016 par le Conseil National du Bruit (CNB) et l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) [CNB & ADEME 2016]. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quant à elle, évalue pour l’Europe à 903000 le nombre d’années de vie en bonne santé perdues en raison d’une exposition à des bruits excessifs notamment pendant les périodes de sommeil. Ainsi, face à ce constat relativement négatif pour le secteur du bâtiment, l’État français a décidé d’apporter des réponses en s’appuyant sur le développement d’un dispositif réglementaire.
Une influence limitée des cultures sur l’exploitation des sols
Le chanvre industriel ou Cannabis Sativa L., présenté à la Figure I.3(a), appartient à la famille des Cannabaceae. Le lin ou Linum ursitatissimum L., présenté à la Figure I.3(b) appartient pour sa part à la famille des Linaceae. Le chanvre et le lin sont des plantes à culture annuelle qui présentent de nombreux atouts. En effet, leur introduction contribue à l’allongement et à la diversification de la rotation des cultures, en stoppant notamment le cycle des maladies. De plus, leur densité de peuplement élevée et leur vitesse de croissance rapide permettent une couverture totale du sol, réduisant les risques d’érosion et leur conférant un fort pouvoir étouffant contre les adventices. Ainsi, ces cultures laissent une parcelle propre et un sol meuble pour la culture suivante. Enfin, elles ne nécessitent pas de traitements phytosanitaires et sont résistantes aux ravageurs. Le chanvre se distingue plus particulièrement car il n’y a pas de restrictions concernant sa rotation sur une même parcelle, alors que pour le lin, il est nécessaire d’attendre cinq à six ans avant de le cultiver à nouveau sur une même parcelle. Les seules contraintes réelles de ces deux cultures concernent les sols et les conditions de semis. En effet, pour assurer un bon développement des plantes, il est préférable d’utiliser des terres bien drainées, riches en réserves humiques et minérales, ainsi qu’un sol réchauffé et ressuyé au moment du semis. La dose de semis, faible ou forte, favorisera soit le rendement des graines, soit le rendement des fibres et la facilité de défibrage. En 2018, les cultures de chanvre et de lin en France représentaient respectivement 16 400 ha 8 et 98 300 ha . En ce qui concerne leur répartition, la culture du chanvre est présente principalement en Ile de France, dans le Nord-Est et l’Ouest de la France. Pour sa part, la culture du lin est essentiellement située en Normandie et dans le Nord de la France. Il est à noter qu’il existe également une filière de lin oléagineux cultivé pour ses graines. Elle représentait, en 2017, une surface cultivée de 28 700 ha répartie sur l’ensemble du territoire mais avec deux pôles principaux situés dans le centre de la France et dans le Sud-Ouest. Cependant, contrairement à la filière du lin fibre, les tiges sont très rarement valorisées [Inovia 2017]. Ainsi, même si les surfaces de ces cultures tendent à progresser depuis quelques années, avec +10% en 2017 et +5% en 2018 pour le lin 10 et +50% pour le chanvre depuis 2013 11, elles restent faibles par rapport à celles de l’agriculture nourricière. En effet, elles correspondent à 0, 06% de la Surface Agricole Utile (SAU) pour le chanvre et 0, 34% pour le lin. Ces surfaces offrent néanmoins des opportunités en termes de captage du dioxyde de carbone (CO2) présent dans l’atmosphère.
Des process de fabrication spécifiques aux laines végétales
Une fois la première étape de traitement mécanique réalisée, les fibres peuvent être utilisées en vrac sans subir de process de consolidation, comme l’illustre la Figure I.9. On parle alors de matériaux non tissés et non consolidés qui peuvent être utilisés en isolation du bâtiment pour remplir les vides de construction, comme les combles par exemple. Les non-tissés consolidés sont, pour leur part, obtenus à partir de process de fabrication qui vont permettre de lier les fibres entre elles. Il est alors possible de mettre en œuvre des procédés de fabrication selon deux voies, la voie sèche et la voie humide. La voie humide concerne les techniques utilisant des liants chimiques comme des résines composites. Pour sa part, la voie sèche comprend deux process différents. Le premier, appelé aiguilletage, consiste à réaliser un enchevêtrement des fibres à l’aide d’un réseau d’aiguilles crantées. Il est utilisé pour la fabrication de feutres, de voiles et de tapis minces pouvant être utilisés comme sous-couche dans l’enveloppe du bâtiment afin notamment d’isoler des bruits d’impacts [Glé 2013], comme l’illustre la Figure I.10(a). Le second est un procédé thermique appelé thermoliage qui va permettre de fabriquer des panneaux d’isolants semi-rigides avec des épaisseurs plus importantes, comme l’illustre la Figure I.10(b). Des fibres polymères bicomposantes (en général de 10% à 20% en masse du matériau) présentées à la Figure I.11(a), en polyester ou polyéthylène, composées d’une enveloppe externe autour d’un noyau central sont alors mélangées aux fibres végétales. Cette première étape de préparation comprend également la coupe, le nettoyage et le mélange des différents types de fibres. Cette étape permet de sélectionner le ou les types de fibres végétales, en général de un à trois (exemple : chanvre-lin, bois-kénaf, chanvre-lin-coton, etc.), ainsi qu’une plage de diamètres des fibres en écartant les éléments les plus grossiers. Elles sont ensuite transportées entre les différents dispositifs de la ligne de production par un réseau de conduites à air, avant d’être préparées pour constituer des nappes. C’est cette étape qui conditionne l’orientation des fibres [Kueny 2013]. Une fois superposées en nappes successives, elles sont chauffées à une centaine de degrés Celsius. L’enveloppe des fibres bicomposantes polymères, ayant une température de fusion plus basse que son noyau, fond afin de créer des points de connexion entre elles et constituer ainsi une matrice assurant la cohésion des panneaux de fibres, comme l’illustre la Figure I.11(b). De plus, du fait de ce process de fabrication qui superpose des couches de fibres, on peut s’attendre à ce que les panneaux de laines végétales présentent un caractère anisotrope. Il est également possible de fabriquer des panneaux de laines multicouches notamment en vue d’une utilisation en dalles de faux-plafonds. Un panneau de laine monocouche peut alors être associé à des parements d’épaisseurs plus faibles mais ayant des densités plus élevées. L’ajout de parements va permettre d’augmenter la résistance à la flexion des panneaux de MEB sur une laine de chanvre laines et d’optimiser ses performances acoustiques [Glé 2013].
Une conductivité thermique de squelette bien mal connue
Les propriétés thermiques des matériaux gouvernent les échanges thermiques qui se produisent dès lors que l’équilibre thermodynanique n’est plus assuré, c’est-à-dire lorsqu’il y a un écart de température au sein du matériau ou entre le matériau et son environnement. Il existe trois types d’échanges thermiques : la conduction, la convection et le rayonnement. Dans le cadre de la thèse, ce sont les propriétés liées à l’isolation thermique des matériaux qui sont à prendre en compte. C’est donc la conductivité thermique, permettant de quantifier la capacité des matériaux à conduire la chaleur, qui est retenue. Néanmoins, comme cela est explicité plus tard dans le mémoire à la Section 2.2.1 de ce chapitre, chaque mode de transfert thermique peut être décrit sous forme d’une conductivité thermique. La conductivité thermique équivalente d’un matériau, notée λeq, représente la conductivité globale déterminée à partir de la somme des conductivités thermiques issues de chaque mode de transfert de chaleur. Généralement la contribution principale provient de la conductivité thermique par conduction [Bankvall 1973, Langlais & Klarsfeld 1997, Bories et al. 2008]. Elle dépend des conductivités thermiques de la phase fluide, notée λf et de la phase solide, notée λs. Aussi, on peut s’attendre à ce que la valeur de λs varie en fonction du type de fibres constituant la phase solide. Néanmoins, très peu de valeurs sont disponibles dans la littérature. Ainsi, seules des valeurs pour des fibres de chanvre, de coton et de bois ont pu être identifiées. De plus, la majorité des valeurs présentées n’ont pas été obtenues par des caractérisations expérimentales mais par l’utilisation de modèles et donc de manière indirecte. C’est le cas notamment pour le chanvre dont la valeur a été calculée à partir de particules de chanvre [Nguyen et al. 2016]. Dans ces travaux, les hypothèses d’orthotropie des fibres et de géométrie cylindrique sont faites à l’échelle locale [Lux 2005]. Deux valeurs spécifiques de conductivité thermique sont donc déterminées. La première correspondant à une conductivité thermique longitudinale, parallèle à l’axe longitudinal des fibres, notée λ//s et la seconde correspondant à une conductivité thermique transversale, perpendiculaire à l’axe longitudinal des fibres, notée λ⊥s. Les différentes valeurs pour les fibres végétales sont présentées dans le Tableau II.7. Il faut par ailleurs être prudent avec les valeurs identifiées dans la littérature qui peuvent être utilisées pour des types de fibres différents. En effet, les travaux menés par exemple dans [El Sawalhi et al. 2016] s’appuient sur des valeurs pour les fibres de chanvre qui proviennent de travaux initialement réalisés sur le bois [Siau 1984].
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Table des matières
Préambule et structure du mémoire
I Contexte et principaux enjeux liés aux laines végétales du bâtiment
1 Le contexte
1.1 De grands défis environnementaux et sanitaires
1.2 Les mesures réglementaires engagées
2 La filière des laines végétales du bâtiment
2.1 La culture des plantes à croissance rapide pour le stockage de CO2 atmosphérique
2.2 Les méthodes d’obtention et de premiers traitements des fibres conduisant à la fabrication des panneaux de laines végétales
2.3 Une part de marché qui reste faible malgré des performances rivalisant avec les isolants fibreux conventionnels
3 Construction de la thèse
3.1 Identification des verrous scientifiques relatifs aux performances des laines végétales
3.2 Problématique de la thèse
3.3 Les objectifs de la thèse et la démarche scientifique mise en œuvre
II État de l’art : Identification des méthodes de modélisation des propriétés acoustiques et thermiques liées aux spécificités des fibres et des laines végétales
1 Des caractéristiques et des spécificités propres aux fibres et aux laines végétales
1.1 La classification des laines et des fibres végétales
1.2 Les spécificités des fibres végétales lignocellulosiques
1.3 L’influence de la nature et de l’organisation des fibres
2 Les laines végétales : des matériaux aux propriétés multifonctionnelles
2.1 Des propriétés acoustiques liées à une microstructure dissipative
2.2 Des propriétés en isolation thermique conférées par une porosité élevée
2.3 Les propriétés mécaniques des laines végétales
3 L’identification de méthodes de modélisation en vue d’une approche micro-macro conjointe acoustique et thermique pour les matériaux fibreux
3.1 Une approche conjointe acoustique et thermique relativement peu développée
3.2 Les différentes approches pour la modélisation des propriétés acoustiques et thermiques
3.3 Les modèles de références concernant le comportement élastique et la compression des matériaux poreux
4 Conclusion
III Caractérisation et modélisation des performances acoustiques des laines végétales
1 Présentation des fibres et des matériaux de la thèse
1.1 Les panneaux de laines végétales
1.2 Les fibres végétales
2 Caractérisation expérimentale du squelette des matériaux
2.1 Caractérisation des distributions de rayons de fibres
2.2 Masse volumique et porosité des fibres du squelette des matériaux
2.3 Résistance à l’écoulement de l’air
2.4 Tortuosité, longueurs caractéristiques et perméabilité thermique
3 Caractérisation expérimentale des propriétés acoustiques
3.1 Protocoles expérimentaux mis en œuvre
3.2 Evaluation de l’influence de l’humidité sur les propriétés acoustiques
3.3 Résultats et analyses des caractérisations expérimentales
4 Modèle d’homogénéisation acoustique s’appuyant sur deux types de fibres
4.1 Elaboration du modèle
4.2 Validation du modèle à deux tailles de fibres
4.3 Optimisation de l’absorption acoustique
5 Analyse et prise en compte des comportements limp et élastique de la phase solide
5.1 Comportement limp
5.2 Comportement élastique
6 Influence de la compression sur les performances acoustiques des laines végétales
6.1 Adaptation des dispositifs expérimentaux
6.2 Résultats et analyses des caractérisations expérimentales
6.3 Modélisation des phénomènes de compression 1D
7 Conclusion
IV Caractérisation et modélisation des performances thermiques des laines végétales
1 Dispositifs utilisés et protocoles mis en œuvre pour la caractérisation expérimentale
1.1 Dispositifs en régime transitoire
1.2 Développement d’un dispositif expérimental en régime stationnaire
1.3 Présentation et analyse des résultats expérimentaux
2 Influence de la masse volumique sur les performances thermiques des laines végétales
2.1 Adaptation des dispositifs et protocoles expérimentaux
2.2 Résultats et analyses des caractérisations expérimentales
2.3 Influence de la compression sur les performances thermiques des laines végétales
3 La caractérisation expérimentale de l’influence de l’eau sur les performances thermiques des laines végétales
3.1 L’influence de l’humidité relative sur la teneur en eau des matériaux
3.2 Caractérisation de la célérité de sorption et de désorption
3.3 Evaluation de l’influence de la présence d’eau au sein des matériaux sur leurs performances thermiques
4 Méthode HAC cylindrique en statique pour la détermination des propriétés thermiques des matériaux fibreux
4.1 Modélisation de la conductivité thermique
4.2 Comparaison de la modélisation HAC avec les résultats expérimentaux
4.3 Eléments de discussion sur les limites du modèle HAC cylindrique
5 Prise en compte du transfert par rayonnement thermique dans l’approche de modélisation
5.1 Modélisation du transfert thermique par rayonnement
5.2 Couplage du rayonnement à la modélisation HAC cylindrique
6 Conclusion
V Approche conjointe de modélisation acoustique et thermique par Homogénéisation Auto-Cohérente
1 Etablissement des lois macroscopiques à partir de l’HSP
1.1 Hypothèses de base
1.2 Relations à l’échelle locale
1.3 Prise en compte de la condition de séparation d’échelles
1.4 Utilisation de développements asymptotiques
1.5 Résolution des équations par formulation variationnelle
2 Méthode « HAC cylindrique dynamique » pour la détermination des propriétés acoustiques des matériaux fibreux
2.1 Elaboration du motif générique
2.2 Développement de l’approche HAC cylindrique dynamique
2.3 Validation de l’approche HAC cylindrique dynamique
3 Lien entre la modélisation HAC cylindrique et les modélisations fluide-équivalent
3.1 Identification des paramètres liés aux effets visco-inertiels
3.2 Identification des paramètres liés aux effets thermiques
4 Synthèse et analyse de l’approche conjointe acoustique et thermique
4.1 Identification d’une procédure conjointe acoustique et thermique
4.2 Application de la procédure conjointe de modélisation des propriétés acoustiques et thermiques
4.3 Possibilité d’optimisation conjointe des performances acoustiques et thermiques
5 Conclusion
Conclusion générale et perspectives
Références bibliographiques
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