La problématique grandissante des changements climatiques, avec ses conséquences sur les ressources du milieu, est considérée aujourd’hui comme étant le principal frein au développement de nombreuses régions dans le monde. En méditerranée, l’agriculture demeure le secteur le plus directement menacé par ces changements. La diversité des sols, la variabilité interannuelle du climat et le tarissement de la ressource en eau non renouvelable, ou très peu renouvelable, contribuent fortement à l’instabilité des rendements dans cette région, tout particulièrement sur la rive sud où l’agriculture pluviale prédomine encore. Dans ces régions où la ressource en eau est naturellement limitante alors que les consommations anthropiques croissent, raisonner un système de culture et optimiser sa gestion pour régulariser la production annuelle et sa performance, ont un impact non négligeable sur la ressource disponible. Une telle gestion reste cependant d’autant plus difficile que la conduite d’un tel système dépend de nombreux facteurs exogènes aux exploitants agricoles et sur lesquels il n’ont pas prise. Le facteur climatique, aux échelles qui nous intéressent, est celui qui, de tous, présente le plus de sensibilité et de variabilité de tous et pour lequel on doit chercher à s’adapter au mieux.
C’est le cas, à titre d’exemple, de la plaine de la Mitidja où le cumul des précipitations annuelles varie du simple au quadruple (Figure 1a), passant de 300 mm (valeur caractéristique des zones semi arides) à près de 1200 mm (valeur caractéristique des zones tempérées) avec en moyenne 655mm/an. Compte tenu du cumul annuel d’évaporation très peu variable dans cette région, centré autour de 1200 mm, la période humide s’étale sur six mois (saison d’automne et d’hiver) pour les années les plus arrosées, soit pour une année sur cinq (Figure 1b, courbe bleue) mais est réduite à trois mois seulement (saison d’automne) pour une année sur deux (Figure 1b, courbe en noir) et disparaît totalement durant les années sèches, soit une année sur cinq (Figure 1b, courbe en rouge) .
BILHYNA : Rappels des bases physiques du modèle
La description et la représentation des différents processus physiques et biologiques d’un système cultural, souvent traduit sous forme de programmes informatiques appelés modèles, permettent de décrire qualitativement et quantitativement l’évolution spatiotemporelle de ses principales caractéristiques. En agronomie, le système en question est constitué en général d’une surface appelée sol, recouverte le plus souvent par une couverture végétale évoluant sous l’effet de conditions imposées, appelées « variables de forçages » et représentées généralement par les conditions climatiques et les pratiques agricoles (Figure 2). Modéliser le bilan hydrique exige non seulement la prise en compte de nombreux processus mais aussi de leurs interactivités. Son évolution se trouve alors directement soumis à un ensemble de facteurs : (1) ceux relatifs au forçage climatique dont les éléments moteurs sont la pluie, le vent, l’humidité relative de l’air, la température de l’air et le bilan radiatif ; (2) ceux relatifs au sol et au sous-sol et aux paramètres et grandeurs qui caractérisent les états physique et hydrique) ; (3) enfin ceux relatifs à la culture, principalement la couverture végétale dont le fonctionnement et l’évolution conditionnent fortement les échanges entre l’atmosphère et le sol (échanges radiatifs et convectifs de masses et de chaleurs) et sa sensibilité aux stress environnementaux liés au milieu.
Bien sûr cette analyse est sous la dépendance globale des interventions humaines à travers les pratiques agricoles, et en particulier des interventions techniques relatives à la préparation du sol, mais aussi à la conduite de la culture.
Si le système végétal, par son développement continu, conduit à une réduction considérable des pertes en eau de la surface du sol par évaporation il augmente en revanche les échanges entre sa surface et l’atmosphère à travers une transpiration souvent beaucoup plus importante. D’autres processus du bilan tels que l’infiltration, le ruissellement de surface et la captation, se trouvent alors fortement conditionnés par le développement de ce système au point que tout modèle de bilan hydrique doit impérativement prendre en compte la couverture végétale, non seulement en tant que paramètre instantané du bilan mais aussi en tant que système dynamique d’évolution à travers la modélisation de sa cinétique de développement.
Les modèles de fonctionnement des cultures dont l’élaboration répond à des objectifs bien ciblés peuvent être abordés de diverses façons, conduisant à des constructions allant d’un simple modèle empirique à des modèles mécanistes plus ou moins complexes (Whisler et al, 1986, Monteith, 1996). L’examen bibliographique riche sur le sujet témoigne du grand intérêt que suscitent les modèles de simulation auprès de la communauté scientifique (Bonhomme et al., 1995), dont les premiers principes ont été énoncés vers le début des années 70. Depuis, on assiste à l’émergence d’un certain nombre de modèles, en particulier dans les pays à forte tradition de modélisation, le plus souvent tournés vers une prévision de la production de biomasse, malheureusement encore très difficile à atteindre et nécessitant de nombreux calages. Beaucoup d’entre eux ont des objectifs plus ciblés pour répondre à des problématiques de recherche plus particulières, mais aux résultats le plus souvent beaucoup plus robustes (ce qui est le cas du bilan hydrique et du modèle faisant l’objet de cette thèse « Modèle Bilhyna »). Ainsi, certains modèles se sont attachés à décrire l’écophysiologie des plantes (Wit., 1978 ; Van Ittersum et al., 2002), alors que d’autres comme CERES (Ritchie et Otter, 1985, Jones et Kiniry, 1986) et la famille des modèles CROPGRO (Boote et al., 1998, Jones et al., 2002) se sont plutôt rapprochés des objectifs agronomiques en prenant en compte certaines pratiques culturales, fertilisation notamment. Si certains modèles comme DAISY (Hansen et al., 1990) et PARTIS (Lafolie, 1991) sont conçus pour l’unique vocation environnementale, d’autres se veulent être des modèles agro environnementaux, visant la prédiction des rendements sous l’effet de certaines pratiques agricoles et leurs répercussions sur l’environnement (Singh and Thornton, 1992). Malgré de grands efforts visant l’adaptation de ces modèles à différentes situations pédoclimatiques et culturales, dans le but d’accroître leur caractère générique, il est indispensable tout de même de réaliser une validation pour toute application à un contexte environnemental nouveau (différent de celui dans lequel ils ont été établis), et cela, avant toute utilisation.
Modèle physique
Schématisation des processus
Trois principaux compartiments d’échanges sont ainsi définis :
* L’atmosphère, représentée par une couche d’air à flux conservatif (∆Z) comprise entre le sommet de la végétation Zh, ou la surface du sol (Zh=0) lorsqu’il n’y a pas de végétation, et sa limite supérieure au niveau de référence (ZR), hauteur à laquelle les grandeurs de forçages climatiques s’appliquent. Cette hauteur de référence se situe à une hauteur telle que les échanges convectifs respectent l’hypothèse de flux conservatifs, soit une hauteur de référence (environ 5/3 de la hauteur de couvert Zh); cette approche nécessite, bien sûr, un recalcul des températures de l’air et de la vitesse du vent (Ta, Tr et U) pour ce niveau de référence, calcul fait par le modèle à partir des données climatiques d’entrée et mesurées à une hauteur propre connue notée ZRo(profil logarithmique pour U(ZR) et pour Ta(ZR) et Tr(ZR) qui dépendent aussi un peu du bilan hydrique d’un gazon, ETMg, placé dans les mêmes conditions).
* La végétation est représentée par une couche d’épaisseur (Zh). En plus de son rôle dans l’interception des eaux de pluies, elle est aussi le siège d’absorption, à la fois de quantité de mouvement (générant les échanges avec la couche d’air à flux conservatif) et d’énergie radiative nette.
* Le sol, divisé en n couches, est défini selon trois compartiments appelés horizons: (i) la zone supérieure labourée où l’essentiel de l’eau utilisée par la plante est rendue disponible grâce aux racines qui colonisent de façon homogène et optimale ce volume mais dans laquelle se développe en surface une zone sèche par rapport à l’air (mulch) résultant de l’évaporation de la surface du sol, (ii) la zone sous-jacente non labourée, toujours accessible aux racines mais dont la densité décroît avec la profondeur, rendant donc la disponibilité de l’eau utile pour la plante de plus en plus faible (iii) enfin, une zone tampon profonde introduite pour rendre possible des échanges par diffusion avec la zone racinaire et mieux préciser les flux profonds (Drainage) qui quittent le système (horizon dans lequel les racines ne se développent pas). Cette zone peut aussi être celle du battement d’une nappe surmontée d’une zone de remontée de la frange capillaire et permet une réalimentation vers la couche racinaire sus-jacente .
La gestion des processus d’échanges est largement dépendante des surfaces d’échanges et donc du suivi de la surface végétative, suivi à la fois de la surface de feuilles, de la hauteur du couvert (LAI pour une hauteur Zh) et de la profondeur racinaire (Zr). Ces grandeurs modulent les processus d’échanges, d’une part avec l’atmosphère et d’autre part avec le sol. Les équations utilisées dans le modèle, tirées de processus physiques mathématiquement bien formulés, traduisent en particulier le bilan d’énergie et ses échanges radiatifs et convectifs en couplage avec le bilan hydrique. Cette approche intègre, de façon assez complète, à la fois le fonctionnement du sol et de la végétation. Ce modèle (voir schéma) prend en compte bien sûr la répartition des apports d’eau entre captation, infiltration, et remontées par diffusion ou capillarité, et les pertes que sont le ruissellement, l’évaporation du feuillage et le drainage. Le stock d’eau du sol résultant alimente l’évaporation de la surface du sol et à travers le fonctionnement des plantes, la transpiration. Ce double bilan (énergétique et hydrique), modulé par l’état du couvert du jour (voir chapitre II) est soumis aux grandeurs de forçage climatique, et aux capacités des différentes couches de sol à transférer de l’eau soit entre elles (rediffusion selon la loi de Richards), soit vers les racines.
L’objectif est de gérer pour des raisons pratiques ces bilans en vue de répondre aux besoins des agriculteurs et des gestionnaires des espaces.
– L’échelle temporelle d’application est le cycle cultural avec un pas de temps journalier relativement bien adapté à ces besoins de gestion et surtout aux processus utilisés et aux données de forçages climatiques indispensables au modèle (valeurs journalières moyennes). Ces valeurs journalières sont les plus couramment disponibles, comme par exemple en zone semi-aride (objectif de cette thèse).
– L’échelle spatiale, compte tenu des objectifs, de la validité des données de forçages (Pluie en particulier) et des processus utilisés, est celle de la parcelle agricole (de quelques ha au km2 ). Cette échelle spatiale, permet aussi à travers la connaissance des exploitations et de leur fonctionnement, d’introduire dans le modèle (calendrier cultural) les rotations les plus aptes à valoriser les disponibilités en eau (via l’irrigation) et, si possible, de rechercher le bilan durable en eau optimum.
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Table des matières
Introduction générale
CHAPITRE I. BILHYNA : Rappels des bases physiques du modèle
I.1. Introduction
I.2. Modèle physique
I.2.1. Schématisation des processus
I.2.2. Modèle de bilan d’énergie
I.2.2.1. Chaleur latente ou évaporation d’une surface,
I.2.2.2. Chaleur sensible d’une surface
I.2.2.3. Expressions générales et Demande climatique (EP)
I.2.2.4. Expressions utilisées dans le modèle
I.2.3. Couplage sol-végétation
I.2.3.1 Système sol
I.2.3.2 La transpiration du couvert
I.2.3.3 Prélèvement d’eau dans le sol par la plante
I.2.3.4 Conclusions couplage sol-végétation
I.2.4. Les bilans d’eau : Apports et devenirs (pluie – irrigation)
I.2.4.1. Intensité de la pluie
I.2.4.2. Les irrigations
I.2.4.3. Interception
I.2.4.4. Infiltration et ruissellement de surface
I.2.4.5. Redistribution entre couches et flux profonds
I.3. Conclusion
CHAPITRE II. Modèle biophysique de développement-croissance
II.1. Généralités
II.1.1. Évolution de la culture et phases de développement
II.1.2. Vitesse de développement au cours d’une phase
II.1.2.1. Définition de la vitesse de développement
II.1.2.2. Définition du temps physiologique
II.1.3. Loi de croissance au sein d’un stade
II.2. Modèle biophysique développement-croissance
II.2.1. Modélisation de la vitesse de développement
II.2.1.1. Généralités
II.2.1.2. Élaboration de la solution proposée pour la vitesse de développement
II.2.1.3. Analyse des variations de la vitesse de développement en fonction de la température optimale des grands types de végétation
II.2.1.4. Illustration
II.2.1.5 Sensibilité du modèle de vitesse de développement
1- Paramétrisation du modèle
2- Sensibilité du modèle
II.2.2. Modélisation de la vitesse de croissance
II.2.2.1. Généralités
1- La croissance cumulée
2- Application de la logistique aux grandeurs (LAI, Z h, ZR)
3- Illustration : cas de l’évolution du LAI et Zh
II.2.2.2. Élaboration de la solution proposée pour le cycle de végétation : croissance (trois phases) et sénescence (une phase)
1- Phase d’installation
2- Phase de développement végétatif (ou foliaire)
3- Phase de palier ou de reproduction (début reproduction à début maturation)
4- Phase de sénescence
II.2.2.3. Illustration de l’évolution du LAI sur le blé d’hiver (les quatre phases) en l’absence de contrainte du milieu (exemple de l’année 1993 dans la Mitidja)
II.3. Stress (contrainte) environnemental et réponse des cultures
II.3.1. Notion de stress ou de contrainte
II.3.2. Facteurs de stress et fonctions de contraintes à la croissance dues au milieu
II.3.2.1. Fonction de contrainte due au manque de lumière (fPAR)
1- Généralités
2- Fonction de contrainte proposée (fPAR)
II.3.2.2.. Fonction de contrainte due au manque d’eau dans le sol (fEAU)
1- Généralités
2- focntion de contrainte proposée (fEAU)
II.3.3 Prise en compte des fonctions de contraintes dans la modulation de la croissance durant le cycle de développement d’un couvert
II.3.3.1 La croissance potentielle (absence de contraintes) de LAIvert, Zh et Zr
II.3.3.2 Modulation de la croissance continue de LAIvert,, Zh et Zr, sous containtes du milieu
1- Réduction de la croissance pour le LAIvert et Zh
2- Augmentation de la croissance pour Zr
3- Illustration des deux modulations de la croissance sous contraintes du milieu :
réduction pour le LAIvert (et donc de Zh) et augmentation de Zr
II.3.3.3 Modulation de la sénescence continue de LAIvert sous contraintes
1- Accélération de la sénescence du LAIvert
2- Illustration de la modulation de la sénescence : accélération de la perte
du LAIvert
II.3.4. Illustration de l’évolution globale du LAIvert du blé : les quatre phases du cycle de développement-croissance
II.4. Prise en compte du modèle biophysique (développement-croissance) dans
Bilhyna..
II.5. Sensibilité du modèle biophysique (développement-croissance) couplé au modèle Bilhyna
1- Paramétrisation du modèle
2- Sensibilité du modèle
3- Conclusion à la sensibilité du modèle et enseignements pratiques à retenir
II. 6. Conclusion au chapitre modèle biophysique
CHAPITRE III. Expérimentation-validation
III.1. Expérimentation
III.1.1. Site expérimental
III.1.1.1 Localisation du site
III.1.1.2. Nature et caractéristiques des sols
III.1.2. Le matériel végétal
III.1.3. Dispositifs, méthodes et conditions expérimentales
III.1.3.1. Dispositifs et protocoles expérimentaux
III.1.3.2. Méthodes et paramètres de mesures
III.1.3.3. Conditions pluviométriques de la période d’essai
III.1.4. Résultats expérimentaux
III.1.4.1. Sorgho
1- Cinétique hydrique
2- Cinétique de croissance
3- Suivi phénologique et développement (temps physiologique en °Cj)
III.1.4.2. Blé
1- Cinétique hydrique
2- Cinétique de croissance
3- Suivi phénologique et développement (temps physiologique en °Cj)
III.1.5. Conclusions à l’expérimentation
III.2. Validation du modèle biophysique (développement croissance)
III.2.1. Validation du modèle de vitesse de développement
III.2.1.1. Culture de Lin
III.2.1.2. Culture de Maïs
III.2.1.3. Culture de Blé
III.2.1.4. Conclusion à la validation du modèle de vitesse de développement
III.2.2. Validation du modèle biophysique (développement-croissance)
III.2.2.1. Introduction
III.2.2.2. Evolution du couvert (LAI, Zh et Zr)
1- Indice de surface foliaire (LAI)
2- Hauteur du couvert (Zh)
3- Profondeur des racines (Zr)
III.2.2.3. Développement et durée physiologique
III.2.2.4. Evolution des stocks d’eau du sol
1- Introduction
2- Bilan global
3- Stock d’eau par traitement et par essai
III.2.2.5. Conclusion à la validation du modèle biophysique (développement-croissance)
III.3. Conclusion au chapitre expérimentation-validation
CHAPITRE IV. Interventions techniques : modèle de prise de décision Labour-semis
IV.1. Module labour et prise de décision
IV.2. Module semis et prise de décision
IV.2.1. Conditions nécessaires à la prise de décision d’un semis
IV.2.2. Base méthodologique d’analyse du risque
IV.3. Application et résultats des simulations (labour-semis)
IV.3.1. Données d’entrée pour le modèle labour-semis
IV.3.2. Résultats pour le module labour
IV.3.3. Résultats pour le module semis
IV.4. Conclusion au chapitre modèle labour-semis
Conclusion générale
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