La complexification des systèmes modernes (robots humanoïdes, voitures électriques, satellites, etc.) entraîne de nombreux problèmes. L’un d’entre eux est la difficulté de modéliser, c.-à-d. de représenter, sous un formalisme mathématique, le système concerné de manière précise et correcte. Un modèle précis d’un système permet de prévoir/estimer la réaction du système à diverses commandes, ou encore de vérifier ou d’étudier des propriétés sur le système. Au contraire, un modèle non précis ou erroné peut entraîner des difficultés à anticiper le comportement du système et peut même engendrer des pertes financières, ou pire, humaines, en cas d’apparition de comportements non prévus, comme une instabilité ou une perte de contrôle. Un exemple peut être une surchauffe ou explosion d’une machine ou encore un manque d’eau dans un réservoir suite à une fuite.
Dans cette thèse, on s’intéresse particulièrement à la prédiction/estimation des réactions du système. Développer la possibilité de simuler diverses « lignes de vie » du système et les comparer à la réalité, peut nous permettre d’identifier la cause d’un comportement non voulu (une faute) et de la réparer avant qu’elle n’engendre des pertes. Il est donc nécessaire, d’une part, d’être capable de déterminer un modèle de ces systèmes complexes, et de l’autre d’être capable de détecter ou d’anticiper les fautes sur ces systèmes. Pour répondre au premier point, de nombreux formalismes existent et permettent de représenter des systèmes relativement simples, mais les systèmes plus complexes soulèvent encore de nombreux challenges. Le second point fait quant à lui intervenir la gestion de santé, qui vise au développement d’outils adaptés pour réduire les coûts liés aux indisponibilités et aux pannes qui peuvent survenir sur le système.
La gestion de santé d’un système passe par la surveillance de la santé d’un système, c.-à-d. la capacité d’estimer (diagnostic) et de prédire (pronostic) l’état de santé d’un système en vue d’effectuer des actions (décision, planification) pour augmenter sa durée de vie. C’est dans ce cadre qu’interviennent les méthodes de diagnostic, qui déterminent l’état courant du système et identifient les causes probables (interaction avec l’environnement, fautes, etc) qui peuvent conduire à l’état déterminé. Les méthodes de pronostic, elles, utilisent l’état courant du système, la connaissance sur la dégradation du système ainsi que les actions futures connues sur le système pour anticiper les fautes et ainsi prédire les futurs états de santé du système. Généralement, le pronostic est associé à la prédiction de la fin de vie, End of Life (EOL), d’un système, date à laquelle le système n’est plus opérationnel, ou à la durée de vie résiduelle, Remaining Useful Life (RUL), qui est la durée restante jusqu’à la fin de vie. Les méthodes de diagnostic et de pronostic permettent donc une idée de l’état de santé actuel du système et une prédiction sur l’état de santé futur du système : c’est ce qu’on appelle le suivi de santé. Il est ainsi possible pour le processus de décision (ou pour l’opérateur) de se baser sur ces états pour maintenir le système en bon fonctionnement, d’où l’importance de la qualité du diagnostic et du pronostic. C’est ce que l’on appellera la gestion de santé.
Cadre de modélisation
Afin de pouvoir contrôler et surveiller de manière précise l’évolution d’un système, il faut être capable de le modéliser de manière précise. De nos jours, avec la complexification des systèmes, il est nécessaire pour les formalismes de modélisation d’évoluer eux aussi. C’est pourquoi un nouveau formalisme, les HtPN, basé sur les réseaux de Petri, sera présenté dans ce chapitre. Le formalisme des HtPN a été créé dans le but de répondre à des besoins particuliers, mais il est aussi capable d’englober ce que font les réseaux de Petri « classiques ».
Le formalisme utilisé doit permettre de modéliser, simuler et surveiller la santé d’un système hybride sous incertitudes. Pour rappel, un système hybride est un système dans lequel des sous-parties purement discrètes, continues ou hybrides (mélangeant les deux) sont liées et communiquent (définition 7). Par exemple, les systèmes cyber-physiques (Napoleone et al. 2020) présentent des composants de différentes natures. Ils intègrent donc des parties ayant des dynamiques différentes les unes des autres. Nous souhaitons disposer d’un formalisme capable de représenter et simuler de tels systèmes. Par ailleurs, les systèmes réels sont intrinsèquement entachés d’incertitudes. Nous souhaitons pouvoir représenter et estimer/suivre les différents types d’incertitude, sur le modèle et sur les observations, suite à du bruit ou des problèmes de communications, par exemple. Les solutions pour modéliser l’incertitude sont notamment le parallélisme et des fonctions de bruit. Le parallélisme peut servir à représenter des incertitudes : dans un réseau de Petri, différents jetons peuvent permettre de représenter différentes hypothèses sur l’état de santé du système, mais aussi de représenter certains types de systèmes complexes, comme les systèmes multi-composants. Enfin, nous souhaitons un formalisme sur lequel nous pouvons développer des fonctions de santé qui donnent des informations sur l’état courant et le fonctionnement du système. À cette fin, le formalisme choisi doit être capable de représenter le vieillissement de systèmes à travers des dynamiques de dégradation par exemple. Ces dynamiques de dégradation doivent pouvoir être fonction de l’état de stress ou des sollicitations appliquées sur le système à un moment donné. Pour résumer, le formalisme choisi doit être capable de : — modéliser, simuler et surveiller des systèmes hybrides composés de sous-parties ayant des dynamiques différentes ; — représenter et suivre l’incertitude sur le système, que ce soit au niveau du modèle ou au niveau des observations ; — suivre l’état de santé d’un système, notamment son vieillissement, à travers une dégradation fonction d’une sollicitation dynamique.
État de l’art sur les formalismes existants
Les automates hybrides
Les automates hybrides ont été définis dans Henzinger 2000 mais une version préliminaire a été présentée en 1996 dans les Proceedings of the 11th Annual IEEE Symposium on Logic in Computer Science (LICS96). Dans les automates hybrides (Alur et al. 1995), chaque état discret représente un état possible de l’automate, c.-à-d. du système. Chaque état est systématiquement associé avec des dynamiques continues qui définissent l’évolution d’un vecteur d’état continu. Cependant, dans cette représentation, un seul état de l’automate peut être actif à la fois. Ceci est donc incompatible, par définition, avec notre besoin de parallélisme. Les transitions sont définies par un ensemble de 5 éléments de la forme (q, Guard, σ, Jump, q’ ), avec q l’état précédant la transition, q’ l’état la succédant, Guard la condition à remplir pour pouvoir franchir la transition, σ l’événement reçu ou émis lors du franchissement de la transition et Jump les changements ayant lieu sur les variables lors du franchissement de la transition (que ce soit une remise à zéro ou une nouvelle valeur). Les concepts de Guard et de Jump nous paraissent très intéressants et prometteurs. Par ailleurs, bien que la composition d’automates, représentant un ensemble de composants, soit possible, il est impossible pour eux de partager un même état. Il est donc impossible de représenter une incertitude sur les observations ou sur l’état actuel du système. On peut toutefois représenter une incertitude sur les dynamiques.
Les réseaux de Petri
Les réseaux de Petri sont souvent utilisés pour la gestion et le contrôle de systèmes de production (Zhou et al. 1992 ; DiCesare et al. 1993 ; Balduzzi et al. 2001 ; Alla et al. 1998). Les réseaux de Petri ont l’avantage d’être intuitifs pour modéliser et spécifier le comportement de systèmes. Ils sont reconnus pour leur compacité et leur utilité dans les processus de prise de décision et de surveillance de système. Ils peuvent aussi être utilisés pour prouver certaines propriétés sur des systèmes. C’est pourquoi cette section va se focaliser sur des formalismes basés sur les réseaux de Petri. Tous ont en commun le principe de places, de jetons et de transitions. L’extension aux réseaux de Petri hybrides permet d’intégrer des aspects hybrides que nous allons détailler dans cette section.
Les réseaux de Petri hybrides
Dans les réseaux de Petri hybrides (Alla et al. 1998), on distingue deux types de places : des places continues, représentées par une ligne double, et des places discrètes, représentées par une ligne simple, comme on peut le voir sur la figure 2.1. Les places P1 et P3 sont des places continues, alors que les places P2 et P4 sont des places discrètes. Les jetons qui se situent dans les places continues sont des nombres réels (8, 2 dans P1 par exemple), alors que les jetons se trouvant dans les places discrètes sont des nombres entiers (1 jeton dans P2, 0 jeton dans P4). Comme les places, il existe deux types de transitions dans ce formalisme. Des transitions continues, représentées sous forme de rectangle (T1 par exemple) et des transitions discrètes, représentées sous forme de trait noir (T2 par exemple). Dans le cas des transitions continues, une quantité de franchissement doit être définie et fonctionne comme un poids porté par les arcs dans des réseaux de Petri « classiques ». Dans l’exemple, T1 doit être associée à une quantité de franchissement qui définira quelle quantité passera de P1 à P3 à chaque tic. Il est possible pour une transition donnée d’être connectée en amont aux deux types de places différents (c’est le cas pour T1 et T2), mais dans ce cas, une place discrète doit toujours être présente en entrée et en sortie de la transition. De plus, les poids sur les arcs entrants et sortants de la transition discrète doivent être identiques. Ceci est visible sur la figure 2.1 avec les transitions T1 et T2. En cas de conflit entre transitions continues et discrètes, la transition discrète est prioritaire. Le concept de parallélisme est applicable étant donné que plusieurs jetons peuvent évoluer simultanément dans le modèle.
Cependant, les places continues des réseaux de Petri hybrides ne sont pas associées à des dynamiques continues. Il est donc impossible de faire évoluer un vecteur d’état continu en fonction de la place du réseau représentant l’état du système et de le surveiller. De même, il n’est pas possible de représenter une notion de vieillissement ou de dégradation du système en fonction du niveau de stress induit par l’état dans lequel il se trouve.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Contexte
1.2 Notions nécessaires
1.3 Contributions et plan du manuscrit
1.4 Publications
2 Cadre de modélisation
2.1 Introduction
2.2 État de l’art sur les formalismes existants
2.2.1 Les automates hybrides
2.2.2 Les réseaux de Petri
2.2.3 Synthèse
2.3 Le formalisme des HtPN
2.3.1 Présentation générale
2.3.2 Règles de tirage
2.4 Application du formalisme des HtPN à différents systèmes
2.4.1 Démarche de modélisation en HtPN
2.4.2 Application à un système de production
2.4.3 Application à un système de trois cuves
2.5 Conclusion
2.5.1 Résumé du chapitre
2.5.2 Limitations et discussions
3 Obtention d’un modèle par apprentissage
3.1 Introduction
3.2 État de l’art sur les méthodes d’apprentissage de modèles
3.2.1 Apprentissage d’un modèle à événements discrets
3.2.2 Apprentissage d’un modèle continu
3.2.3 Apprentissage d’un modèle hybride
3.2.4 Synthèse
3.3 Processus d’apprentissage d’un HtPN
3.3.1 Processus d’apprentissage : vue d’ensemble
3.3.2 Données d’entrée
3.3.3 Prétraitement
3.3.4 Apprentissage structurel
3.3.5 Apprentissage des dynamiques continues
3.3.6 Déclenchement de l’apprentissage pour améliorer un modèle
3.4 Application de la méthode d’apprentissage
3.4.1 Description du système
3.4.2 Données d’entrée
3.4.3 Prétraitement des données
3.4.4 Apprentissage structurel
3.4.5 Apprentissage des dynamiques continues
3.5 Conclusion
3.5.1 Résumé du chapitre
3.5.2 Limitations et discussion
4 Méthode de suivi de santé
4.1 Introduction
4.2 État de l’art sur les méthodes de diagnostic
4.2.1 Approches discrètes
4.2.2 Approches continues
4.2.3 Approches hybrides
4.2.4 Synthèse
4.3 Méthode de diagnostic avancé
4.3.1 Vue globale
4.3.2 Concept de métaplace
4.3.3 Génération du diagnostiqueur
4.3.4 Processus de diagnostic
4.4 Application de la méthode de diagnostic à différents systèmes
4.4.1 Système à événements discrets
4.4.2 Système continu
4.4.3 Système hybride
4.5 Conclusion
4.5.1 Résumé du chapitre
4.5.2 Limitations et discussion
5 Conclusion