Apprentissage de la lecture et troubles « dys »
Le langage oral et écrit
Lire est une activité à la fois motrice et perceptive ; percevoir c’est prélever des indices et les interpréter. L’apprentissage de la lecture est souvent considéré comme le plus compliqué puisqu’il nécessite la mise en place de plusieurs processus et de beaucoup de compétences, notamment la maitrise du langage oral. Cette dernière est permise par l’acquisition des consciences phonologiques et morphologiques, c’est-à-dire que l’enfant doit être capable de « percevoir, découper et manipuler les unités sonores du langage telles que la syllabe, la rime et le phonème » (Savoie, 1995, p.443-455). Pour Morais (1994, p.119), la lecture est la « capacité de reconnaissance des mots écrits, c’est-à-dire la capacité d’identifier chaque mot en tant que forme orthographique ayant une signification et de lui attribuer une prononciation ». La maitrise du langage écrit est indispensable dans le cadre scolaire. L’écriture est un processus multidimensionnel, basé sur la lecture, où différentes composantes peuvent être altérées, entrainant ainsi diverses erreurs qui persistent après un apprentissage normal des habilités motrices (Lussier et Flessas, 2009). Les défaillances des enfants dyslexiques se répercutent donc sur l’ensemble des apprentissages (Plaza et Dansette, 2003). Dans ce sens, on peut citer Crunelle (2010) qui définit les capacités phonologiques comme les prédicteurs les plus fidèles et fiables de l’apprentissage de la lecture puisque le poids des habiletés non-verbales est moindre. Il appuie sa conclusion en démontrant que 80 à 90 % des lecteurs en difficultés ont des habiletés en conscience phonologique déficitaires.
La lecture
Les voies de lecture
D’après Fayol et al (1992), il y a deux voies de lecture : la voie d’assemblage et la voie d’adressage. La voie d’assemblage ou voie phonologique indirecte, passant par le canal auditivoverbal, permet le traitement auditif analytique. La lecture par assemblage réalise un appariement entre les représentations abstraites et l’entrée dans le répertoire orthographique mental, c’est-à-dire que chaque graphème est converti en phonème. Elle permet un traitement des mots non-familiers, des non mots et des mots qui n’ont pas de représentation en mémoire à long terme, c’est-à dire qui ne sont pas mémorisés dans le lexique interne.
La voie d’adressage ou voie lexicale directe, passant par le canal visuel, permet le traitement global des mots lus. La lecture par adressage réalise une segmentation phonologique. Elle permet un traitement rapide des mots écrits familiers et des mots déjà rencontrés, c’est-àdire mémorisés et stockés dans le lexique interne. L’automatisation de ces deux voies permet une utilisation complémentaire et efficace pour le normo-lecteur. Ces deux voies peuvent être schématisées de la façon suivante (figure 1). En prenant l’exemple du mot écrit « chapeau », on voit qu’une lecture par assemblage va intégrer un système de conversion graphème phonème en segmentant, transcodant et assemblant pour arriver à la production orale tandis que la lecture par adressage va, à partir du lexique visuel orthographique, réaliser une reconnaissance globale du mot et à partir du système sémantique s’appuyer sur le lexique oral phonologique pour produire oralement le mot.
Lecture et reconnaissance des mots
La reconnaissance des mots est expliquée par quatre modèles de lecture principaux séparés en deux typologies : les modèles dits développementaux avec le modèle de stades (Frith, 1985), le modèle à double voie (Mc Clelland & Rumelhart, 1981), les modèles connexionnistes et les modèles dits cognitifs. Ils sont à penser conjointement, apportant chacun un point de vue complémentaire aux autres. D’après Uta Frith (1985), il y a trois stades principaux dans la reconnaissance des mots (figure 2). Ils apparaissent successivement, chacun étant une condition nécessaire aux phases ultérieures. Le premier est le stade logographique. C’est la stratégie utilisée en début d’acquisition de lecture. Elle est basée sur la reconnaissance de caractéristiques visuelles ou graphiques saillantes des lettres. Le second est le stade alphabétique. Le décodage séquentiel est possible grâce aux régularités graphophones et à la segmentation. En effet, l’enfant découvre qu’il est possible de segmenter le mot en unité plus petite que la syllabe et comprend l’importance de l’ordre des éléments. Le lecteur associe le phonème au bon graphème ce qui permet le déchiffrage. Ce stade renforce ainsi la conscience phonologique. Le dernier est le stade orthographique. L’enfant réalise une combinaison harmonieuse des fonctions d’assemblage et d’adressage. L’unité de base du traitement de l’information est le morphème, ce qui permet un traitement analytique et systématique. L’accès à la signification passe ainsi par la sémantique verbale.
Le modèle à double voies de Mc Clelland & Rumelhart (1981) est reprit par Coltheart, Rastle, Perry, Langdon et Zieglet (2001) sous le nom de DRC (figure 3). Ce modèle reprend les deux voies de lecture et explique que la première, la voie lexicale , permet le déchiffrage grâce à la correspondance grapho-phonémique. Cognitivement, elle est coûteuse puisqu’elle réalise la lecture de mots réguliers grâce à un répertoire lexical interne. La seconde, la voie phonologique, permet le traitement orthographique en convertissant les graphèmes en phonèmes puis en les assemblant pour amener à la prononciation du mot. Les mots sont identifiés grâce à sa représentation en mémoire. Cognitivement elle est moins coûteuse puisqu’elle permet la lecture des mots irréguliers et réguliers, nouveaux ou inexistants (pseudo-mots). Cependant, ces deux voies sont pensées dépendantes l’une de l’autre puisque le traitement du mot débute de façon identique dans les deux voies.
Dans les modèles connexionnistes, le traitement de l’information s’opère sous la forme d’un grand nombre d’unités élémentaires interconnectées, se transmettant continuellement des signaux. Lorsqu’un individu commence son apprentissage de la lecture, les réseaux neuronaux vont lire en se basant sur la phonologie, c’est-à-dire qu’il y aura une attribution des groupes de lettres à des unités du langage, ce qui permettra la lecture par combinaison de ces unités orales. Au fur et à mesure de l’apprentissage, la reconnaissance des mots passera par des liaisons directes entre groupes de lettres et unités de sens. Chez le normo-lecteur, la lecture est le résultat d’un double processus : la reconnaissance visuelle de groupes de lettres et la traduction phonologique. Chez le lecteur dyslexique, la lecture est déficiente due au mauvais traitement des informations dans la modalité visuelle ou auditive. Les modèles dits cognitifs expliquent que lors du décodage de l’information lexicale, les processus sollicités sont les processus dits bottom-up, qui réalisent le traitement de l’information lexicale à partir de la perception séquentielle des caractères de chaque lettre ou groupes de lettres et ce vers leur association en mot, et les processus dits tops-down qui recherchent le sens dans l’acte lexical (les contraintes sémantiques de la phrase facilitant la perception des lettres). Ces deux processus sont nécessaires et aucun n’est suffisant. La lecture met donc en jeu ces deux procédures conjointes automatisées et si une défaillance de l’une ou de l’autre de ces procédures est avancée, on observera une mauvaise compétence en lecture.
D’après notre opinion personnelle, nous pensons que ces modèles sont à penser de façon complémentaire puisque chacun enrichi les lacunes d’un autre. Ils permettent de comprendre l’importance de la phonologie et donc des phonèmes lors de l’apprentissage de la lecture. Cela est en lien avec la théorie de Martin et Colé (2009, p.258) comme quoi « la dyslexie développementale serait causée directement et exclusivement par un déficit cognitif spécifique de nature phonologique, affectant le traitement des sons de la parole et l’élaboration de leurs représentations en mémoire ». En effet, cela amènerait des difficultés de segmentation phonémique et notamment en mémoire à court terme phonologique. Cependant, ces divers modèles montrent que la reconnaissance des mots est une activité conjointe entre les composantes phonologiques, orthographiques et lexicales. Les différences que l’on peut relever témoignent du manque de consensus sur la dyslexie, des disparités de prévalence et sont surtout contextuelles c’est-à-dire qu’elles dépendent des découvertes scientifiques du moment, des méthodes utilisées, etc. Néanmoins, la différence principale réside dans la continuité de la propagation de l’activation entre les diverses unités de lecture.
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Table des matières
1. Introduction
2. Apprentissage de la lecture et troubles « dys »
2.1. Le langage oral et écrit
2.2. La lecture
2.2.1. Les voies de lecture
2.2.2. Lecture et reconnaissance des mots
2.3. La dyslexie
2.3.1. Éléments de définition
2.3.2. Les différents types de dyslexie
2.3.3. Diagnostic
2.3.4. Les troubles associés
2.3.5. Troubles dyslexiques et répercussions
3. Le numérique à l’école
4. Cadre théorique
4.1. L’instrument
4.2. L’activité instrumentée
4.3. Les schèmes d’utilisation
4.4. La genèse instrumentale
4.5. Les systèmes d’instruments
5. Problématiques
6. Objectifs
7. Expérimentation
7.1. Le terrain
7.1.1. MOBiDYS
7.1.2. SONDO
7.2. La population
7.2.1. Caractéristiques
7.2.2. Mode de sélection et provenance
7.2.3. Consentement
7.3. Méthodologie
7.3.1. Questionnaire d’information
7.3.2. Observation
7.3.3. Auto-confrontation
7.3.4. Intérêt de la vidéo
7.3.5. Procédure
8. Traitement des données
9. Résultats
9.1. Les artéfacts de SONDO utilisés et leurs fonctions
9.2. Les relations entre les artéfacts de SONDO
9.3. Les usages des différents artéfacts et leurs schèmes d’utilisation
9.4. Les systèmes d’instruments des élèves
9.5. Les différentes médiations à l’œuvre
10. Discussion
11. Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES