Appréhension des friches en milieu urbain

Appréhension des friches en milieu urbain

L’étude des espaces délaissés implique de comprendre les mécanismes urbains qui gravitent autour d’elles, d’appréhender sa mise en place, les raisons de sa présence. Nous tenterons ainsi de définir ce concept de « friche urbaine » et les enjeux dans lesquels il s’insère.

La diversité des définitions appliquées aux friches urbaines

La notion de friche s’apparente au concept d’un lieu mais aussi à celui d’une dynamique de fonctionnement (OLIVIER et al., 2010), puisqu’elle représente un stade précis dans le cycle d’occupation du foncier. Elle provient de la définition d’origine liée aux terres agricoles non exploitées, et s’étend progressivement à toute terre en état d’abandon, en attente de projet futur. Actuellement, le statut de friche urbaine ne correspond pas à un terme juridique reconnu au sein du Code de l’urbanisme (PARIS, 2002).

Une des définitions appliquées aux friches urbaines provient du dictionnaire de l’Urbanisme et de l’Aménagement dans lequel Pierre Merlin et Françoise Choay définissent les friches urbaines en tant que «terrains laissés à l’abandon en milieu urbain ». Plus précisément, en ce qui concerne les friches de la périphérie urbaine, ils sont définis en tant que «terrains non encore construits, mais qui ne sont plus cultivés en attendant une utilisation de type urbain » ; quant aux friches urbaines inclues dans le tissu urbain bâti, elles concernent « les parcelles antérieurement bâties, mais dont les bâtiments ont été démolis. » La friche urbaine se distingue par sa taille, son âge, et le niveau de désaffectation auquel elle se situe, abandon, sous utilisation, utilisation temporaire (THOMANN, 2005). Elle se différencie ensuite selon son ancienne affectation, qu’elle soit industrielle, militaire, portuaire, agricole, etc. Par sa localisation au sein du tissu urbain, la friche urbaine est au cœur des enjeux sociologiques, économiques, urbanistiques. Sa temporalité est liée à trois phases successives, son apparition, où s’en suit une période veille, avant l’initiation de la phase de projet (ANDRES, 2006).

D’un point de vue écologique, les friches constituent les seuls espaces en ville où le développement spontané et non maîtrisé de la végétation est encore présent (MATHEY, RINK, 2010). Elles abritent une biodiversité végétale abondante, citées dans le cadre du projet de recherche de la thèse de M. BRUN en tant que « réservoirs de biodiversité ». Ce sont les espaces herbacés les plus naturels qui puissent être trouvés en ville, en contraste avec les parcs et jardins publics gérés et entretenus d’une manière stricte .

Les friches ont toujours été présentes dans les espaces urbains, toutefois leur nombre s’est amplifié à la suite du phénomène de désindustrialisation des années 50 jusqu’à la fin du 20e siècle. De plus, l’ampleur des friches s’est trouvée accentuée ces dix dernières années par une crise montante de l’économie (PARIS, 2002). En effet, des projets initiés sur des délaissés ont été suspendus en attente de financements, conservant souvent cet état transitoire sur de longues périodes. Par ailleurs, des propriétaires acquièrent des terres qu’ils laissent en suspens faute de moyens immédiats. La gestion et l’entretien des espaces coûtent chers, et finissent donc par être temporairement abandonnés.

Néanmoins, une prise de conscience sur la présence et l’occupation des friches commence à s’opérer dans les années 80, et s’en suit une série d’opérations d’aménagements sur ces interstices au sein des villes, dont peuvent être citées les plus connues telles que la friche de La Belle de Mai à Marseille ou les travaux de réaménagement sur les friches portuaires de Bordeaux. Les actions de renouvellement urbain se sont accentuées depuis une dizaine d’années dans les politiques urbaines suite aux problématiques d’étalement urbain croissant et dans un contexte de raréfaction du foncier disponible au sein des villes. Les friches deviennent donc des espaces d’opportunités à exploiter.

Les espaces en friche s’insèrent dans une perspective cyclique de mutation des villes, dans laquelle la ville se reconstruit sur elle-même, tel que présenté par les auteurs Charles Ambrosino et Lauren Andres (AMBROSINO, ANDRES, 2008). La transformation ou l’abandon de structures bâties participent au développement du tissu urbain, libérant des parcelles sans occupation spécifique et définies en tant que friche, où ces parcelles prennent un statut transitoire, à potentiel futur. Dans le cas des espaces délaissés sur de longues périodes, on parle alors de rupture temporaire dans le cycle transitoire, où le phénomène de remplacement ne s’opère pas dans le futur proche après la cessation d’activité autrefois présente sur la terre en question. Dans cette optique, Marianne Thomann décrit dans son mémoire que « les friches constituent un véritable indicateur du comportement économique d’une ville ou d’une région puisque l’on sait que le chiffre annuel [d’hectares de friches] n’est que le bilan de deux mécanismes opposés: l’un qui produit les friches, l’autre qui les résorbe par ré-affectations diverses » (THOMANN, 2005).

Cet état transitoire confère indéniablement à ces interstices urbains un statut particulier au sein des villes, non dotées d’une fonction spécifique ce qui produit une rupture avec le tissu urbain environnant. Anne Bataillon décrit ce décalage de la façon suivante : « En créant des espaces normés, fonctionnels, rigides, placés sous le signe de l’efficacité et de la rentabilité, ils [les architectes] ont mis de l’ordre dans la ville, le terrain vague est donc significatif de désordre et il semble logique qu’il active une angoisse» (SOULIER, 2003). Elles représentent des espaces en marge, lieux résiduels des anciennes activités. Elisabeth Pélegrin-Genel exprime ces lieux comme « Des espaces immobiles, en attente. Des promesses d’autre chose. Des pauses dans l’espace trépidant de la ville. » (PELEGRINGENEL, 2014). Les termes anglo-saxons « derelict land » et « waste land » employés pour désigner les friches montrent également une connotation controversée attribuée à ces espaces délaissés. En effet, les politiques d’aménagement traitent « l’avant » et « l’après » des friches. L’état d’entre-deux ne fait pas l’objet d’un traitement urbanistique particulier (Qviström, 2008) et soulève la question de l’usage temporaire des friches.

Les friches au cœur des enjeux

La présence des friches au sein des villes procurent de nombreux services écosystémiques , parfois méconnus par les citadins. Le degré et les effets de ces services varient en fonction de la localisation du terrain dans la tâche urbaine, selon un gradient d’urbanité du centre-ville aux espaces périphériques.

Des espaces dotés de différentes fonctions

Les diverses fonctions peuvent être répertoriés sous trois thèmes traitant des volets urbanistiques/économiques, écologiques et sociaux.

➤  Fonctions urbanistiques/économiques
Les friches constituent une réserve foncière pour des villes qui tendent à manquer d’espace à aménager, notamment pour les friches les plus centrales dans l’aire urbaine.
➤  Fonctions écologiques
Le rôle écologique des espaces délaissés en ville, souvent méconnu, touche la régulation de l’humidité de l’air et de la température locale, et constitue un filtre pour les polluants. De plus, elles servent de zones tampons pour l’eau pluviale dans un environnement urbain très imperméabilisé. Enfin, elles sont le support d’une biodiversité raréfiée dans des secteurs souvent très  denses et peu accueillants pour la faune et flore de nature ordinaire.
➤  Fonctions sociales
L’aspect social des friches apparaît comme un attrait non négligeable, puisqu’il contribue à augmenter la sensation de bien-être à travers le développement de la végétation, aussi contributeur à la réduction du stress occasionné par des tissus denses et non aérés. Selon les cas, elles permettent également l’accueil d’activités de récréation, pouvant être exploitées de différentes façons par des occupations temporaires et procurant un espace sans restrictions spécifiques aux citadins. (OLIVIER et al., 2010, HOFMAN et al., 2012 ; PAYS, 2011) .

Le rôle des caractéristiques sous-jacentes de la friche dans sa valorisation économique

Les différents apports des friches au milieu urbain ainsi qu’à ses résidents n’occultent pas les facteurs externes à celle-ci, influençant sa valeur économique. La localisation du délaissé est tout d’abord un important aspect à considérer – les caractéristiques du quartier dans lequel il s’insère ou sa proximité du centre urbain font varier les pressions foncières qui peuvent s’exercer. Sa taille, sa visibilité ainsi que son affectation jouent également un rôle sur les attentes de projet qui pèsent sur ces espaces (ANDRES, 2006). L’ancienne affection d’une friche révèle souvent des opportunités en matière d’accessibilité par exemple, ce qui est le cas des anciennes friches industrielles qui sont majoritairement bien desservies. Elle peut également avoir des retombées sur la qualité du sol, en laissant un terrain pollué par l’ancienne activité, ce qui augmente la somme des investissements nécessaire pour sa valorisation (PARIS, 2002).

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Table des matières

Introduction
Partie 1. Présentation des termes de la recherche et état de l’art
I. Appréhension des friches en milieu urbain
I.1. La diversité des définitions appliquées aux friches urbaines
I.2. Les friches au cœur des enjeux
II. Perception et représentation des espaces
II.1. La perception
II.2. La représentation
Partie 2. Démarche de la recherche et méthodologie
I. Problématisation et définition des hypothèses
I.1. Insertion de l’étude dans le contexte de recherche
I.2. Les territoires d’étude autour de Tours et de Blois
I.3. Définition de la problématique
I.4. Définition des hypothèses
II. Méthodologie de la recherche
II.1. Une sélection bi-directive des friches sur les agglomérations de Tours et Blois
II.2. Un profil varié des habitants
II.3. Outils d’entretien avec les habitants
II.4. Traitement des informations
Partie 3. Analyse des données de recherche et discussion
I. Analyse des éléments d’enquête
I.1. Retour d’expérience suite au travail de terrain
I.2. Les enquêtes soumises aux contraintes des sites d’étude
I.3. Analyse des données d’enquête
II. Discussion et perspectives
Conclusion
Bibliographie

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