Apaiser les souffrances humaines dues à la faim et à la malnutrition reste aujourd’hui encore un défi. Tous les gens n’ont pas accès à la nourriture dont ils auraient besoin pour être bien nourris, ce qui amène à des situations de malnutrition voire de famine dans le monde. La malnutrition selon l’Organisation des Nations Unies, « est un état pathologique résultant d’une consommation insuffisante (ou excessive de nutriments essentiels). » Elle sévit sous une forme ou une autre dans tous les pays tel que Madagascar qui figure parmi les plus gravement touchés. En effet, d’une manière générale, si en 1992, un taux d’insuffisance pondérale de 39% a été enregistré, en 2004, ce taux a atteint 42% .
Pourtant depuis 1992, différents types d’interventions en matière de nutrition ont été menées par des acteurs issus de domaines différents. D’une part, étant donné que la malnutrition constitue une des principales causes de la forte mortalité infanto-juvénile et maternelle à Madagascar – elle est notamment associée à plus de 50% de la morbidité et de la mortalité – certains la considèrent comme un problème essentiellement de santé et orientent alors leur réponse dans le domaine sanitaire. Il s’agit par exemple des programmes de supplémentation en micronutriments ou de vaccination ou encore de la promotion de l’allaitement maternel exclusif. D’autre part, elle est perçue comme une manifestation de l’insécurité alimentaire. En effet, pour Madagascar, la malnutrition et l’insécurité alimentaire demeurent un fardeau insoutenable, dont le coût est estimé entre 2 et 3% du PIB . En conséquence, les interventions consistent en l’occurrence en des activités génératrices de revenu ou permettant l’accès au crédit.
Toutefois, ces efforts sectoriels ne donnent que des solutions à court ou moyen terme au problème de malnutrition ou d’insécurité alimentaire car le comportement alimentaire, un des facteurs induisant à un problème de malnutrition, demeure le même. Aussi, conscients de cette réalité et sachant que les efforts précités ont déjà été entrepris, d’autres intervenants ont estimé que l’éducation nutritionnelle à base communautaire permettra d’aboutir à un changement de comportement effectif. Paradoxalement, depuis presque une quinzaine d’années d’interventions de nutrition à base communautaire, aucun recul important de la malnutrition n’a pu être observé, d’où un constat sur l’échec de l’éducation nutritionnelle à base communautaire. Le processus d’éducation nutritionnelle renferme une dimension communicationnelle essentielle à son efficacité et à l’efficience des changements de comportement qu’elle induit.
CONSTRUCTION D’UNE DEMARCHE METHODOLOGIQUE
Devant un objet à étudier, « tout chercheur connaît, pense, analyse avec les outils, concepts, catégories inscrites dans un paradigme. Il est impossible de se situer en dehors d’un paradigme, quel qu’il soit, pour examiner, analyser une réalité, une situation, un phénomène» (LAFLAMME, C., 1994). Par ailleurs, le phénomène en question est le processus d’éducation nutritionnelle à base communautaire. Aussi, en premier lieu, s’agit-il de délimiter le travail afin de pouvoir justifier le choix d’une approche communicationnelle qui serait la mieux adaptée au phénomène et à l’objectif de développement local. Ensuite pour cadrer l’objet, l’approche systémique sera présentée comme étant le positionnement épistémologique de base de ce travail. Enfin, la méthodologie sera présentée.
Cadrage de la recherche
Etant donné le thème de ce travail intitulé « Apports des approches communicationnelles dans le processus d’éducation nutritionnelle à base communautaire », des concepts clés nécessitent d’être mis en exergue afin de cadrer la recherche à faire, et de prouver qu’il s’agit bien d’une activité de communication pour le développement. Après avoir construit un système de concepts clés, les enjeux d’une approche communicationnelle appropriée vont être développés.
Construction d’un système de concepts clés
Le thème est composé de plusieurs mots évoquant différents concepts. Mais ces différents concepts devenus indissociables donnent le véritable sens du thème. Aussi, cette partie s’attachera à les dissocier à travers quelques explications dans le but de mieux expliciter le thème de la recherche.
L’approche communicationnelle
L’approche est la manière d’aborder ou d’envisager un sujet, une question, un problème. Ce qui suppose qu’il existe plusieurs façons d’opérer pour traiter d’une situation problématique. Puisqu’il est question d’approche communicationnelle, une définition du concept de communication est nécessaire. La communication, dans le positionnement épistémologique adopté à travers cette étude, est « la forme d’un échange entre deux acteurs ou catégories d’acteurs seulement dans un ensemble cohérent et récurrent de communications entre de multiples acteurs, ensemble répondant à une économie spécifique de fonctions et de valeurs qui fondent son existence » . La communication est alors ici envisagée « non plus comme une somme d’éléments, mais comme un ensemble dynamique dans lequel les relations entre les éléments viennent au premier plan. » En d’autres termes, c’est un système dynamique instaurant des relations interactives entre les éléments classiques [acteurs /intervenants, message, code, contexte, …) difficilement présentés autonomes mais aussi, plus largement, relations interactives au niveau du contexte total. Ce qui introduit le phénomène processuel, donc un ensemble d’activités en vue d’une transformation.
L’approche communicationnelle est donc la manière d’envisager ce processus. Elle va s’adapter selon les situations ou les phénomènes étudiés. La réussite des objectifs de communication en dépend parce qu’elle va permettre de définir le statut et les rôles des intervenants, les interactions entre eux d’après la description de poste dans chaque stratégie proposée, et la pertinence des moyens déployés pour mettre en œuvre une action de communication.
L’éducation nutritionnelle à base communautaire : élément d’un ensemble
L’éducation nutritionnelle telle qu’elle a longtemps été appliquée dans les projets d’amélioration de l’état nutritionnel d’une population, se base sur sa conception originelle et universelle donnée par la FAO selon laquelle « l’éducation nutritionnelle est l’ensemble des activités de communication visant la modification volontaire des pratiques qui ont une incidence sur l’état nutritionnel de la population, dans la perspective d’une amélioration de celui-ci.» En l’occurrence, il s’agit à la fois de la communication sociale qui sensibilise la société et favorise l’information interactive entre les communautés, et de la communication institutionnelle qui permet la coordination entre les différents partenaires. Mais il est également une autre composante : la communication éducative fondée sur un principe transmissif , « qui opère le transfert des connaissances et des techniques relatives à une bonne nutrition », c’est le point focal de cette étude. Cette définition sous-entend qu’il y a exportation, échange voire commerce d’un savoir-faire technique d’un lieu à un autre, des pays développés aux pays en voie de développement alors que comme l’alimentation et la nutrition sont propres à une communauté , elles sont vraiment rattachées à des modes de vie spécifiques. « Les sciences de l’éducation analysent les besoins de la personne en situation d’apprentissage pour rendre opérationnelle l’éducation; les sciences de la communication définissent les canaux de communication, les personnes influentes et le contexte dans lequel le message doit être transmis » (Adrien et Beghin, 1993).
Mais avant d’aboutir aux cibles visées, les messages passent par divers canaux humains que nous appellerons aussi supports humains, entraînant ainsi une série de transformations, donc un processus. Est-ce réellement l’approche adaptée à ce phénomène humain ? Ce travail envisage d’y apporter une réponse en traitant particulièrement de l’éducation nutritionnelle à base communautaire. Autrement dit, c’est en principe une activité essentiellement axée et centrée sur les communautés, conçue en faveur des communautés, dans un but d’y promouvoir des comportements nutritionnels sains. Elle est incluse dans un paquet d’activités visant à améliorer l’état nutritionnel de ces communautés. L’éducation nutritionnelle à base communautaire en particulier doit, pour être efficace, avoir été conçue et mise en œuvre avec une approche communicationnelle qui tienne compte du système dans lequel elle s’insère. D’autant plus que c’est par essence une activité communicationnelle. Or, la communication est une activité de mise en commun dans le but de faire profiter à tous les acteurs de ce processus pour que chaque acteur puisse réellement participer au changement.
Enjeux communicationnels d’une approche appropriée dans le processus d’éducation nutritionnelle
Tous les projets d’éducation nutritionnelle incluent donc obligatoirement une composante communication/éducation nutritionnelle dans le but de promouvoir en général l’acquisition d’habitudes alimentaires favorables à la santé. Mais quels sont les enjeux réels d’une approche communicationnelle appropriée ?
Statut des acteurs impliqués
L’approche communicationnelle optée pour traiter d’un problème facilitera la définition du statut et du rôle des acteurs impliqués dans le processus. En appliquant cette supposition, l’éducation nutritionnelle à base communautaire peut être appréhendée de deux façons : soit les communautés sont perçues comme les acteurs-clés puisqu’elles sont par étymologie, la raison d’être de cette activité de communication particulière. Par conséquent, le projet devrait leur être profitable sur tous les plans possibles de l’existence humaine : social, culturel et économique. Soit elles sont tout juste les destinataires, les bénéficiaires passifs du projet. Aussi, n’agiront-elles que de manière passive dans le processus et subiront en quelque sorte ce qui a été préalablement conçu pour elles, sans leur consultation ni leur compréhension, base de leur adhésion à de tel projet.
Ces deux perceptions dépendent de l’approche communicationnelle optée pour mener un tel projet. S’en dégageront alors la délimitation du statut et des rôles de tous les acteurs concernés, la nature de la participation des communautés (active ou passive), ainsi que le degré d’implication de tous les autres acteurs du système. La place du langage dans le processus d’éducation nutritionnelle est primordiale en tant que contenant les symboles utilisés dans la communication. La langue est l’instrument de communication car c’est elle qui permet de s’exprimer, d’exprimer une idée selon le bon vouloir de celui qui produit l’énoncé. Par conséquent, elle renferme les représentations des acteurs.
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Table des matières
Introduction
1. Construction d’une démarche méthodologique
1.1. Cadrage de la recherche
1.1.1. Construction d’un système de concepts clés
1.1.1.1. L’approche communicationnelle
1.1.1.2. L’éducation nutritionnelle à base communautaire : élément d’un ensemble
1.1.2. Enjeux communicationnels d’une approche appropriée dans le processus d’éducation nutritionnelle
1.1.2.1. Statut des acteurs impliqués
1.1.2.2. Reconnaissance de la nutrition comme une clé essentielle du développement
1.1.2.1. Durabilité des changements induits par l’éducation nutritionnelle
1.2. L’approche systémique des communications comme positionnement épistémologique
1.2.1. Théorie systémique des communications
1.2.2. Principes systémiques
1.2.3. Méthodologie de l’analyse systémique
1.2.3.1. Contextualisation systémique des communications: fondement de l’analyse systémique
1.2.3.2. Démarche constructiviste
1.3. Présentation de la méthodologie
1.3.1. Techniques de collecte de données
1.3.1.1. Revue documentaire déterminant les choix théoriques
1.3.1.2. Observations participantes
1.3.1.3. Entretiens non directifs
1.3.2. Outils théoriques d’analyse des données
1.3.2.1. Principes de l’approche mécaniste par opposition à ceux de l’approche systémique
1.3.2.2. La compétence de communication pour traiter de la dimension langagière autour de l’éducation nutritionnelle
1.3.2.3. Principes de coopération de Grice pour évaluer la compétence de communication des acteurs
2. Limites de l’existant
2.1. Limites des apports des sciences humaines et sociales
2.1.1. Limites de l’éducation nutritionnelle conventionnelle
2.1.1.1. Importance de la dimension relationnelle
2.1.1.2. Mise à l’écart de la dimension affective
2.1.1.3. Limites du positivisme
2.1.1.4. Contraintes économiques
2.1.1.5. Représentations liées à l’alimentation et à la nutrition ignorées
2.1.2. Facteurs socio-culturels à considérer
2.1.2.1. Contraintes biologiques et culturelles
2.1.2.2. Respect des couleurs locales
2.1.2.3. Considération de l’aspect social de l’alimentation
2.1.2.4. Rôle des leaders d’opinions
2.2. Limites de l’approche communicationnelle de l’ONN/PNNC
2.2.1. Mainmise des bailleurs sur les orientations fondamentales de l’éducation nutritionnelle
2.2.1.1. Deux types de terminologie reflétant une approche top down
2.2.1.2. Historique du programme entraînant la dépendance du programme à la logique des bailleurs de fonds
2.2.1.3. Héritage des principes de l’éducation nutritionnelle conventionnelle
2.2.2. Dimension relationnelle amoindrie
2.2.2.1. Souci de conserver l’intégrité des messages
2.2.2.2. Fonction référentielle du langage prédominante
2.2.2.3. Peu de place pour le feed back
2.2.3. Incohérence des stratégies locales de communication par rapport au contexte situationnel
2.2.3.1. Homogénéisation des approches dans toutes les régions de Madagascar
2.2.3.2. Prédominance paradoxale de l’écrit par rapport au faible niveau d’alphabétisation des mères
2.2.3.3. Activités d’appui limitées
2.2.3.4. Négligence des communautés dans le processus
3. Bénéfices de l’approche systémique appliquée à l’objet situé dans le contexte malgache
3.1. Facteurs contextuels induisant la vulnérabilité de la zone du terrain
3.1.1. Problématique genre accentuant la vulnérabilité du milieu rural
3.1.1.1. Statut des femmes limitant la qualité de la nutrition de leur famille
3.1.1.2. Maintien de l’organisation traditionnelle accentuant l’inégalité genre en matière d’alimentation
3.1.1.3. Incapacité des règles du droit positif malgache face aux règles du droit traditionnel
3.1.2. Accès difficile aux services de santé primaire
3.2. Facteurs de blocage au niveau des acteurs
3.2.1. Faible synergie des intervenants potentiels locaux
3.2.1.1. Incapacité de l’approche éducative initiée par l’ONN/PNNC de résoudre le problème de malnutrition
3.2.1.2. Collaboration multisectorielle non effective au niveau local
3.2.1.3. Implication passive des autorités locales
3.2.2. Manque d’intérêt pour le monde rural, centre d’intérêt du processus de développement local
3.2.2.1. Provoqué par des projets issus d’une approche verticale dictée par des coercitions
3.2.2.2. Se manifestant par la négligence des représentations des communautés
3.3. Emergence d’une perspective de recherche
3.3.1. Proposition d’un schéma organisationnel au niveau régional
3.3.1.1. Grâce à la complémentarité des représentations de l’enjeu de la nutrition par les acteurs identifiés
3.3.1.2. Un nouveau schéma organisationnel pour une toile de fond de référence
3.3.2. Témoignant d’un passage progressif vers l’approche interactionnelle
3.3.2.1. Nécessité d’aménager la Politique Nationale de Nutrition
3.3.2.2. Valorisation des potentialités locales initiées par la recherche locale pour le développement
3.3.3. Représentations de l’alimentation et de la nutrition par les communautés ignorées à travers les discours officiels
3.3.3.1. L’approche économique de l’Etat malgache inspirée de l’OMD 1
3.3.3.2. Prédominance de l’approche médicale de la nutrition par l’ONN/PNNC
Conclusion
Bibliographie
Sources
Webographie
Annexes