VIVE LA REVOLTE
Émergence de l’école de Menglong
Avant d’aborder le problème de la naissance de l’école de Menglong, il est sans doute nécessaire de dissiper certaines définitions du terme littéraire chinois qui se distinguent de la littérature occidentale.
Appliquée à l’histoire de la Chine, l’ouverture à l’Occident désigne plutôt l’année 1840 où la Guerre de l’opium éclata, cette année fut aussi le commencement de la période Jindai, c’est-à-dire le prélude à la modernisation de la Chine. Pourtant en parlant du concept de modernité dans la littérature chinoise, il faut attendre jusqu’au mouvement du 4 mai 1919, qui joue un rôle décisif et marque la ligne de faîte entre la littérature classique et la littérature moderne.
En plus, on pourrait distinguer trois périodes dans l’histoire de la littérature moderne : la première période appelée Xiandai (1919-1949), suivie de la période contemporaine Dangdai (1949-1980), et la période « postmoderne » Hou dangdai qui commence l’année 1980 et continue jusqu’à nos jours.
Si nous parcourons le panorama de la littérature du XXe siècle avant de parler directement de l’école de Menglong, c’est parce que l’émergence de celle-ci est étroitement liée aux générations antérieures. Ici nous proposons comme repère une division en trois phases successives et solidaires au cours de cette évolution durant un siècle pour se retrouver dans un foisonnement des mouvements courants et autres écoles : 1890-1920 ; 1920-1950 ; 1950-1980.
De même que Rimbaud décrit que « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes »45, l’évolution de la littérature chinoise du XXe siècle, qui vise un double objectif, aussi bien littéraire que social, est une bataille, à la fois intérieure et extérieure, pleine d’obstacles et de blessures, de révoltes et d’oppressions, de ruptures et de continuités. Toute la révolution littéraire s’accompagne d’une série de faits historiques sanglants qui luttent contre le féodalisme, contre l’invasion de l’étranger, contre la colonisation et contre l’autoritarisme maoïste : les deux guerres d’opium (1839-1842 ; 1856-1860), le mouvement du 4 mai 1919, la guerre sino-japonaise (1937- 1945), les guerres civiles (1927-1937 ; 1945-1950), la Révolution culturelle chinoise (1966-1976), etc.
La première phase (1890-1920), « transition d’une littérature vers son expression moderne »46, manifeste un certain esprit de liberté vis-à-vis de la culture occidentale. Dans la dernière période de la dynastie des Qing, les premiers réformateurs ayant des expériences occidentales — Kang Youwei (1858-1927), Zhang Binglin (1869-1935) et Liang Qichao (1873 1929), pour qui « le destin politique de la Chine et l’acquisition d’une langue moderne étaient étroitement liés »47, lancèrent ensemble le mouvement littéraire nommé la « Révolution du monde de la poésie » (shijie geming) pour répondre à la crise littéraire chinoise et aux enjeux nouveaux de l’Occident. Et puis la révolution de 1911 mit fin au vieil empire des Qing et souleva une nouvelle vague d’éducation à l’étranger, notamment celle d’un groupe d’étudiants envoyés en France. Aux environs de 1910, le symbolisme français sentait sa fin prochaine. Pourtant cela n’a pas empêché l’esprit du symbolisme de rayonner au-delà des frontières de l’Hexagone, pour des raisons qui tenaient souvent moins à ces précurseurs qui rapportèrent en Chine des travaux de traduction comme ceux de Baudelaire, de Verlaine et de Mallarmé. Jusqu’en 1919, ils étaient « quatre cents » et faisaient leurs études « surtout à Lyon et à Paris » 48. La même année, le fameux Mouvement du 4 mai porta un coup fatal à toute la tradition chinoise: d’un côte, il propageait la création d’une nouvelle langue parlée bai hua contre la langue classique wen yan, celle-là était destinée à toutes les couches sociales et favorisait l’émergence de la poésie chinoise moderne; d’un autre côté, il abattait l’orthodoxie du confucianisme par l’outil de la science et de la raison absolue. Mais en 1916, Hu Shi (1891-1962), l’un des chefs de file de ce mouvement, publia des poèmes écrits en bai hua dans la revue Nouvelle Jeunesse en rejoignant des textes théoriques qui établirent déjà une pierre de soubassement pour cette révolution radicale. Dès lors, la culture chinoise s’engagea définitivement dans l’aventure moderne et la poésie chinoise allait trouver une nouvelle langue à mieux s’exprimer.
Apport poétique du symbolisme français
Comme nous l’avons déjà constaté, le symbolisme connaît une existence aux vicissitudes si diverses qu’on rencontre les plus grandes difficultés à faire une synthèse de sa définition. Bien sûr, exposer toute sa doctrine en détail serait vraiment un travail de Titan qui dépasserait le cadre de ce mémoire mais il serait également imprudent de la réduire à une seule phrase.
À partir d’une recherche de diverses théories sur le symbolisme, il s’agit pour nous de présenter plutôt une synthèse de son apport poétique en deux parties : l’une, c’est la dimension littéraire ; l’autre, c’est la dimension spirituelle. Et il faut noter que, chez les symbolistes, les mots comme l’âme, l’esprit, l’idée, sont le plus souvent employés avec une majuscule, si bien que nous respecterons cette convention dans cet article.
Pour commencer, nous présentons la définition du mot « symbole » qui est un mot clé du symbolisme mais aussi un mot très vague à définition extrêmement variable d’après chaque symboliste et chaque critique.
Si nous nous en remettons aux dictionnaires, nous verrons que, dans Le Petit Robert, le mot « symbole », pris dans son sens littéraire désigne « l’élément ou énoncé descriptif ou narratif qui est susceptible d’une double interprétation, sur le plan réaliste et sur le plan des idées », suivant une citation de Lemaître : « UN SYMBOLE est, en somme, une comparaison prolongée dont nous ne nous donne que le seconde terme ». Essayons d’analyser cette définition pas à pas pour établir une certaine logique des relations.Premièrement, pour les symbolistes, il existe deux plans : le plan réaliste, soit la réalité, le monde extérieur ; et le plan des idées, soit l’Idée, le monde intérieur. Ensuite, ce qui permet de lier ces deux plans, c’est une correspondance analogique universelle qui « efface la frontière entre le monde extérieur et le moi pour créer des paysages intérieurs, des paysages d’âme »58. Chez les symbolistes, c’est une comparaison plus prolongée qu’on nomme « synesthésie » qui désigne « les correspondances dites horizontales entre les différentes sensations »59. À travers cette méthode de « synesthésie », on arrive à percevoir l’invisible du monde extérieur, dans ce cas-là, cette réalité devient supérieure à celle qui se présente, cela révèle aussi la magie du symbole.Citons une phrase très connue en Chine qui utilise la méthode de « synesthésie » en guise d’exemple.
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INTRODUCTION
1. PROBLÉMATIQUE
2. DEUX POÈTES À DOUBLE FACE
2.1. Arthur Rimbaud : Voyant-Voyou
2.2. Gu Cheng : Ange-Démon
3. PLAN
CHAPITRE I : UNIVERS SYMBOLIQUE
1. DEUX MOUVEMENTS LITTÉRAIRES INNOVANTS
1.1. Symbolisme français évolutif
1.2. Émergence de l’école de Menglong
2. L’ART DU SYMBOLE
2.1. Apport poétique du symbolisme français
2.2. Affinité symboliste chez l’école de Menglong
CHAPITRE II : VIVE LA REVOLTE
1. PIONNIER DU VERS LIBRE
1.1. Vers la poésie en prose
1.2. À la recherche de la forme libérée
2. INNOVATEUR DU LANGAGE
2.1. Alchimie du verbe
2.2. Langue hybride et purifiée
3. OBSERVATEUR DU MOI
3.1. Je est un autre
3.2. « Moi » du taoïsme
CHAPITRE III : UNIVERS DE LA FANTAISIE
1. ALTERNANCE ENTRE LA NATURE ET LA SOCIÉTÉ
1.1. De la nature à la société
1.2. De la société à la nature
2. POÉSIE DE LA FANTAISIE
3. UNIVERS FANTASTIQUE
3.1. Univers des couleurs symboliques
3.2. Univers des contrastes
3.3. Univers de la fusion
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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