Apport d’une occlusion temporaire de l’œil amblyope préalable à un entraînement binoculaire

Introduction

   L’amblyopie correspond à un trouble neuro-développemental qui survient suite à une expérience visuelle anormale pendant l’enfance, au cours d’une période appelée “période sensible” ou “période critique”(1–5). Elle se manifeste le plus souvent par une acuité visuelle basse dans un œil, l’œil amblyope, et elle représente la cause la plus fréquente d’acuité visuelle basse unilatérale dans l’enfance. Sa prévalence se situe aux alentours de 1-3% de la population générale (6–12). Le traitement actuellement reconnu pour l’amblyopie consiste au port de la correction optique totale (13) et à l’occlusion monoculaire de l’œil sain controlatéral afin de forcer l’utilisation de l’œil amblyope (14). Ce traitement n’est proposé qu’avant la fin de la période critique car il est généralement admis que les enfants plus âgés ainsi que les adultes présentent un défaut de plasticité cérébrale au niveau du cortex visuel. De ce fait, aucun traitement n’est proposé pour ces patients plus âgés et leur amblyopie est considérée comme fixée (1–5,15,16). Cependant, ces dernières années, il a été démontré que l’amblyopie est principalement la conséquence de dysfonctions binoculaires au niveau cortical: avec un excès de suppression interoculaire et un défaut de sommation interoculaire, ces deux phénomènes pénalisants l’œil amblyope (17–19). Ainsi, des stratégies d’entrainement binoculaires se sont développées se focalisant sur le traitement de ces dysfonctions binoculaires (20–31). Elles se basent sur la présentation d’images dichoptiques que le sujet a besoin de voir en binoculaire afin d’apprécier la totalité d’une image. Ces images dichoptiques sont utilisées dans le cadre de jeux vidéo (32) ou de films (30,33). Dans ce contexte, pour obtenir une fusion binoculaire, il est nécessaire que le contraste de l’image vue par l’œil non-amblyope soit artificiellement réduit afin de compenser le défaut de balance interoculaire résultant de la suppression interoculaire. Initialement ces stratégies impliquaient une participation active du sujet lors de jeux vidéo dichoptiques et leur réussite dépendait de l’utilisation de l’information présentée aux deux yeux en simultané (25,29,32,34–37). Plus récemment, le visionnage passif tel qu’avec les films dichoptiques, utilisant le même principe de rééquilibrage afin d’annuler les effets de la suppression interoculaire, a également permis d’obtenir des bénéfices en termes d’acuité visuelle (30,33). L’entrainement binoculaire impose une vision binoculaire et en cela améliore l’acuité visuelle de l’œil amblyope. L’hypothèse étant qu’il permettrait d’utiliser la plasticité cérébrale résiduelle persistante après la fin de la période critique du développement visuel. Ces méthodes sont intéressantes par rapport à l’occlusion classique car elles sont souvent mieux acceptées par les patients et présentent de meilleurs résultats binoculaires. Cependant, tous les patients ne souhaitent pas jouer à des jeux vidéo et certains jeunes enfants n’ont pas encore acquis le développement cognitif nécessaire leur permettant de jouer à des jeux vidéo. Ici, nous avons cherché une façon plus généralisable d’application de ces mêmes principes d’équilibration du contraste, utilisés avec les jeux vidéo, mais avec un visionnage passif du contenu vidéo, grâce aux films dichoptiques. Ces procédures d’entrainement sont très prometteuses, mais d’autres méthodes de traitement sont également à explorer. Notamment, il a été démontré récemment qu’une occlusion temporaire peut de façon transitoire moduler la dominance oculaire chez des adultes non amblyopes. Le sujet porte une occlusion pendant environ 2 heures, et lors du retrait du patch, la contribution de l’œil patché à la vision binoculaire est renforcée pour une période de 30 à 60 minutes (38–40). De façon intéressante, cette procédure a aussi été appliquée aux sujets amblyopes où il a été observé que le patching temporaire de l’œil amblyope, plutôt que de l’œil sain, pouvait transitoirement augmenter sa contribution au percept binoculaire lors du retrait du patch (41). Ainsi, le déséquilibre binoculaire qui caractérise l’amblyopie peut être rapidement réduit pour une certaine durée en cachant l’œil amblyope. L’hypothèse est que la diminution de la stimulation sensorielle, induit un changement de gain de contraste afin de booster la sensibilité de l’œil patché. Du fait que ce changement se produise rapidement, le mécanisme sous-jacent suspecté implique un changement dans la balance excitation/inhibition neuronale (38–43). Alors que, l’entrainement binoculaire opère sur une période plus longue et via des mécanismes de plasticité différents, par exemple via l’établissement de nouvelles connexions synaptiques (44,45). Dans cette étude, nous nous sommes demandés si l’entrainement binoculaire basé sur le visionnage passif de films dichoptiques pouvait, par l’intermédiaire de modifications de la plasticité cérébrale, augmenter la fonction visuelle de sujets présentant une amblyopie « fixée ». Puis dans un second temps, nous nous sommes demandés si les effets d’un tel traitement dichoptique pouvaient être potentialisés en faisant l’entrainement pendant la fenêtre de temps au cours de laquelle il y avait une équilibration transitoire de la balance excitation/inhibition obtenue grâce à l’occlusion monoculaire. Pour répondre à cette question nous avons combiné ces deux approches et demandé aux sujets de porter un cache oculaire pendant 2 heures avant chaque séance d’entrainement par visionnage passif de films dichoptiques.

Evaluation des fonctions visuelles

Acuité visuelle. L’acuité visuelle était mesurée en utilisant une échelle d’acuité visuelle logarithmique (logarithmic visual acuity chart “2000”) et ceci dans des conditions standardisées.
Fonction de sensibilité au contraste. La courbe de sensibilité au contraste monoculaire en fonction de la fréquence spatiale était mesurée en utilisant la Quick Contrast Sensitivity Function (qCSF) (46). La qCSF utilise une méthode adaptative Bayésienne qui détermine quelle est la paire optimale, entre fréquence spatiale et contraste, à tester à chaque essai afin de maximiser l’information de la courbe de sensibilité monoculaire au contraste. Le participant devait définir pour 100 essais, au cours d’une tache d’identification, l’orientation (horizontale ou verticale) d’un motif de bruit filtré spatialement (Figure2a). Cette méthode a déjà été validée chez des sujets amblyopes (47,48). Ce test était réalisé sur le même équipement que pour le visionnage des films excepté que les sujets devaient porter un cache sur l’œil afin d’obtenir une vision monoculaire. Tous les détails de cette procédure sont décrits dans Reynaud et al.(49).
La balance interoculaire. La balance interoculaire était mesurée avec une échelle de lettres développée par Kwon et al. (50) et cette procédure a été validée sur des sujets amblyopes (50,51). Cinq lettres spatialement filtrées avec un pic de fréquence spatiale de 2 c/d étaient présentées à des contrastes variables à l’œil gauche et 5 lettres de contraste complémentaire à l’œil droit et ceci en des positions spatiales identiques. Ainsi, lorsqu’elles étaient vues en binoculaire, les lettres étaient superposées. Le sujet devait reporter les 5 lettres les plus visibles et ceci pour 10 essais successifs (Figure2b). Le contraste relatif des lettres vues par chaque œil était ajusté par une méthode adaptative (50,52) afin de déterminer le point de balance interoculaire de sensibilité au contraste. Ce point de balance interoculaire de sensibilité au contraste est exprimé comme un ratio en dB entre l’œil amblyope et l’œil non-amblyope, de cette façon une valeur négative signifie que l’œil non-amblyope est plus fort, une valeur proche de 0 signifie que les deux yeux sont bien équilibrés et une valeur positive indiquerait que l’œil amblyope serait plus fort. Ce test était également réalisé sur le même équipement que pour le visionnage des films.
Vison stéréoscopique. Les seuils de disparité étaient mesurés en utilisant le test TNO (Netherlands Organisation for Applied Scientific Research, distributed by Lameris Ootech BV). C’est un test duochrome sans indice monoculaire, basé sur les principes des tests de Julesz (53), il permet une mesure de la vision stéréoscopique entre 480 et 15 secondes d’arc.

Discussion

   L’objectif principal de notre étude était d’évaluer pour la première fois l’effet de l’entrainement binoculaire avec le visionnage passif de films dichoptiques sur des sujets présentant une amblyopie fixée. Nos résultats ont montré que le visionnage de films dichoptiques améliorait de façon significative l’acuité visuelle d’environ 1 ligne après approximativement 9 heures d’entrainement sur une période de 2 semaines, l’amélioration maximale d’acuité visuelle mesurée était de 3 lignes. Cette amélioration correspond aux résultats de Li et al. (30) et de Mezad-Koursh et al. (33) sur des enfants, même si l’amélioration d’acuité visuelle était plus basse dans notre groupe (0,08 logMAR vs 0,20 logMAR pour Li et al. et 0,26 logMAR pour Mezad-Koursh et al.). Cette différence peut être expliquée par le fait que tous les sujets dans ces deux études étaient des enfants alors que dans notre étude la population était quasi-exclusivement composée d’adultes, et donc présentant une moindre plasticité cérébrale (54). Nous avons également observé une amélioration de l’amplitude de la fonction de sensibilité au contraste monoculaire (groupe non patchés : +33) mais celle-ci n’était pas significative. La balance de sensibilité au contraste interoculaire restait assez stable après l’entrainement. Li et al. (30) ont observé des résultats similaires, contrairement à Hess et al. (20), Li et al. (22) et Kelly et al. (31) qui ont observés une rééquilibration de cette balance proportionnelle aux gains d’acuité visuelle. Les raisons de ces différences restent floues car chacune des études précédentes a utilisé un test d’évaluation de la balance binoculaire de sensibilité au contraste différent. La méthode utilisée dans l’étude de Kelly et al. (31) était similaire à celle utilisée dans cette étude mais leur échantillon de population n’était constitué que d’enfants alors que notre écantillon était composé majoritairement d’adultes. La plupart des sujets qui avaient une vision stéréoscopique mesurable à l’inclusion avec le test TNO ont montré une amélioration de celle-ci, cependant cette amélioration n’était pas significative probablement du fait de la petite taille de notre échantillon. En effet, parmi les 10 sujets du groupe non patché : seulement 4 d’entre eux avaient une vision stéréoscopique mesurable à l’inclusion, tous se sont améliorés après l’entrainement et 1 patient sans vision stéréoscopique mesurable avec le test TNO à l’inclusion en présentait une mesurable à la fin de l’évaluation. Différentes explications sont possibles : nous pouvons suspecté que l’entrainement binoculaire peut améliorer une vision stéréoscopique résiduelle mais ne peut réellement en créer une qui n’a jamais existé auparavant (30,55) ; ou une autre explication, est que le test TNO n’est pas suffisamment sensible pour mesurer les faibles visions stéréoscopiques potentiellement présentes chez les sujets amblyopes, et donc un autre test adapté à leur handicap visuel devrait être considéré (56-58). Notre étude montre pour la première fois que le visionnage passif de films dichoptiques peut améliorer la fonction visuelle de sujets adultes présentant une amblyopie fixée. L’un des intérêts du visionnage de film dichoptique est son potentiel d’amélioration de l’observance en comparaison au traitement par occlusion et aux autres formes d’entrainements dichoptiques (25, 29, 37, 59, 60). Tout d’abord parce que le visionnage de films dichoptiques est passif et ne nécessite pas une participation active du sujet contrairement au « perceptual learning » ou aux jeux vidéo dichoptiques. Ceci est un avantage crucial spécialement pour les sujets plus âgés qui ne veulent pas jouer aux jeux vidéo ou aux enfants plus jeunes qui n’ont pas toujours les capacités cognitives nécessaires. Par ailleurs, le visionnage de films dichoptiques est très flexible car il peut être utilisé à la maison et peut-être adapté à n’importe quel contenu de film. Il pourrait également être adapté aux dispositifs de réalité virtuelle ou de réalité augmentée (61-65). L’objectif secondaire de notre étude était d’évaluer si les mécanismes impliqués respectivement dans l’occlusion temporaire monoculaire de courte durée et le visionnage de films dichoptiques pouvaient être complémentaires et synergiques et, si combinés ensemble ils pouvaient favoriser l’amélioration des fonctions visuelles des sujets amblyopes. L’occlusion de courte durée pourrait activer les mécanismes de plasticité cérébrale binoculaire, grâce à des changements dans la balance excitation/inhibition (38-41, 66, 67) et ceci pourrait potentialiser l’amélioration de l’entrainement binoculaire. Nous avons observé que l’occlusion monoculaire préalable pouvait améliorer les effets de notre entrainement sur l’acuité visuelle : nos résultats ont montré une amélioration plus importante de l’acuité visuelle dans le groupe patché (0,19 logMAR, quasiment 2 lignes, gain maximal dans ce sous-groupe : 4 lignes), en comparaison au groupe non patché (0,08 logMAR, quasiment 1 ligne, gain maximal dans ce sous-groupe : 3 lignes), cependant cette différence n’était pas significative, en rapport avec la taille de notre échantillon. Cette tendance devrait être étudiée sur un échantillon de plus grande taille car il y a de bonnes raisons de penser que ces deux approches peuvent, du fait de leurs dynamiques différentes, être mutuellement bénéfiques. Le patching monoculaire pourrait agir sur l’adaptation à court terme, en altérant la balance excitation/inhibition et permettrait ainsi un changement rapide dans le gain de sensibilité au contraste. D’autre part, l’entrainement par films dichoptiques qui suit une évolution plus lente, impliquerait probablement des mécanismes binoculaires similaires au « perceptual learning » monoculaire (65,68) avec l’établissement sur le long terme de nouvelles connexions synaptiques (44,45,69-71). Ainsi, nous pouvons penser que les modulations de la balance excitation/inhibition peuvent accélérer ou amplifier les effets de plasticité induits par l’entrainement dichoptique, en plaçant avant chaque session d’entrainement le cortex visuel dans un état plus propice aux changements. Il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes pour les autres fonctions visuelles : sensibilité monoculaire au contraste, balance de sensibilité binoculaire au contraste et vision stéréoscopique. Cependant, les résultats de chaque groupe devraient être considérés de façon indépendante car les deux groupes n’étaient pas homogènes. En effet, la randomisation n’était pas possible car l’occlusion préliminaire n’était pas réalisable pour les sujets qui se rendaient à l’hôpital en voiture ou très tôt le matin. Par ailleurs dans ces deux groupes, les sujets pouvaient être considérés comme leurs propres témoins car l’entrainement n’affectait pas l’acuité visuelle de l’œil non amblyope, et ceci exclu l’hypothèse que l’amélioration d’acuité était induite par un effet d’apprentissage de mesure de l’acuité visuelle en elle-même. De plus, tous les participants étaient habitués à regarder des écrans (TV ou ordinateur) au moins 1 heure par jour (moyenne 3,8h/jour, voir tableau 1). Ainsi, ajouter 1,5h de visionnage TV tous les 2-3 jours ne changeait pas de façon drastique leur exposition à des écrans digitaux et il est donc très peu probable que l’amélioration que nous avons observée puisse être seulement due à l’augmentation d’exposition aux écrans. Mise à part ces inconvénients, l’occlusion monoculaire préliminaire n’a pas réellement diminué la compliance à l’entrainement car c’était l’œil amblyope qui était patché et ceci était nettement moins handicapant qu’une occlusion de l’œil sain controlatéral. D’autant plus que le patch était porté pour une durée beaucoup plus courte que l’occlusion classique.

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Table des matières

RESUME DE L’ARTICLE EN FRANÇAIS
ARTICLE ORIGINAL EN FRANÇAIS
Introduction
Materiels et methodes
Inclusion des sujets
Protocole
Conceptualisation des Films dichoptiques
Evaluation des fonctions visuelles
Résultats
Discussion
TABLEAU ET FIGURES
SOUMISSION IOVS
RESUME DE L’ARTICLE EN ANGLAIS
ARTICLE EN ANGLAIS
Introduction
Material and Methods
Participants
Procedures
Dichoptic movies design
Visual functions assessment
Results
Discussion
TABLE AND FIGURES
Références bibliographiques

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