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Historique de l’occupation et de la déforestation de Amazonie brésilienne
L’expression Amazonie légale a été créée comme concept politique dans le cadre de la planification et du développement régional par la loi 1.806 du 06/01/1953, postérieurement modifiée par la loi 5.173 du 27/10/1966 et par la loi complémentaire 31 du 11/10/1977. Cette région qui s’étend sur un peu plus de 5 millions de km2 représente plus de la moitié de la superficie territoriale brésilienne, et près de 112% de la superficie de l’Union Européenne (figure 2) (IBGE 2012; UE 2016).
Bien que la création du concept d’Amazonie légale date des années 50, les tentatives d’occuper et d’explorer l’espace amazonien remontent au XVIéme siècle, quand ont lieu les premières expéditions dans la région (Gadelha 2002). Jusqu’à la fin du XIXéme siècle le peuplement reste éparpillé, faible et circonscrit à de petites agglomérations. Il repose sur des vecteurs tels que la logique de domination territoriale militaire, l’extraction des « drogues du sertão » et la capture d’indigènes pour servir de main d’œuvre servile (Chambouleyron 2006).
À la fin du XIXéme siècle l’utilisation du caoutchouc vulcanisé pour la fabrication de pneus provoque une forte demande pour le caoutchouc produit à partir du latex collecté de l’hévéa (Hevea brasiliensis) et est à l’origine de ce qui dans l’histoire brésilienne est connu comme le « premier cycle du caoutchouc » en Amazonie (D’Agostini et al. 2003). La contrebande de graines d’hévéa (Hevea brasiliensis) vers des pays asiatiques entrainera l’émergence de nouveaux concurrents, la chute des prix du caoutchouc, et à partir des années 1910 une réduction drastique de la production du latex en Amazonie.
Le déclenchement de la seconde guerre mondiale entraine l’interruption par le Japon de la production et de l’exportation du caoutchouc d’Asie. Pour assurer l’approvisionnement en latex des industries alliées, les gouvernements brésilien et nord-américain signent un accord dans le cadre d’un plan connu comme la « bataille du caoutchouc ». Cet accord entraîne la mobilisation de travailleurs notamment les « Nordestinos »11 qui fuyaient la grande sécheresse pour l’extraction du latex en Amazonie. Ils seront appelés les « soldats du caoutchouc », (Prates and Bacha 2011). La fin de la seconde guerre mondiale associée d’une part à la reprise et à la normalisation de la production, aux exportations asiatiques, et d’autre part au développement de la fabrication du caoutchouc synthétique, marque le nouveau déclin de la production du latex amazonien.
La volonté de mettre en place des actions pour favoriser le développement et l’intégration économique de l’Amazonie au reste du Brésil a conduit à la création en 1953 de la Superintendance du Plan de mise en Valeur Économique de l’Amazonie (SPVEA) et à l’introduction du concept Amazonie légale. Parmi les principales réalisations de la SPVEA se trouvent l’amélioration des communications, et notamment l’ouverture des routes Belém-Brasilia et Brasilia-Acre (actuellement respectivement les BR-010 et BR-364). Ces deux axes routiers vont permettre de relier par voie terrestre la région amazonienne aux régions Sud et Sudeste du Brésil (Théry 1976; Ferreira and Bastos 2016).
L’ouverture des routes BR-010 et BR-364 est considérée comme le point d’inflexion de la déforestation et de l’occupation des terres amazoniennes jusqu’alors limitée aux bordures des fleuves (Théry 1997). La possibilité d’accès à la région par voie terrestre potentialise le processus de migration vers la région amazonienne dont la population passe de 1 à 5 millions pour la période comprise entre 1950 et 1960 (Becker 2004).
À partir de la seconde moitié des années 60, les militaires à la tête du pouvoir exécutif préoccupés par le vide démographique de l’Amazonie et conscients de l’importance stratégique de cette région mettent en place plusieurs actions de développement, telles que le Programme d’Intégration Nationale (PIN), le Plan de Développement de l’Amazonie (PDA) et le premier Plan National de Développement (I PND).
La construction d’une maille viaire interconnectée et l’implantation de programmes officiels de colonisation de grande envergure incitent la migration de dizaines de milliers de familles originaires principalement des régions Sud et Nordeste du Brésil. Dans une seconde phase le II Plan National de Développement (II PND) subventionnera des projets d’exploitation minière et d’élevage bovin menés par de grands propriétaires fonciers.
À la fin des années 80, avec l’installation d’une grave crise économique, ce modèle de développement dépendant d’aides financières directes et d’avantages fiscaux doit être remis en question faute de ressources pour assurer sa continuité. De plus la déforestation de la région s’étend sur des centaines de milliers de km2 provoquant des impacts sur l’environnement à une échelle inédite ce qui attire l’attention de la communauté internationale, qui entame une pression sur le gouvernement brésilien pour la mise en place de mesures de préservation de la forêt amazonienne.
Dans ce contexte, le gouvernement brésilien crée en 1989 l’Institut brésilien pour l’environnement et les ressources naturelles renouvelables (IBAMA), et en 1991 il négocie le Programme pilote pour la protection des forêts tropicales brésiliennes (PPG7) qui met en place des mesures pour le contrôle de la déforestation et la préservation de l’environnement amazonien.
Néanmoins, malgré ces mesures la déforestation ne cesse de croitre atteignant en 1995 le chiffre record de 29.059 km2 (INPE 2015). En réponse le gouvernement brésilien promulgue le 25 juillet 1996 la mesure provisoire nº 1511 qui permet d’augmenter le pourcentage de l’aire de préservation des propriétés de 50% à 80%. Cette mesure à laquelle s’ajoute un effort accru de surveillance aura pendant quelques années un effet positif en faisant baisser le taux annuel de déforestation.
À partir des années 2000 l’organisation de la chaine productive de l’élevage bovin stabilise les prix de production et de commercialisation, et place l’élevage bovin parmi les systèmes de production agropastoraux les plus performants (Poccard-Chapuis et al. 2001). La stabilité du système agropastoral à laquelle s’ajoute l’essor de la céréaliculture dans quelques régions de l’Amazonie, est responsable d’une nouvelle hausse du taux annuel de déforestation qui atteindra des chiffres supérieurs à 20.000 km2 à partir de 2002, atteignant les 27.772 km2 en 2004 (figure 3).
Pour faire face durablement au problème de la déforestation de l’Amazonie, le gouvernement brésilien met en place en 2004 le Plan d’action pour la Prévention et le Contrôle de la Déforestation de l’Amazonie légale (PPCDAm). Il est structuré en trois axes : (i) l’aménagement foncier et territorial, (ii) la surveillance et le contrôle environnemental, (iii) le soutien aux activités productives durables. Les actions du gouvernement fédéral ainsi que les requêtes judiciaires du ministère public relatives aux chaines de production de la viande et du soja (moratoires de la viande et du soja) sont responsables de la chute des taux de déforestation de l’ordre de près de 70% par rapport à 2004 pour passer au-dessous des 6.000 km2 actuellement (Nepstad et al. 2014; Assunção, Gandour, and Rocha 2015; Gibbs et al. 2015).
Télédétection appliquée à la surveillance des forêts et à l’usage des terres
Du point de vue de l’observation de la Terre, la télédétection peut être définie comme l’utilisation conjointe de capteurs et d’équipements embarqués à bord de plateformes (suspendues ou transportées par avion ou satellite) destinés à mesurer, traiter et transmettre des données de mesure de l’interaction entre la radiation électromagnétique et la superficie terrestre, ayant pour objectif l’étude des processus et des phénomènes qui ont lieu sur cette superficie (Novo 2008). Les systèmes de télédétection captent un flux d’énergie donné suite à l’interaction de cette énergie avec une superficie spécifique. Connaitre ce flux d’énergie électromagnétique et comprendre les interactions entre la matière et le flux d’énergie permet d’extraire des informations utiles sur cette superficie (Jensen 2009).
C’est à partir du lancement des premiers satellites d’observation de la Terre dans les années 1970, que la télédétection est devenue le principal outil d’observation de la végétation, en raison de son coût bas et de sa capacité à couvrir de grandes surfaces dans un court laps de temps. Dans les années 1980, la démocratisation des systèmes numériques va de paire avec le développement des techniques de traitement des images numériques qui permettent d’extraire des informations des images satellites de façon chaque fois plus rapide et précise.
Actuellement l’existence de dizaines de satellites et probablement de milliers de techniques et méthodologies de traitement d’image rend possible une surveillance permanente de la végétation de la surface terrestre (Novo 2008; Jensen 2009; Ponzoni, Shimabukuro, and Kuplich 2012). Dans ce chapitre nous présenterons quelques unes des études les plus connues relatives à la surveillance des forêts et de l’utilisation des terres.
Cartographie des forêts tropicales
Le rôle important que les forêts tropicales jouent en tant que pourvoyeuses de services environnementaux et comme puits de carbone et de conservation de la biodiversité (IPCC, 2013; Pereira, Navarro, & Martins, 2012; Wright, 2005), rend impérative la surveillance permanente des forêts pour la détection des cas de déforestation ainsi que de dégradation forestière.
Des études réalisées antérieurement avaient estimé le couvert forestier des forêts tropicales entre 11,5 et 12,4 millions de km2 (Achard et al. 2002; Bartholome et al. 2002; Mayaux et al. 2006). En tenant compte de leur ampleur globale et de leur résolution moyenne de telles études sont surtout indiquées pour des évaluations de l’état des forêts à l’échelle globale ou régionale.
D’autres études ont travaillé avec des capteurs de meilleures résolutions spatiales en faisant appel à des produits composites réalisés à partir de différents capteurs tels que MODIS et Landsat (Sexton et al. 2013; Kim et al. 2014), ou uniquement avec l’imagerie Landsat (Margono et al. 2012; Yong et al. 2013; INPE 2015). Toutes ces études démontrent la perte de grandes étendues de forêts tropicales surtout en Indonésie et en Amazonie brésilienne pour la période allant de 1990 à 2012.
Bien que les approches globales ou régionales soient très importantes pour quantifier la diminuation des forêts et leurs impacts sur le changement climatique pour la détermination des politiques publiques locales, il s’avère nécessaire de mettre en place un suivi à haute résolution spatiale et temporelle. Il permettra de localiser avec précision les aires touchées par la suppression de la forêt, et d’agir à temps pour freiner la déforestation illégale.
L’INPE produit des cartes et diffuse annuellement les taux de déforestation depuis 1988 de l’Amazonie légale à une résolution spatiale de 30 m (INPE 2015). D’autre part les données du projet PRODES font état d’une déforestation cumulée pendant la période de 1988 à 2015 de 413.506 km2. Les chiffres annuels les plus importants ont eu lieu en 1995 (29.059 km2) et en 2004 (27.772 km2) alors que les plus faibles caractérisent les années 2012 (4.571 km2) et 2014 (5.012 km2).
En plus de la cartographie annuelle qui permet de quantifier et de localiser à haute résolution spatiale la déforestation, l’INPE produit depuis 2004 des cartes à moyenne résolution spatiale mais à haute résolution temporelle à partir des produits MODIS (250 m). L’IBAMA12 reçoit chaque semaine des cartes indiquant les points d’occurrence de nouvelles déforestations en Amazonie légale. Le projet nommé DETER13 a rendu possible l’adoption par le gouvernement brésilien de mesures de combat contre la déforestation qui ont entraîné une réduction significative du taux annuel de déforestation (Machado 2009; Boucher, Roquemore, and Fitzhugh 2013; Godar et al. 2014; Lambin et al. 2014).
Cette importante base de données de l’INPE est à la disposition de la communauté scientifique et des décideurs, et rend possible, outre le combat de la déforestation, la réalisation d’études capitales sur l’évaluation de l’impact provoqué par le développement économique dans la région. La base de données sur la déforestation de l’Amazonie produite par l’INPE a été utilisée dans cette thèse (i) pour élaborer la méthodologie de cartographie de l’occupation et de l’usage des sols et (ii) pour construire des méthodologies génériques d’identification des principaux systèmes productifs agropastoraux.
Cartographie de l’occupation et de l’usage des terres
Connaitre les systèmes d’utilisation du sols et leurs impacts sur les processus sociaux et naturels nous aide à mieux comprendre comment des modifications sur ces systèmes affectent localement ou même globalement les relations socio-écologiques avec de profondes conséquences pour l’espèce humaine (Verburg et al. 2015; Erb et al. 2016). La qualité et la cohérence des données sur l’utilisation et la couverture des terres affectent directement notre compréhension des impacts produits par les changements d’utilisation des terres sur le climat, les ressources et la biodiversité entre autres (Lausch and Herzog 2002; Lausch et al. 2016; Prestele et al. 2016).
Une abondante littérature montre l’importance de l’utilisation des systèmes d’observation de la Terre pour cartographier l’occupation et de l’usage des sols (Novo 2008; Wulder et al. 2008; Hansen and Loveland 2012; Ponzoni, Shimabukuro, and Kuplich 2012; Hansen et al. 2013).
Au début des années 2000, l’équipe du Centre Commum de Recherche de l’Union Européenne (Bartholome et al. 2002), a utilisé l’imagerie du capteur VEGETATION embarqué à bord du satellite SPOT 4 caractérisé par une résolution de 1 km. Elle a produit une carte régionale de la couverture terrestre du globe détaillée en 21 classes d’occupation du sol. Cette carte a permis une évaluation de l’occupation des sols au niveau global. Néanmoins la résolution spatiale ne permettait pas de descendre en-dessous du niveau des études régionales.
Le projet MODIS Collection 5 Global Land Cover (Friedl et al. 2010) a fourni à partir d’images des satellites MODIS et en utilisant l’ensemble des 17 classes d’occupation des sols proposées par l’IGBP14, un produit global à une résolution spatiale de 500 m permettant ainsi d’affiner les études régionales.
Une autre équipe dirigée par l’ESA15 et par l’Université Catholique de Louvain a élaboré à partir d’images du capteur MERIS embarqué à bord du satellite ENVISAT deux cartes de l’occupation des sols du globe. Ces cartes comprennent 22 classes thématiques et caractérisent les années 2005 et 2009 rendant possible des études diachroniques encore plus ciblées (Arino et al. 2007; Bontemps, Defourny, and Eric 2010).
L’ouverture au public des archives d’images de la série de satellites Landsat, en même temps que le développement de nouveaux algorithmes plus performants, ont rendu possible la surveillance environnementale à une échelle plus large et à une résolution spatiale plus fine de l’ordre de 30 m (Hansen and Loveland 2012; Giri et al. 2013; Hansen et al. 2013).
Un projet récemment développé par une équipe de chercheurs chinois a proposé une double approche basée sur les pixels et sur les objets contenus dans les images : l’approche POK-based (Pixel Object Knowledge). Ce projet a abouti à la production d’une carte d’utilisation des sols d’une résolution de 30 m et contenant 10 types d’utilisation des sols pour l’ensemble du globe et avec une précision supérieure à 80% (Chen et al. 2015). A nouveau ce projet démontre un progrès technique remarquable dans notre capacité d’assurer le suivi de l’environnement. Néanmoins, en raison de sa caractéristique globale et du nombre limité de classes, ce produit ne permet pas de caractériser avec suffisamment de précision sémantique les grandes échelles, régionales ou locales.
L’importance, l’ampleur et la complexité des relations socio-économiques et environnementales de l’Amazonie brésilienne (Margulis 2003; Lima and Pozzobon 2005; Fearnside 2006; Barlow et al. 2011; Valeriano et al. 2012), ainsi que la coïncidence temporelle entre son intégration au marché économique et les progrès des outils de télédétection font de la région amazonienne une des plus étudiées du globe. Les questions ayant trait aux changements d’occupation et d’usages des sols occupent une place centrale par leur importance et leur interface dynamique avec tous les acteurs de la région.
Une étude spatio-temporelle a été développée pour les municipes de Lucas do Rio Verde, Altamira et Santarém16 , en utilisant des images Landsat à trois périodes données: 1990/1991, 1999/2000 et 2008/2009. L’occupation des sols a été cartographiée en six classes et à trois échelles: par pixel, par polygone et par secteur censitaire (Lu et al. 2013). Les résultats ont montré la diversité et l’importance de l’analyse à plusieurs échelles pour l’identification des types d’occupation des sols ainsi que de leurs changements. Ce résultat s’accorde avec une étude réalisée dans la région du fleuve Tapajós qui, lors de l’analyse de la dynamique de l’occupation et de l’utilisation du sol pendant les années 1986, 2001 et 2009 a également montré des taux de changement différents à chacune des échelles d’observation (Rozon et al. 2015). Ces deux résultats mettent en évidence l’importance de l’accès à des données à une résolution suffisamment fine pour permettre des analyses aux échelles locale, régionale.
Des images du capteur VEGETATION à bord du satellite SPOT 4 ont aussi été utilisées pour cartographier l’agriculture, les pâturages et la végétation secondaire en Amazonie légale brésilienne (Carreiras et al. 2006). Les cartes établies pour l’agriculture et les pâturages ont atteint une précision globale de 92%, alors que la végétation secondaire a montré des erreurs d’omission et de commission avec la classe forêt primaire et les autres classes. Un chiffre estimatif du taux de végétation secondaire pour l’Amazonie légale brésilienne a été avancé ayant pour base un échantillon de 26 scènes Landsat et des données de déforestation du projet PRODES (Almeida et al. 2010). Les résultats obtenus ont montré qu’environ 19,4% des parcelles déforestées étaient occupés par la végétation secondaire. Bien que les comparaisons avec des relevés de terrain aient atteint un indice de succès supérieur à 92%, le fait de travailler sur un échantillon ne permet pas la spatialisation de l’occurrence de végétation secondaire.
En vue d’étudier la trajectoire de l’intensité d’utilisation des pâturages en Amazonie, 368 images Landsat de la scène 227/65 acquises entre 1985 et 2012 ont été utilisées (Rufin et al. 2015). Cette étude a mis en évidence une intensification de l´installation des pâturages à partir du début des années 2000. Le recours à une métrique spectrale et temporelle dérivée d’une longue série Landsat s’est montré adéquat pour l’évaluation de motifs d’intensification des pâturages. Intéressés aussi à la question de l’intensification de l’utilisation des terres, une autre étude utilisant des images MODIS MOD13Q1 de 2000/2001 et de 2006/2007 à résolution spatiale de 250 m (Arvor, Dubreuil, et al. 2012) a réussi à identifier l’expansion de la frontière agricole et à spatialiser les trajectoires d’intensification de l’utilisation des terres.
Pour vérifier si le moratoire du soja17 était bien respecté, une équipe conduite par des chercheurs de la division de télédétection de l’INPE a utilisé des images MODIS MOD13Q1 couvrant la récolte agricole de 2009/2010 et des données relatives à la déforestation issues du projet PRODES. Cette étude a permis d’identifier 6300 ha de plantations de soja située en dehors de la zone atteinte par la déforestation après la période accordée par le moratoire du soja (Rudorff et al. 2011).
En plus des études ici décrites sommairement, des dizaines d’autres travaux ont utilisé des données de télédétection pour estimer, assurer le suivi environnemental et identifier des transitions entre différentes occupation et usage des terres dans la région amazonienne (Vieira et al. 2003; Espírito-Santo, Shimabukuro, and Kuplich 2005; Morton et al. 2006; Soler and Verburg 2010; Arvor, Dubreuil, et al. 2012). Ces travaux montrent que les outils de télédétection sont des instruments privilégiés pour l’observation de l’occupation des sols en vue de comprendre les processus d’interaction entre l’Homme et son environnement.
L’occupation et l’usage des terres sont des notions en interrelation qui permettent d’établir une liaison entre les activités humaines et leurs effets sur l’environnement dans une dimension spatio-temporelle donnée (Eurostat 2000).
L’occupation des sols prend en comptes les aspects biophysiques des paysages. Alors que l’usage peut être défini comme le résultat d’arrangements des activités anthropiques, développées sur une portion déterminée de terre et en considérant les aspects fonctionnels à cette parcelle de terrain (Mucher, Stomph, and Fresco 1993; DGAGRI, Eurostat, and Ispra 2000; Brown and Duh 2004; Di Gregorio 2005).
Le projet TerraClass a adopté une légende qui considère les caractéristiques d’utilisation et aussi d’occupation des sols. Par exemple, la classe végétation secondaire se réfère à une surface qui après sa déforestation complète est abandonnée et où réapparait une végétation de type forestier. Pour la définition de cette classe on a considéré seulement les caractéristiques biophysiques de l’aire. Alors que la classe agriculture annuelle se réfère à une région utilisée pour la culture de céréales. Cette région va être couverte par une (ou plusieurs) culture(s) déterminée(s) pendant une période de l’année. Alors que pendant une autre période de l’année le sol peut être complétement exposé. Mais le facteur prépondérant pour le classement est l’aspect fonctionnel de cette aire (la production de céréales).
Apport du paysage dans la compréhension de l’occupation du sol
Le paysage est le résultat de la combinaison dynamique et instable d’éléments physiques, biologiques et anthropiques qui réagissent entre eux pour former un élément unique et indissociable et en perpétuelle évolution (Bertrand and Tricart 1968). Néanmoins, ce terme a d’abord été utilisé dans le domaine de l’art à partir du XVème siècle par des peintres dont les œuvres avaient pour thème des espaces naturels (Alves 2001). Au début du XVIIIème siècle l’allemand Alexander Von Humbold a utilisé le terme paysage pour décrire les caractéristiques d’une région terrestre dans le sens d’espace géographique. Tout au long du XXème siècle de nombreux auteurs se sont préoccupés des relations entre l’Homme et son environnement, dans des applications pratiques des questions environnementales (Metzger 2001). La figure 4 montre l’importance attribuée à l’interrelation Homme et espace géographique dans le paysage (Bertrand and Tricart 1968; Naveh 1994; Benoît et al. 2012).
Mais c’est avec la démocratisation des produits de télédétection et les progrès des systèmes d’information géographique que se renforce la tendance d’analyser les paysages à partir de la mesure de leurs composantes d’un point de vue quantitatif et intégré, ce qui donnera l’origine du terme écologie du paysage (Forman 1995; Antrop 2000).
Une étude réalisée pour la Commission européenne destinée à l’analyse du paysage a avancé que cinq indicateurs pouvaient décrire le paysage : la densité des éléments du paysage ; la moyenne de la relation périmètre/aire ; le nombre de classes
; l’indicateur de diversité ; l’indicateur de diffusion et de juxtaposition (DGAGRI, Eurostat, and Ispra 2000). Des indicateurs similaires ont aussi été proposés dans une étude comprenant 55 métriques calculées pour 85 cartes d’utilisation et de doccupation des sols aux États-Unis (Riitters et al. 1995).
Une étude sur le paysage portugais, ayant pour base la carte d’occupation du sol de 1990, a divisé les indicateurs en deux catégories : les indicateurs qui considèrent la composition de la carte sans prendre en compte le rapport spatial des éléments et ceux qui considèrent la configuration spatiale des objets cartographiés. Ces deux catégories seront considérée respectivement comme des indicateurs de composition du paysage et des indicateurs de configuration du paysage (Carrão, Caetano, and Neves 2001).
Pour les études du paysage, outre choisir les indicateurs les plus adéquats à chaque étude, les chercheurs doivent aussi être attentifs à l’échelle de l’analyse spatiale et temporelle des données. La littérature attire l’attention sur l’importance du choix d’une échelle qui permette d’identifier l’hétérogénéité des motife paysagers (Lausch and Herzog 2002; NIJOS and OECD 2002; Wu 2004; Bailey et al. 2007; Eva et al. 2010; Šímová and Gdulová 2012).
Dans une étude destinée à vérifier l’effet de l’agrégation spatiale pour l’identification de standards spatiaux de la déforestation dans l’État du Rondônia, ont été prises des données de déforestation durant six années. Dans ce travail ont été testés 16 métriques. Les mesures de complexité de forme « Landscape Shape Index » et « Square Pixel » ont présenté la meilleure performance (Frohn and Hao 2006).
L’indice de contamination s’est avéré effectif pour l´évaluation de la fragmentation du paysage de forêt d’une aire du municipe de Marabá en Amazonie brésilienne. L’étude a mis en évidence qu’en 1997 seulement 5% de l’aire de forêts se trouvait à moins de 500 m d’un polygone de déforestation (Pereira et al. 2001).
Pour tester l’identification des types d’utilisation et d’occupation des sols, une étude a utilisé 1872 polygones de divers usages des terres produits par l’IBGE. Ces échantillons se situaient dans les États du Pará, du Mato Grosso, du Rondônia et de l’Amazonas. Les métriques ayant trait à l’aire des polygones ont expliqué la plus grande partie des variances des polygones, suivie des métriques des formes, sans toutefois obtenir une distinction nette entre les quatre États (Colson, Bogaert, and Ceulemans 2011).
Les trois chapitres suivants s’appuient sur cet état de l’art pour caractériser, la zone déboisée de l’Amazonie et les changements dans le paysage.
CARACTERISATION PAR TELEDETECTION DE L’OCCUPATION ET DE L’USAGE DES SOLS DES ZONES DEBOISEES AVANT 2008 DE L’AMAZONIE LEGALE
Comprendre la répartition spatiale de l’utilisation et de l’occupation de sols est essentiel pour les études portant sur la biodiversité, les changements climatiques, la modélisation de l’environnement, les systèmes de production agropastoraux, ainsi que pour la conception et le suivi des politiques d’utilisation des terres (Laurance et al. 2002; Kerr and Ostrovsky 2003; Turner et al. 2003; Nagendra and Rocchini 2008; Aguiar et al. 2012).
Ce chapitre est consacré à la caractérisation générique de l’occupation et de l’usage des sols des zones déboisées de l’Amazonie Légale par télédétection à moyenne et haute résolutions. Cette étude a permis la formalisation scientifique des travaux que j’ai menés entre 2009 et 2012 (Almeida et al. 2016a). D’autres travaux avaient déjà permis une cartographie de l’occupation et de l’usage des sols, mais la plupart étaient restreints à une seule culture (Rudorff et al. 2010; Rudorff et al. 2011; Arvor, Dubreuil, et al. 2012), ou concentrés sur une seule région productrice (Arvor, Meirelles, et al. 2012; Brown et al. 2013), ou travaillaient à une résolution spatiale adaptée à l’analyse régionale (Bontemps, Defourny, and Eric 2010; Friedl et al. 2010; Vuolo and Atzberger 2012; Dias et al. 2016).
La zone d’étude a été définie comme la partie déforestée de l’Amazonie légale. Elle couvre une aire déforestée d’un peu plus de 719.000 km2 distribuée sur les neuf États qui la composent. Les limites de cette aire déforestée ont été fixées à partir des données vectorielles issues du projet PRODES. Elles prennent en compte l’année 2008 et intégrent également la déforestation antérieure à cette date.
Les données LANDSAT/TM5, MODIS et SPOT-5, permettant de combiner hautes résolutions spectrale, temporelle et spatiale ont été utilisées. Différentes techniques incluant le modèle linéaire de mélange spectral, la segmentation, le découpage et l’interprétation visuelle, ont été appliquées aux images Landsat-5/TM et MODIS pour cartographier les classes décrites dans le tableau 1.
Discussion
Le principal élément novateur de la méthodologie de cartographie que nous avons développée a été l’intégration des différentes méthodologies existantes en une chaîne d’opérations séquentielles. Ce traitement en flux à consisté à cartographier chaque classe l’une après l’autre en retirant à chaque étape l’aire de la classe précédemment cartographiée. Cette méthode a permi de réaliser des gains de temps de traitement, d’éliminer les risques de redondance de classes sur une même zone ainsi que de rendre possible la répartition des tâches entre différents groupes de chercheurs et ingénieurs.
La combinaison des données LANDSAT/TM5, MODIS et SPOT-5 a produit une cartographie de l’usage et de l’occupation du sol à un niveau de détail inédit pour toute l’Amazonie et compatible aux échelles locale, régionale et macro-régionale. Ces avancées confèrent la précision spatiale nécessaire à la description des changements d’usage des sols et à l’identification des déterminants de ces changements (Dias et al. 2016). Cette méthodologie est susceptible d’être répliquée à des dates postérieures et/ou antérieures. De telles caractéristiques permettent de créer une longue série de données capable de porter une analyses à long terme. Les données TerraClass ont un potentiel élevé dans plusieurs domaines de connaissance tels que l’usage du sol, le bilan de carbone, les politiques publiques, l’écologie du paysage, la santé et l’environnement entre autres. Les résultats produits à cette étape constituent la base indispensable des données d’usage et d’occupation des sols utilisées pour les analyses des étapes suivantes. Cette méthode et les résultats associés ont été publiés dans le premier article intitulé « High spatial resolution land use and land cover mapping of the Brazilian Legal Amazon in 2008 using Landsat/Tm5 and MODIS data » de la revue Acta Amazonica. Cet article concrétise les divers processus qui au travers de la chaîne de traitement permettent d’extraire des connaissances des images orbitales.
Les cartes générées sont disponibles sur le site Web TerraClass de l’INPE (http://www.inpe.br/cra/projetos_pesquisas/terraclass2008.php).
TYPOLOGIE ET SPATIALISATON MUNICIPALE DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGROPASTORAUX DOMINANTS DE L’ETAT DU RONDONIA
Le paysage actuel de l’Amazonie est composé de mosaïques hétérogènes résultantes des interactions entre forêt d’origine et activités productivistes. Reconnaître et quantifier les caractéristiques de ce paysage est essentiel pour mieux appréhender les conséquences socio-économiques de la poursuite de l’expansion agricole, les chaînes de production agropastorales associées, l’impact des politiques publiques sur l’environnement et améliorer la planification des actions futures (Foley et al. 2005; Lambin et al. 2014).
La deuxième phase des travaux de thèse a eu pour principal objectif de construire une méthodologie générique capable d’identifier et de caractériser au niveau du municipe les systèmes de production agropastoraux prédominants pour l’ensemble des municipes de l´État de Rondônia. L’état du Rondônia a été choisi parce qu’il possède une mosaique environnementale représentative des différents environnements amazoniens, tels que des surfaces forestières primaires et secondaires ou en voie de déforestation, des patûrages dédiés principalemnt à l’élevage bovin, des secteurs de production céréalière. Le tout dans un contexte de petites ou grandes propriétés. La figure 5 montre la carte d’utilisation et d’occupation des sols de l´État du Rondônia en 2010 à une résolution spatiale de 30 m. En haut à droite de l’image, un zoom est fait sur la carte d’occupation et usage des sols, montrant une forme de déforestation dite en « arête de poisson » typique de cette région. La diversité d’environnements et de paysages de cet état va permettre de développer une méthodologie susceptible d’être appliquée aux autres États amazoniens.
Pour caractériser objectivement les municipes et les systèmes de production associés, une grande variété de paramètres quantitatifs a été regroupée en quatre dimensions pour l’année 2010: (i) la production agricole, (ii) l’économie (dont PIB, crédit agricole, logistique, données fournies par des relevés systèmatiques de l’IBGE18, (iii) les configurations territoriales des différentes classes d’occupation du sol produites dans le cadre des programmes TerraClass (cf. figure 5) et PRODES , (iv) les caractéristiques sociales. (tableau 3).
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Table des matières
Organisation du document
1 ÉTAT DE L’ART
1.1 Historique de l’occupation et de la déforestation de Amazonie brésilienne
1.2 Télédétection appliquée à la surveillance des forêts et à l’usage des terres
1.2.1 Cartographie des forêts tropicales
1.2.2 Cartographie de l’occupation et de l’usage des terres
1.3 Apport du paysage dans la compréhension de l’occupation du sol
2 CARACTERISATION PAR TELEDETECTION DE L’OCCUPATION ET DE L’USAGE DES SOLS DES ZONES DEBOISEES AVANT 2008 DE L’AMAZONIE LEGALE
2.1 High spatial resolution land use and land cover mapping of the Brazilian Legal Amazon in 2008 using Landsat/Tm5 and MODIS data
3 TYPOLOGIE ET SPATIALISATON MUNICIPALE DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGROPASTORAUX DOMINANTS DE L’ETAT DU RONDONIA
3.1 Typologies and spatialization of agricultural production systems in Rondônia, Brazil: Linking land use, socioeconomics and territorial configuration
4 DETERMINATION DE L’EMPRENTE PAYSAGERE DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGROPASTORAUX DE L’ETAD DU RONDONIA
4.1 LULC footprints to identification of crop, intensified and not intensified cattle raising production systems in the Brazilian Amazon: A case study in Rondônia
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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